16188/07
Recht auf Achtung des Privat- und Familienlebens (Art. 8 EMRK); Registrierung als Prostituierte in der Datenbank der Polizei.
Bei der Beschwerdeführerin wurden 1993 bei einer Polizeikontrolle in Genf Visitenkarten mit der Aufschrift "Nette, hübsche Dame Ende dreißig wartet auf einen Freund, der ab und zu mal ein Glas mit ihr trinkt oder mit ihr ausgeht. Tel. Nr. [...]" vorgefunden. Sie wurde daraufhin von der Polizei als Prostituierte registriert. Die Beschwerdeführerin bestreitet bis heute, der Prostitution nachgegangen zu sein und beklagt sich vor dem Gerichtshof darüber, dass sie bis zum heutigen Tag in der Datenbank der Polizei als Prostituierte geführt werde.
Der Gerichtshof akzeptiert zwar, dass die Aufbewahrung von persönlichen Daten der Beschwerdeführerin die Verteidigung der Ordnung, die Verhinderung von strafbaren Handlungen und den Schutz der Rechte anderer zum Ziel hatte. Jedoch hatte die Beschwerdeführerin ein erhebliches Interesse an der Löschung der Bezeichnung "Prostituierte", da diese geeignet ist, ihrem guten Ruf zu schaden und ihr Alltagsleben schwieriger zu gestalten. Ferner vermag der Gerichtshof zwischen der Verurteilung der Beschwerdeführerin wegen eines geringfügigen Delikts (Beleidigung und Telefonterror) und der Aufrechterhaltung der strittigen Maßnahme keinen kausalen Zusammenhang zu erkennen. Die jahrelange Aufrechterhaltung der Bezeichnung "Prostituierte" in der Datenbank der Polizei aufgrund eines Verdachts ist weder mit der Unschuldsvermutung vereinbar noch in einer demokratischen Gesellschaft notwendig.
Verletzung von Art. 8 EMRK (einstimmig).
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 16188/07) dirigée contre la Confédération suisse et dont une ressortissante française, Mme Sabrina Khelili (« la requérante »), a saisi la Cour le 5 avril 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante, qui a été admise au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représentée par Me H. Mathieu, avocate à Strasbourg. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. F. Schürmann, chef de l'unité Droit européen et protection internationale des droits de l'homme à l'Office fédéral de la Justice.
3. La requérante allégue que, depuis la découverte de ses cartes de visite par la police du canton de Genève en 1993, elle continue à figurer comme « prostituée » dans les fichiers informatiques et dans son dossier de la police du canton de Genève, ce qui serait contraire à l'article 8 de la Convention.
4. Le 27 août 2009, le président de la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le prévoit l'article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
5. Le gouvernement français n'a pas usé de son droit d'intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).
6. Le 1er février 2011, les sections de la Cour ont été remaniées. La requête a été attribuée à la deuxième section (articles 25 § 1 et 52 § 1 du règlement).
7. La requérante est née en 1959 et réside à Saint Priest (France).
8. En 1993, lors d'un contrôle de police à Genève, cette dernière trouva sur la requérante des cartes de visite sur lesquelles on pouvait lire :
9. Selon la requérante, suite à cette découverte, la police de Genève l'aurait fichée comme « prostituée ». Le 11 novembre 1993, l'Office fédéral des étrangers prononça à son encontre une interdiction de séjour pour des motifs préventifs de la police des moeurs. Cette interdiction d'entrée en Suisse dura deux ans, jusqu'en 1995. La requérante contesta toujours le fait de s'être prostituée.
10. Les 8 octobre et 7 novembre 2001, la requérante fit l'objet de deux plaintes pénales pour injures et menaces déposées par S.M. et H.Y.
11. En octobre 2003, la requérante apprit par une lettre de la police cantonale du canton de Vaud qu'elle continuait à figurer comme « prostituée » dans les dossiers informatiques de la police du canton de Genève.
