1B_79/2022 26.01.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1B_79/2022  
 
 
Arrêt du 26 janvier 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux 
Müller, Juge présidant, Chaix et Kölz. 
Greffière : Mme Arn. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Philippe Currat, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public de l'Etat de Fribourg, 
place Notre-Dame 4, 1701 Fribourg. 
 
Objet 
Conditions à la détention provisoire, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg du 19 janvier 2022 
(502 2022 3-4). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Le 11 juillet 2021, A.________ a été arrêté et placé en détention provisoire le 14 juillet 2021 jusqu'au 9 septembre 2021, au motif qu'il était notamment soupçonné de s'adonner à un trafic important de marijuana et de haschisch.  
Le 7 septembre 2021, le Ministère public du canton de Fribourg (ci-après: le ministère public) a sollicité la prolongation de cette détention jusqu'au 9 décembre 2021. Le Tribunal des mesures de contrainte (Tmc), après avoir prolongé provisoirement la mesure de contrainte le 8 septembre 2021, a admis la requête du ministère public le 20 septembre 2021; il a toutefois mis les frais judiciaires par 250 fr. à la charge de l'Etat, pour tenir compte du fait que la demande de prolongation n'avait pas été déposée dans le délai de quatre jours de l'art. 227 al. 2 CPP
 
A.b. Le 7 décembre 2021, le ministère public a sollicité une nouvelle prolongation de la détention provisoire pour une durée d'un mois. Le Tmc a prolongé provisoirement la détention le 8 décembre 2021. Le 13 décembre 2021, A.________ s'est opposé à la prolongation de sa privation de liberté, étant prêt à se plier à des mesures de substitution; il a par ailleurs requis du Tmc qu'il constate que le ministère public n'avait à nouveau pas respecté le délai de quatre jours.  
Par décision du 20 décembre 2021, le Tmc a prolongé la détention provisoire du prévenu jusqu'au 9 janvier 2022; il a à nouveau mis les frais judiciaires à la charge de I'Etat compte tenu du non-respect du délai de I'art. 227 al. 2 CPP, tout en précisant que ce retard s'expliquait en raison du fait que le ministère public avait procédé à une audition le 6 décembre 2021. Le Tmc a retenu l'existence de soupçons manifestes d'infractions graves à la LStup et de risques de collusion et de réitération. 
 
A.c. Le 21 décembre 2021, A.________ a déposé une demande de mise en liberté, relevant notamment que le Tmc aurait dû se prononcer sur la demande de prolongation de la détention jusqu'au 18 décembre 2021, ce qu'il n'avait pas fait (cf. art. 227 al. 5 CPP).  
 
B.  
Le 3 janvier 2022, A.________ a déposé un recours auprès de la Chambre pénale du Tribunal cantonal fribourgeois (ci-après: le Tribunal cantonal ou la cour cantonale) contre la décision du 20 décembre 2021, en concluant à sa libération immédiate, à la constatation du caractère illicite de sa détention à compter du 18 décembre 2021 ainsi qu'à l'octroi d'une indemnisation à hauteur de 200 fr. par jour de privation de liberté illicite. 
Le même jour, A.________ a également déposé un recours pour déni de justice, en concluant à ce qu'il soit constaté que le Tmc n'avait pas statué sur sa demande de mise en liberté du 21 décembre 2021 dans le délai de trois jours de l'art. 228 al. 2 CPP; il a réclamé une indemnité pour tort moral de 5'000 fr. à charge de l'Etat, et sa mise en liberté immédiate. 
 
C.  
Le 3 janvier 2022, le ministère public a demandé au Tmc de prononcer la mise en liberté de A.________ moyennant la mise en place de mesures de substitution visant à pallier le risque de réitération, le danger d'une collusion n'étant plus invoqué. Le 4 janvier 2022, le Tmc a avalisé lesdites mesures de substitution acceptées par le prévenu le jour même, et a libéré ce dernier le lendemain. 
 
