21529/93
Wichtiger Hinweis:
Diese Website wird in älteren Versionen von Netscape ohne graphische Elemente dargestellt. Die Funktionalität der Website ist aber trotzdem gewährleistet. Wenn Sie diese Website regelmässig benutzen, empfehlen wir Ihnen, auf Ihrem Computer einen aktuellen Browser zu installieren.
 
Urteilskopf

21529/93


O.I. gegen Schweiz
Entscheid über die Zulassung no. 21529/93, 23 mars 2000




Sachverhalt

DEUXIÈME SECTION
 
DÉCISION FINALE
 
SUR LA RECEVABILITÉ
 
de la requête n° 21529/93
présentée par I. O.
contre la Suisse
 
    La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 23 mars 2000 en une chambre composée de
 
    M.    C.L. Rozakis, président,
    M.    M. Fischbach,
    M.    L. Wildhaber
    M.    G. Bonello,
    Mme    V. Strážnická,
    M.    A.B. Baka,
    M.    A. Kovler, juges,
et de    M.    E. Fribergh, greffier de section,
 
    Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l'Homme le 8 décembre 1992 et enregistrée le 16 mars 1993,
 
    Vu l'article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,
 
    Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
 
    Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
 
EN FAIT
 
    Le requérant, ressortissant turc né en 1960, était détenu à la prison de Berne au moment de l'introduction de la requête. Il est représenté devant la Cour par Maître Peter Frei, avocat au barreau de Zurich.
 
    Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
 
A.    Circonstances particulières de l'affaire
 
    Le 6 janvier 1992, le juge d'instruction de Berne (ci-après le juge d'instruction) délivra un mandat d'arrêt contre le requérant pour extorsion et chantage, éventuellement brigandage, en application de l'article 111 du Code de procédure pénale du canton de Berne (ci-après CPP).
 
    Le requérant fut arrêté le 14 janvier 1992.
 
    Le 15 janvier 1992, le juge d'instruction ordonna l'ouverture d'une information préliminaire à l'encontre du requérant pour extorsion et chantage, infractions passibles d'une peine d'emprisonnement ou de réclusion sans minimum déterminé, ainsi que son arrestation pour risque de collusion.
 
    Le 16 janvier 1992, le juge d'instruction entendit le requérant. A cette occasion, il l'informa des infractions mises à sa charge, du motif de son arrestation, de son droit de faire appel à un défenseur ainsi que de présenter en tout temps une demande de mise en liberté provisoire.
 
    Le 23 janvier 1992, le requérant adressa au juge d'instruction une demande de mise en liberté provisoire et sollicita, afin d'être en mesure de motiver celle-ci, l'accès au dossier et l'autorisation pour son défenseur de lui rendre visite.
 
    Par ordonnance du 28 janvier 1992, le juge d'instruction rejeta la demande de mise en liberté et refusa l'accès au dossier, aux motifs que l'affaire était complexe, que l'instruction venait de commencer, que l'audition des témoins, qui craignaient des représailles, s'avérait difficile et que le requérant niait les faits.
 
    Suite à cette décision négative, la demande de mise en liberté provisoire du requérant fut d'office déférée à la chambre d'accusation de la cour d'appel de Berne (ci-après la chambre d'accusation), conformément à l'article 128 CPP. Le procureur général du canton de Berne (Generalprokurator) formula ses observations le 29 janvier 1992 ; celles-ci furent transmises le même jour au requérant.
 
    Une autorisation de visite fut délivrée au conseil du requérant le 30 janvier 1992. La première rencontre sans surveillance entre le requérant et son avocat eut lieu le 5 février 1992.
 
    Le même jour, le requérant, d'une part, recourut contre l'ordonnance du juge d'instruction du 28 janvier 1992 et, d'autre part, se prononça sur les observations du procureur général du 29 janvier 1992.
 
