150 II 105
Avis important:
Les versions anciennes du navigateur Netscape affichent cette page sans éléments graphiques. La page conserve cependant sa fonctionnalité. Si vous utilisez fréquemment cette page, nous vous recommandons l'installation d'un navigateur plus récent.
 
Chapeau

150 II 105


11. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause A. AG contre B. AG (recours en matière de droit public)
2C_50/2022 du 6 novembre 2023

Regeste

Art. XIII par. 1 let. b AMP 2012; art. 21 al. 2 let. c LMP et AIMP 2019; art. 8 al. 1 let. c aRLMP-VD; qualité pour recourir et charge de la preuve de l'absence de solution de rechange adéquate lors d'une adjudication de gré à gré (changement de jurisprudence).
Cadre juridique applicable (consid. 3) et positions de l'autorité précédente et de la recourante (consid. 4 et 5.5).
Lors d'une adjudication de gré à gré, la qualité pour recourir des entreprises suppose que celles-ci rendent plausibles leur capacité réelle et leur disposition à déposer une offre en rapport avec l'objet du marché en cas d'admission de leur recours (confirmation de jurisprudence sur ce point précis; consid. 5.2-5.4). En revanche il appartient au pouvoir adjudicateur de démontrer l'absence de solution de rechange adéquate si celle-ci fonde l'adjudication de gré à gré (changement de jurisprudence; consid. 5.5-5.10).
Confirmation en l'espèce de l'annulation d'une adjudication de gré à gré en raison de l'absence de preuve, par le pouvoir adjudicateur, de solution de rechange adéquate (consid. 6).

Faits à partir de page 106

BGE 150 II 105 S. 106

A.

A.a A. AG est une société anonyme fondée le 4 octobre 2010 dont le siège se situe à Aarau. Durant la période sous examen, son capital-actions était détenu par les cantons d'Argovie (60 %), Schaffhouse (20 %) et Zoug (20 %). Elle a pour but d'exploiter, de gérer et de développer le système A., une application informatique couvrant l'ensemble des processus des services des automobiles cantonaux.
B. AG est pour sa part une société anonyme créée le 25 septembre 1998 et domiciliée dans le canton de St-Gall, qui a pour but de développer et fournir des services et applications informatiques
BGE 150 II 105 S. 107
innovants et des services de conseils principalement aux autorités publiques. Comme la société A. AG, son actionnariat était, durant la période sous examen, entièrement constitué de collectivités publiques (...).
Ces sociétés sont en concurrence sur le marché relatif à la fourniture de services et logiciels informatiques aux services des automobiles cantonaux. Ainsi, à l'issue d'une procédure d'appel d'offres lancée en février 2019, le canton de Zurich a choisi de renoncer aux services de A. AG et a confié les prestations informatiques de son service des automobiles à B. AG.

A.b Depuis le 1er janvier 2005, l'État de Vaud utilise l'application A. pour gérer les ressources et le fonctionnement de l'ensemble des activités du Service des automobiles et de la navigation (ci-après: Service des automobiles). Cette application était à l'origine mise à disposition par le canton d'Argovie lui-même. En 2007, le Grand Conseil argovien a toutefois pris la décision d'externaliser la gestion et le développement de son logiciel A. à une société anonyme de droit privé. Cette décision a été mise en oeuvre par la création, en 2010, de la société A. AG, mentionnée plus haut, dont les cantons d'Argovie, de Schaffhouse et de Zoug sont devenus actionnaires et qui a continué à fournir des prestations informatiques à d'autres cantons intéressés (Lucerne, Vaud et Zurich).
À la suite d'une adjudication de gré à gré, un premier contrat entre l'État de Vaud et la société A. AG a été conclu le 15 décembre 2010 pour une valeur de 17'787'828 fr. sur une durée de six ans. Le contrat a été prolongé en mars 2019 pour cinq années supplémentaires jusqu'en 2024, également à la suite d'une adjudication de gré à gré, pour un montant annuel de 2'913'173 fr., soit une somme totale de 14'667'855 fr. (art. 105 al. 2 LTF).

B.

B.a Par décision du 28 avril 2021, la Direction générale du numérique et des systèmes d'information du canton de Vaud (ci-après: la Direction générale) a décidé d'acquérir la nouvelle version de l'application A., la version dite V20, et de prolonger la collaboration avec A. AG jusqu'au 31 décembre 2034. Une adjudication de gré à gré a été publiée le 5 mai 2021 sur la plateforme "simap.ch". La publication précisait que le montant de l'adjudication s'élevait à 45'891'000 fr. et mentionnait comme objet du marché "A. - Prolongation de collaboration (2022-2034)". Le motif de l'adjudication de gré à gré n'était en revanche pas indiqué.
BGE 150 II 105 S. 108
Interpellée par B. AG, la Direction générale a expliqué en substance, par courriel du 12 mai 2021, que l'application A. était très fonctionnelle, qu'elle ne nécessitait pas d'être hébergée et exploitée par le canton et que ses coûts d'exploitation et de maintenance étaient partagés entre six cantons/clients. La version actuelle de l'application, soit la version V09, avait cependant atteint la fin de son cycle opérationnel et s'appuyait sur des langages et technologies qui devaient être adaptés, de sorte qu'une refonte technologique était nécessaire pour répondre aux défis de la digitalisation croissante de l'administration vaudoise. Si la version V20 nécessitait un financement des différents cantons/clients amenant une augmentation de 20 % du coût annuel jusqu'en 2034, l'alternative consistant à changer de système ou de fournisseur avait été écartée pour des raisons techniques et économiques. En effet, d'une part, un changement d'application nécessiterait une réinternalisation au sein de l'informatique cantonale (avec les conséquences que cela implique), une reprise voire un redéveloppement des interfaces existantes avec des solutions tierces, des changements de processus internes et une formation conséquente du personnel. D'autre part, le surcoût lié au passage à un autre système informatique, incluant les coûts d'investissement (acquisition, projet, migration et formation), l'exploitation et la maintenance sur une durée s'étendant jusqu'à 2034, avait été estimé à 24,5 mio de fr., soit une augmentation d'environ 35 % en comparaison avec l'investissement et la maintenance à réaliser sur l'application actuelle. L'adjudication de gré à gré à A. AG avait ainsi été décidée sur la base de l'art. 8 al. 1 let. c et g aRLMP-VD.

