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Chapeau

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21. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 4 février 1987 dans la cause G. et B. contre G. et Genève, Tribunal administratif et Département des travaux publics (recours de droit public)

Regeste

Protection de la situation acquise en droit public des constructions. Entretien et rénovation d'un immeuble d'habitation édifié sous l'empire de l'ancien droit.
La protection de la situation acquise (Besitzstandsgarantie) commande que de nouvelles dispositions restrictives ne puissent être appliquées à des constructions autorisées conformément à l'ancien droit que si un intérêt public important l'exige et si le principe de la proportionnalité est respecté. Les cantons peuvent assurer cette protection dans une mesure plus étendue; ils ne sauraient cependant aller à l'encontre des exigences majeures de l'aménagement du territoire. Situation dans le canton de Genève (consid. 2a).
Le volume, l'apparence et le but de l'ouvrage restant semblables et l'affectation du sol n'étant pas modifiée, les travaux de rénovation et de transformation partielle entrepris en l'espèce (réfection de la charpente, de la toiture et du logement supérieur) sont encore couverts par la protection de la situation acquise (consid. 3c). Pesée des intérêts en présence; celui du propriétaire l'emporte sur ceux des voisins et l'intérêt public apparaît peu concerné dans le cas particulier (consid. 3d).
Rejet des griefs d'application arbitraire du droit cantonal, de constatation incomplète des faits et de violation du droit d'être entendu (consid. 4, résumé).

Faits à partir de page 120

BGE 113 Ia 119 S. 120
G. est propriétaire, à Vernier, d'un immeuble d'habitation construit vers 1910/1915. En 1983, il a requis du Département des travaux publics du canton de Genève (ci-après: le Département) l'autorisation d'augmenter l'isolation thermique de son immeuble et d'effectuer sur celui-ci des travaux d'entretien très importants (toit, façade, peinture). Le Département lui répondit favorablement, mais peu après deux propriétaires voisins lui signalèrent que les travaux entrepris dépassaient les simples travaux d'entretien et qu'il s'agissait plutôt d'une rénovation fondamentale; ils demandaient en conséquence que ces travaux soient suspendus. Le Département leur fit savoir, après contrôle sur place, que G. faisait effectuer des travaux d'entretien non soumis à autorisation et qu'il n'avait donc pas de raison d'intervenir en vue de les stopper. Sur quoi les voisins recoururent à la Commission de recours instituée par la loi cantonale sur les constructions et installations diverses (LCI), commission qui ordonna l'arrêt immédiat des travaux en cours. Cette autorité a notamment constaté que dès lors que la toiture avait été démolie et que le dernier étage avait disparu, il ne s'agissait
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plus de travaux d'entretien. Le Département invita alors G. à déposer une demande d'autorisation de construire en bonne et due forme, accompagnée d'un descriptif détaillé des travaux déjà exécutés et de ceux encore prévus. Cette nouvelle demande fut mise à l'enquête publique et suscita l'opposition des deux voisins. Ceux-ci invoquaient en substance une violation des règles sur les distances aux limites et une surélévation inadmissible de l'immeuble. Après inspection locale, le Département accorda l'autorisation sollicitée, décision qui a toutefois été annulée, sur intervention des voisins, par la Commission cantonale de recours. Selon cette dernière, le Département ne pouvait permettre une démolition suivie de reconstruction, les normes applicables à la zone en question n'autorisant pas un bâtiment d'habitation de trois appartements sur trois niveaux; le propriétaire ne pouvait donc, en l'état, que rénover son bâtiment sur deux niveaux et la charpente du toit devait être abaissée en conséquence.
Sur recours de G., le Tribunal administratif du canton de Genève annula la décision de la Commission LCI et confirma l'autorisation de construire. Comme l'immeuble avait été édifié au début du siècle et qu'il ne correspondait plus à la législation en vigueur dans la zone où il était actuellement situé, le problème qui se posait, selon le tribunal, était celui de la "protection de la possession". Se référant alors aux définitions données à propos de l'art. 24 al. 2 LAT, il a retenu que les travaux litigieux consistaient à la fois en une rénovation et en une transformation très partielle. En outre, les intérêts en présence étaient essentiellement de nature privée, l'intérêt public paraissant peu concerné; il se justifiait dans le cas particulier de trancher en faveur du propriétaire G.
Agissant par la voie du recours de droit public, les deux voisins ont requis le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal administratif. Ils ont invoqué une violation arbitraire des normes cantonales sur les distances aux limites et de règles de procédure sur l'établissement des faits. Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure où il était recevable.