D.  
Par arrêt du 19 janvier 2022, le Tribunal cantonal a rejeté le recours du 3 janvier 2022 contre la décision du Tmc du 20 décembre 2021, dans la mesure où il conservait encore un objet; il a notamment constaté que le Tmc n'avait pas violé l'art. 227 al. 5 CPP lorqu'il a prolongé la détention provisoire du prévenu le 20 décembre 2021. En revanche, le Tribunal cantonal a partiellement admis le recours pour déni de justice du 3 janvier 2022, dans la mesure où il conservait encore un objet, et a partant constaté que le ministère public n'avait pas transmis la demande de libération du 21 décembre 2021 au Tmc dans le délai de trois jours de l'art. 228 al. 2 CPP. Le Tribunal cantonal a mis les frais de la procédure à la charge de l'Etat et a attribué à l'avocat d'office du prévenu une indemnité de 1'292.40 fr. pour la procédure de recours. 
 
E.  
A.________ forme un recours en matière pénale par lequel il demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler l'arrêt cantonal du 19 janvier 2022, de constater la violation répétée par le ministère public du délai posé par l'art. 227 al. 2 CPP, de constater l'illicéité de sa détention provisoire du 18 décembre 2021 jusqu'au jour de sa libération le 5 janvier 2022 (soit 19 jours) et de lui octroyer une indemnisation pour détention à tort de 200 fr. par jour de détention illicite, soit 3'800 fr. 
Le Tribunal cantonal indique qu'il n'a pas d'observations à formuler et le ministère public se réfère au contenu de sa brève détermination adressée au Tribunal cantonal le 6 janvier 2022. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours en matière pénale (art. 78 al. 1 LTF) est ouvert contre une décision relative à la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté au sens des art. 212 ss CPP. La recevabilité du recours dépend notamment de l'existence d'un intérêt juridique actuel à l'annulation de la décision entreprise (art. 81 al. 1 let. b LTF). De cette manière, les tribunaux sont assurés de trancher uniquement des questions concrètes et non de prendre des décisions à caractère théorique, ce qui répond à un souci d'économie de procédure (ATF 136 I 274 consid. 1.3). En l'espèce, en tant qu'il a vu rejetée sa conclusion en constatation du caractère illicite de sa détention du 18 décembre 2021 jusqu'au jour de sa libération le 5 janvier 2022, le recourant a un intérêt à l'annulation de l'arrêt attaqué. 
En revanche, la conclusion prise par le recourant tendant à la constatation de la violation par le ministère public du délai posé par l'art. 227 al. 2 CPP est sans objet, dès lors qu'un tel constat a déjà été donné par les instances précédentes (cf. arrêt entrepris consid. 2.6). Enfin, les griefs soulevés par le recourant en lien avec la procédure de prolongation de la détention provisoire du 20 septembre 2021 (cf. ci-dessus consid. en fait let. Aa) sont irrecevables, car étrangers à l'objet du présent litige. 
Les autres conditions de recevabilité sont remplies, de sorte qu'il convient d'entrer en matière. 
 
