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Chapeau

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77. Arrêt du 8 octobre 1975 en la cause R. et consorts contre Conseil d'Etat du canton de Genève

Regeste

Art. 31 Cst.; usage du domaine public par des prostituées aux fins d'y rechercher leur clientèle
1. Qualité pour recourir. Recevabilité des griefs soulevés pour la première fois dans la réplique (consid. 1).
2. L'activité professionnelle des prostituées, dans la mesure où elle n'est pas punissable, peut en principe bénéficier de la protection de l'art. 31 Cst. (consid. 2).
3. Base légale du règlement attaqué (consid. 4).
4. Celui qui fait un usage commun accru du domaine public aux fins d'y exercer une activité lucrative peut invoquer la liberté du commerce et de l'industrie, dans la mesure où le but du domaine public le permet (modification de la jurisprudence) (consid. 5).
5. L'interdiction de "se livrer à la prostitution sur la voie publique" pendant la journée, sur tout le territoire genevois, viole le principe de la proportionnalité (consid. 6).

Faits à partir de page 474

BGE 101 Ia 473 S. 474
Le 8 août 1956, se référant aux dispositions de l'art. 37 ch. 3, 4, 7 et 49 de la loi pénale genevoise, le Conseil d'Etat du canton de Genève a édicté un règlement concernant la tranquillité publique.
Le 28 août 1974, le Conseil d'Etat a complété ce règlement par un nouvel art. 11A, dont la teneur est la suivante:
Art. 11A: Prostitution.
Il est interdit de se livrer à la prostitution sur la voie publique
pendant la journée et, en règle générale, de manière à troubler l'ordre
public.
BGE 101 Ia 473 S. 475
Par la voie d'un recours de droit public, plusieurs prostituées demandent au Tribunal fédéral d'annuler le règlement du Conseil d'Etat du canton de Genève du 28 août 1974, modifiant le règlement du 8 août 1956 sur la tranquillité publique, "en tant qu'il interdit la prostitution sur la voie publique pendant la journée".

Considérants

Considérant en droit:

1. a) Aux termes de l'art. 88 OJ, le recours de droit public est ouvert aux particuliers contre les arrêtés ou décisions qui les concernent directement ou qui sont d'une portée générale. Lorsque le recours est dirigé contre un arrêté de portée générale, la qualité pour recourir appartient à toute personne dont les intérêts juridiquement protégés sont effectivement ou virtuellement touchés par l'acte attaqué (RO 99 Ia 264 ss consid. 1).
Les recourantes, qui exercent professionnellement une activité en soi non punissable, sont directement atteintes dans leurs intérêts juridiquement protégés, puisque l'arrêté entrepris interdit de se livrer à la prostitution sur la voie publique pendant la journée. A cet égard, le fait que le Tribunal fédéral a qualifié la prostitution d'"inconduite" au sens de l'art. 370 CC (RO 83 II 274), de "scandale public" (RO 81 IV 110) ou de "mal" (RO 68 IV 43) n'est pas déterminant (arrêt X. c. Conseil de la ville de Zurich et Conseil d'Etat du canton de Zurich, du 13 juin 1973, consid. 1 non publié).
b) Selon l'art. 90 al. 1 lit. b OJ, les moyens invoqués à l'appui du recours de droit public doivent l'être dans le délai de trente jours prévu à l'art. 89 OJ, la réplique n'étant destinée qu'à permettre de répondre aux arguments développés par l'autorité à l'appui de sa décision. Des griefs soulevés pour la première fois dans la réplique sont dès lors, en principe, irrecevables (RO 98 Ia 494 consid. 1b). Il en est ainsi, en l'espèce, du moyen tiré d'une prétendue violation du principe de la force dérogatoire du droit fédéral.