Considérants

Extrait des considérants:

2. La première question qui se pose est de déterminer dans quelle mesure une construction édifiée sous l'empire de dispositions depuis lors abrogées ou modifiées peut être maintenue, entretenue, éventuellement rénovée, transformée, agrandie voire complètement reconstruite,
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quand bien même par hypothèse elle n'est plus conforme au droit actuellement en vigueur.
a) Lorsque la construction est située désormais en dehors des zones à bâtir, la question est réglée en principe par l'art. 24 al. 1 LAT. Toutefois, selon l'al. 2 de cette même disposition, le droit cantonal peut autoriser la rénovation, la transformation partielle ou la reconstruction de l'immeuble pour autant que ces travaux soient compatibles avec les exigences majeures de l'aménagement du territoire. En revanche, lorsque la construction est située, comme en l'espèce, à l'intérieur d'une zone à bâtir, le problème relève du droit cantonal, sous la seule réserve des exigences prévues par l'art. 22 LAT. La liberté des cantons dans ce domaine est toutefois limitée.
En effet, la jurisprudence a déduit à la fois de la garantie de la propriété (art. 22ter Cst.) et du principe de la non-rétroactivité des lois une protection de la situation acquise (Besitzstandsgarantie), qui postule que de nouvelles dispositions restrictives ne puissent être appliquées à des constructions autorisées conformément à l'ancien droit que si un intérêt public important l'exige et si le principe de la proportionnalité est respecté (arrêt non publié Achermann du 14 juillet 1982 consid. 4 et la doctrine citée). Cette protection de la situation acquise ne constituant qu'un minimum, les cantons sont certes libres de l'assurer dans une mesure plus étendue. Ils ne sauraient cependant, en autorisant sans restriction non seulement le maintien et l'entretien normal, mais la rénovation, la transformation, l'agrandissement voire la reconstruction totale d'un ancien bâtiment, aller à l'encontre des exigences majeures de l'aménagement du territoire.
La manière dont ce problème a été réglé par les diverses législations cantonales varie d'un canton à l'autre. Certains cantons sont très restrictifs, tels St-Gall, qui autorise seulement le maintien et l'entretien normal (cf. ZEMP, Kommentar zum Baugesetz des Kantons Sankt-Gallen vom 6. Juni 1972, p. 10 à 13) et Argovie (Baugesetz du 2 février 1971, par. 224 al. 2), qui n'autorise que les travaux d'entretien et de modernisation, cette disposition étant toutefois appliquée de manière relativement large (ZBl 1976 p. 152 ss; cf. également ZIMMERLIN, Baugesetz des Kantons Aargau p. 563 ss, spécialement p. 568 ss). D'autres cantons protègent la situation acquise dans une mesure plus étendue: ainsi Glaris (transformations autorisées pour permettre une amélioration raisonnable, à l'exclusion de tout accroissement des possibilités d'utilisation; Baugesetz du 4 mai 1952, art. 31); Vaud
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(les bâtiments frappés d'une autre restriction que l'alignement peuvent, s'ils respectent la destination de la zone, être transformés mais non pas agrandis ni reconstruits, art. 28 al. 1 LCAT; cf. BOVAY, Le permis de construire en droit vaudois p. 141/142); Tessin (seuls sont exclus les transformations ou agrandissements substantiels ou encore la modification substantielle de l'affectation primitive; cf. SCOLARI, Commentario della legge edilizia ticinese, n. 27 ss ad art. 44); Berne (transformations et agrandissements autorisés pour autant que le caractère anti-règlementaire des bâtiments en question ne s'en trouve pas aggravé; cf. GRUTTER, Kurzkommentar zum neuen Baugesetz des Kantons Bern, p. 23/24).
En droit genevois, l'art. 15 al. 2 LCI permet au Département de déroger aux dispositions de la loi relative aux distances entre bâtiments et aux vues droites afin de permettre l'aménagement de locaux d'habitation dans les combles de maisons dont la construction a été autorisée avant le 7 mai 1961, pour autant que le gabarit des toitures n'en soit pas modifié, que les nouveaux locaux remplissent les conditions de salubrité et de sécurité requises par leur destination et enfin que le caractère, l'harmonie et l'aménagement du quartier et le caractère esthétique de la construction autorisent cette mesure. En outre, selon l'art. 16 LCI, le Département peut, lorsque les circonstances le justifient et s'il n'en résulte pas d'inconvénients graves pour le voisinage, déroger aux dispositions de l'art. 11 quant à la destination des constructions; hors des zones à bâtir, cette dérogation ne peut toutefois être accordée que si l'emplacement de la construction prévue est imposé par sa destination et si elle ne lèse aucun intérêt prépondérant, notamment du point de vue de la protection de la nature et des sites ainsi que du maintien d'exploitations agricoles; hors des zones à bâtir, la rénovation de constructions ou d'installations, leur transformation partielle ou leur reconstruction peut, de plus, être autorisée si les travaux sont compatibles avec les exigences majeures de l'aménagement du territoire. En revanche, il n'existe en droit genevois aucune disposition relative au sort des constructions sises à l'intérieur des zones à bâtir mais qui seraient contraires à la fois à la destination de la zone où elles se trouvent et aux règles applicables dans cette zone, ou seulement à ces dernières règles.