    Le 7 février 1992, la chambre d'accusation rejeta la demande de mise en liberté provisoire du requérant, soulignant notamment le danger de collusion et les risques encourus par les témoins, certains ayant été intimidés ou frappés.
 
    Le 13 février 1992, un témoin fut entendu par le juge d'instruction, en présence notamment de l'avocat du requérant et du procureur (Staatsanwalt).
 
    Le 17 février 1992, la chambre d'accusation rejeta le recours interjeté par le requérant contre l'ordonnance du juge d'instruction du 28 janvier 1992. Elle releva d'abord que la demande de consultation du dossier, dans la mesure où elle avait été formulée pour permettre de motiver la requête de mise en liberté, était devenue sans objet vu la décision du 7 février 1992 ; elle estima par ailleurs que l'accès au dossier risquait, vu le danger de collusion, de mettre en échec la découverte de la vérité. Enfin, elle souligna que le refus opposé à l'avocat ne constituait pas une marque de défiance à son égard mais était justifié par le fait qu'un prévenu avait le droit d'obtenir de son défenseur des informations complètes sur le contenu de son dossier.
 
    Le 19 février 1992, le conseil du requérant put consulter le dossier de l'instruction.
 
    Le 20 février 1992 eut lieu une conférence de presse, à laquelle participèrent notamment le chef de la police de Berne, le juge d'instruction et le procureur (Staatsanwalt).
 
    Le 16 mars 1992, le requérant adressa au Tribunal fédéral un recours de droit public contre les décisions de la chambre d'accusation des 7 et 17 février 1992, se plaignant notamment de ce que les autorités cantonales avaient méconnu les articles 5 §§ 3 et 4 ainsi que 6 §§ 1 et 3 b) et c) de la Convention.
 
    Par un arrêt du 27 mai, reçu le 9 juin 1992, le Tribunal fédéral déclara irrecevable le grief tiré du refus d'accès au dossier, au motif que cette demande était devenue sans objet suite à l'autorisation accordée le 19 février 1992. Par ailleurs, il considéra que l'article 5 § 3 de la Convention n'avait pas été méconnu ; à cet égard, il souligna :
 
    (Allemand)
 
    «Das in Art. 90 und 91 GOG sowie in Art. 94 StrV vorgesehene Weisungsrecht des Bezirksprokurators verletzt (...) an sich die von Art. 5 Ziff. 3 EMRK geforderte richterliche Unhabhängigkeit des Untersuchungsrichters.
 
    Massgebend (...) ist jedoch nicht der wörtlich ausgelegte Text der bernischen Verfahrensgesetze, sondern die tatsächlich geübte Praxis der bernischen Strafverfolgungsbehörden. Der Generalprokurator führt in seiner Vernehmlassung aus, die Behörden des Kantons Bern würden aus den erwähnten Bestimmungen kein Recht des Bezirksprokurators ableiten, dem Untersuchungsrichter die Verhaftung des Angeschuldigten vorzuschreiben (...). Eine derartige Weisung sei - zumindest in den letzten Jahrzehnten - nicht vorgekommen. Auch im vorliegenden Fall erteilte der Bezirksprokurator keinerlei Weisung, den Beschwerdeführer zu verhaften oder weiter in Haft zu behalten (...) »
 
    (Traduction)
 
    «Le droit pour le procureur d'arrondissement de donner des directives, tel que prévu aux articles 90 et 91 de la Loi d'organisation judiciaire du canton de Berne (ci-après LOJ) de même qu'à l'article 94 CPP, méconnaît en soi l'exigence d'indépendance du juge d'instruction de l'article 5 § 3 de la Convention.
 