2. Le présent recours est fondé principalement sur l'art. 31 Cst. Il importe donc d'examiner si les recourantes, qui s'adonnent à la prostitution professionnellement, peuvent en principe invoquer la garantie constitutionnelle de la liberté du commerce et de l'industrie.
a) L'art. 11A du règlement des 8 août 1956/28 août 1974
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concernant la tranquillité publique interdit de "se livrer à la prostitution sur la voie publique pendant la journée". Dans sa forme, cette disposition n'est guère satisfaisante. La débauche professionnelle ou la prostitution en tant que telle n'est pas punissable et ne peut pas non plus être déclarée punissable par le droit cantonal réservé par l'art. 335 ch. 1 CP (RO 99 Ia 507/508). Le législateur fédéral s'est borné à prévoir la répression de certaines activités préalables, de certains excès et de certaines manifestations secondaires de la prostitution (cf. notamment les art. 206, 207, 209 et 210 CP). Ainsi, l'art. 206 CP, qui vise le racolage, tend à protéger les bonnes moeurs et à prévenir les réactions que les prostituées provoquent en offrant leur corps d'une façon reconnaissable pour chacun. Mais cette disposition n'entend pas incriminer toute promenade d'une prostituée sur la voie publique en vue de rechercher des clients (LOGOZ, Commentaire, n. 2 ad art. 206 CP, p. 360/361). Or c'est précisément cela que le règlement litigieux veut interdire, du moins pendant la journée.
b) La doctrine et la jurisprudence ont toujours interprété la notion de commerce et d'industrie dans un sens large. Au regard de l'art. 31 Cst., une industrie est toute activité rétribuée exercée professionnellement (RO 87 I 271, 80 I 143, 67 I 87). Dès lors, l'exercice d'une activité professionnelle à des fins lucratives (RO 63 I 219) ou dans le but d'en tirer un revenu (RO 87 I 271 et les arrêts cités) bénéficie en principe de la garantie constitutionnelle de la liberté du commerce et de l'industrie. En interdisant la prostitution sur la voie publique pendant la journée, la disposition réglementaire litigieuse vise exclusivement l'activité professionnelle des prostituées. Dans la mesure où celle-ci n'est pas punissable en vertu de l'art. 206 CP (RO 95 IV 132 consid. 1), les recourantes peuvent en principe bénéficier de la protection de l'art. 31 Cst.; le Conseil d'Etat genevois ne le conteste d'ailleurs pas et, dans son arrêt du 13 juin 1973, le Tribunal fédéral l'a implicitement admis (RO 99 Ia 509 ss consid. 4). Le fait que la prostitution puisse être considérée comme contraire aux moeurs n'a pas pour effet de priver les personnes qui s'y livrent professionnellement du droit d'invoquer l'art. 31 Cst. (cf. HANS MARTI, Handels- und Gewerbefreiheit, p. 62 n. 33).

3. a) Le Conseil d'Etat genevois considère toutefois que les recourantes font un usage commun accru du domaine
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public et qu'elles ne peuvent, pour ce motif, bénéficier de la protection de l'art. 31 Cst. Les recourantes ne contestent pas qu'elles utilisent les voies publiques à des fins professionnelles en s'y postant en vue de rechercher des clients; mais elles soutiennent que l'on ne saurait y voir un usage commun accru. Elles en tirent dès lors deux conclusions. Limitant l'usage commun du domaine public, le règlement litigieux devrait reposer sur une base légale; or celle-ci fait défaut en l'espèce. Par ailleurs, la disposition litigieuse violerait l'art. 31 Cst., en ne respectant pas le principe de la proportionnalité.
b) La doctrine et la jurisprudence distinguent trois formes d'usage du domaine public par les administrés: l'usage commun, l'usage commun accru, qui exige une autorisation, et l'usage particulier, qui dépend d'une concession. Lorsque l'autorité subordonne à l'octroi d'une autorisation ou d'une concession toute utilisation du domaine public qui excède l'usage commun de celui-ci, elle peut le faire valablement même si aucune base légale ne le prévoit. En revanche, dans la mesure où elle limite l'usage commun (ou collectif), elle ne peut agir qu'en vertu de la loi (GRISEL, Droit administratif suisse, p. 281; BLAISE KNAPP. L'exercice du droit d'initiative sur la place publique, in SJ 94/1972, p. 420 ss; RO 100 Ia 136 consid. 5b et les arrêts cités, 398 consid. 3). Le moyen que les recourantes tirent d'une prétendue absence de base légale ne devrait donc être examiné que si l'on considère qu'en recherchant leurs clients sur la voie publique, les prostituées exercent leur activité dans le cadre de l'usage commun. Dans son arrêt publié au RO 99 Ia 510, le Tribunal fédéral a réservé cette question. Celle-ci peut également rester ouverte en l'espèce, s'il appert qu'une base légale existe et si l'on admet en outre que celui qui fait un usage commun accru du domaine public à des fins commerciales peut invoquer l'art. 31 Cst. Dans cette hypothèse en effet, le Tribunal fédéral jouira du même pouvoir d'examen, quelle que soit l'intensité de l'utilisation des voies publiques par les recourantes.