2.  
Dans l'arrêt entrepris, le Tribunal cantonal a tout d'abord constaté une violation de l'art. 228 al. 2 CPP par le ministère public qui n'avait pas transmis la demande de libération du prévenu du 21 décembre 2022 (reçue le lendemain) au Tmc dans le délai de trois jours. Il a donc partiellement admis le recours pour déni de justice et a procédé, dans le dispositif de l'arrêt attaqué, à la constatation de la violation de l'art. 228 al. 2 CPP par le ministère public (cf. arrêt entrepris consid. 2.4.2). L'instance précédente a considéré que la prétention en indemnité de 5'000 fr. à titre de réparation du tort moral était prématurée et devait être rejetée; elle a cependant tenu compte de cette violation en ce qui concernait les frais de procédure (cf. arrêt entrepris consid. 2.6). 
Le Tribunal cantonal a ensuite examiné la prolongation de la détention, objet du recours du 3 janvier 2022, précisant que celle du 20 septembre 2021 n'avait pas été contestée et n'avait donc pas à être revue dans le cadre de la présente procédure. Le Tribunal cantonal a relevé que le ministère public a déposé sa demande de prolongation le mardi 7 décembre 2021 alors que la détention se terminait le 9 décembre 2021, de sorte qu'il avait agi tardivement et avait violé le délai de quatre jours fixé à l'art. 227 al. 2 CPP. Le Tribunal cantonal a souligné que le Tmc avait déjà constaté la violation de ce délai par le ministère public et en avait tenu compte en ce qui concernait les frais (cf. arrêt entrepris consid. 2.5 et 2.6). Le Tribunal cantonal a ensuite considéré que le Tmc n'avait quant à lui pas violé le délai de l'art. 227 al. 5 CPP. Il a en effet constaté que le délai de réplique dont disposait le prévenu arrivait à échéance le lundi 13 décembre 2021, de sorte que le Tmc devait, conformément à cette disposition, statuer au plus tard dans les cinq jours, week-end non compris; dès lors, en rendant sa décision le lundi 20 décembre 2021, le Tmc n'avait pas contrevenu à l'art. 227 al. 5 CPP. Le Tribunal cantonal a donc rejeté le chef de conclusion du recourant tendant à la constatation de l'illicéité de sa détention depuis le 18 décembre 2021. 
 
3.  
Dans son écriture, le recourant reconnaît que les instances précédentes ont constaté que la demande de prolongation de la détention provisoire formée par le ministère public le 7 décembre 2021 avait été déposée tardivement, à savoir moins de quatre jours avant la fin de la période de détention provisoire fixée au 9 décembre 2021 (cf. art. 227 al. 2 CPP). 
Le recourant affirme cependant que, contrairement à l'avis de l'instance précédente, le Tmc n'aurait pas non plus statué à temps sur la prolongation de la détention, à savoir dans le délai de cinq jours prescrit par l'art. 227 al. 5 CPP. Il soutient en substance que, dans la mesure où sa réplique avait été reçue le 13 décembre 2021 par le Tmc, celui-ci disposait d'un délai au 18 décembre 2021 pour statuer; dès lors en ne statuant que le lundi 20 décembre 2021, le Tmc aurait violé les art. 227 al. 4 et 5 CPP, 31 al. 1 Cst. et 5 par. 1 let. c CEDH et sa détention serait illicite dès le 18 décembre 2021. Le recourant souligne que l'arrêt attaqué retiendrait à tort que le délai de l'art. 227 CPP correspondrait à des jours de travail, en se basant sur un arrêt 1B_304/2013 du Tribunal fédéral du 27 septembre 2013 relatif au délai imparti au ministère public par l'art. 228 al. 2 CPP. Pour le recourant, le délai de l'art. 227 al. 5 CPP correspondrait à des jours calendaires et l'art. 90 al. 2 CPP ne serait pas applicable. 
 
3.1. Selon l'art. 31 al. 1 Cst., nul ne peut être privé de sa liberté si ce n'est dans les cas prévus par la loi et selon les formes qu'elle prescrit. L'art. 5 par. 1 CEDH est de teneur analogue; il prévoit expressément la mise en détention préventive d'une personne lorsqu'il y a "des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction".  
Le recourant se prévaut en outre des art. 227 et 228 CPP, intitulés respectivement "Demande de prolongation de la détention provisoire" et "Demande de libération de la détention". 
 