B.b B. AG a recouru contre la décision d'adjudication du 28 avril 2021 auprès de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: Tribunal cantonal), en faisant valoir que les conditions permettant d'adjuger un marché de gré à gré n'étaient pas réalisées.
Par arrêt du 14 décembre 2021, le Tribunal cantonal a admis le recours, annulé la décision de la Direction générale du 28 avril 2021, et renvoyé la cause à cette autorité pour qu'elle procède à un appel d'offres conformément à la procédure ordinaire en matière de marchés publics. (...)

C. Agissant par la voie du recours en matière de droit public et celle du recours constitutionnel subsidiaire, A. AG (ci-après: la recourante) demande au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt du Tribunal cantonal
BGE 150 II 105 S. 109
du 14 décembre 2021 en ce sens que la décision de la Direction générale du 28 avril 2021 est confirmée. (...)
Le Tribunal fédéral a déclaré le recours constitutionnel subsidiaire irrecevable et a rejeté le recours en matière de droit public.
(extrait)

Considérants

Extrait des considérants:

3. Le litige consiste à déterminer si le Tribunal cantonal est à juste titre entré en matière sur le recours de la société intimée et a annulé à bon droit la décision d'adjudication de gré à gré du 28 avril 2021 de la Direction générale en considérant que celle-ci n'était pas habilitée à procéder par cette voie simplifiée pour acquérir la nouvelle version de l'application A. que la recourante projette de développer et, ainsi, de prolonger la collaboration déjà mise en place avec cette dernière jusqu'au 31 décembre 2034. Avant d'examiner cette question, il apparaît cependant utile de présenter le cadre légal topique applicable.

3.1 La décision d'adjudication de gré à gré du 28 avril 2021 porte sur l'acquisition d'une application informatique pour la gestion des ressources et du fonctionnement des activités du Service des automobiles de l'État de Vaud. Celui-ci ayant opté pour une procédure relevant du droit des marchés publics (cf. consid. 1.3.1 non publié), cette adjudication est régie avant tout par le droit cantonal et intercantonal sur les marchés publics en vigueur en 2021 dans le canton de Vaud. Elle est ainsi soumise à l'ancienne loi vaudoise du 24 juin 1996 sur les marchés publics (aLMP-VD) et à son règlement d'application du 7 juillet 2004 (aRLMP-VD), ainsi qu'à l'ancien Accord intercantonal des 25 novembre 1994 et 15 mars 2001 sur les marchés publics (AIMP 2001; RO 2003 196). Certes, l'aLMP-VD et l'aRLMP-VD ont été entièrement révisés et remplacés au 1er janvier 2023 par une loi et un règlement homonymes adoptés les 14 et 29 juin 2022 (BLV 726.01), à l'instar de l'AIMP 2001, dont la nouvelle version de 2019 - l'AIMP 2019 - est également entrée en vigueur au 1er janvier 2023 pour le canton de Vaud (AIMP; BLV 726.91). Toutefois, en présence d'une question d'application du droit matériel, il convient de statuer sur la base des dispositions en vigueur au moment des faits pertinents de la cause, soit lors de l'adjudication du 28 août 2021 (cf. notamment arrêt 2C_492/2017 du 20 octobre 2017 consid. 7.3), ce qui n'était pas le cas des derniers actes normatifs
BGE 150 II 105 S. 110
cités. Ce principe est rappelé par l'actuel art. 64 al. 1 AIMP 2019, qui prévoit que les procédures d'adjudication qui ont été lancées avant l'entrée en vigueur de cette nouvelle convention intercantonale sont régies par l'ancien droit jusqu'à leur clôture.

3.2 En l'occurrence, selon l'art. 7a al. 1 aLMP-VD, applicable jusqu'à la fin 2021 dans le canton de Vaud et reprenant l'art. 12bis al. 1 AIMP 2001, les marchés soumis aux traités internationaux, tels que celui d'espèce, doivent en principe être passés soit selon la procédure ouverte, soit selon la procédure sélective (cf. 1re phrase). Ce n'est que dans les cas particuliers déterminés par les traités eux-mêmes, que les marchés en question peuvent être passés selon la procédure de gré à gré, aux conditions définies dans un règlement du Conseil d'État (cf. 2e phrase). Or, aux termes de l'art. 8 al. 1 let. c aRLMP-VD, l'adjudicateur peut notamment adjuger un marché directement sans lancer d'appel d'offres pour des marchés soumis aux procédures ouvertes et sélectives, si un seul soumissionnaire entre en considération en raison des particularités techniques ou artistiques du marché ou pour des motifs relevant du droit de la propriété intellectuelle, et s'il n'existe pas de solution de rechange adéquate. Ce cas d'adjudication de gré à gré, qui se situe au centre du présent litige, correspond aujourd'hui à celui prévu à l'art. 21 al. 2 let. c AIMP 2019 et à l'art. 21 al. 2 let. c de la loi fédérale du 21 juin 2019 sur les marchés publics (LMP; RS 172.056.1) pour les marchés publics cantonaux, respectivement fédéraux.