4. a) Les recourantes soutiennent qu'en vertu du droit public genevois, le Conseil d'Etat ne pouvait édicter le règlement attaqué que s'il agissait en vertu d'une délégation législative expresse ou si le règlement avait le caractère d'une disposition d'exécution. Elles se réfèrent à cet égard à plusieurs dispositions de la constitution genevoise, notamment aux art. 116 ("Le Conseil d'Etat promulgue les lois; il est chargé de leur
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exécution et prend à cet effet les règlements et arrêtés nécessaires") et 125 ("Le Conseil d'Etat édicte les règlements de police dans les limites prévues par la loi. Il en ordonne et en surveille l'exécution").
Le Conseil d'Etat affirme qu'il avait la compétence d'édicter le règlement litigieux en vertu d'une coutume bien établie, que le Tribunal fédéral déclare pouvoir considérer comme une base légale suffisante (RO 84 I 95 consid. 4, 83 I 247 consid. 3). Il ne donne toutefois aucune précision quant à l'existence d'une telle coutume en droit public genevois. C'est également à tort qu'il entend fonder sa compétence sur un pouvoir général de police, conféré à l'exécutif cantonal aux fins de lui permettre de maintenir ou de rétablir l'ordre public; il ne prétend pas avoir été dans un état de nécessité qui l'aurait contraint à prendre des mesures d'urgence (cf. RO 100 Ia 146 consid. 4a et b).
b) Aux termes de l'art. 38 de la loi pénale genevoise, du 20 septembre 1941, "le Conseil d'Etat est chargé de faire les règlements concernant les matières de police prévues dans la présente loi". Il y a donc bien une délégation de pouvoir en faveur de l'exécutif genevois pour réglementer les actes que le législateur a érigés en contraventions de police, soit dans les cas visés à l'art. 37 ch. 3 et 4 de la loi pénale. A la rigueur, on pourrait aussi admettre que le Conseil d'Etat a ainsi reçu du législateur les pouvoirs nécessaires pour édicter, compléter, modifier ou abroger des règlements de police dans les domaines que visent expressément les divers chiffres de cet art. 37. Toutefois, on ne peut pas admettre que, par le texte du chiffre 49, le législateur ait voulu déléguer au Conseil d'Etat genevois une compétence générale d'édicter des règlements dans d'autres matières de police. En déclarant "passibles des arrêts et de l'amende ou de l'une de ces peines seulement ceux qui ont contrevenu à d'autres lois ou règlements cantonaux prévoyant des peines de police", le législateur a simplement fait un renvoi à toutes les autres lois ou règlements cantonaux qui, dans le respect des principes de la séparation des pouvoirs et de la légalité des peines, prévoient déjà des peines de police. C'est à tort que le Conseil d'Etat voit dans cette clause générale une délégation de pouvoir consentie globalement en sa faveur par le législateur genevois. L'art. 37 ch. 49 de la loi pénale ne peut donc pas constituer la base légale du règlement du 28 août 1974; il importe peu, à cet égard, que le règlement sur la tranquillité
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publique se réfère expressément aux ch. 3, 4, 7 et 49 de l'art. 37 de la loi pénale.
c) Cependant, aux termes de l'art. 12 de la loi genevoise sur le domaine public, du 24 juin 1961, "chacun peut, dans les limites des lois et des règlements, utiliser le domaine public conformément à sa destination et dans le respect des droits d'autrui" et l'art. 24 al. 1 précise que "le Conseil d'Etat peut fixer par voie de règlement les modalités d'exécution de la présente loi"; les mêmes dispositions, relatives à l'utilisation des voies publiques et à la compétence réglementaire du Conseil d'Etat, se trouvent également dans la loi genevoise sur les routes du 28 avril 1967 (art. 55 et 96). Au surplus, l'art. 24 al. 2 de la loi sur le domaine public donne encore au Conseil d'Etat le pouvoir de "réglementer l'usage commun du domaine public". Ainsi, même si l'on devait considérer que les prostituées font seulement un usage commun ordinaire de la voie publique, il faudrait de toute façon constater que le législateur genevois a expressément délégué à l'exécutif la compétence de réglementer cet usage, comme aussi, et à plus forte raison, l'usage commun accru. C'est précisément ce que le Conseil d'Etat a fait en interdisant la prostitution sur la voie publique pendant la journée. Il est vrai qu'il n'a jamais déclaré fonder sa compétence réglementaire sur la loi sur le domaine public, mais il n'en a pas expressément écarté la référence. Le Tribunal fédéral peut donc la substituer à celle que, de manière inexacte, le Conseil d'Etat a faite à la loi pénale genevoise. Le grief d'absence de base légale n'est ainsi pas fondé.