3. a) (Mise au bénéfice de la protection de la situation acquise d'un bâtiment non conforme aux règles de la zone, mais qu'on a
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ainsi toléré pendant près de 70 ans (cf. ATF 107 Ia 121) jugée non arbitraire.)
c) C'est manifestement à tort que les recourants reprochent au Tribunal administratif d'avoir qualifié les travaux exécutés ou à exécuter de travaux d'entretien. En effet, la juridiction cantonale a expressément retenu qu'il s'agissait à la fois d'une rénovation, "puisque l'on désire rétablir dans son premier état un ouvrage ayant subi l'usure du temps", et d'une transformation partielle, "dans la mesure où l'aménagement intérieur de l'étage supérieur sera nécessairement modifié par rapport à l'état antérieur." Le Tribunal administratif a ajouté que cette transformation était très partielle dans la mesure où pour une personne regardant l'immeuble depuis l'extérieur, ce qui est le cas des voisins, les travaux ne modifieraient en rien la situation, puisque le volume, l'apparence et le but de l'ouvrage resteraient semblables et que l'affectation du sol ne serait nullement modifiée. Il en a conclu que l'on se trouvait véritablement en présence d'un cas limite.
Il ressort de ces considérations que l'autorité intimée a implicitement admis que des travaux de rénovation et, dans la mesure où ils ne dépassaient pas certaines limites, des travaux de transformation étaient encore couverts par la protection de la situation acquise. Les recourants ne prétendent pas que cette conception serait clairement contraire à des dispositions déterminées du droit genevois et, pour cette raison, arbitraire. A vrai dire, la solution retenue par le Tribunal administratif, qui correspond d'ailleurs à celle consacrée par diverses législations cantonales, ne saurait être taxée d'arbitraire. Comme on l'a vu, s'agissant d'un bâtiment situé à l'intérieur d'une zone à bâtir, le droit genevois ne contient aucune règle précise. Or, pour un bâtiment situé en dehors de la zone à bâtir, ce même droit prévoit expressément la possibilité d'une rénovation, d'une transformation partielle voire d'une reconstruction pour autant que les travaux soient compatibles avec les exigences majeures de l'aménagement du territoire; il n'était donc pas insoutenable de considérer qu'il pouvait en aller de même s'agissant d'un bâtiment situé dans une zone à bâtir, mais qui n'était plus conforme aux règles de cette zone.
d) Il convient d'ajouter que le Tribunal administratif n'a nullement affirmé que des travaux de rénovation et des travaux limités de transformation partielle seraient admissibles dans tous les cas. Il s'est au contraire livré à une mise en balance des intérêts en présence. A cet égard, les recourants affirment que les travaux auraient pour effet
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de rehausser le bâtiment, que la construction du mur de briques modifierait l'affectation du sol sur un pourtour de 10 cm et que le volume de l'ouvrage s'en trouverait accru.
Il ressort du dossier que, suite à la réfection de la charpente selon une conception modifiée, le niveau des sablières se trouve surélevé de 5 cm par rapport à celui de la sablière en place précédemment et que tout l'immeuble est doublé par un revêtement de briques de 8 à 10 cm, l'architecte ayant mis en place des ceinturages en béton armé pour assurer le maintien de ce doublage (procès-verbal de l'inspection locale du 13 décembre 1983). On ne saurait prétendre sérieusement que le Tribunal administratif ait ignoré ce double fait. Il n'a d'ailleurs jamais affirmé que le volume, l'apparence et le but de l'ouvrage demeureraient identiques, mais simplement que ces éléments resteraient semblables. Il en a donc déduit que, pour une personne regardant l'immeuble depuis l'extérieur, ce qui était le cas des voisins G. et B., les travaux ne modifieraient en rien la situation. Compte tenu du caractère en définitive minime de l'augmentation de volume et de hauteur, cette déduction correspond bien à la réalité et échappe au grief d'arbitraire. Cela étant, on ne saurait reprocher au Tribunal administratif d'avoir admis que l'intérêt du propriétaire au maintien de son immeuble l'emportait clairement sur celui des recourants à le voir disparaître. Quant à l'intérêt public, l'autorité intimée a considéré qu'il paraissait assez peu concerné, vu la proximité immédiate d'une ancienne usine à gaz et d'entrepôts d'une grande entreprise de construction. A ses yeux, le bâtiment litigieux ne pouvait donc enlaidir particulièrement le paysage; son maintien ne perturbait, au demeurant, aucun but d'aménagement du territoire.
Les recourants taxent d'arbitraire l'appréciation du Tribunal sur la qualité et l'esthétique du quartier. A supposer qu'ils aient qualité pour soulever un tel grief, ce qui est douteux (cf. ATF 110 Ia 74 consid. 1, ATF 106 Ia 332 /333 consid. 2a/b), leurs critiques s'avèrent de toute façon infondées. Il résulte en effet des photographies produites par les recourants eux-mêmes en procédure cantonale que la valeur esthétique du quartier n'est pas telle, ni la qualité de son environnement immédiat si remarquable qu'un intérêt public important exigerait la disparition immédiate du bâtiment en question. Cette disparition ne saurait en aucun cas suffire à rétablir l'unité de ce quartier.