3.3 De manière générale, l'interprétation du droit cantonal et intercantonal doit s'effectuer à la lumière des normes juridiques supérieures qu'il est censé transposer, tel l'Accord révisé du 15 avril 1994 sur les marchés publics (RS 0.632.231.422; ci-après: AMP 1994; cf. arrêt 2C_1131/2013 du 31 mars 2015 consid. 3.3). Le Tribunal fédéral dispose d'ailleurs d'un libre pouvoir d'interprétation lorsqu'est alléguée la violation d'une disposition du droit cantonal consacrant une notion qui résulte déjà de l'AMP (art. 95 let. a et b LTF; cf. ATF 141 II 113 consid. 1.4.3 in fine), étant précisé que cet accord a lui-même fait l'objet d'une révision en date du 30 mars 2012, entrée en vigueur le 1er janvier 2021 pour la Suisse (RS 0.632.231.422; ci-après: AMP 2012). Il s'ensuit que la Cour de céans peut en particulier interpréter librement la condition de l'absence de "solution de rechange adéquate" justifiant le recours à une procédure d'adjudication de gré à gré au sens de l'art. 8 al. 1 let. c aRLMP-VD, dans la mesure où elle correspond matériellement à la procédure
BGE 150 II 105 S. 111
d'appel d'offres limité envisagée par l'ancien art. XV par. 1 let. b AMP 1994 et actuellement prévue à l'art. XIII par. 1 let. b AMP 2012, qui prévoit qu'"une entité contractante pourra recourir à l'appel d'offres limité (...) dans les cas où les marchandises ou les services ne pourront être fournis que par un fournisseur particulier et qu'il n'existera pas de marchandise ou de service de rechange ou de remplacement raisonnablement satisfaisant", soit parce que le marché concerne une oeuvre d'art (i), soit en raison de la protection de brevets, de droits d'auteur ou d'autres droits exclusifs (ii) ou d'une absence de concurrence pour des raisons techniques (iii).

3.4 Quant au droit fédéral des marchés publics et sa pratique y relative, qui mettent en principe également en oeuvre le droit international, ils peuvent constituer une source d'interprétation pour l'application du droit cantonal et intercantonal (cf. ATF 130 I 156 consid. 2.7.1). Il en va de même du droit européen des marchés publics et de la jurisprudence y relative dans la mesure où tant l'AMP que le droit suisse des marchés publics portent la marque des directives européennes adoptées dans ce domaine (cf. ATF 141 II 113 consid. 5.3.2 et les références citées; Message du 15 février 2017 concernant la révision totale de la loi fédérale sur les marchés publics [ci-après: Message LMP], FF 2017 1695, 1725).

4. Le Tribunal cantonal a en l'occurrence annulé la décision de la Direction générale du 28 avril 2021, par laquelle celle-ci annonce sa volonté d'acquérir la nouvelle version de l'application A., dite V20, par le biais d'une procédure d'adjudication de gré à gré et de prolonger à cette fin sa collaboration avec la recourante jusqu'en 2034. Il a en particulier retenu que cette décision ne pouvait pas se fonder sur l'art. 8 al. 1 let. c aRLMP-VD, dans la mesure où l'autorité adjudicatrice n'avait pas recherché activement s'il existait une ou des solutions de rechange ou de remplacement raisonnablement satisfaisantes à cette application pour le Service des automobiles vaudois ou, à tout le moins, n'avait pas démontré l'absence de telles solutions.
Dans ses écritures, la recourante conteste l'arrêt attaqué en soutenant que les juges cantonaux auraient considéré à tort qu'il appartenait à la Direction générale de prouver l'inexistence de solution de rechange adéquate potentiellement substituable à la nouvelle version de l'application A. avant de procéder à une adjudication de gré à gré en lien avec ce produit. L'intéressée affirme que le Tribunal cantonal aurait violé la règle - fixée par le Tribunal fédéral dans l'arrêt Microsoft
BGE 150 II 105 S. 112
(ATF 137 II 313) - selon laquelle il incombe à l'entreprise qui conteste une adjudication de gré à gré portant sur un produit pour lequel seul un soumissionnaire entre en considération de démontrer sa capacité à fournir une solution de rechange équivalente satisfaisante, ce que l'intimée n'avait en l'occurrence pas réussi à faire. La recourante estime qu'en application de cette règle de répartition du fardeau de la preuve, le Tribunal cantonal aurait dû déclarer le recours de l'intimée irrecevable pour défaut d'intérêt pratique, dans la mesure où celle-ci n'avait pas démontré avoir une quelconque chance d'obtenir le marché adjugé en cas de procédure d'appel d'offres, ou, à tout le moins, le rejeter sur le fond dès lors que l'intéressée n'était pas non plus parvenue à établir que la Direction générale aurait violé les règles sur la passation de marchés publics de gré à gré en postulant l'inexistence de solution de rechange à la nouvelle version de l'application A.

5. Il s'agit ainsi d'examiner en priorité si le Tribunal cantonal aurait effectivement dû refuser d'entrer en matière sur le recours de l'intimée, comme le prétend la recourante en premier lieu. En cas de réponse positive, il serait en effet inutile de se demander si l'adjudication de gré à gré présentement litigieuse viole le droit, comme l'a retenu l'autorité précédente, mais le conteste la recourante.

5.1 La Cour de céans relève d'emblée qu'il n'y a en l'occurrence pas lieu d'examiner si le Tribunal cantonal aurait dû déclarer le recours de l'intimé irrecevable en application de la loi vaudoise du 28 octobre 2008 sur la procédure administrative (LPA-VD; BLV 173.36) ou à l'aune des quelques règles de procédure contenues dans l'AIMP 2001, dès lors que, dans ses écritures, la recourante n'invoque aucune application arbitraire de la loi précitée, pas plus que la violation desdites règles intercantonales (cf. art. 106 al. 2 LTF; consid. 2.1 non publié). Il s'agit ainsi uniquement de vérifier si le recours de l'intimée devant le Tribunal cantonal aurait dû être déclaré irrecevable en application du droit fédéral, ce que le Tribunal fédéral examine d'office (art. 106 al. 1 LTF).