5. a) Selon la jurisprudence, celui qui fait un usage commun accru du domaine public à des fins commerciales ne peut invoquer l'art. 31 Cst. Cette disposition constitutionnelle ne donne en effet aucun droit à une telle utilisation de la chose publique, et ce serait en méconnaître la nature que d'en déduire le droit à une prestation positive de l'Etat (RO 97 I 655/656, 73 I 209). Dès lors, le Tribunal fédéral n'examine que sous l'angle de l'art. 4 Cst. la réglementation de l'usage commun accru telle qu'elle est adoptée par les autorités cantonales, tenues d'éviter de commettre arbitraire, de prendre des mesures impliquant une inégalité de traitement ou de se baser sur de purs motifs de politique économique (RO 97 I 656 et les arrêts cités).
Cette jurisprudence a été critiquée par plusieurs auteurs (cf. notamment HANS HUBER, in RJB 85/1949, p. 49 ss; ERNST
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ABDERHALDEN, in Wirtschaft und Recht I/1949, p. 210; 4/1952 p. 148). HANS MARTI (op.cit., p. 140 ss) souligne que la question n'est pas celle de savoir si l'administré peut tirer de l'art. 31 Cst. un droit à l'usage privatif du domaine public à des fins commerciales, mais bien plutôt celle de déterminer si l'Etat peut, sans violer la liberté du commerce et de l'industrie, exclure ou limiter l'exercice d'une activité professionnelle impliquant l'usage commun ou l'usage commun accru du domaine public. PETER SALADIN ("Grundrechte im Wandel", p. 323 ss; "Unerfüllte Bundesverfassung", in RDS 93/1974, vol. I, p. 322/323) considère pour sa part qu'il ne se justifie pas de soustraire la réglementation de l'usage des choses publiques au respect des droits fondamentaux.
Il convient dès lors de procéder à un nouvel examen de cette jurisprudence.
b) Le Tribunal fédéral a avant tout considéré que la liberté du commerce et de l'industrie implique le droit à une abstention, et non à une prestation positive de l'Etat, et qu'elle ne comprend donc pas la faculté d'exercer une activité économique sur le domaine public en marge de l'usage commun. Mais, ainsi que le relève GRISEL (op.cit., p. 301), l'usage privatif d'une chose publique ne nécessite pas toujours une prestation positive de l'Etat. Celle-ci n'est pas requise en cas de vente de marchandises sur une route, par exemple, ou dans le cas de l'activité des recourantes, pour autant que l'on admette que celles-ci font un usage commun accru du domaine public. Il s'agira très souvent d'une simple tolérance de la part de l'Etat. Le raisonnement qui est à la base de la jurisprudence actuelle se heurte donc à une objection. Il n'est pas valable sur un plan général, ce qui vicie la solution jurisprudentielle à laquelle il conduit.
Il est vrai que l'usage privatif du domaine public peut être soumis à autorisation. Mais une telle exigence n'est pas en soi de nature à priver l'administré qui fait un usage commun accru des voies publiques à des fins commerciales du droit d'invoquer la liberté du commerce et de l'industrie. Il convient de relever, à cet égard, que le Tribunal fédéral a admis que la liberté de réunion et celle d'expression protègent des activités liées à un usage privatif du domaine public et qui peuvent, pour cette raison, être soumises à autorisation (RO 100 Ia 402 et les arrêts cités).
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Il faut enfin relever que le fait que le domaine public appartienne à la sphère étatique ne suffit pas, à lui seul, pour exclure toute application de l'art. 31 Cst. L'administré qui use de ce domaine à des fins commerciales se trouve dans la même situation que celui qui est lié à l'Etat par un rapport juridique spécial. L'un et l'autre doivent pouvoir jouir des libertés constitutionnelles dans la mesure où le but du domaine public ou du rapport spécial le permet.
Le maintien de la jurisprudence actuelle ne se justifie donc pas. Il convient de la modifier en ce sens que l'administré qui fait un usage commun accru du domaine public aux fins d'y exercer une activité lucrative professionnelle peut invoquer la liberté du commerce et de l'industrie, dans la mesure où le but du domaine public le permet (cf. RO 99 Ia 399).
c) Ainsi que l'a relevé le Tribunal fédéral dans l'arrêt publié au RO 97 I 656, ce changement de jurisprudence entraîne une extension de son pouvoir d'examen. Actuellement restreinte, sa cognition devient libre, sauf à faire preuve d'une certaine retenue dans l'examen des circonstances locales que les autorités cantonales sont mieux à même de saisir et d'apprécier (cf. RO 100 Ia 403 consid. 5 in fine et les arrêts cités).