12. Le 26 mai 2005, dans une autre affaire, la requérante fut condamnée à vingt jours d'emprisonnement avec un sursis de cinq ans par le tribunal correctionnel de Lausanne pour injure et utilisation abusive d'une installation de télécommunication à la suite de deux plaintes déposées contre elle en octobre 2002 et en septembre 2003.
13. Le 15 juillet 2005, le chef de la police du canton de Genève ordonna que la mention concernant la profession de la requérante soit corrigée de « prostituée » en « couturière ». Il lui confirma que les mentions des termes « péripatéticienne », « service d'escorting » et « racolage » avaient également été supprimés.
14. Par une lettre du 26 juillet 2005 du coordinateur suisse du Centre de coopération policière et douanière à Genève, la plaignante obtint la radiation dans les fichiers de cet organisme de certains faits la concernant.
15. Le 24 juin 2006, la requérante eut une conversation téléphonique avec un service - non spécifié - de la police du canton de Genève, pendant laquelle elle apprit qu'elle figurait toujours comme « prostituée » dans les fichiers informatiques de la police. Par courrier du 26 juin 2006, elle demanda alors au responsable de la centrale de la documentation de la police que les informations figurant dans son dossier de police relatives à la prostitution soient effacées. Elle requit en outre la suppression des données figurant dans son dossier de police liées aux plaintes pénales pour injures et menaces déposées contre elle le 8 octobre et le 7 novembre 2001 par S.M. et H.Y., au motif qu'elles seraient infondées et périmées.
16. Par lettre du 3 juillet 2006, le chef de la police répondit à la requérante que la mention concernant sa profession avait été corrigée de « prostituée » en « couturière » dans le système informatique de la police. Par contre, les données concernant les plaintes déposées à son encontre en 2001 figuraient toujours dans la base de données de la police. Le chef de la police refusa de les supprimer, au motif qu'elles devaient être conservées à titre préventif. Par ailleurs, il nota que le même type de faits avait fait l'objet d'une autre plainte de la part d'un certain G.H. en septembre 2003, démontrant ainsi une continuité dans les infractions prétendument commises par la requérante. Il souligna que la rectification demandée par la requérante pourrait seulement être réexaminée à l'issue du délai de sursis de cinq ans.
17. Le président de la chambre d'accusation du canton de Genève confirma cette décision par une ordonnance rendue le 20 septembre 2006, qui contient les passages suivants :
18. Le 20 octobre 2006, la requérante recourut contre cette ordonnance auprès du Tribunal fédéral. Par arrêt du 19 décembre 2006, le Tribunal fédéral rejeta le recours de droit public de la requérante dans les termes suivants :
19. Par un arrêt du 15 mars 2007, le tribunal de police de l'arrondissement de La Broye et du Nord vaudois libéra G.H. des accusations portées contre lui par une plainte pénale déposée par la requérante pour diffamation. En revanche, il le condamna pour violation du secret de l'enquête à une amende de 100 francs suisses (CHF). Par ailleurs, il rejeta les prétentions civiles de la requérante. A propos des activités de la requérante, le tribunal se prononça notamment ainsi :
20. Les dispositions de la Convention du Conseil de l'Europe pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du 28 janvier 1981, dont la Suisse est un Etat partie, sont libellées comme il suit :
21. L'article 13 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 est ainsi libellé :
22. Les dispositions pertinentes de la Loi du canton de Genève sur les renseignements et les dossiers de police et la délivrance des certificats de bonne vie et moeurs du 29 septembre 1977 (ci-après : « LDP ») étaient libellées comme il suit au moment des faits pertinents de la présente affaire :
23. La prostitution en tant que telle n'est pas une infraction en vertu du code pénal. Par contre, l'article 199 punit l'« exercice illicite de la prostitution » dans les termes suivants :
