4A_389/2022 14.03.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_389/2022  
 
 
Arrêt du 14 mars 2023  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Jametti, présidente, Hohl, Kiss, Rüedi et May Canellas. 
Greffier: M. O. Carruzzo. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par Me Guillaume Vodoz, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
1. B.________, 
2. C.________, 
3. D.________, 
tous représentés par Me Grégoire Mangeat, avocat, 
intimés. 
 
Objet 
entraide judiciaire internationale en matière civile, 
 
recours contre l'arrêt rendu le 22 juillet 2022 par la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève (CR/8/2022 ACJC/1005/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. E.________ était le directeur général de l'institution F.________ de l'Etat Y.________ de 1984 à mai 2012 puis d'octobre 2012 à janvier 2014. Cette dernière lui reproche de s'être enrichi illégitimement à son détriment durant de nombreuses années, en obtenant le versement de commissions secrètes sur des investissements effectués auprès de divers établissements financiers dont A.________ SA. Lesdites commissions auraient été versées sur des comptes ouverts auprès de ladite banque et détenus par E.________ ou par un intermédiaire financier, à savoir B.________.  
 
A.b. En 2012, le Ministère public de la Confédération (MPC) a ouvert une procédure pénale à l'encontre de E.________ en raison notamment de soupçons de blanchiment d'argent et de gestion déloyale. L'institution F.________ s'est constituée partie plaignante.  
Dans le cadre de cette procédure, A.________ SA a transmis au MPC toute la documentation bancaire relative au compte n.... détenu par la société de droit libanais G.________ Sàrl dont les actionnaires étaient B.________, C.________ et D.________. Le compte bancaire précité, ouvert en mars 2008 par G.________ Sàrl - laquelle a été liquidée puis radiée du registre du commerce en juillet 2018 -, a été clôturé en décembre 2013. Selon le formulaire A y afférent, B.________ était l'unique ayant droit économique dudit compte. 
Par décision du 10 janvier 2017, le Tribunal pénal fédéral (TPF) a considéré que l'institution F.________ était une entité de nature quasi-étatique, de sorte qu'il existait un risque concret de " transmission intempestive " à l'Etat Y.________ de tous documents obtenus dans le cadre de la procédure pénale. Il a dès lors limité l'accès au dossier de l'institution F.________, en ce sens que cette dernière pouvait uniquement consulter celui-ci dans les locaux du MPC, sans possibilité d'en lever des copies. 
 
A.c. En 2019, une procédure pénale a été initiée à Y.________ à l'encontre de E.________.  
Le 4 janvier 2021, les autorités de l'Etat Y.________ ont adressé au MPC une requête d'entraide judiciaire internationale en matière pénale en vue d'obtenir les documents bancaires recueillis dans le cadre de la procédure pénale suisse précitée. B.________ s'est opposé à cette requête. 
 
B.  
 
B.a. En 2019, l'institution F.________ a initié une action civile devant l'autorité britannique " The Senior Master of the Senior Courts of England and Wales " à l'encontre de E.________ et d'autres défendeurs dont A.________ SA et B.________.  
 
B.b. Le 7 février 2022, le Tribunal de première instance genevois a reçu une demande d'entraide judiciaire internationale en matière civile formée le 17 janvier 2022 par l'autorité britannique précitée. Cette commission rogatoire, fondée sur la Convention de La Haye du 18 mars 1970 sur l'obtention des preuves à l'étranger en matière civile ou commerciale (CLaH70; RS 0.274.132), tendait à la fourniture par A.________ SA des documents relatifs au compte bancaire n.... détenu par E.________ et aux comptes n....,... et... potentiellement ouverts, actuellement ou par le passé, au sein de l'établissement financier en question. La transmission desdits documents avait pour but de permettre à A.________ SA de se défendre face aux accusations de l'institution F.________ formulées à son encontre, sans violer le secret bancaire suisse.  
Selon l'exposé des questions en litige devant l'autorité judiciaire britannique, rédigé par A.________ SA, l'institution F.________ prétendait, en substance, que des commissions secrètes d'au moins 69,6 millions de dollars américains (USD) auraient été versées à G.________ Sàrl, conformément à un accord d'apporteur d'affaires conclu entre son ayant droit économique, B.________, et A.________ SA, puis reversées à E.________. Selon la demanderesse, A.________ SA savait que l'accord précité n'était qu'un artifice destiné au paiement desdites commissions et que E.________ en était le bénéficiaire ultime. 
Par ordonnance du 22 mars 2022, le Tribunal de première instance genevois a ordonné à A.________ SA de produire, dans un délai de deux mois, les documents listés dans l'annexe n. 2 à la commission rogatoire. En bref, il a considéré que A.________ SA avait renoncé à faire valoir le secret bancaire, puisqu'elle avait elle-même sollicité la commission rogatoire. De plus, les ayants droit économiques des comptes bancaires visés étaient parties à la procédure au fond, de sorte qu'ils avaient vraisemblablement été entendus au sujet de la mesure d'entraide judiciaire requise. 
 
B.c. Le 4 avril 2022, B.________, C.________ et D.________ ont recouru contre ladite ordonnance.  
Statuant par arrêt du 22 juillet 2022, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a déclaré irrecevable le recours formé par C.________ et D.________, faute pour eux d'être touchés par la demande d'entraide judiciaire litigieuse. Elle a en revanche admis celui interjeté par B.________, annulé l'ordonnance attaquée et rejeté la demande d'entraide judiciaire internationale en matière civile présentée. En bref, elle a considéré que l'art. 12 § 1 let. b CLaH70 justifiait en l'occurrence de ne pas faire droit à ladite demande. 
 