6. Les autorités chargées de réglementer l'usage accru du domaine public doivent poursuivre des buts d'intérêt public, agir selon des critères objectifs et ne pas se fonder sur de pures considérations de politique économique. Les limitations apportées à un tel usage peuvent se baser sur des motifs autres que purement policiers (RO 99 Ia 399). Elles doivent respecter le principe de la proportionnalité.
a) Dans son arrêt du 13 juin 1973 (RO 99 Ia 511 ss), le Tribunal fédéral a admis que les autorités pouvaient interdire aux prostituées de se tenir à certains endroits dans l'intention reconnaissable de se vouer à la prostitution, cette interdiction ayant pour but de maintenir la tranquillité et l'ordre publics et de protéger la santé publique. Les recourantes ne contestent pas en l'espèce que la réglementation litigieuse a été adoptée aux fins de donner aux organes de police les moyens de maintenir ou de rétablir la tranquillité et l'ordre publics. Elles affirment en revanche que le Conseil d'Etat genevois a violé le principe de la proportionnalité en leur interdisant de manière générale, pendant la journée, la recherche de clients sur les voies publiques.
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b) La réglementation zurichoise soumise en 1973 à l'examen du Tribunal fédéral consistait à interdire aux prostituées d'attendre et de rechercher leur clientèle sur les rues et places publiques entourées de maisons d'habitation (sauf dans les quartiers de plaisir, de 20 h à 3 h), aux arrêts des services de transports publics pendant les heures d'exploitation, à l'intérieur et aux environs des parcs accessibles au public, enfin aux abords des églises, écoles et hôpitaux. Ce règlement laissait à disposition des prostituées, de jour comme de nuit, une large portion du territoire de la commune, défini de manière précise par des plans. Ces mesures ont été jugées adéquates par le Tribunal fédéral.
Le Conseil d'Etat genevois n'a pas suivi la proposition faite par les inspecteurs de la brigade des moeurs d'adopter à Genève une réglementation semblable. Il considère en effet que la situation genevoise est très différente de celle qui existe à Zurich et que les mesures approuvées par le Tribunal fédéral vont en réalité beaucoup plus loin que la disposition litigieuse. Il souligne à cet égard que la prostitution s'exerce à Genève dans le seul quartier des Pâquis et aux alentours de la rue du Vieux-Collège, de telle sorte que "parler d'une interdiction de la prostitution de rue sur l'ensemble du territoire cantonal genevois relève d'une conception des plus utopiques".
Une telle opinion n'est toutefois pas fondée. Ayant à juger si la disposition litigieuse respecte le principe de la proportionnalité, le Tribunal fédéral ne peut que se fonder sur le texte attaqué. Or celui-ci interdit effectivement la recherche et l'attente de clients par les prostituées pendant la journée sur l'ensemble du territoire genevois. Le Conseil d'Etat ne saurait donc tirer argument du fait que, pratiquement, le texte incriminé ne devrait être appliqué que dans une portion réduite du territoire cantonal.