5.2 Aux termes de l'art. 111 al. 1 LTF, la qualité de partie à la procédure devant toute autorité cantonale précédente doit être reconnue à quiconque a qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral. Dès le premier échelon et à tous les niveaux de la procédure cantonale, les conditions pour être partie ne peuvent ainsi pas être appliquées de manière plus restrictive qu'elles ne le sont pour recourir devant le
BGE 150 II 105 S. 113
Tribunal fédéral, étant précisé que les cantons demeurent libres de concevoir cette qualité de manière plus large (ATF 144 I 43 consid. 2.1; ATF 138 II 162 consid. 2.1.1). Sous cet angle, une partie recourante peut assurément se plaindre devant le Tribunal fédéral du fait qu'un tribunal cantonal a violé l'art. 111 al. 1 LTF en lui déniant la qualité pour recourir devant lui (cf. notamment ATF 144 I 43 consid. 2). On doutera en revanche qu'elle puisse invoquer cette disposition pour contester l'admission de la qualité pour recourir d'une partie adverse devant une autorité cantonale sans se plaindre simultanément d'une application arbitraire du droit cantonal. Comme on l'a dit, l'art. 111 al. 1 LTF ne fait qu'imposer une réglementation minimale aux législateurs et tribunaux cantonaux, lesquels restent libres de se montrer plus généreux s'agissant de la qualité pour recourir au niveau cantonal. Cette question peut néanmoins demeurer ouverte pour les motifs qui suivent.

5.3 En vertu de l'art. 89 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a), est particulièrement atteint par la décision attaquée (let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c). Appliquée au domaine des marchés publics, cette réglementation implique que le cercle des entreprises ayant qualité pour recourir contre une décision d'adjudication se limite à celles qui ont encore une chance d'obtenir le marché contesté en cas d'admission du recours, respectivement qui auraient eu une chance de l'obtenir dans l'hypothèse où un contrat aurait déjà été conclu avec le soumissionnaire retenu (cf. ATF 141 II 14 consid. 4.1 et 4.6, ATF 141 II 307 consid. 6.3; aussi arrêt 2C_585/2021 du 29 novembre 2022 consid. 1.3.1). Il en découle que, lors d'une adjudication de gré à gré, la qualité pour recourir n'appartient en principe qu'aux entreprises qui démontrent être des soumissionnaires potentiels pour le marché en question, en rendant plausibles non seulement leur capacité réelle, mais aussi leur intention de déposer une offre en rapport avec l'objet du marché défini par l'adjudicateur (cf. ATF 137 II 313 consid. 3.3.2). Ce principe, souligné dans l'arrêt Microsoft, a d'ailleurs été codifié dans le nouveau droit sur les marchés publics - entré en vigueur après le prononcé des décisions d'adjudication contestées (cf. supra consid. 3.1) - qui prévoit désormais expressément que seules les personnes qui prouvent qu'elles peuvent et veulent fournir les prestations demandées ou des prestations équivalentes
BGE 150 II 105 S. 114
peuvent faire recours contre les adjudications de gré à gré (cf. art. 56 al. 4 LMP et art. 56 al. 5 AIMP 2019; YASMINE SÖZERMAN, Procédure de gré à gré, Fardeau de la preuve et autres questions choisies, in Aktuelles Vergaberecht 2022, p. 269 ss n. 78; FLORIAN ROTH, in Handkommentar zum Schweizerischen Beschaffungsrecht, Hans Rudolf Trüeb [éd.], 2020, n os 31 ss ad art. 56 LMP).

5.4 En l'occurrence, le Tribunal cantonal a constaté que l'intimée était active sur le marché de la fourniture de logiciels informatiques destinés aux services des automobiles cantonaux et que, comme la recourante, elle avait développé une application informatique spécifique pour ce genre de services administratifs, laquelle était utilisée par plusieurs cantons, dont le canton de Zurich, qui a d'ailleurs abandonné l'application de la recourante pour celle-ci. Sur la base de ce constat, qui lie la Cour de céans (cf. art. 105 al. 1 LTF), il faut admettre que l'intimée constitue de prime abord une entreprise apte et disposée à déposer une offre dans l'hypothèse où la Direction générale organiserait une procédure d'appel d'offres en vue de l'acquisition d'une nouvelle application informatique pour la gestion et le fonctionnement du Service des automobiles de l'État de Vaud et que, sous cet angle, l'intéressée remplissait les exigences ordinaires relatives à la qualité pour recourir contre une adjudication de gré à gré.

5.5 La recourante ne remet pas en cause le constat qui précède. Elle soutient en revanche que, dans la mesure où la Direction générale avait justifié son choix d'acquérir la nouvelle version de l'application A. par le biais d'une adjudication de gré à gré au motif spécifique qu'il n'existerait aucune solution de rechange satisfaisante à ce produit au sens de l'art. 8 al. 1 let. c aRLMP-VD, il aurait incombé à l'intimée de démontrer - déjà au stade de la recevabilité de son recours - qu'une telle assertion ne correspondait pas à la réalité et qu'elle-même pourrait véritablement proposer une offre de rechange adéquate en rapport avec l'objet du marché, comme l'a souligné le Tribunal fédéral dans son arrêt Microsoft . Elle considère qu'à défaut, il n'était pas possible de reconnaître la qualité de soumissionnaire potentiel à l'intimée et, partant, de lui reconnaître une quelconque qualité pour recourir en la cause.