C.  
Le 14 septembre 2022, A.________ SA (ci-après: la recourante) a formé un recours en matière civile à l'encontre de cet arrêt. Elle conclut, en substance, à la réforme de la décision querellée en ce sens que la demande d'entraide judiciaire internationale est admise. Subsidiairement, elle requiert l'annulation de l'arrêt déféré et le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
En tête de leur réponse du 14 octobre 2022, B.________, C.________ et D.________ (ci-après: les intimés) ont conclu au rejet du recours. 
L'autorité précédente a déclaré se référer aux considérants de son arrêt. 
La recourante a répliqué spontanément, suscitant le dépôt d'une duplique de la part des intimés. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. La décision par laquelle un tribunal suisse ordonne ou refuse l'exécution d'une commission rogatoire requise par une autorité judiciaire étrangère sur la base de la CLaH70 est une décision relative à l'entraide internationale en matière civile, qui est susceptible de faire l'objet d'un recours en matière civile en vertu de l'art. 72 al. 2 let. b ch. 1 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110; arrêts 5A_362/2018 du 2 juillet 2019 consid. 1 non publié aux ATF 145 III 422; 4A_340/2015 du 21 décembre 2015 consid. 1.1 non publié aux ATF 142 III 116 et les références citées). La décision, prise sur recours par le tribunal supérieur du canton (art. 75 LTF), qu'elle rejette ou admette la demande d'entraide, est une décision finale puisqu'elle met fin à la procédure suisse d'entraide judiciaire (art. 90 LTF; arrêt 4A_340/2015, précité, consid. 1.1 non publié aux ATF 142 III 116 et les références citées). En l'occurrence, les documents bancaires sont requis dans le cadre d'un litige de nature pécuniaire et, au vu des montants en jeu dans le procès britannique, la valeur litigieuse atteint le seuil de 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF).  
 
1.2. Conformément à l'art. 76 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière civile quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a) et est particulièrement touché par la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à son annulation ou sa modification (let. b).  
En l'occurrence, la recourante, qui revêt la qualité de défenderesse dans le cadre de l'action civile introduite par l'institution F.________ au Royaume-Uni, est à l'origine de la commission rogatoire litigieuse. Dans la mesure où l'intéressée a conclu au rejet du recours cantonal formé à l'encontre de l'ordonnance du 22 mars 2022 au terme de laquelle l'autorité de première instance a fait droit à la demande d'entraide internationale en matière civile et qu'elle a succombé devant l'instance précédente, elle possède un intérêt digne de protection à l'annulation ou à la modification de l'arrêt entrepris (art. 76 al. 1 LTF). 
 
1.3. Pour le reste, qu'il s'agisse du délai de recours, des conclusions prises par la recourante ou des griefs invoqués par elle, aucune de ces conditions de recevabilité ne fait problème en l'espèce. Demeure réservé l'examen, sous l'angle de leur motivation, des moyens soulevés par l'intéressée.  
 
2.  
 
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter les constatations de l'autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes ou découlent d'une violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 et les références citées). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références citées). Si elle souhaite obtenir un complètement de l'état de fait, elle doit aussi démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux autorités précédentes, en conformité avec les règles de la procédure, les faits juridiquement pertinents à cet égard et les moyens de preuve adéquats (ATF 140 III 86 consid. 2). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s'écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 130 I 258 consid. 1.3).  
 
2.2. Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF). Cette exception vise les faits qui sont rendus pertinents pour la première fois par la décision attaquée; peuvent notamment être introduits des faits nouveaux concernant le déroulement de la procédure devant l'instance précédente, afin d'en contester la régularité (par exemple une violation du droit d'être entendu lors de mesures probatoires) ou encore des faits postérieurs à l'arrêt attaqué permettant d'établir la recevabilité du recours (ATF 139 III 120 consid. 3.1.2; 136 III 123 consid. 4.4.3; arrêt 4A_434/2021 du 18 janvier 2022 consid. 2.2 et les références citées). En revanche, la partie recourante ne saurait introduire des faits ou moyens de preuve qu'elle a négligé de soumettre aux autorités cantonales (ATF 136 III 123 consid. 4.4.3).  
 
2.3. En l'occurrence, les parties ont produit diverses pièces nouvelles à l'appui de leurs écritures respectives. Cela étant, il n'apparaît pas que les documents en question relèveraient de l'exception prévue à l'art. 99 al. 1 LTF. Il n'en sera dès lors pas tenu compte.  
 
3.  
 
3.1. Lorsqu'il existe une convention internationale, les actes d'entraide sont exécutés conformément aux dispositions du traité. En matière de commissions rogatoires, il s'agit, en particulier, des dispositions de la CLaH70. Comme le Royaume-Uni et la Suisse ont ratifié la CLaH70, ce traité est applicable dans le cas présent.  
 
3.2. La procédure à suivre pour l'exécution de la demande d'entraide judiciaire internationale est réglée par le droit de procédure de l'Etat requis, en l'occurrence la Suisse. Le tribunal qui procède à l'exécution de la commission rogatoire applique donc la législation de son pays en ce qui concerne les formes à suivre (art. 9 § 1 CLaH70), par quoi il faut entendre aussi bien les règles formelles que les règles matérielles de son droit de procédure civile; la procédure à suivre est ainsi régie par le Code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC; RS 272), en l'occurrence par les normes sur la procédure sommaire (art. 248 ss CPC en relation avec l'art. 339 al. 2 CPC; ATF 142 III 116 consid. 3.3 et les références citées; arrêt 5A_362/2018, précité, consid. 2.2 non publié aux ATF 145 III 422).  
 
4.  
Dans un premier moyen, la recourante reproche à la cour cantonale d'avoir enfreint l'art. 12 CLaH70 et, partant, d'avoir rejeté, à tort, la demande d'entraide judiciaire litigieuse. 
 
4.1. L'Etat requis - en l'occurrence la Suisse - peut refuser d'exécuter la commission rogatoire, notamment s'il existe un motif de refus admis par la CLaH70.  
Aux termes de l'art. 12 § 1 CLaH70, l'exécution de la commission rogatoire ne peut être refusée que dans la mesure où l'exécution, dans l'Etat requis, ne rentre pas dans les attributions du pouvoir judiciaire (let. a) ou l'Etat requis la juge de nature à porter atteinte à sa souveraineté ou à sa sécurité (let. b). Selon l'art. 12 § 2 CLaH70, l'exécution ne peut être refusée pour le seul motif que la loi de l'Etat requis revendique une compétence judiciaire exclusive dans l'affaire en cause ou ne connaît pas de voies de droit répondant à l'objet de la demande portée devant l'autorité requérante. 
 