24. Invoquant l'article 8 de la Convention, la requérante se plaint que, depuis la découverte de ses cartes de visite en 1993, elle continue à figurer comme « prostituée » dans les fichiers informatiques et dans son dossier de la police du canton de Genève. Elle allègue que la mémorisation de données prétendument erronées relatives à sa vie privée aurait violé son droit au respect de sa vie privée. Cette disposition est libellée comme il suit :
25. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
26. Le Gouvernement soutient que, dans sa requête, la requérante se borne à réaffirmer qu'elle serait fichée comme prostituée à Genève dans les dossiers informatiques de la police, en dépit de la lettre du chef de la police du 3 juillet 2006 certifiant que cette mention avait été remplacée par celle de « couturière » (paragraphe 16 ci-dessus). La requérante se réfèrerait à cet égard à un extrait d'un jugement du tribunal d'arrondissement de La Broye et du Nord vaudois du 15 mars 2007, donc postérieur à l'arrêt du Tribunal fédéral du 19 décembre 2006, selon lequel la plaignante est en réalité une prostituée bien connue à Genève. Selon le Gouvernement, la requérante ne saurait se fonder sur un élément de fait postérieur à l'arrêt contesté et inconnu du Tribunal fédéral lorsqu'il a statué. Selon le Gouvernement, la requérante aurait dû saisir le Tribunal fédéral d'une demande de révision de l'arrêt précité, fondée sur l'élément nouveau que constitue le jugement vaudois du 15 mars 2007. Dès lors, il n'y aurait pas eu épuisement des voies de recours internes.
27. La requérante est convaincue d'avoir épuisé les voies de recours internes, dans la mesure où elle a saisi la plus haute juridiction suisse d'un recours de droit public pour faire valoir ses droits constitutionnels. Selon elle, le jugement du 15 mars 2007 ne constituerait pas un élément nouveau de nature à permettre une demande de révision, mais simplement la preuve que les affirmations de la requérante étaient exactes.
28. La Cour partage l'avis de la requérante et estime que celle-ci a épuisé les voies de recours internes au sens de l'article 35 § 1 de la Convention. En effet, elle a saisi le Tribunal fédéral d'un recours de droit public contre l'ordonnance du président de la chambre d'accusation du canton de Genève du 20 septembre 2006 et la juridiction fédérale suprême a, sur le fond, examiné ses griefs tirés des droits protégés par la Convention.
29. La Cour conclut donc que la requérante a épuisé les voies de recours internes.
30. Le Gouvernement rappelle que, le 15 juillet 2005, le chef de la police du canton de Genève a accordé à la requérante la rectification qu'elle avait souhaitée. La mention concernant la profession devait être corrigée de « prostituée » en « couturière ». Les mentions des termes « péripatéticienne », « service d'escorting » et « racolage » ont également été supprimées.
31. Le Gouvernement indique aussi que le chef de la police a précisé dans sa lettre du 3 juillet 2006 que la mention « prostituée » avait été corrigée et remplacée par celle de « couturière » dans les fichiers informatiques. Il n'y aurait aucune raison de mettre en doute ces affirmations.
32. Le Gouvernement rappelle également que le Tribunal fédéral a relevé, dans son arrêt du 19 décembre 2006, que la mention « prostituée », indiquée comme profession dans la base de données informatisée de la police, a été corrigée à juste titre car il n'était pas établi que la requérante se serait effectivement livrée à la prostitution.
33. Au vu de ces éléments, le Gouvernement estime que la requérante ne peut pas se prévaloir de la qualité de victime.
34. La requérante combat les thèses du Gouvernement. Elle estime qu'il ressort clairement du jugement du tribunal d'arrondissement de La Broye et du Nord vaudois du 15 mars 2007 que la requérante est toujours fichée comme prostituée dans les registres informatiques de la police, qui n'hésite pas à transmettre cette information aux autorités judiciaires. Cela découle notamment du passage cité ci-dessus (paragraphe 19).