    Toutefois, seule la pratique des autorités de poursuite bernoises, et non l'interprétation littérale des textes de loi, est déterminante. Le procureur général expose dans ses observations que les autorités du canton de Berne ne déduiraient des dispositions précitées aucun droit pour le procureur d'arrondissement d'ordonner l'arrestation d'un prévenu (...). Une telle directive - du moins au cours des dernières décennies - n'a pas été donnée. Il en va de même dans le cas d'espèce, où le procureur d'arrondissement n'a émis aucun ordre, que ce soit d'arrêter le requérant ou de le maintenir en détention (...) »
 
    Par décisions concordantes du juge d'instruction et du ministère public des 16 et 20 octobre 1992, le requérant et cinq coaccusés furent renvoyés en jugement devant le tribunal pénal de Berne.
 
    Le requérant fut mis en liberté provisoire le 23 décembre 1992.
 
    Suite aux débats qui eurent lieu du 11 au 23 décembre 1992, du 8 au 10 février 1993, du 4 au 13 novembre 1993 et le 22 novembre 1993, le tribunal pénal de Berne condamna le requérant à vingt-quatre mois d'emprisonnement et cinq ans d'interdiction du territoire pour brigandage, extorsion et chantage, tentative de contrainte et lésion corporelle simple.
 
    La cour d'appel de Berne confirma ce jugement le 3 février 1994.
 
    Le requérant ne recourut pas au Tribunal fédéral.
 
B.    Droit interne pertinent
 
    Loi d'organisation judiciaire du canton de Berne du 31 janvier 1909
 
    Article 90
 
    «(...) les procureurs d'arrondissement surveillent la marche des enquêtes dans leur ressort et proposent aux juges d'instruction les mesures appropriées. Ils peuvent en tout temps prendre connaissance du dossier des enquêtes et assister à toutes les opérations de celles-ci. »
 
    Article 91
 
    «En outre, les procureurs d'arrondissement ont le droit de requérir des poursuites pénales ou de faire déjà avant l'ouverture de l'enquête procéder par le juge d'instruction compétent à des actes particuliers d'information. »
 
    Article 92
 
    « Les procureurs d'arrondissement soutiennent l'accusation devant les tribunaux de leur ressort. »
 
    Code de procédure pénale du canton de Berne du 20 mai 1928
 
    Article 29
 
    « La Cour d'assises connaît des crimes passibles de la réclusion pour plus de cinq ans. Les articles 208, 208a et 208b sont réservés. »
 
    Article 32
 
    «Un juge ne peut prendre part à l'instruction et au jugement d'une affaire pénale :
 
    (...)
 
    7. s'il a occupé dans la cause comme représentant du ministère public (...) »
 
    Article 39
 
    «1. Sont parties en matière pénale : le prévenu et le plaignant (partie civile).
 
    2. Le ministère public n'est partie qu'aux débats et en procédure de recours. »
 
    Section I : La procédure préliminaire
 
    (…)
 
    Article 80
 
    «Le juge est saisi de la cause dès qu'il a reçu la dénonciation. »
 
    Article 82
 
    «1. Dès la réception d'une communication (...), d'une dénonciation ou dès qu'une personne en état d'arrestation lui est amenée, le juge examine sans retard si les faits qui lui sont ainsi signalés sont punissables et si les conditions légales de l'action publique sont remplies. »
 
    Article 86
 
    «1. Si le juge d'instruction est d'avis que les faits dénoncés ou communiqués par la police constituent un acte punissable et qu'au demeurant les conditions de l'action publique sont remplies, il ordonne l'ouverture de l'action.
 
    2. Il décide de même l'ouverture de l'action publique lorsqu'il acquiert dans l'exercice de ses fonctions connaissance d'un acte punissable (...) »
 
    Article 87
 
    «1. Le procureur d'arrondissement peut exiger que le juge d'instruction exerce des poursuites pénales dans tel cas déterminé (...) »
 
    Article 89
 
    «1. L'instruction a pour objet de rassembler les preuves propres à faire décider du renvoi de l'inculpé devant l'autorité de répression (...)
 