5.6 Dans l'arrêt Microsoft invoqué par la recourante, le Tribunal fédéral s'est prononcé sur la problématique de la qualité pour recourir lors d'une adjudication de gré à gré, après qu'une autorité fédérale avait adjugé de cette manière un marché public dans le domaine des
BGE 150 II 105 S. 115
services informatique sur la base de l'art. 13 al. 1 let. c de l'ordonnance du 11 décembre 1995 sur les marchés publics (OMP; RS 172. 056.11; abrogée le 1er janvier 2021), dont la teneur était similaire à celle de l'art. XIII par. 1 let. b AMP 1994 et, par voie de conséquence, à celle de l'art. 8 al. 1 let. c aRLMP-VD (cf. ATF 137 II 313 consid. 3.5.2). Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a relevé que le point de savoir s'il se justifiait d'adjuger un marché déterminé de gré à gré dans le cas particulier d'une éventuelle absence de solutions de rechange adéquates s'appréciait d'un point de vue à la fois fonctionnel (aptitude à couvrir le besoin de l'adjudicateur de manière fonctionnelle) et économique (solution à peu près aussi avantageuse que le produit acheté; cf. ATF 137 II 313 consid. 3.6.1) et que la réponse à cette question constituait par nature un fait de double pertinence lors d'un éventuel recours: si la légalité de l'adjudication contestée dépendait de l'absence réelle de toute solution de rechange adéquate, cette problématique revêtait, par la force des choses, déjà une certaine importance lorsqu'il s'agissait de déterminer si une entreprise jouissait de la qualité pour contester ladite adjudication en tant que soumissionnaire potentiel alternatif (ATF 137 II 313 consid. 3.3.3). Le Tribunal fédéral a ainsi considéré, dans la jurisprudence Microsoft en question, que l'absence de solution de rechange adéquate et, partant, de soumissionnaire potentiel n'avait pas forcément à être traitée dans le cadre du jugement au fond, mais pouvait en soi déjà être examinée au stade de la recevabilité du recours, étant précisé que, dans un cas comme dans l'autre, le fardeau de la preuve ne devait pas incomber à l'adjudicateur, mais à l'entreprise recourante, ce pour les motifs suivants (cf. ATF 137 II 313 consid. 3.5.2).
Premièrement, le Tribunal fédéral a estimé que l'existence de solutions de rechange adéquates était un fait générateur de droit pour l'entreprise non choisie, dans la mesure où elle conduisait à l'illicéité de la procédure d'adjudication de gré à gré et, en conséquence, ouvrait la possibilité de participer à une procédure de soumission. La charge de la preuve de ce fait devait dès lors revenir à cette entreprise, conformément à l'art. 8 du Code civil (RS 210), lequel prévoit que chaque partie doit en principe prouver les faits dont elle entend déduire un droit. Deuxièmement, contraindre un adjudicateur à démontrer l'absence de solution de rechange adéquate reviendrait à lui imposer la preuve d'un fait négatif, ce qui ne devrait être admis qu'avec réserve. Troisièmement, même s'il incombait à l'adjudicateur de prouver ce fait négatif, la bonne foi exigerait en pratique de toute manière que la
BGE 150 II 105 S. 116
partie adverse coopère de manière intensive à l'administration de la preuve, étant précisé que le juge pourrait alors tenir compte d'un éventuel refus de collaborer dans l'établissement des faits. Quatrièmement, l'attribution du fardeau de la preuve au pouvoir adjudicateur contredirait l'essence même de la procédure de gré à gré, car, pour déterminer si des solutions de rechange adéquates existent, celui-ci devrait précisément demander des offres et ainsi réaliser une forme de procédure ouverte ou sélective, ce qui viderait de son sens la procédure de gré à gré (cf. ATF 137 II 313 consid. 3.5.2).

5.7 Cette jurisprudence a cependant fait l'objet d'une réception mitigée.

5.7.1 Elle a tout d'abord été abondamment commentée en doctrine. Si quelques auteurs en font état sans la critiquer (cf. AESCHBACHER/ KREBS, in Handkommentar zum Schweizerischen Beschaffungsrecht, Hans Rudolf Trüeb [éd.], 2020, n° 15 ad art. 21 LMP; aussi OLIVIER RODONDI, Les marchés de gré à gré, in Marchés publics 2014, Zufferey/Beyeler/Scherler [éd.], p. 177 ss n. 46 ss), la majorité de la doctrine estime que la règle posée dans cet arrêt va à l'encontre du principe selon lequel celui qui se prévaut d'une circonstance exceptionnelle doit démontrer qu'il en remplit les conditions (cf. notamment MANUEL JAQUIER, Le "gré à gré exceptionnel" dans les marchés publics - Etude de droit suisse et européen, 2018, p. 142 ss; GIANNI FRÖHLICH-BLEULER, Die Vergabe von IT-Verträgen, in Aktuelles Vergaberecht 2016, Zufferey/Beyeler/Scherler [éd.], p. 269 ss n. 69 s.; PETER GALLI ET AL., Praxis des öffentlichen Beschaffungsrechts, 3e éd. 2013, n. 300 s.). Elle considère par ailleurs qu'il n'est pas admissible que la charge de la preuve repose uniquement sur les épaules des entreprises qui souhaiteraient soumissionner, à la décharge totale de l'adjudicateur (cf. JAQUIER, op. cit., p. 142; MARTIN BEYELER, Freihänder: BVGer schwenkt Warnlampe!, Zeitschrift für Baurecht und Vergabewesen 2016, p. 25 ss, spéc. 27; SCHNEIDER HEUSI/MAZZARIELLO, Die freihändige Microsoft-Vergabe der Bundesverwaltung, Jusletter 23 mai 2011 n. 29 ss). Selon elle, avant d'adjuger un marché de gré à gré, le pouvoir adjudicateur devrait procéder activement à des recherches pour s'assurer que le marché ne connaît pas de services ou travaux de rechange raisonnablement satisfaisants et vérifier la licéité d'une adjudication de gré à gré, de telles recherches n'exigeant d'ailleurs pas l'organisation d'une procédure de marchés publics (cf. notamment SÖZERMAN, op. cit., n. 106; JAQUIER, op. cit., p. 143).
BGE 150 II 105 S. 117