35. La Cour estime utile de clarifier d'emblée que sont en jeu devant elle, d'une part, la question du maintien de la mention « prostituée » comme profession dans la base de données informatisée de la police du canton de Genève et, d'autre part, de celle adjointe aux diverses affaires contenues dans le dossier de police en relation avec les plaintes pénales déposées contre elle. La Cour, n'ayant pas de raison de douter de la version des faits décrite par les instances internes et confirmée par le Gouvernement, part de l'hypothèse que la mention « prostituée » a été supprimée de la base de données informatisée. En revanche, il ressort sans équivoque notamment de l'arrêt du Tribunal fédéral qu'elle n'a pas été biffée du dossier de police. Partant, la Cour estime que la requérante peut se prétendre victime d'une violation de l'article 8 quant à ce dernier aspect.
36. La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève également qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
37. En ce qui concerne l'existence d'une ingérence dans les droits de la requérante, celle-ci soutient que les grands principes régissant la Convention du Conseil de l'Europe pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, du 28 janvier 1981 (paragraphe 20 ci-dessus), sont la licéité et la loyauté, l'exactitude, la durée de conservation et la sécurité. Selon cet instrument, le principe d'exactitude commanderait une obligation de complétude et de mise à jour des données pendant toute la durée du traitement. Selon la requérante, le système de traitement des données tel qu'il existe en Suisse ne permet manifestement pas de répondre à ces exigences.
38. La requérante estime que la difficulté de contrôler des données ressort déjà des faits pertinents de l'espèce, puisque les tribunaux ayant eu à se prononcer sur des affaires la concernant n'ont pas pu se fier aux seules affirmations des services de police. Par ailleurs, dans le cadre de la présente procédure, aucune pièce n'aurait été produite, qui serait de nature à établir que les données relatives à la profession de la requérante auraient effectivement été modifiées.
39. Ensuite, la requérante prétend que la manière dont les informations la concernant ont été recueillies n'est pas conforme au principe de loyauté, puisqu'il ressort notamment du jugement du tribunal de police de La Broye et du Nord vaudois, du 15 mars 2007, que ce sont uniquement les cartes de visite retrouvées sur elle qui lui ont valu d'être fichée comme prostituée. Or, la requérante affirme n'avoir jamais exercé une telle activité.
40. Par ailleurs, la requérante allègue que le Tribunal fédéral n'a pas vérifié que la modification avait été effectuée, tout en reconnaissant qu'il n'était pas établi qu'elle se serait livrée effectivement à la prostitution. La requérante rappelle que le Tribunal fédéral a estimé que, saisi d'un recours de droit public, il ne lui appartenait pas de vérifier d'office ce qu'il en est effectivement, en procédant à des mesures d'instruction, à la manière d'une autorité d'appel et que, en l'absence d'éléments propres à établir le contraire, il n'y avait aucune raison de mettre en doute les affirmations du chef de la police sur ce point. La requérante estime cependant que le recours de droit public était le seul recours qui lui était ouvert pour faire valoir ses droits constitutionnels et qu'on ne voit pas quelle autre autorité aurait pu statuer sur sa demande.
41. Compte tenu de ce qui précède, et notamment eu égard au fait que le Tribunal fédéral a lui-même reconnu que la conservation de renseignements dans les dossiers de police porte une atteinte au moins virtuelle à la personnalité de l'intéressée, la requérante est convaincue qu'il y a eu ingérence dans sa vie privée.
42. La requérante ne se prononce pas sur les questions de la base légale et des buts légitimes pour justifier cette ingérence. En ce qui concerne la nécessité, dans une société démocratique, de la mesure litigieuse, elle rappelle que les plaintes pénales auxquelles se réfèrent les données figurant dans le dossier de police ont été classées. Dans la mesure où le Gouvernement prétend que ce classement résulte du fait que l'intéressée était introuvable, la requérante estime que cela laisse supposer qu'elle se serait dissimulée, ce qui n'aurait jamais été le cas, la police disposant tant de son adresse que de son numéro de téléphone. Preuve en serait qu'elle a été convoquée pour une autre affaire quelques années plus tard.