3.2. Dans l'arrêt 1B_304/2013 du 27 septembre 2013 auquel se réfèrent la cour cantonale et le recourant, le Tribunal fédéral a examiné la question du décompte du délai de trois jours fixé par l'art. 228 al. 2 CPP, dont dispose le ministère public pour transmettre au Tmc la demande de libération formée par un prévenu (à laquelle il n'entend pas donner suite), accompagnée de sa prise de position motivée. Le Tribunal fédéral a considéré que ce délai de trois jours se référait à des jours ouvrables ("Arbeitstage"), et non pas à des jours calendaires. Il a souligné que la loi n'exige pas que le ministère public organise un service de piquet durant les week-ends pour réceptionner les demandes de mise en liberté (arrêt 1B_304/2013 du 27 septembre 2013 consid. 2.4; cf. DANIEL LOGOS, in Jeanneret/Kuhn/Perrier Depeursinge [éd.], Commentaire romand CPP, 2e éd. 2019, n° 4 ad art. 228 CPP; FREI/ZUBERBÜHLER ELSÄSSER, in Donatsch/Lieber/Summers/Wohlers [éd.], Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung, 3e éd. 2020, n° 3 ad art. 228 CPP).  
Selon l'art. 227 al. 5 CPP, le Tmc, saisi d'une demande de prolongation (cf. art. 227 al. 2 CPP), statue dans les cinq jours qui suivent la réception de la réplique du prévenu - au sujet de la demande du ministère public - ou l'expiration du délai fixé à l'alinéa 3 (soit trois jours). Contrairement à ce que soutient le recourant, le décompte de ce délai de cinq jours obéit aux règles générales fixées aux art. 90 s. CPP (cf. FREI/ZUBERBÜHLER ELSÄSSER, op. cit., n° 11 ad art. 227 CPP; LOGOS, op. cit., n° 19 ad art. 227 CPP). Ainsi, dans le cas d'espèce, le délai de cinq jours arrivait à échéance le samedi 18 septembre 2021, comme l'affirme d'ailleurs le recourant. Toutefois, conformément aux règles générales en matière de calcul de délai, en particulier l'art. 90 al. 2 CPP, le délai est reporté au premier jour ouvrable qui suit, soit en l'espèce au lundi 20 décembre 2021. Force est donc de constater que le Tmc, en statuant le 20 décembre 2021 sur la prolongation de la détention provisoire du recourant, a respecté le délai fixé par l'art. 227 al. 5 CPP et n'a donc pas violé le droit fédéral ou constitutionnel. Le grief du recourant doit ainsi être rejeté. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de trancher la question - soulevée par le recourant - de savoir si la jurisprudence précitée rendue en lien avec l'art. 228 al. 2 CPP s'applique aussi à l'art. 227 al. 5 CPP
Pour le surplus, il sied de relever que, quoi que semble en penser le recourant, sa détention provisoire a toujours reposé sur un titre de détention valable, soit en l'espèce la décision du Tmc du 20 septembre 2021 ayant prolongé la détention provisoire jusqu'au 9 décembre 2021, puis la décision du Tmc du 8 décembre 2021 ayant prolongé la détention à titre temporaire (cf. art. 227 al. 4 CPP) et enfin la décision du Tmc du 20 décembre 2021 ayant prolongé la détention jusqu'au 9 janvier 2022. Dans cette dernière décision, le Tmc a confirmé la réalisation des conditions matérielles permettant la prolongation de la détention provisoire (charges suffisantes; risques de collusion et de récidive). Devant le Tribunal fédéral, le recourant ne développe aucune argumentation susceptible de démontrer que ces conditions n'étaient pas remplies. Le fait que des mesures de substitution ont été ordonnées dès le 5 janvier 2022 ne permet pas de considérer que la prolongation de la détention provisoire n'était pas justifiée. Enfin, il sied également de préciser que, même si le délai de l'art. 227 al. 5 CPP n'avait pas été strictement respecté par le Tmc, cette irrégularité n'aurait pas en l'espèce conduit à la libération du recourant (cf. arrêt 1B_146/2022 du 6 avril 2022 consid. 2.3.2 et les nombreuses références citées). 
 
4.  
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable. Les conclusions du recours étant d'emblée vouées à l'échec, il y a lieu de rejeter la demande d'assistance judiciaire (art. 64 al. 1 LTF) et de mettre les frais judiciaires à la charge du recourant, qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). Toutefois, à titre exceptionnel et pour tenir compte de la situation financière du recourant, les frais peuvent être réduits. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
La demande d'assistance judiciaire est rejetée. 
 
3.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public de l'Etat de Fribourg et à la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg. 
 
 
Lausanne, le 26 janvier 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Müller 
 
La Greffière : Arn