    2. (...) le juge d'instruction recherche non seulement les faits à charge, mais encore tous ceux qui peuvent être à la décharge du prévenu. »
 
    Article 91
 
    «1. L'instruction est faite par le juge d'instruction (...) »
 
    Article 94
 
    «Le procureur d'arrondissement surveille la marche des instructions. Il peut, à cet effet, compulser en tout temps le dossier de l'enquête, assister aux opérations de celle-ci et faire procéder par le juge d'instruction à des actes particuliers d'information. »
 
    Article 100
 
    «1. Le juge impliquera dans l'enquête toutes personnes contre lesquelles il existera des indices graves permettant d'admettre qu'elles ont participé à l'infraction ou qu'elles ont favorisé celle-ci, quand bien même ces personnes n'auraient pas figuré comme telles dans la dénonciation. »
 
    Article 101
 
    «Le juge étendra en outre d'office l'instruction à toutes les infractions du prévenu qui seront parvenues à sa connaissance, si les conditions légales de l'action publique sont remplies. »
 
    Article 111
 
    «1. Pendant l'instruction, le prévenu demeure ordinairement en liberté.
 
    2. Néanmoins, le juge d'instruction a le droit d'ordonner son arrestation (si ...) »
 
    Article 112
 
    « Pour l'arrestation, il faut :
    1. une ordonnance écrite et motivée du juge d'instruction, mentionnant les indices à charge et la cause de l'arrestation ;
    2. un mandat d'arrêt du même juge (...) »
    
    Article 118
 
    «Le prévenu sera interrogé au plus tard dans les 24 heures qui suivent son incarcération et le juge lui donnera connaissance de l'ordonnance d'arrestation, avec motifs à l'appui en l'informant de la possibilité qu'il a de présenter une demande de libération (...) »
 
    Article 119
 
    «1. Le juge d'instruction qui interroge pour la première fois une personne arrêtée est tenu d'examiner si les conditions légales de l'arrestation sont remplies.
 
    (...)
 
    3. Si les conditions de l'arrestation ne sont pas remplies, le détenu sera relaxé. »
 
    Article 127
 
    «1. Dès que la cause de l'arrestation ou de son maintien vient à cesser, le prévenu est mis en liberté provisoire par décision motivée du juge d'instruction. Dans les cas dont connaît la Cour d'assises l'approbation du procureur d'arrondissement est toutefois nécessaire (...) »
 
    Article 128
 
    «1. Le prévenu incarcéré peut demander en tout temps (...) à être mis en liberté provisoire.
 
    2. Si le juge d'instruction écarte la requête, ou si le procureur d'arrondissement n'adhère point à la mise en liberté proposée, le dossier de la cause est soumis pour décision à la Chambre d'accusation (...) »
 
    Article 183
 
    «(...) le juge prononce la clôture de l'instruction s'il l'estime complète (...) »
 
    Titre V : Le renvoi aux tribunaux de répression et le non-lieu
 
    (…)
 
    Article 184
 
    «1. Dans les cas punis de réclusion à temps sans minimum déterminé ou d'emprisonnement, le juge d'instruction, après clôture de l'enquête, soumet le dossier au procureur d'arrondissement, avec sa proposition écrite.
 
    (...)
 
    3. Si les charges relevées lui paraissent suffisantes pour rendre le prévenu suspect d'une action punissable, il propose le renvoi de l'affaire devant le tribunal compétent. »
    Article 185
 
    «1. Si le procureur d'arrondissement adhère à la proposition du juge d'instruction, l'ordonnance déploie ses effets.
 
    2. S'il n'y adhère pas et que les deux magistrats ne puissent s'entendre, le juge d'instruction saisit la Chambre d'accusation, qui tranche. »
 
    Article 206
 
    «1. L'ordonnance de renvoi désigne :
    1. le prévenu ;
    2. les faits mis à sa charge (...) ;
    3. les articles de la loi pénale ;
    4. la juridiction devant laquelle le prévenu est traduit. »
 
    Article 255
 
    «1. Le jugement porte sur le fait incriminé par l'acte de renvoi (...)
 