4.2. Dans l'arrêt attaqué, la cour cantonale expose que les notions d'atteintes à la souveraineté ou à la sécurité doivent être interprétées de manière étroite, celles-ci ne correspondant pas au concept interne d'ordre public, lequel est plus large. Se référant notamment au consid. 3.2 de l'ATF 142 III 116, elle souligne qu'il y a atteinte à la souveraineté ou à la sécurité de la Suisse lorsque l'exécution de la requête porte atteinte aux droits fondamentaux des personnes concernées, respectivement aux principes fondamentaux du droit de procédure civile suisse. Elle indique que l'Etat requis doit refuser la demande d'entraide judiciaire lorsque celle-ci s'avère impossible à exécuter dans les faits ou qu'elle est incompatible avec sa politique législative ou gouvernementale.  
L'autorité précédente relève, dans la foulée, que les organes étatiques et les particuliers doivent, selon l'art. 5 al. 3 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 de la Confédération suisse (Cst.; RS 101), agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. Elle rappelle aussi que quiconque participe à la procédure civile est tenu de se conformer aux règles de la bonne foi (art. 52 CPC) et que l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé (art. 2 al. 2 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 [CC; RS 210]). 
Passant ensuite à l'examen des circonstances du cas concret, la cour cantonale constate que l'accès de l'institution F.________ au dossier dans le cadre de la procédure pénale ouverte en Suisse à l'encontre de E.________ a été limité, en ce sens que la société précitée n'a notamment pas pu lever des copies des documents relatifs au compte n...., car il existait un risque concret qu'elle les transmette à l'Etat Y.________. Elle observe également qu'une procédure pénale a été initiée dans l'Etat précité à l'encontre de ce même individu et que l'Etat Y.________ a adressé en 2021, dans ce cadre-là, une demande d'entraide judiciaire en matière pénale au MPC aux fins notamment d'obtenir les documents bancaires sus-visés. Dans ces conditions particulières, l'autorité précédente estime que les juridictions civiles suisses ne peuvent pas faire droit à la demande d'entraide judiciaire civile présentée par l'autorité britannique saisie de la demande en paiement formée par l'institution F.________ à l'encontre notamment de E.________ et de B.________, laquelle porte sur le même complexe de faits. A son avis, faire droit à la demande d'entraide judiciaire en matière civile aurait pour effet de contourner la procédure d'entraide pénale internationale initiée en Suisse sur requête de l'Etat Y.________ et de vider celle-ci de sa substance, ce qui serait vraisemblablement contraire aux principes fondamentaux du droit suisse. Autoriser la transmission des documents visés par la demande d'entraide judiciaire civile aurait pour conséquence que l'institution F.________ aurait alors vraisemblablement pleinement accès à ceux-ci dans le cadre de la procédure britannique, alors même que le TPF a limité cet accès dans le cadre de la procédure pénale conduite en Suisse. Tant que les autorités pénales suisses ne se sont pas définitivement prononcées sur la requête d'entraide judiciaire internationale en matière pénale formée par l'Etat Y.________, la cour cantonale considère que les instances civiles suisses ne peuvent ainsi pas admettre la demande d'entraide judiciaire requise par l'autorité britannique dans le cadre de la procédure civile opposant également l'institution F.________ à E.________ et portant sur un complexe de faits identique, sous peine de rendre une décision contradictoire aux conséquences irréparables. La circonstance selon laquelle la demande d'entraide judiciaire civile émane à l'origine de A.________ SA, laquelle revêt la qualité de partie défenderesse dans le procès civil britannique, n'y change rien selon l'autorité précédente, celle-ci soulignant au demeurant que l'absence de preuves s'agissant de l'existence même des comptes bancaires concernés par la demande d'entraide judiciaire semble profitable à la banque. 
 
4.3.  
 
4.3.1. Dans son mémoire de recours, l'intéressée fait valoir que la cour cantonale ne pouvait pas refuser la requête d'entraide judiciaire litigieuse, sous prétexte qu'il existe un risque que les documents visés par ladite requête puissent éventuellement être utilisés à d'autres fins. Seul est en effet décisif le point de savoir si l'exécution de la commission rogatoire risque en elle-même de porter atteinte à la souveraineté ou à la sécurité de l'Etat requis. La recourante est aussi d'avis que l'abus de droit auquel se réfère la juridiction cantonale dans l'arrêt querellé ne constitue nullement une atteinte à la souveraineté ou à la sécurité de la Suisse. A cet égard, elle observe que B.________ n'est, en réalité, pas partie à la procédure d'entraide pénale internationale pendante en Suisse, de sorte que celui-ci ne saurait se prévaloir d'un quelconque abus de droit ni d'un risque de prononcé de décisions contradictoires. La recourante soutient aussi que le refus d'accéder à la demande d'entraide judiciaire litigieuse a pour effet de la pénaliser sur le plan procédural puisque cela revient à la priver de la possibilité de faire valoir pleinement ses droits et moyens de preuve y relatifs dans le cadre du procès britannique. A cet égard, elle rappelle qu'elle n'a pas eu d'autres choix que de passer par la voie de l'entraide judiciaire internationale en matière civile afin de pouvoir produire les documents en question dans la procédure pendante en Angleterre.  
L'intéressée réfute enfin l'affirmation de la cour cantonale selon laquelle l'absence de production des pièces en question établissant l'existence même des relations bancaires litigieuses servirait ses intérêts. Sur ce point, elle souligne que la procédure civile anglaise obéit à des règles qui diffèrent sensiblement de celles régissant un procès civil suisse ordinaire. La procédure civile anglaise exige en effet d'une partie qu'elle expose intégralement sa ligne de défense, y compris lorsqu'elle conteste les allégations du demandeur, puis qu'elle divulgue les documents étayant ses arguments. Dans ces conditions, la recourante estime que l'autorité précédente ne pouvait pas rejeter la demande d'entraide judiciaire sur la base de l'art. 12 § 1 let. b CLaH70. 
 