43. En tout état de cause, la requérante rappelle que les plaintes déposées par S.M. et H.Y. et celles déposées en octobre 2002 et septembre 2003 ne concernaient pas des faits en relation avec la prostitution. Elle précise que la police n'avait à l'époque que des soupçons qu'elle pourrait se livrer à la prostitution, soupçons qui se sont révélés totalement infondés. Dans ces conditions, si l'on peut admettre que les informations relatives aux faits pour lesquels elle a finalement été condamnée pouvaient légitimement être conservées, celles concernant les soupçons de prostitution n'avaient pas lieu de figurer dans son dossier, à partir du moment où il n'existait plus de doute sur ses activités présumées. Il n'y avait donc aucune utilité à leur conservation.
44. Selon la requérante, la finalité du maintien de la mention « prostituée » dans les rapports de police, et donc de l'ingérence, n'a pas été établie par le Gouvernement. L'effacement de ces mentions apparaît d'autant plus justifié qu'elles semblent être toujours utilisées par la police et transmises aux autorités judiciaires. Par ailleurs, cette information serait également communiquée à des employeurs potentiels à Genève auxquels la requérante a adressé des demandes d'embauche.
45. Compte tenu de ce qui précède, il y aurait eu violation de l'article 8 de la Convention.
46. Le Gouvernement estime que la conservation de dossiers de police et d'informations à caractère personnel dans le contexte de procédures pénales peut être désagréable pour tout individu et peut représenter une ingérence dans les droits garantis par l'article 8. Il renvoie toutefois à ses observations ci-dessus concernant le statut de victime de la requérante (paragraphes 30-33 ci-dessus), pour souligner que son allégation selon laquelle elle continuerait à figurer comme « prostituée » dans les fichiers informatiques de la police est sans fondement.
47. En ce qui concerne la conservation de données figurant dans le dossier de police de la requérante en relation avec les plaintes pénales déposées par S.M. et H.Y. et la mention « prostituée » jointe à d'autres affaires contenues dans son dossier de police, le Gouvernement estime que ces points n'ont pas été soulevés devant la Cour, en tout cas explicitement. En tout état de cause, il estime qu'une éventuelle ingérence serait, en l'espèce, justifiée sur le terrain du paragraphe 2 de l'article 8.
48. En ce qui concerne l'existence d'une base légale, le Gouvernement rappelle que selon le paragraphe 2 de l'article premier de la Loi sur les renseignements et les dossiers de police et la délivrance de certificats de bonne vie et moeurs du 29 septembre 1977 (LDP), les dossiers et fichiers de police peuvent comporter des données personnelles, pour autant que celles-ci soient nécessaires à l'exécution desdites tâches, en particulier de répression des infractions ou de prévention des crimes et des délits. Partant, la prétendue ingérence reposait sur une base légale suffisante.
49. Le Gouvernement soutient également que la conservation de données de police poursuivait un but légitime au sens de l'article 8 § 2, soit la défense de l'ordre, la prévention des infractions pénales et la protection des droits d'autrui.
50. S'agissant de la nécessité de l'ingérence alléguée, le Gouvernement estime que le Tribunal fédéral a dûment examiné, en application du principe de proportionnalité, s'il était nécessaire de conserver les données figurant dans le dossier de police de la requérante en relation avec les plaintes pénales déposées contre elle les 8 octobre et 7 novembre 2001 par S.M. et H.Y., qui ont été classées au motif que l'intéressée était introuvable. Le Gouvernement rappelle que le Tribunal fédéral a estimé qu'on ne saurait affirmer que les pièces versées au dossier de police de la requérante auraient perdu tout intérêt pour la prévention et la répression d'infractions en raison du temps écoulé depuis lors. Cela notamment parce que la requérante avait été condamnée le 26 mai 2005 à une peine de vingt jours d'emprisonnement avec sursis pendant cinq ans pour injure et utilisation abusive d'une installation de télécommunication, à la suite de deux plaintes pénales déposées contre elle. Dans les deux cas, les plaignants lui reprochaient, à l'instar de S.M. et H.Y., de les harceler par des appels téléphoniques incessants ou par l'envoi de courriers injurieux. Les autorités suisses auraient ainsi à juste titre retenu que la requérante avait commis, ultérieurement aux infractions dénoncées par S.M. et H.Y., des infractions de même nature. Elles ont souligné que la décision de classement par le parquet n'était pas définitive, et qu'ainsi les données en question étaient susceptibles de s'avérer utiles dans le cadre d'une enquête ultérieure et, partant, susceptibles de faciliter le travail de la police.