    2. Le juge ou le tribunal n'est pas lié par la qualification que le fait incriminé a reçue dans l'acte de renvoi ou dans la dénonciation. »
 
    Article 268
 
    «1. Dès qu'il est en possession du dossier et de l'arrêt de renvoi, le procureur d'arrondissement rédige l'acte d'accusation, en exposant l'objet de l'inculpation et les circonstances dans lesquelles le fait punissable paraît avoir été commis.
 
    (…)
 
    3. Le procureur d'arrondissement n'y ajoutera ni considérations de droit, ni renvois à des preuves déterminées de l'instruction. »
 
GRIEFS
 
    Invoquant l'article 5 § 3 de la Convention, le requérant se plaint de ce que les décisions de le placer puis de le maintenir en détention provisoire n'ont pas été prises par un « magistrat habilité (...) à exercer des fonctions judiciaires ». A cet égard, il allègue que le juge d'instruction du canton de Berne n'offre pas l'indépendance requise puisqu'il est soumis dans l'accomplissement de ses tâches aux directives du procureur d'arrondissement, d'une part, et participe à la mise en accusation, d'autre part.
 
    Invoquant l'article 5 § 4 de la Convention, le requérant se plaint de ce qu'après son arrestation, l'accès au dossier de l'instruction lui a été refusé, ainsi qu'à son défenseur, durant trente-cinq jours. A cet égard, il allègue qu'il n'a pas été en mesure de plaider efficacement sa demande de mise en liberté provisoire, contrairement au procureur qui a pu consulter le dossier.
 
    Invoquant l'article 6 § 3 b) et c) de la Convention, le requérant se plaint de ce que ses droits de la défense ont été méconnus en raison du fait qu'il n'a pu s'entretenir librement et sans surveillance avec son conseil jusqu'au 30 janvier 1992.
 
PROCEDURE
 
    La requête a été introduite le 8 décembre 1992 et enregistrée le 16 mars 1993.
 
    Le 6 septembre 1995, la Commission européenne des Droits de l'Homme a décidé de porter la requête à la connaissance du gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé des griefs tirés de la violation de l'article 5 §§ 3 et 4 (indépendance du juge d'instruction et accès au dossier de l'instruction) ainsi que de l'article 6 § 3 b) et c) de la Convention. Elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus.
 
    Le Gouvernement a présenté ses observations le 17 novembre 1995 et le requérant y a répondu le 13 février 1996, après prolongation du délai imparti.
 
    Le 5 décembre 1995, la Commission a décidé d'accorder au requérant le bénéfice de l'assistance judiciaire.
 
    A compter du 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention, et en vertu de l'article 5 § 2 dudit Protocole, la requête est examinée par la Cour.
 


Erwägungen

EN DROIT
 
1.    Le requérant se plaint de ce que son placement puis son maintien en détention provisoire n'ont pas été ordonnés par un « magistrat habilité (...) à exercer des fonctions judiciaires », au sens de l'article 5 § 3 de la Convention. A cet égard, il allègue que le juge d'instruction du canton de Berne n'est pas indépendant puisqu'aux termes du Code de procédure pénale et de la loi d'organisation judiciaire du canton de Berne, non seulement il est subordonné au procureur d'arrondissement mais encore, il participe à la mise en accusation.
 
    Les passages pertinents de l'article 5 de la Convention disposent :
 
    «1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
 
    (...)
 
    c. s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ;
 
    (…)
 
    3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. »
 