4.3.2. Dans leur réponse, les intimés rétorquent que ce n'est pas le risque que les moyens de preuve en question soient utilisés à d'autres fins qui a conduit la cour cantonale à retenir l'existence d'une atteinte à la souveraineté ou à la sécurité de la Suisse mais bel et bien la circonstance selon laquelle l'admission de la requête d'entraide judiciaire civile reviendrait à contourner la procédure d'entraide en matière pénale pendante en Suisse. Ils font aussi valoir que, contrairement à ce qu'affirme leur adverse partie, B.________ revêt effectivement la qualité de partie dans le cadre de la procédure d'entraide internationale en matière pénale, si bien qu'on ne saurait dénier à ce dernier le droit de se prévaloir du risque que les autorités suisses puissent rendre des décisions contradictoires. Ils soulignent enfin que le point de savoir si le refus d'accéder à la demande d'entraide judiciaire litigieuse sert ou non les intérêts de la recourante est dénué de toute pertinence.  
 
4.3.3. Dans sa réplique, la recourante, dénonçant pour la première fois un établissement manifestement inexact des faits, reproche à la cour cantonale d'avoir constaté que B.________ s'était valablement opposé à la procédure d'entraide internationale en matière pénale. A cet égard, elle fait valoir qu'il n'est pas établi que ce dernier se serait vu reconnaître la qualité de partie à ladite procédure. L'intéressée relève, par ailleurs, que l'on ne saurait en l'occurrence reprocher au Royaume-Uni d'avoir voulu, en présentant la requête d'entraide judiciaire en matière civile, contourner la procédure d'entraide internationale en matière pénale ouverte sur requête d'un autre Etat.  
 
4.3.4. Dans leur duplique, les intimés maintiennent leur position et rétorquent que le grief d'établissement manifestement inexact des faits, soulevé pour la première fois au stade de la réplique, est irrecevable. Ils réfutent aussi l'affirmation de leur adversaire selon laquelle B.________ ne bénéficierait pas de la qualité de partie dans le cadre de la procédure d'entraide internationale en matière pénale. Ils prétendent que la demande d'entraide judiciaire litigieuse, pilotée par l'institution F.________, et donc par l'Etat Y.________, est en l'occurrence constitutive d'un abus de droit, dès lors qu'elle revient à appliquer un droit dans des circonstances telles que le résultat serait inadmissible.  
 
4.4. Les arguments avancés par les parties ayant été exposés ci-dessus, il convient d'en examiner les mérites à la lumière des principes juridiques gouvernant l'interprétation des traités internationaux.  
 
4.4.1. Lorsqu'il est amené à interpréter le sens que revêtent certains termes utilisés dans un traité international, le Tribunal fédéral se fonde sur les art. 31 ss de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (RS 0.111; ci-après: CV), qui codifient en substance le droit coutumier international (ATF 145 II 339 consid. 4.4.1; 122 II 234 consid. 4c; arrêt 4A_492/2021 du 24 août 2022 consid. 6.4.2 destiné à la publication).  
 
4.4.2. L'art. 31 par. 1 CV prévoit qu'un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. En plus du contexte, lequel inclut notamment le texte du traité ainsi que le préambule et les annexes (cf. art. 31 par. 2 CV), il sera tenu compte, selon l'art. 31 par. 3 CV, de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l'interprétation du traité ou de l'application de ses dispositions (let. a); de toute pratique ultérieurement suivie dans l'application du traité par laquelle est établi l'accord des parties à l'égard de l'interprétation du traité (let. b) et de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties (let. c). Les travaux préparatoires et les circonstances dans lesquelles le traité a été conclu constituent des moyens complémentaires d'interprétation lorsque l'interprétation donnée conformément à l'art. 31 CV laisse le sens ambigu ou obscur ou conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable (cf. art. 32 CV).  
L'art. 31 par. 1 CV fixe un ordre de prise en compte des éléments de l'interprétation, sans toutefois établir une hiérarchie juridique obligatoire entre eux. Le sens ordinaire du texte du traité constitue le point de départ de l'interprétation. Ce sens ordinaire des termes doit être dégagé de bonne foi, en tenant compte de leur contexte et à la lumière de l'objet et du but du traité. L'objet et le but du traité correspondent à ce que les parties voulaient atteindre par le traité. L'interprétation téléologique garantit, en lien avec l'interprétation selon la bonne foi, l'effet utile du traité. Lorsque plusieurs significations sont possibles, il faut choisir celle qui permet l'application effective de la clause dont on recherche le sens, en évitant d'aboutir à une interprétation en contradiction avec la lettre ou l'esprit des engagements pris. Un Etat contractant doit partant proscrire tout comportement et toute interprétation qui aboutiraient à éluder ses engagements internationaux ou à détourner le traité de son sens et de son but (ATF 144 II 130 consid. 8.2.1 et les références citées; arrêt 4A_492/2021, précité, consid. 6.4.2 destiné à la publication et les références citées). 
 
4.4.3. Lorsqu'un traité a été authentifié en deux ou plusieurs langues, son texte fait foi dans chacune de ces langues, à moins que le traité ne dispose ou que les parties ne conviennent qu'en cas de divergence un texte déterminé l'emportera (art. 33 par. 1 CV).  
La CLaH70 a été rédigée en français et en anglais, de sorte que chacune des deux langues fait foi. 
 
4.5.  
 