5.7.2 Ensuite, certains tribunaux ont marqué leur réticence. A l'instar du Tribunal cantonal vaudois dans l'arrêt attaqué, d'autres juridictions précédentes se sont en effet écartées de la jurisprudence Microsoft. Ainsi, le Tribunal administratif fédéral a estimé, dans un arrêt postérieur à celle-ci, que c'était à l'adjudicateur de démontrer les faits fondant l'exception de l'adjudication de gré à gré, y compris la condition de l'absence de solution de rechange adéquate (cf. arrêt B-1570/2015 du 7 octobre 2015 consid. 2.3). La Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève a fait de même, en retenant qu'il appartenait dans le cas d'espèce à l'adjudicateur de démontrer que le marché litigieux présentait des caractéristiques imposant l'utilisation d'un logiciel au détriment d'autres logiciels (cf. arrêt ATA/761/2020 du 18 août 2020 consid. 7). Le fait que d'autres juridictions cantonales aient suivi sans objection la jurisprudence Microsoft, à l'instar du Tribunal administratif du canton de Zurich (arrêt VB.2015.00780 du 11 août 2016 consid. 3.2) ou encore du Tribunal administratif du canton de Berne (arrêt 100. 2020.399U du 22 avril 2021 consid. 2.5), n'enlève rien au fait que certaines autorités judiciaires ont montré leur désaccord avec la position du Tribunal fédéral.

5.8 Se pose ainsi la question de savoir s'il convient de confirmer ou d'infirmer la jurisprudence Microsoft, sachant que, depuis son prononcé datant du 11 mars 2011, le Tribunal fédéral n'a pas eu l'occasion d'examiner si une modification de sa jurisprudence s'imposait au regard des critiques de la doctrine et des applications divergentes des juridictions précédentes. Il est à cet égard rappelé qu'un changement de jurisprudence ne se justifie en principe que lorsque la nouvelle solution procède d'une meilleure compréhension de la ratio legis de la norme à appliquer, repose sur des circonstances de fait modifiées ou répond à l'évolution des conceptions juridiques; sinon, la pratique en cours doit être maintenue. Un revirement de jurisprudence doit par conséquent reposer sur des motifs sérieux et objectifs qui, dans l'intérêt de la sécurité du droit, doivent être d'autant plus importants que la pratique considérée comme erronée, ou désormais inadaptée aux circonstances, est ancienne (ATF 145 III 303 consid. 4.1.2; ATF 145 I 227 consid. 4).

5.9 En l'occurrence, il faut constater que les critiques formulées par la doctrine contre l'arrêt Microsoft sont pertinentes et que cette jurisprudence, qui n'a d'ailleurs jamais été confirmée par le Tribunal fédéral, n'est plus en adéquation avec les diverses conceptions juridiques à la base du droit de marché public.
BGE 150 II 105 S. 118

5.9.1 Tout d'abord, en fondant son raisonnement sur l'art. 8 CC, qui incorpore le principe de la répartition du fardeau de la preuve en droit privé (cf. ATF 141 III 242 consid. 3.2), l'arrêt Microsoft perd de vue les spécificités propres aux procédures de passation des marchés publics. Les marchés publics sont en effet soumis à des impératifs de transparence et de concurrence visant à garantir l'intérêt économique des collectivités publiques (cf. p. ex. les art. 2 LMP et AIMP 2019; 6ème phrase du préambule de l'AMP 2012). Ces impératifs, qui doivent être respectés d'entrée de cause et à tous les stades de la procédure, doivent également prévaloir lorsque l'adjudicateur choisit la procédure applicable à un marché public et envisage d'opter pour la procédure de gré à gré. L'adjudicateur est ce faisant tenu de définir son besoin de manière transparente et dans le respect de la concurrence et d'établir, de façon objective, les spécifications techniques attendues pour chaque marché à adjuger. Or, dans ce cadre, contrairement à ce qu'allègue la Direction générale, le pouvoir adjudicateur est bien le seul qui est à même de déterminer si d'autres solutions répondent de façon satisfaisante, tant sous l'angle fonctionnel qu'économique, aux spécifications techniques requises. En effet, comme le souligne à juste titre l'intimée dans sa réponse, les tiers ne bénéficient en principe pas d'une description desdites spécifications.