    Le gouvernement défendeur soutient que la loi d'organisation judiciaire et le Code de procédure pénale du canton de Berne garantissent l'indépendance du juge d'instruction à l'égard du procureur d'arrondissement. En particulier, il souligne que le juge d'instruction, dès qu'il est saisi d'une affaire et après avoir vérifié que les conditions légales de l'action publique sont remplies, ordonne l'ouverture de celle-ci (articles 80, 82 et 86 CPP) ; il dirige alors l'instruction, à charge et à décharge (articles 89 et 91 CPP) ; il est seul compétent pour étendre d'office l'instruction à l'égard d'autres prévenus ou à de nouvelles infractions (articles 100 et 101 CPP) ; il prononce la clôture de l'instruction s'il l'estime complète (article 183 CPP) ; enfin, un juge ne peut prendre part à l'instruction d'une affaire pénale s'il a agi dans la cause comme représentant du ministère public (article 32 CPP). Quant au procureur d'arrondissement, il a pour tâches de dresser l'acte d'accusation (article 268 CPP) puis de soutenir l'accusation devant les tribunaux (article 92 LOJ).
 
    Selon le Gouvernement, l'indépendance du juge d'instruction est acquise au stade de l'ouverture de l'action publique. L'arrestation d'un suspect, en effet, est ordonnée par ce magistrat, sur la base d'une décision écrite et motivée (articles 111 et 112 CPP). Il rappelle aussi qu'au cours du premier interrogatoire, le juge d'instruction procède à l'examen de la légalité de l'arrestation du prévenu et peut à cette occasion ordonner son élargissement, sans le concours du procureur (articles 118 et 119 CPP). Si par la suite la cause de l'arrestation ou du maintien en détention vient à cesser, le prévenu est mis en liberté provisoire par décision motivée du juge d'instruction, avec l'approbation du procureur d'arrondissement dans les cas dont connaît la cour d'assises (article 127 CPP) ; cette procédure correspond toutefois à l'article 5 § 4 de la Convention, lequel n'a pas été invoqué par le requérant.
 
    Le Gouvernement affirme que l'indépendance du juge d'instruction est également assurée lors de la procédure de renvoi. Aux termes de l'article 184 CPP, en effet, le juge d'instruction, après la clôture des enquêtes, soumet au procureur d'arrondissement le dossier avec sa proposition écrite ; ce faisant, il émet son avis sur le résultat de ses investigations ainsi que sur la juridiction compétente pour connaître de la cause. Si le procureur se rallie à cette opinion, l'ordonnance de renvoi déploie ses effets ; dans le cas contraire, la chambre d'accusation tranche (article 185 CPP). Le juge d'instruction peut donc maintenir sa proposition sans risque de pression de la part du procureur d'arrondissement. A cet égard, le Gouvernement souligne que l'article 184 CPP figure sous le titre traitant du « renvoi aux tribunaux de répression et (du) non-lieu » dans la section « procédure préliminaire » et qu'il ressort ainsi de la systématique du Code de procédure pénale que l'ordonnance de renvoi marque le terme de la procédure d'instruction, qu'elle n'est qu'une condition de forme nécessaire à la saisine des tribunaux et ne constitue pas un acte relevant de l'accusation. Il relève en outre que le juge d'instruction se borne, dans l'acte de renvoi, à indiquer certains éléments tels les faits reprochés, les dispositions légales pertinentes et la juridiction compétente (article 206 CPP) ; il ne constate pas l'existence de l'infraction ni ne se prononce sur la culpabilité d'un inculpé (article 255 CPP).
 
    Sur la base de ces observations générales et considérant que l'arrestation du requérant, le 14 janvier 1992, était fondée sur un mandat délivré par le juge d'instruction, que le procureur d'arrondissement n'a émis aucun ordre - ni d'arrêter le requérant ni de le maintenir en détention -, que le juge d'instruction a entendu le requérant le 16 janvier 1992 et a, à cette occasion, décidé son maintien en détention conformément aux articles 118 et 119 CPP, le Gouvernement conclut que les griefs tirés de l'article 5 § 3 de la Convention sont manifestement mal fondés.
 
    Le requérant affirme que le juge d'instruction du canton de Berne n'est pas un « magistrat habilité (...) à exercer des fonctions judiciaires » au sens de l'article 5 § 3 de la Convention et ne pouvait donc ordonner son arrestation. Selon lui, en effet, le juge d'instruction n'est pas un magistrat indépendant.
 