4.5.1. L'art. 12 § 1 let. b CLaH70 a la teneur suivante dans les langues française et anglaise:  
 
" L'exécution de la commission rogatoire ne peut être refusée que dans la mesure où: 
b. l'Etat requis la juge de nature à porter atteinte à sa souveraineté ou à sa sécurité. " 
" The execution of a Letter of Request may be refused only to the extent that: 
b. the State addressed considers that its sovereignty or security would be prejudiced thereby." 
A la lecture de cette disposition conventionnelle, force est de relever que sa formulation est similaire dans les deux langues faisant foi (WOLF ZUR NIEDEN, Zustellungsverweigerung rechtsmissbräuchlicher Klagen in Deutschland nach Artikel 13 des Haager Zustellungsübereinkommens, 2010, p. 73; ANJA COSTAS-PÖRKSEN, Anwendungsbereich und ordre public-Vorbehalt des Haager Zustellungsübereinkommen, 2015, p. 98 s.). Il ressort du texte même de l'art. 12 § 1 let. b CLaH70, et singulièrement des termes " ne peut être refusée que dans la mesure où " (" may be refused only to the extent that "), que l'exécution d'une commission rogatoire satisfaisant aux exigences formelles prévues par ladite convention ne peut être refusée par l'Etat requis que pour les motifs énumérés de manière exhaustive à l'art. 12 CLaH70 (GAUTHEY/MARKUS, L'entraide judiciaire internationale en matière civile, 2014, n. 291; cf. aussi les Conclusions et Recommandations de la Commission spéciale sur le fonctionnement pratique des Conventions Notification, Preuves et Accès à la justice, mai 2014, n. 16). 
L'interprétation littérale opérée de bonne foi de la disposition topique laisse en outre apparaître que c'est l' exécution elle-même de la commission rogatoire, et non la finalité de celle-ci, qui est décisive pour apprécier si celle-ci est susceptible de porter atteinte à la souveraineté ou à la sécurité de l'Etat requis (LAURENT LÉVY, Entraide judiciaire internationale en matière civile, in L'entraide judiciaire internationale en matière pénale, civile, administrative et fiscale, Junod/Hirsch [éd.], 1986, p. 94; OCTAVIAN CAPATINA, L'entraide judiciaire internationale en matière civile et commerciale, in Recueil des cours, Académie de droit international, 1983 I p. 371). En d'autres termes, rien ne permet d'inférer du texte de l'art. 12 CLaH70 que le juge saisi d'une demande d'entraide judiciaire internationale en matière civile devrait s'interroger sur l'utilisation éventuelle des moyens de preuve visés par une telle demande à d'autres fins. Semblable lecture, fondée sur le sens ordinaire des termes du traité, est du reste corroborée par le Manuel pratique sur le fonctionnement pratique de la Convention preuves établi par le Bureau Permanent de la Conférence de La Haye de droit international privé. Si les informations que renferme ce commentaire pratique ne présentent certes aucun caractère contraignant, il n'en demeure pas moins que celui-ci constitue un document utile en vue d'interpréter et d'appliquer les dispositions de la CLaH70. Or, ledit manuel pratique confirme qu'il y a lieu de faire abstraction des autres aspects de la procédure ou de l'utilisation future possible des preuves visées par la demande d'entraide pour déterminer si l'exécution d'une commission rogatoire est susceptible de porter atteinte à la souveraineté ou à la sécurité de l'Etat requis (Manuel pratique sur le fonctionnement pratique de la Convention preuves établi par le Bureau Permanent de la Conférence de La Haye de droit international privé, 4e éd. 2020, n. 358 [cité ci-après: Commentaire pratique La Haye]).  
La lecture de l'art. 12 CLaH70 permet de constater que les motifs exhaustifs susceptibles de justifier le refus d'exécuter une commission rogatoire ont trait uniquement à la " souveraineté " et à la " sécurité " de l'Etat requis. Ainsi, il n'est fait à aucun moment mention d'une éventuelle possibilité de rejeter une telle demande pour des considérations liées à une éventuelle incompatibilité avec l'ordre public national de l'Etat requis. Rien ne permet ainsi, a priori, de retenir que les notions d'atteintes à la souveraineté ou à la sécurité pourraient être assimilées à celle de contrariété à l'ordre public interne de l'Etat requis.  
 
4.5.2. Si l'on examine le contexte, l'objet et le but du traité, on constate, à la lecture du préambule de la CLaH70, que l'objectif poursuivi par les Etats signataires était de faciliter la transmission et l'exécution des commissions rogatoires ainsi que d'accroître l'efficacité de la coopération judiciaire mutuelle en matière civile ou commerciale. Dans la mesure où la volonté affichée par les Etats concernés consiste à renforcer leur coopération mutuelle dans le domaine de l'entraide judiciaire en matière civile, il s'ensuit logiquement que les exceptions permettant à l'Etat requis de s'opposer à l'exécution d'une requête d'entraide judiciaire doivent être appréciées strictement (Commentaire pratique La Haye, n. 305). Par voie de conséquence, les notions d'atteintes à la souveraineté ou à la sécurité doivent être interprétées de manière restrictive. Une telle approche va dans le sens de la jurisprudence rendue jusqu'ici par le Tribunal fédéral, lequel a notamment considéré que de telles notions devaient " être interprétées de manière étroite " (ATF 142 III 116 consid. 3.2). Une interprétation restrictive de la portée de l'art. 12 § 1 let. b CLaH70 correspond du reste à la position défendue par l'Office fédéral de la justice (cf. Lignes directrices, Entraide judiciaire internationale en matière civile, 3e éd. 2003 [état: janvier 2013], p. 14). Cette conception stricte des notions d'atteintes à la souveraineté ou à la sécurité explique certainement la rareté des cas dans lesquels l'exécution de commissions rogatoires a été refusée sur le vu de tels motifs (Commentaire pratique La Haye, n. 317; PAUL VOLKEN, Die internationale Rechtshilfe in Zivilsachen, 1996, n. 151; CHRISTINE BLASCHCZOK, Das Haager Übereinkommen über die Beweisaufnahme im Ausland in Zivil- oder Handelssachen, 1986, p. 146 s.; cf. aussi le rapport établi en décembre 1977 par le Bureau permanent de la Conférence de La Haye de droit international privé concernant les travaux de la commission spéciale sur le fonctionnement de la convention du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, p. 4).  
 
4.5.3. L'interprétation de bonne foi de l'art. 12 § 1 let. b CLaH70 suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but laisse ainsi apparaître que les notions d'atteintes à la souveraineté ou à la sécurité ne sont non seulement pas synonymes d'incompatibilité avec l'ordre public national de l'Etat requis mais sont aussi plus étroites que ledit concept.  
 
4.5.4. S'il subsistait encore à ce stade des doutes quant à la portée très limitée des motifs de refus visés par l'art. 12 § 1 let. b CLaH70, le recours aux moyens complémentaires d'interprétation selon l'art. 32 CV confirme que les notions d'atteintes à la souveraineté et à la sécurité sont plus restrictives que celle de contrariété à l'ordre public interne suisse.  
Les motifs de refus énoncés à l'art. 12 § 1 let. b CLaH70 sont identiques à ceux prévus par l'art. 13 § 1 de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (CLaH65; RS 0.274.131). Ces deux conventions ont repris verbatim les mêmes motifs matériels de refus que ceux figurant dans la Convention de La Haye du 1er mars 1954 relative à la procédure civile (CLaH54; RS 0.274.12; cf. Message du 8 septembre 1993 concernant la ratification de quatre instruments internationaux relatifs à l'entraide judiciaire en matière civile et commerciale, FF 1993 III 1198). Lesdits motifs correspondaient du reste déjà à ceux prévus dans les conventions éponymes adoptées les 14 novembre 1896 et 17 juillet 1905. Aussi le recours aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles ces différents traités internationaux ont été conclus présente-t-il un intérêt certain pour mieux appréhender la portée des notions d'atteintes à la souveraineté et à la sécurité.  
 