51. Le Gouvernement se réfère également à l'arrêt du Tribunal fédéral selon lequel le refus du chef de la police cantonale de supprimer les plaintes déposées contre la requérante par H.Y. et S.M. n'était pas définitif. Par ailleurs, il a retenu que la conservation de renseignements dans le dossier de police ne saurait se prolonger indéfiniment, mais devait s'apprécier au regard de l'utilité potentielle des informations pour la prévention et la répression de crimes et d'infractions (consid. 3.1 et 3.2 de l'arrêt, paragraphe 18 ci-dessus).
52. Le Gouvernement soutient également que, dans le cadre de l'examen de la proportionnalité de la conservation de données personnelles, il faut également prendre en compte le fait que le droit interne contient une série de garanties contre les abus d'utilisation de données conservées par la police. En l'espèce, les dispositions pertinentes se trouveraient dans la LDP. Celles-ci ne font que concrétiser le principe de proportionnalité en rapport avec la protection constitutionnelle de la sphère privée, qui exige qu'une mesure soit propre à atteindre l'objectif poursuivi et porte, dans ce cadre, l'atteinte la moins grave possible à l'administré.
53. Selon les dispositions pertinentes de la LDP, seules peuvent être conservées les données nécessaires à l'accomplissement, par la police, de ses tâches et celle-ci ne peut conserver des renseignements personnels que pour le temps nécessaire à l'accomplissement de ces mêmes tâches et elle a l'obligation de rectifier ou de détruire ceux qui sont inexacts ou inadéquats (article 1 alinéa 2 et 5, et article 1B). Le Gouvernement rappelle que le droit de requérir la rectification et la radiation de données inexactes, qui découle du droit de toute personne d'être protégée contre l'emploi abusif des données qui la concernent (article 13 alinéa 2 de la Constitution) fait l'objet d'une garantie spécifique en droit genevois, soit l'article 3A LDP. En outre, les dossiers et fichiers de police ne sont en aucune manière accessibles au public, mais seulement à des autorités énumérées par la loi, et les personnes ayant accès au dossier de police sont astreintes au secret professionnel.
54. Au vu de ce qui précède, le Gouvernement est d'avis que la conservation des données en question dans le dossier de police ne saurait en aucun cas passer pour disproportionnée.
55. La mémorisation, par une autorité publique, de données relatives à la vie privée d'un individu peut constituer une ingérence au sens de l'article 8 (Leander c. Suède, 26 mars 1987, § 48, série A no 116). Peu importe que les informations mémorisées soient ou non utilisées par la suite (Amann c. Suisse, no 27798/95, § 69, CEDH 2000-II). Toutefois, pour déterminer si les informations à caractère personnel conservées par les autorités font entrer en jeu l'un des aspects de la vie privée, la Cour tiendra dûment compte du contexte particulier dans lequel ces informations ont été recueillies et conservées, de la nature des données consignées, de la manière dont elles sont utilisées et traitées et des résultats qui peuvent en être tirés (voir, mutatis mutandis, Friedl c. Autriche, 31 janvier 1995, série A no 305-B, avis de la Commission, §§ 49-51).