    En particulier, le requérant souligne que dans le canton de Berne, « l'instruction est faite par le juge d'instruction » (article 91 CPP) ; toutefois, le procureur d'arrondissement en surveille le déroulement, peut prendre connaissance du dossier et donner des directives au juge d'instruction (articles 87 et 94 CPP ; 90 et 91 LOJ).
 
    Par ailleurs, lorsqu'une affaire relève de la compétence de la cour d'assises, et selon le requérant il n'était pas exclu que tel fût le cas au moment de son arrestation (article 29 CPP), le juge d'instruction ne peut prononcer la mise en liberté provisoire d'un prévenu sans l'autorisation du procureur d'arrondissement (article 127 CPP). Le requérant mentionne également l'article 128 CPP aux termes duquel le dossier doit être soumis à la chambre d'accusation lorsque « le procureur d'arrondissement n'adhère point » à la demande de mise en liberté.
 
    Le requérant affirme en outre que le juge d'instruction exerce successivement deux fonctions qui sont incompatibles, en l'occurrence l'instruction puis l'accusation. Ainsi, lorsqu'est en cause une infraction punissable d'une peine de réclusion sans minimum déterminé ou d'emprisonnement, le juge d'instruction participe à la mise en accusation puisqu'il rédige l'acte de renvoi (article 184 CPP), lequel déploie ses effets si le procureur d'arrondissement y adhère (article 185 CPP). Selon lui, dans la pratique, le juge d'instruction joue un rôle plus important que le procureur car ce dernier accepte en général ses propositions. Il indique aussi qu'à Berne, les bureaux du juge d'instruction et du procureur d'arrondissement se trouvent dans le même bâtiment.
 
    Le requérant précise qu'il ne lui est pas possible de prouver que le procureur d'arrondissement a émis des directives à l'attention du juge d'instruction ; il est toutefois d'avis que sa participation à l'audition de témoins le 13 février 1992, d'une part, et le fait qu'il a organisé avec la police une conférence de presse le 20 février 1992, d'autre part, démontrent qu'il est intervenu au cours de l'instruction.
 
    La Cour estime que cette partie de la requête pose de sérieuses questions de fait et de droit qui nécessitent un examen au fond. Dès lors, elle ne saurait être déclarée manifestement mal fondée en application de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour constate en outre qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.
 
2.    Le requérant se plaint de ce que l'accès au dossier de l'instruction lui a été refusé, ainsi qu'à son défenseur, durant trente-cinq jours. Il invoque l'article 5 § 4 de la Convention, qui dispose en ses passages pertinents :
 
    « Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
 
    Le gouvernement défendeur se borne à constater que le Tribunal fédéral ne s'est pas prononcé sur ce grief au motif que la demande visant à obtenir l'accès au dossier était devenue sans objet, le requérant ayant pu entre-temps consulter son dossier.
        La Cour estime que cette partie de la requête pose de sérieuses questions de fait et de droit qui nécessitent un examen au fond. Dès lors, elle ne saurait être déclarée manifestement mal fondée en application de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour constate en outre qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.
 
3.    Invoquant l'article 6 § 3 b) et c) de la Convention, le requérant se plaint de ce que ses droits de la défense ont été méconnus en raison du fait qu'il n'a pas été en mesure de s'entretenir sans surveillance avec son conseil jusqu'au 30 janvier 1992.
 
    Les passages pertinents de l'article 6 de la Convention sont rédigés comme suit :
 
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…)
 
(…)
 
3.  Tout accusé a droit notamment à :
 
(…)
 
b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
 
c)  se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ;
 
(…) »
 
    Le gouvernement soutient que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes, puisqu'il a omis d'invoquer l'article 6 § 3 de la Convention devant les autorités cantonales et que le Tribunal fédéral n'est en conséquence par entré en matière sur ces griefs.
 