4.5.4.1. Au cours des discussions menées à La Haye dans les années 1893 - 1894 en vue de l'élaboration de la première convention internationale relative aux questions de procédure civile, les Etats concernés ont examiné s'il ne valait pas mieux remplacer l'expression " porter atteinte à sa souveraineté ou à sa sécurité " par les termes " porter atteinte à l'ordre public ". Cette proposition a toutefois été expressément rejetée, car la formule liée à l'ordre public a été jugée trop vague et prêtant à l'équivoque. Les concepts de " souveraineté " et de " sécurité " étaient, à leur avis, plus précis et avaient une portée plus limitée (annexe 2 au procès-verbal n. 4 de la séance du 3 juillet 1894, in Actes de la deuxième Conférence de La Haye chargée de réglementer diverses matières de droit international privé, p. 51 s). Dans le cadre de ces négociations, la commission chargée d'élaborer un projet de convention relative à la procédure civile a évoqué plusieurs exemples dans lesquels un refus de donner suite à une demande d'entraide judiciaire internationale fondé sur une atteinte à la souveraineté ou à la sécurité de l'Etat requis était susceptible d'entrer en ligne de compte. Elle a notamment cité le cas où la signification d'actes judiciaires serait employée comme mode de diffusion d'écrits portant atteinte à la constitution ou à la tranquillité de l'Etat requis ou encore l'hypothèse où la commission rogatoire porterait sur des éléments considérés comme secrets dans l'intérêt de l'Etat requis, par exemple si l'on voulait interroger une personne sur un programme militaire (annexe 2 au procès-verbal n. 4 de la séance du 3 juillet 1894, in Actes de la deuxième Conférence de La Haye chargée de réglementer diverses matières de droit international privé, p. 51).  
 
4.5.4.2. Dans un arrêt publié le 13 juin 1901 (ATF 27 I 222), le Tribunal fédéral a souligné le caractère restrictif de cette exception permettant de refuser d'exécuter une demande d'entraide judiciaire internationale en matière civile. A cet égard, il a notamment fait référence au Message du 6 avril 1898 au sujet de la convention de La Haye des 14 novembre 1896 et 22 mai 1897 fixant certaines questions de procédure civile en matière de droit international privé (FF 1898 II 648 s.), dans lequel le Conseil fédéral avait notamment indiqué ce qui suit:  
 
"... la formule consacrée jusqu'ici était que l'exécution ou la signification peuvent être refusées si elles se heurtent aux principes du droit public ou à l'ordre public de l'Etat requis... Le système actuel n'a pas trouvé de défenseurs convaincus à la conférence de La Haye. On a préféré ouvrir largement les portes, renoncer au particularisme et aux intérêts spéciaux qui trop souvent se réclamaient de l'ordre public, du droit public; on a admis d'un commun accord que, dans le domaine international, on ne peut considérer comme relevant de l'ordre public, que les seules institutions auxquelles il ne saurait être porté atteinte sans modifier, ébranler, détruire même l'ordre social ou constitutionnel du pays; en réservant les droits de souveraineté et la sécurité de l'Etat, la conférence a estimé le sauvegarder suffisamment contre toutes réquisitions ou prétentions émanant d'un pays étranger, qui seraient contraires à son ordre public. Nous ne croyons pas que la Suisse ait besoin d'entourer l'ordre public de plus amples garanties... ". 
 
4.5.4.3. Lors des négociations menées ultérieurement en vue de l'adoption de la Convention de La Haye relative à la procédure civile de 1905 (CLaH05), la proposition faite par l'un des Etats d'élargir le spectre des motifs permettant de refuser l'octroi de l'entraide judiciaire aux cas d'atteintes " à d'autres intérêts sociaux essentiels du pays " a été écartée (annexe au procès-verbal n. 6 de la séance du 2 juin 1904, in Actes de la quatrième Conférence de La Haye pour le droit international privé, p. 88).  
 
4.5.4.4. Invité à se prononcer sur une affaire dans laquelle le Tribunal d'appel tessinois avait refusé de donner suite à une commission rogatoire en application de l'art. 11 § 3 ch. 3 CLaH05 dont la teneur était similaire à celle de l'art. 12 § 1 let. b CLaH70, le Tribunal fédéral a considéré que la contrariété à l'ordre public tessinois admise par la cour cantonale ne suffisait pas à retenir l'existence d'une atteinte à la souveraineté ou à la sécurité de l'Etat requis. Sur ce point, il a notamment souligné que les Etats parties avaient cherché à restreindre les motifs permettant de rejeter une demande d'entraide judiciaire internationale en matière civile. Il ne suffisait dès lors pas de soutenir que l'exécution de la commission rogatoire était incompatible avec l'ordre public de l'Etat requis mais il fallait bel et bien que l'acte en question soit susceptible de porter atteinte à la souveraineté ou à la sécurité dudit Etat (ATF 41 I 328 consid. 3).  
 
4.5.4.5. Dans son rapport établi en 1964, la commission spéciale de la Conférence de La Haye chargée d'élaborer un projet dans le domaine de la notification internationale des actes judiciaires a indiqué que l'expression " porter atteinte à la souveraineté ou à la sécurité " l'avait encore emporté sur la formulation d'atteinte à l'ordre public, cette dernière pouvant s'avérer dangereuse, vu son caractère imprécis, et conduire à des refus basés sur un esprit hostile à l'entraide internationale. Elle a en outre insisté sur sa volonté de limiter les cas de refus à ceux où la notification était susceptible de léser la sécurité interne des Etats ou leur souveraineté (rapport de la commission spéciale présenté par M. Vasco Taborda Ferreira, in Actes et documents de la dixième session de la Conférence de La Haye de droit international privé, tome III, p. 85). La formulation proposée par ladite commission a été acceptée sans susciter de discussions particulières. Dans son rapport explicatif accompagnant la CLaH65, le rapporteur a notamment indiqué ce qui suit:  
 