5.9.2 Ensuite, dans la mesure où elle comporte par essence des risques d'entorses à la concurrence et de discriminations entre soumissionnaires potentiels, la procédure de gré à gré ne devrait être utilisée que de manière restrictive, la procédure principale devant demeurer celle de l'appel d'offres. Ce principe se reflète aussi bien dans la législation cantonale (cf. p. ex. art. 8 aRLMP-VD qui figure dans le chapitre des "procédures particulières") que sur le plan fédéral (cf. Message LMP, FF 2017 1695, 1770, selon lequel les cas d'application de la procédure de gré à gré "ne doivent être invoqués que de manière restrictive"). On notera à cet égard que, lors de la dernière révision du droit des marchés publics suisse, la Confédération et les cantons ont choisi de ne codifier que partiellement l'arrêt Microsoft, alors même qu'ils déclaraient vouloir tenir compte des jurisprudences déjà rendues dans le domaine (Message LMP, FF 2017 1695, 1715). Il est désormais expressément prévu que les entreprises qui recourent contre des adjudications de gré à gré doivent prouver - sous l'angle de la vraisemblance - qu'elles peuvent et veulent fournir les prestations demandées ou, simplement, des prestations
BGE 150 II 105 S. 119
équivalentes (cf. art. 56 al. 5 AIMP 2019 et art. 56 al. 4 LMP; aussi Message LMP, FF 2017 1695, 1829; cf. supra consid. 5.3). Le nouveau droit tend de cette manière à limiter la qualité pour recourir aux véritables soumissionnaires potentiels. Il ne consacre en revanche pas la manière dont l'arrêt Microsoft a réparti le fardeau de la preuve en cas de contestation relative à une adjudication de gré à gré portant sur un produit qu'une seule entreprise est capable de fournir et qui est justifiée par une prétendue absence de solution de rechange adéquate (cf., aussi, SÖZERMAN, op. cit., n. 133). Rien n'indique au surplus dans les travaux préparatoires que le législateur fédéral ou les cantons aient eu à un quelconque moment l'intention de subordonner la qualité pour recourir contre une telle décision, respectivement son annulation sur le fond à la condition que la partie recourante établisse par elle-même l'existence de solutions de rechanges adéquates (cf. Message LMP, FF 2017 1695, 1772, qui ne renvoie précisément pas à l'arrêt Microsoft, mais à l'arrêt précédent du Tribunal administratif fédéral, lequel n'aborde pas la question de la répartition du fardeau de la preuve). On peut supputer l'existence d'un silence qualifié sur ce point (cf., sur cette notion, ATF 147 V 423 consid. 4.2 et ATF 139 I 57 consid. 5.2).

5.9.3 Il faut enfin relever que la règle de répartition du fardeau de la preuve posée dans l'arrêt Microsoft se trouve toujours plus à contre-courant des engagements internationaux de la Suisse et du droit européen, dont l'AMP et, partant, le droit suisse s'inspirent. Les droits international et européen partent en effet du principe que la procédure de gré à gré - appelée respectivement "procédure d'appel d'offres limité" et "procédure négociée sans publication préalable" - ne devrait être utilisée que de manière restrictive (cf. la phrase introductive de l'art. XIII AMP 2012 et art. 32 par. 1 de la Directive 2014/ 24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics [JO L 94 du 28 mars 2014 p. 65], selon lequel le recours à la procédurenégociée sans publication préalable n'est possible que "dans certains cas et circonstances visés aux paragraphes 2 à 5"). A l'échelle de l'Union européenne, le préambule de la Directive 2014/24/UE prévoit dans ce sens expressément que les pouvoirs adjudicateurs désireux de recourir à une procédure négociée sans publication préalable devraient justifier l'absence de solutions de remplacement ou rechange raisonnables, telles que le recours à d'autres canaux de distribution (cf. consid. 50). Cette exigence fait écho à la jurisprudence, encore récemment réitérée, de la CJUE selon laquelle "c'est à celui qui
BGE 150 II 105 S. 120
entend se prévaloir d'une dérogation prévue à l'article 32 de ladite directive [à savoir d'une procédure négociée sans publication préalable]qu'incombe la charge de la preuve que les circonstances exceptionnelles justifiant cette dérogation existent effectivement" (arrêt de la CJUE du 16 juin 2022 C-376/21 Obshtina Razlog, point 69; aussi, en lien avec des directives antérieures, arrêts de la CJUE, respectivement de la CJCE du 27 octobre 2011 C-601/10 Commission contre Grèce, point 32, et du 14 septembre 2004 C-385/02 Commission contre Italie, point 19).

5.9.4 En résumé, il paraît justifié d'imposer au pouvoir adjudicateur qui a attribué un marché public sans lancer d'appel d'offres de devoir démontrer, en cas de contestation, la nécessité de recourir à la procédure de gré à gré, respectivement l'absence de solutions de rechange économiquement et fonctionnellement adéquates, afin d'éviter que des limitations artificielles de concurrence ne soient favorisées par le recours à cette procédure spéciale et exceptionnelle d'adjudication. Quoi qu'en disent la Direction générale et la recourante, cette exigence, qui est du reste conforme au droit européen, auquel l'AMP, comme le droit suisse, est corrélé, ne revient en pratique pas à imposer l'organisation d'une procédure d'appel d'offres ordinaire pour apporter cette preuve. Le pouvoir adjudicateur doit uniquement procéder à des recherches actives pour s'assurer que le marché concerné ne connaît effectivement pas de travaux, de services ou de marchandises de remplacement. Relevons qu'il s'agit là d'un examen auquel l'autorité adjudicatrice doit de toute manière procéder avant d'opter pour une procédure d'adjudication de gré à gré, dès lors que le principe de légalité lui impose d'éclaircir l'existence réelle de conditions lui permettant de mettre en place ce type de procédure exceptionnelle.

5.10 Par conséquent, il sied d'abandonner partiellement la jurisprudence Microsoft et d'imputer dans le cas d'espèce au pouvoir adjudicateur la charge de la preuve de l'absence de solution de rechange lorsqu'une procédure de gré à gré fondée sur l'art. 8 al. 1 let. c aRLMP-VD, respectivement sur les actuels art. 21 al. 2 let. c LMP et AIMP 2019, est contestée. Dans ce cadre, le tiers qui recourt ne doit pas lui-même apporter cette preuve, que ce soit au stade de l'examen de recevabilité de son recours ou de l'examen de son bien-fondé subséquent. Il peut se limiter à prétendre de manière crédible et vraisemblable être un fournisseur potentiel de la prestation en cause pour contester l'adjudication de gré à gré, ce qu'a fait la recourante en la cause (cf. supra consid. 5.3 et 5.9.2).
BGE 150 II 105 S. 121

5.11 Sur le vu de ce qui précède, il ne peut être reproché au Tribunal cantonal d'avoir violé le droit en entrant en matière sur le recours de la recourante.