    Le requérant affirme avoir expressément mentionné l'article 6 § 3 b) et c) de la Convention devant les autorités internes à compter de sa demande de mise en liberté datée du 23 janvier 1992.
 
    La Cour rappelle d'abord qu'aux termes de l'article 35 § 1 de la Convention, elle « ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus ». En particulier, cette disposition impose aux requérants de soulever devant les juridictions nationales les griefs qu'ils entendent porter devant la Cour (arrêt Ankerl c. Suisse du 23 octobre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1565, § 34). En droit suisse, les justiciables peuvent invoquer l'article 6 de la Convention - directement applicable - devant les tribunaux cantonaux puis, en dernière instance, devant le Tribunal fédéral (Comm. eur. D.H., n° 12929/87, décision du 5 février 1990, D.R. n° 64, p. 132).
 
    La Cour rappelle également que les garanties du paragraphe 3 de l'article 6 de la Convention représentent des aspects particuliers de la notion générale de procès équitable contenue dans le paragraphe 1 de cette disposition (arrêt Doorson c. Pays-Bas du 26 mars 1996, Recueil 1996-II, p. 469, § 66) et que l'équité s'examine au regard de la procédure prise dans son ensemble, c'est-à-dire une fois celle-ci terminée (Comm. eur. D.H., n° 18892/91, décision du 3 décembre 1993, D.R. n° 76-B, p. 51).
 
    En l'espèce, la Cour observe que le requérant a invoqué l'article 6 de la Convention dans son recours de droit public adressé au Tribunal fédéral le 16 mars 1992. Toutefois, la procédure ne concernait à cette époque que la détention provisoire du requérant et l'accès de ce dernier au dossier de l'instruction ; or ces questions relèvent de l'article 5 § 4 de la Convention, lequel constitue une lex specialis en la matière (Comm. eur. D.H., n° 23888/94, décision du 18 octobre 1995, D.R. n° 83-B, p. 48). Au demeurant, elle souligne que les décisions rendues par les autorités judiciaires cantonales en 1992 et l'arrêt du Tribunal fédéral du 27 mai 1992 ne portaient pas sur le bien-fondé des accusations pénales dirigées contre le requérant ; or l'article 6 de la Convention s'applique uniquement lorsque sont tranchées « des contestations sur (des) droits et obligations de caractère civil » ou une « accusation en matière pénale ».
 
    La Cour constate en outre que le tribunal pénal de Berne a condamné le requérant à vingt-quatre mois d'emprisonnement en 1993 et que ce jugement a été confirmé par la cour d'appel de Berne le 3 février 1994. Elle relève que le requérant avait ensuite la faculté de recourir au Tribunal fédéral et, à cette occasion, se plaindre de ce que la procédure n'avait pas été équitable, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention, et de ce que ses droits de la défense, tels que garantis par le paragraphe 3 de cette disposition, avaient été méconnus. Le requérant a toutefois omis de faire usage de cette possibilité. La Cour considère, dans ces circonstances, que le requérant n'a pas satisfait à la condition de l'épuisement des voies de recours internes posée par l'article 35 § 1 de la Convention.
 
    Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée en application de l'article 35 § 4 de la Convention.
 


Entscheid

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
 
DECLARE RECEVABLES, tous moyens de fond réservés, les griefs du requérant concernant l'indépendance du juge d'instruction du canton de Berne (article 5 § 3 de la Convention) et l'accès au dossier de l'instruction (article 5 § 4 de la Convention) ;
 
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.
 
    Erik Fribergh     Christos Rozakis
     Greffier     Président IF Chamber Error! Bookmark not defined. = "3" "    Sally Dollé    Nicolas Bratza
    Greffière de la chambre    Président de la chambre" IF Chamber Error! Bookmark not defined. = "4" "    Vincent Berger    Matti Pellonpää
    Greffier de la chambre    Président de la chambre"