" Refus d'entraide (article 13) 
-. L'article 13 a voulu restreindre au maximum les cas de refus d'entraide. L'exécution de la demande peut être refusée uniquement en cas d'offense à l'ordre public portant atteinte à la souveraineté ou à la sécurité de l'Etat. 
On a voulu limiter l'ordre public par l'emploi des mots souveraineté et sécurité. Ces mots sont imprécis mais sont susceptibles de répondre au but poursuivi. L'expression souveraineté serait équivalente à ordre public international.  
D'autre part la convention a précisé que le refus peut seulement avoir lieu quand l'exécution de la demande pourrait de l'avis de l'Etat requis, porter atteinte à sa souveraineté et à sa sécurité. De l'introduction du mot exécution dans l'article en question, il résulte que, d'après la convention, la demande, comme telle, ne pourra jamais porter atteinte à la souveraineté et à la sécurité, même si, par exemple, elle concerne une institution méconnue par l'Etat requis ou à laquelle il s'oppose. La demande pourra seulement être refusée si du fait de l'exécution, résulte une atteinte à la souveraineté ou à la sécurité...  
L'alinéa 2 de l'article 13 doit être considéré comme interprétatif de l'alinéa premier et renforce l'interprétation très stricte que nous venons de donner. 
-. 
L'exécution de la demande ne préjuge pas de la reconnaissance de l'exécution ultérieure. Le pays requis pourra, malgré l'exécution de la demande d'assignation, ne pas reconnaître et exécuter la décision rendue par les tribunaux du pays requérant à la suite de cette assignation...." (rapport explicatif de M. V. Taborda Ferreira, in Actes et documents de la dixième session de la Conférence de La Haye de droit international privé, tome III, p. 375 s.). 
 
4.5.4.6. Au cours des discussions menées en vue de l'adoption de la CLaH70, la proposition faite par la délégation espagnole de permettre à l'Etat requis de refuser d'exécuter une commission rogatoire si celui-ci la jugeait " de nature à porter atteinte à sa souveraineté, à sa sécurité ou à son ordre public " a été débattue. Celle-ci a toutefois été rejetée à une large majorité. Lors des débats, il a notamment été avancé que les notions d'atteintes à la souveraineté ou à la sécurité correspondaient en substance à celle d'ordre public international (procès-verbal n. 6 de la séance du 14 octobre 1968, in Actes et documents de la onzième session de la Conférence de La Haye de droit international privé, tome IV, p. 114 s.).  
 
4.5.5. A l'issue de ce tour d'horizon des travaux préparatoires des différentes conventions relatives à des questions de procédure civile élaborées dans le cadre des divers instruments de la Conférence de La Haye sur le droit international privé, il apparaît ainsi que les concepts d'atteintes à la souveraineté ou à la sécurité doivent être appréciés restrictivement et qu'ils ont une portée plus étroite que celle d'incompatibilité avec l'ordre public interne de l'Etat requis.  
Semblable interprétation correspond du reste à l'avis préconisé par de très nombreux auteurs (ANDREAS L. MEIER, Die Anwendung des Haager Übereinkommens in der Schweiz, 1999, p. 199; VOLKEN, op. cit., n. 108 et 148 s.; GAUTHEY/MARKUS, op. cit., n. 299 et les références citées; KREN KOSTKIEWICZ/RODRIGUEZ, Internationale Rechtshilfe in Zivilsachen, 2013, n. 299; ZUR NIEDEN, op. cit., p. 85; PHILIPP KLAUS, Verfahren nach dem Haager Beweisübereinkommen, PCEF 2016 p. 307 note infrapaginale 85 et la référence citée; MARKUS/RODRIGUEZ, Neuerungen in der internationalen Rechtshilfe in Zivilsachen - neue internationale Gesetzgebung und die Schweiz, in Internationale Amts- und Rechtshilfe in Steuer- und Finanzmarktsachen, Breitenmoser/Ehrenzeller [éd.], 2009, p. 128; WALTER/DOMEJ, Internationales Zivilprozessrecht der Schweiz, 5e éd. 2012, p. 378; LÖTSCHER-STEIGER/LÖTSCHER/MEYER LÓPEZ, Rechtshilfe in Zivilsachen, in Die grenzüberschreitende Zusammenarbeit der Schweiz, Tschudi et al. [éd.], 2014, n. 36; FRIDOLIN WALTHER, in Internationales Privat- und Verfahrensrecht, Texte und Erläuterungen, Walter/Jametti Greiner/Schwander [éd.], 10. Ergänzungslieferung, février 2003, vol. II, no 43 ad § 61b et note infrapaginale 79; OLIVER KNÖFEL, in Internationaler Rechtsverkehr in Zivil- und Handelssachen, 65. Ergänzungslieferung, mai 2022, Geimer/Schütze/Hau [éd.], vol. I, no 11 ad art. 12 CLaH70; NICOLA INGLESE, Das Beweisausforschungsverbot, 2017, p. 251; BARTOSZ SUJECKI, in Internationaler Rechtsverkehr in Zivil- und Handelssachen, 65. Ergänzungslieferung, mai 2022, Geimer/Schütze/Hau [édit.], vol. I, no 16 ad art. 13 CLaH65; cf. aussi Commentaire pratique La Haye, n. 314 et 347 s.). 
Il y a lieu ainsi de comprendre le considérant 3.2 de l'arrêt publié au ATF 142 III 116, en ce sens qu'une violation des principes fondamentaux du droit de procédure civile suisse n'est susceptible de porter atteinte à la souveraineté ou à la sécurité de la Suisse au sens de l'art. 12 § 1 let. b CLaH70 que lorsqu'il est question de la violation de principes de procédure fondamentaux reconnus par l'ordre public international, parmi lesquels figure notamment le respect du droit d'être entendu des personnes touchées dans leurs droits par l'exécution d'une demande d'entraide judiciaire, celles-ci devant ainsi avoir pu bénéficier de la possibilité de s'exprimer dans le procès au fond à l'étranger avant l'exécution de ladite commission rogatoire (ATF 145 III 422 consid. 4.2; 142 III 116 consid. 3.2 et 3.5). 
 