6. Reste à examiner si, sur le fond, le Tribunal cantonal a retenu à bon droit que la Direction générale n'était pas habilitée à acquérir la nouvelle application A. après une adjudication de gré à gré fondée sur l'art. 8 al. 1 let. c aRLMP-VD, au motif que l'absence de solutions de rechange adéquates à ce produit n'était pas établie, et, partant, s'il a annulé à juste titre cette adjudication, ce que conteste la recourante.

6.1 Savoir à qui appartient la charge de la preuve de l'existence ou de l'absence de solutions de rechange adéquates est une question de droit que le Tribunal fédéral examine librement (cf. supra consid. 5). En revanche, savoir si un fait est ou non prouvé, soit en l'occurrence s'il existe véritablement ou non des solutions de rechange adéquates, est une question de fait que le Tribunal fédéral ne contrôle que sous l'angle de l'arbitraire et si le grief a été dûment invoqué (cf. consid. 2 non publié).

6.2 En l'occurrence, dans l'arrêt attaqué, les juges cantonaux ont constaté que la Direction générale n'avait pas énuméré exhaustivement les caractéristiques techniques de la solution informatique attendue; elle s'était contentée de mentionner diverses exigences et applications qui devraient être reprises dans la nouvelle application. Le Tribunal cantonal a par ailleurs retenu que, si la Direction générale affirmait, dans son courriel du 12 mai 2021 et dans ses écritures ultérieures, qu'un changement de fournisseur informatique impliquait un travail, des risques et des dépenses disproportionnés, elle ne démontrait pas avoir concrètement et sérieusement envisagé si d'autres logiciels informatiques pouvaient répondre à ses besoins. Elle n'avait notamment pas approché les deux seuls autres prestataires actifs sur le marché en cause, dont l'intimée faisait partie.

6.3 Il découle ainsi de l'arrêt attaqué que la Direction générale a surtout justifié l'application de la procédure de gré à gré par le fait que le produit de la recourante satisfaisait à ses attentes, tout en énonçant certaines préoccupations en cas de changement de solution informatique. Ces éléments ne sauraient toutefois établir l'absence de toute autre application informatique susceptible de répondre aux besoins effectifs du Service des automobiles de l'État de Vaud, alors même que l'exemple zurichois tend à indiquer que l'application de l'intimée peut être compétitive, puisqu'à la suite d'un appel d'offres
BGE 150 II 105 S. 122
lancé en 2019, ce canton a choisi de remplacer l'application de la recourante par celle de l'intimée (cf. supra let. A.a in fine). Dans la mesure où il est ainsi démontré, d'une manière qui lie la Cour de céans (cf. art. 105 al. 1 LTF), que la Direction générale n'a pas procédé à une analyse concrète d'autres solutions informatiques susceptibles de répondre à ses besoins tant sous l'angle fonctionnel qu'économique, il ne peut être reproché au Tribunal cantonal d'être tombé dans l'arbitraire en retenant que l'inexistence de solution de rechange adéquate à l'application A. n'était en l'occurrence nullement établie, ni d'avoir dès lors mal appliqué le droit en considérant que l'autorité intimée ne pouvait pas se fonder sur l'art. 8 al. 1 let. c aRLMP-VD pour justifier l'adjudication de gré à gré litigieuse à la recourante.

6.4 La recourante argue en vain que la solution informatique proposée par l'intimée ne permettrait pas de répondre aux besoins du pouvoir adjudicateur, dès lors qu'elle impliquerait une réinternalisation au sein de l'informatique cantonale, le redéveloppement de certaines interfaces spécifiques aux besoins de l'administration vaudoise, des coûts de migration informatique évalués à 24'500'000 fr. - soit plus de 50 % de la valeur de l'adjudication de gré à gré - et des inconvénients majeurs pour le personnel du Service des automobiles. En effet, pour déterminer si l'adjudication de gré à gré présentement litigieuse est conforme au droit, il importe peu de savoir si l'intimée pourrait finalement obtenir le marché à la place de la recourante à la suite d'une procédure d'appel d'offres en dépit des éventuels inconvénients inhérents aux particularités techniques de son application informatique. Il s'agit uniquement d'examiner si aucune autre application informatique que la nouvelle version de A. n'est véritablement apte à répondre aux besoins du Service des automobile vaudois sous l'angle fonctionnel et économique, ce que la Direction générale n'a pas été capable d'établir. Le point de savoir si l'intimée offre un moins bon produit devra être tranché dans le cadre de la procédure d'appel d'offres. Il suffit à ce stade que l'intéressée apparaisse comme une entreprise susceptible de fournir une solution de rechange adéquate à l'acquisition de la nouvelle version A., pour laquelle une adjudication de gré à gré a donc été envisagée à tort au regard de l'art. de l'art. 8 al. 1 let. c aRLMP-VD.

6.5 Sur le vu de ce qui précède, il ne peut être reproché aux juges précédents d'avoir considéré que la Direction générale ne pouvait pas se fonder sur l'art. 8 al. 1 let. c aRLMP-VD pour justifier l'adjudication de gré à gré opérée le 28 avril 2021 en faveur de la
BGE 150 II 105 S. 123
recourante et d'avoir dès lors annulé cette décision, étant précisé que nul ne prétend plus devant la Cour de céans que celle-ci pourrait se fonder sur un autre motif d'adjudication de gré à gré prévu par le droit cantonal ou l'AMP 2012.

contenu

document entier
regeste: allemand français italien

Etat de fait

Considérants 3 4 5 6

références

ATF: 137 II 313, 141 II 113, 144 I 43, 130 I 156 suite...

Article: art. 8 al. 1 let, art. 21 al. 2 let, art. 111 al. 1 LTF, art. 56 al. 4 LMP suite...