56. La Cour estime qu'en l'occurrence la mémorisation de données relatives à la vie privée de la requérante, dont fait partie la profession, et leur conservation, constituent une ingérence au sens de l'article 8 de la Convention, car il s'agit d'une donnée à caractère personnel se rapportant à un individu identifié ou identifiable. A cet égard, elle observe que, s'agissant de la profession de la requérante, la mention « prostituée » a été biffée du système informatique de la police et remplacée par « couturière ». Toutefois, il découle des arrêts des instances judiciaires du canton de Genève que la mention litigieuse jointe aux diverses affaires pénales n'a pas été supprimée.
57. Partant, la Cour estime qu'il y a eu ingérence dans les droits de la requérante découlant de l'article 8 de la Convention. Il convient d'examiner par la suite si cette ingérence était justifiée au regard du paragraphe 2 de cette disposition.
58. La requérante ne conteste pas qu'il existait une base légale à l'ingérence litigieuse. En tout état de cause, la Cour estime qu'en l'espèce l'ingérence avait une base légale en droit interne, à savoir l'article 1 de la loi cantonale sur les renseignements et les dossiers de police et la délivrance des certificats de bonne vie et moeurs du 29 septembre 1977, LDP.
59. Le Gouvernement soutient que la conservation des données de la requérante avait pour but la défense de l'ordre, la prévention des infractions pénales et la protection des droits d'autrui.
60. La Cour accepte ces motifs pour justifier l'ingérence dans les droits de la requérante. Elle est amenée dès lors à vérifier si l'ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».
61. La Cour a eu l'occasion d'établir certains principes régissant la conservation d'informations à caractère personnel, en particulier dans l'affaire S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, 4 décembre 2008. Dans cette affaire, les requérants s'étaient plaints, sous l'angle des articles 8 et 14 de la Convention, que les autorités avaient conservé leurs empreintes digitales, échantillons cellulaires et profils génétiques après la conclusion, respectivement par un acquittement et par une décision de classement sans suite, des poursuites pénales menées contre eux.
62. Sans méconnaître la différence des circonstances entourant les deux affaires et des griefs soulevés, la Cour estime que ces principes peuvent la guider dans l'examen de la présente affaire. Dans l'affaire S. et Marper c. Royaume-Uni, précitée, la Cour a affirmé :
63. En ce qui concerne la question de savoir si l'ingérence était proportionnée et reflétait un juste équilibre entre les intérêts publics et privés en présence, la Cour estime que l'allégation de la requérante selon laquelle elle figure comme « prostituée » dans les dossiers de la police du canton de Genève depuis 1993 soulève un problème sérieux, car cette inscription s'est étendue sur un laps de temps très long. Partant, cette ingérence dans le droit protégé par l'article 8 ne peut être justifiée que par l'existence de circonstances particulières et par des motifs étayés de manière convaincante.
64. La Cour estime que la mention litigieuse peut nuire à la réputation de la requérante et, comme elle le prétend, rendre plus difficile sa vie quotidienne, étant donné que les informations figurant dans les dossiers de police peuvent être transmises aux autorités. Cela est d'autant plus important de nos jours lorsque, comme en l'espèce, des données à caractère personnel sont soumises à un traitement automatique qui facilite considérablement l'accès à celles-ci et leur diffusion. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la requérante avait un intérêt considérable à voir la mention « prostituée » biffée des fichiers et dossiers de police.
65. S'agissant ensuite de l'intérêt public que représentait pour les autorités la conservation de la mention litigieuse dans les dossiers de police, la Cour constate que la requérante a été fichée comme « prostituée » en 1993, sur la base du seul fait qu'ont été trouvées sur elle des cartes de visite lors d'un contrôle de police. Il ressort par ailleurs de l'arrêt du Tribunal fédéral que la mention « prostituée » a, à juste titre, été corrigée dans la base de données informatisées de la police, car il n'était pas « établi que la recourante se serait effectivement livrée à la prostitution » (cons. 4 de l'arrêt, paragraphe 18 ci-dessus).