Pour justifier cette interdiction générale, l'autorité exécutive cantonale fait état des nombreuses plaintes émanant des habitants et commerçants des quartiers touchés par la prostitution. Il convient toutefois de remarquer que ces doléances concernent essentiellement le bruit nocturne provoqué par l'activité des péripatéticiennes. Or, dans sa réponse au recours, le Conseil d'Etat souligne à juste titre que l'art. 11A du règlement sur la tranquillité publique n'a pas été attaque en ce qu'il interdit de se livrer à la prostitution sur la voie publique de manière à
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troubler l'ordre public et que cette disposition, si elle est violée, permettra l'intervention de l'autorité, de jour comme de nuit.
En réalité, l'interdiction de se livrer à la prostitution pendant la journée a surtout pour but d'éviter aux habitants du quartier, en particulier aux enfants, le spectacle de femmes se vouant à la prostitution. Elle vise donc bien le maintien de la tranquillité et de l'ordre publics, voire la protection de la santé publique.
Mais d'autres mesures que celle qui a été adoptée sont à même de permettre aux autorités d'atteindre leur but. A cet égard, une réglementation semblable à celle qui a été adoptée par les autorités zurichoises, et aménagée pour tenir compte des circonstances locales particulières, paraît suffisamment efficace. L'interdiction générale, valable sur l'ensemble du territoire genevois, viole en revanche le principe de la proportionnalité. Le recours doit dès lors être admis. Il convient donc d'annuler l'art. 11A du règlement concernant la tranquillité publique en tant qu'il interdit "de se livrer à la prostitution sur la voie publique pendant la journée".
c) Il faut encore relever que la disposition litigieuse souffre de trop d'imprécision. Outre que les termes "se livrer à la prostitution" sont en l'espèce impropres, une interdiction de la recherche de clients sur la voie publique "pendant la journée" laisse une trop grande marge d'appréciation aux autorités de police chargées de veiller à son respect. Il importe d'ailleurs que celles-ci puissent se fonder sur un texte précis, qui ne prête pas à discussion.

7. Le recours étant admis en raison d'une violation du principe de la proportionnalité, il est inutile d'examiner les autres griefs formés par les recourantes. Celles-ci se plaignent d'être victimes d'une inégalité de traitement par rapport à leurs collègues de travail qui exercent leur activité de nuit. Ce grief paraît être dénué de fondement. Par ailleurs, les recourantes ne pouvaient en l'espèce tirer argument d'une prétendue violation de leur liberté personnelle (cf. RO 99 Ia 509 consid. 3).

Dispositif

Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Admet le recours en tant qu'il est recevable et annule l'art. 11A du règlement concernant la tranquillité publique dans la mesure où il interdit "de se livrer à la prostitution sur la voie publique pendant la journée".

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