4.6. Eu égard au fait que les notions d'atteintes à la souveraineté ou à la sécurité visées par l'art. 12 § 1 let. b CLaH70 doivent faire l'objet d'une interprétation restrictive, la Cour de céans juge que la solution retenue par l'autorité précédente ne résiste pas aux critiques dont elle est l'objet de la part de la recourante.  
C'est le lieu de rappeler ici qu'il convient d'apprécier le problème litigieux en se demandant si l'exécution même de la commission rogatoire litigieuse est susceptible de porter atteinte à la souveraineté ou à la sécurité de l'Etat requis, en faisant ainsi abstraction de la possibilité que les moyens de preuve sollicités puissent être utilisés à d'autres fins. Or, il n'apparaît pas évident d'admettre que l'exécution de la commission rogatoire litigieuse serait per se de nature à porter atteinte à la sécurité ou à la souveraineté de la Suisse. La Cour de céans ne discerne pas davantage en quoi l'admission de ladite commission rogatoire serait éventuellement incompatible avec l'ordre public international.  
La cour cantonale ne peut pas davantage être suivie lorsqu'elle cherche à s'abriter derrière les principes de la bonne foi et de l'interdiction de l'abus de droit pour justifier son refus d'exécuter la commission rogatoire litigieuse. Même à supposer que de tels principes fassent partie de l'ordre public international, l'exécution de la commission rogatoire ne saurait en effet être en l'occurrence taxée d'abusive ou d'incompatible avec les règles de la bonne foi. Il n'est en particulier pas possible de se rallier à la thèse selon laquelle l'exécution de la commission litigieuse reviendrait à contourner la procédure d'entraide internationale en matière pénale pendante en Suisse. A cet égard, il faut en effet bien voir que les deux procédures en question sont de nature différente, que celles-ci ne concernent pas nécessairement les mêmes parties et que les Etats requérant l'entraide internationale de la part de la Suisse sont distincts. L'objectif poursuivi par les deux Etats concernés diverge également puisque l'un cherche à permettre à une partie de pouvoir produire ses moyens de preuve afin de défendre ses droits dans un procès civil tandis que l'autre entend récolter des éléments dans le cadre des investigations pénales qu'il mène sur son territoire. 
L'affirmation des intimés selon laquelle la demande d'entraide judiciaire civile présentée par l'autorité judiciaire britannique serait en réalité " pilotée " par l'institution F.________ et donc par l'Etat Y.________ n'emporte pas non plus la conviction de la Cour de céans. Il faut en effet bien voir que c'est la recourante, laquelle revêt la qualité de défenderesse dans le procès britannique, qui, pour pouvoir faire valoir licitement ses moyens de défense eu égard aux obligations liées au secret bancaire qui pèsent sur elle, a demandé aux juges britanniques de solliciter l'entraide judiciaire internationale auprès de la Suisse. Lorsqu'un juge étranger ordonne à une banque sise en Suisse de produire certaines pièces bancaires, cette dernière ne peut pas donner suite à une telle requête, eu égard aux sanctions pénales auxquelles elle s'expose au regard de l'art. 47 de la loi fédérale du 8 novembre 1934 sur les banques et les caisses d'épargne (LB; RS 952.0). En dehors du maître du secret, seule une autorité suisse - en l'occurrence le juge suisse saisi d'une demande d'entraide judiciaire internationale - peut en effet délier la banque du secret bancaire (DANIELLE GAUTHEY, Ausgewählte Fragen aus der internationalen Rechtshilfe in Zivilsachen unter besonderer Berücksichtigung des Bank- und Steuerdatentransfers, in Internationale Amts- und Rechtshilfe in Steuer- und Finanzmarktsachen, Breitenmoser/Ehrenzeller [éd.], 2017, p. 36). 
Dans ces circonstances, on ne saurait ainsi priver la recourante du droit de se défendre par tous les moyens jugés utiles à ses yeux, - étant précisé qu'il n'appartient pas à l'Etat requis de se prononcer sur le point de savoir si la production ou non par l'intéressée des moyens de preuve visés par la commission rogatoire litigieuse sert ou non ses intérêts -, sous prétexte que le droit de l'une des parties au litige de lever des copies de certains des documents en question a été limité dans une autre procédure pendante en Suisse. Admettre le contraire reviendrait en effet à porter une atteinte inadmissible aux droits de la défense de la recourante. 
Par surabondance, on relèvera encore que les intimés, s'ils estiment que cela est nécessaire à la sauvegarde de leurs intérêts, conserveront la possibilité de demander au tribunal britannique saisi de l'action introduite par l'institution F.________ de prendre des mesures similaires à celles adoptées par le TPF aux fins d'éviter que la société précitée ne puisse effectuer des copies de certains documents bancaires. 
 
4.7. Au vu de ce qui précède, le moyen pris de la violation de l'art. 12 § 1 let. b CLaH70 s'avère fondé, raison pour laquelle le recours doit être admis. L'arrêt attaqué est dès lors réformé en ce sens que la demande d'entraide judiciaire internationale en matière civile présentée le 17 janvier 2022 par The Senior Master of the Senior Courts of England and Wales est admise, ordre étant donné à la recourante de produire les documents listés dans l'annexe 2 de ladite commission rogatoire dès réception du présent arrêt motivé. Au surplus, la cause est renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure cantonale.  
 
5.  
Les intimés, qui succombent, seront condamnés solidairement à payer les frais de la procédure fédérale (art. 66 al. 1 et 5 LTF) et à verser une indemnité à titre de dépens à la recourante (art. 68 al. 1, 2 et 4 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis. 
 
2.  
L'arrêt attaqué est réformé en ce sens que la demande d'entraide judiciaire internationale en matière civile présentée le 17 janvier 2022 par The Senior Master of the Senior Courts of England and Wales est admise, ordre étant donné à la recourante de produire les documents listés dans l'annexe 2 de ladite commission rogatoire dès réception du présent arrêt motivé. 
 
3.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 15'000 fr., sont mis à la charge des intimés, solidairement entre eux. 
 
4.  
Les intimés sont condamnés solidairement à verser à la recourante une indemnité de 17'000 fr. à titre de dépens. 
 
5.  
La cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure cantonale. 
 
6.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 14 mars 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
Le Greffier : O. Carruzzo