66. Le Tribunal fédéral a également relevé que la requérante n'avait été que soupçonnée de s'adonner à la prostitution clandestine. Si la Cour admet en principe qu'il peut être conforme au principe de proportionnalité de conserver des données relatives à la vie privée d'une personne au motif que cette dernière pourrait récidiver, elle est d'avis que l'allégation de prostitution clandestine paraît très vague et générale, et n'est aucunement étayée par des faits concrets.
67. S'il est vrai que la requérante a en été condamnée le 26 mai 2005 à une peine de vingt jours d'emprisonnement avec sursis pendant cinq ans pour injure et utilisation abusive d'une installation de télécommunication à la suite de deux plaintes pénales déposées contre elle, la Cour ne considère pas comme suffisamment étroit le lien de causalité entre cette condamnation, légère, et le maintien de la mention litigieuse.
68. La Cour ne sous-estime aucunement l'importance d'une prévention efficace de la criminalité. Toutefois, compte tenu de ce qui précède, et notamment eu égard à l'importance primordiale de la présomption d'innocence dans une société démocratique (voir, dans ce sens, S. et Marper c. Royaume-Uni précité, § 122), elle ne saurait accepter que le maintien de la mention « prostituée » comme profession de la requérante, qui n'a jamais été condamnée pour exercice illicite de la prostitution au sens de l'article 199 du code pénal (paragraphe 23 ci-dessus), puisse passer pour répondre à un « besoin social impérieux » au sens de l'article 8 de la Convention. Ni les autorités internes ni le Gouvernement n'ont par ailleurs allégué que la suppression de la mention litigieuse du dossier de police était impossible ou difficile pour des raisons techniques.
69. En outre, il convient de rappeler que le 15 juillet 2005, le chef de la police du canton de Genève a confirmé que la mention « prostituée » devait être corrigée (paragraphe 13 ci-dessus). Toutefois, le 24 juin 2006, la requérante a appris, lors d'une conversation téléphonique avec un service non indiqué de la même police qu'elle figurait toujours comme « prostituée » (paragraphe 15 ci-dessus). Il ressort également de l'arrêt du tribunal de police de l'arrondissement de La Broye et du Nord vaudois du 15 mars 2007 que, par une lettre du coordinateur suisse du Centre de coopération policière et douanière du 26 juillet 2005, la requérante aurait obtenu la radiation dans les fichiers de cet organisme de certains faits la concernant, « sans toutefois que l'on sache précisément de quels faits il s'agissait » (paragraphe 19 ci-dessus).
70. Au vu de ces incertitudes, du comportement contradictoire des autorités, du principe selon lequel il appartient à ces mêmes autorités d'apporter la preuve de l'exactitude d'une donnée (article 3A § 2 LDP, paragraphe 22 ci-dessus), de la marge d'appréciation réduite dont jouissaient les autorités internes en la matière et de la gravité de l'ingérence dans le droit de la requérante, la Cour estime que le maintien de la mention « prostituée » dans le dossier de police pendant des années n'était pas nécessaire dans une société démocratique,
71. Partant, il y a eu violation de l'article 8 de la Convention.
72. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
73. La requérante réclame 68 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'elle aurait subi, soit 4 000 EUR par an et ce pendant 17 ans. En revanche, elle ne demande aucun montant au titre de préjudice matériel.
74. Le Gouvernement soutient que le constat de la violation de l'article 8 constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante pour le tort moral dont la requérante aurait pu souffrir.
75. La Cour considère la demande relative au préjudice moral comme exagérée. Statuant en équité comme le veut l'article 41, elle estime qu'il y a lieu d'octroyer à la requérante 15 000 EUR au titre du préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ladite somme.
76. La requérante demande également « le remboursement des frais et honoraires qu'elle a dû acquitter en vue de faire valoir ses droits devant les instances judiciaires helvétiques » (observations de la requérante du 21 avril 2010, p. 9).
77. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, la Cour observe que la requérante n'a pas accompagné ses prétentions des justificatifs nécessaires. Il convient donc d'écarter sa demande.
78. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.