4. a) (Dès lors que les travaux litigieux pouvaient être considérés comme étant encore couverts par la protection de la situation
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acquise, ils devaient pouvoir être autorisés quand bien même le bâtiment ne respectait pas et continuerait à ne pas respecter les règles sur les distances aux limites, le coefficient d'occupation au sol et le nombre maximum de logements admissible dans la zone concernée.)
b) (Une autorisation spéciale de démolir (art. 1er al. 1 let. c LCI) n'était pas nécessaire, car il s'agissait d'une opération unique de réfection impliquant le démontage et l'enlèvement préalables de la charpente en place, opération qui a été dûment autorisée sur la base de l'art. 1er al. 1 let. b LCI.)
c) (La mise au bénéfice de la protection de la situation acquise dispensait l'autorité cantonale de se prononcer sur d'autres griefs des voisins concernant le respect de certaines normes de la police des constructions, celles-ci ne s'appliquant précisément pas au cas d'espèce. Sur ce point, l'autorité cantonale n'a pas violé son obligation de motiver la décision attaquée.)
d) (Rejet du grief de violation du droit d'être entendu: l'autorité cantonale disposait dans le dossier d'éléments suffisants et plus précis que ceux qui auraient pu résulter des témoignages requis.)
e) (Omission d'établir le procès-verbal d'une inspection locale; les recourants ne démontrent pas en quoi cette irrégularité aurait influé sur la décision du tribunal ou les aurait eux-mêmes entravés dans la défense de leurs droits.)

contenu

document entier
regeste: allemand français italien

Etat de fait

Considérants 2 3 4

références

ATF: 107 IA 121, 110 IA 74, 106 IA 332

Article: art. 24 al. 2 LAT, art. 24 al. 1 LAT, art. 22 LAT, art. 22ter Cst. suite...