6B_861/2022 13.04.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_861/2022  
 
 
Arrêt du 13 avril 2023  
 
Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux 
Denys, Juge présidant, Muschietti et Hurni. 
Greffière: Mme Kistler Vianin. 
 
Participants à la procédure 
A.A.________, 
représenté par Me Nicolas Marthe, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public de la République 
et canton de Neuchâtel, 
passage de la Bonne-Fontaine 41, 
2300 La Chaux-de-Fonds, 
intimé. 
 
Objet 
Levée de séquestres; confiscation de valeurs patrimoniales; créances compensatrices; arbitraire, 
 
recours contre le jugement du Tribunal cantonal 
de la République et canton de Neuchâtel, 
Cour pénale, du 19 mai 2022 (CPEN.2021.100/ca). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par jugement du 4 novembre 2021, le Tribunal criminel régional du Littoral et du Val-de-Travers, à Neuchâtel, a reconnu A.A.________ coupable d'infractions à l'art. 19 al. 1 et 2 LStup, à l'art. 252 CP et à la LCR. Il l'a condamné à une peine privative de liberté de 36 mois, dont 12 mois ferme et 24 mois avec sursis pendant cinq ans, sous déduction de 196 jours de détention subie avant jugement. En outre, il a ordonné la confiscation de plusieurs montants, soit saisis lors d'une perquisition (6'050 fr. et 1'855 euros), soit se trouvant sur divers comptes au nom de A.A.________ dont les détails figurent au chiffre 6 du dispositif du jugement (7'874 fr. 74 et 28'150.25 euros). Il en a ordonné la dévolution à l'État en déduction des frais de justice par 16'954 fr. 65 et a prononcé une créance compensatrice en faveur de l'État pour le solde. Il a également ordonné la confiscation des montants se trouvant sur le compte de B.A.________ auprès de la Banque cantonale neuchâteloise, à savoir 54'816 fr. 60, déduction faite d'un montant de 4'000 fr. devant être restitué à cette dernière, et a ordonné une créance compensatrice d'un montant équivalent en faveur de l'État. 
 
B.  
Par jugement d'appel du 19 mai 2022, la Cour pénale du Tribunal cantonal neuchâtelois a rejeté l'appel formé par A.A.________ et réformé d'office le jugement attaqué. Elle a ordonné le maintien du séquestre ordonné en cours d'enquête au-delà de l'entrée en force du jugement en vue de l'exécution d'une créance compensatrice sur les sommes d'argent de 1'855 euros et de 6'050 fr., sur les valeurs se trouvant sur les autres comptes de A.A.________ (7'874 fr. 74 et 28'150.25 euros) et sur le compte ouvert au nom de B.A.________ (53'295 fr.) et a ordonné le remplacement des valeurs patrimoniales à confisquer, qui n'étaient plus disponibles, par une créance compensatrice de 96'000 fr. en faveur de l'État. 
 
C.  
Contre ce dernier jugement, A.A.________ dépose un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral. Il conclut, principalement, à la réforme du jugement attaqué en ce sens que les séquestres ordonnés en vue de créances compensatrices sont levés et les valeurs séquestrées sont rendues à leurs ayants droit. 
A titre subsidiaire, il requiert l'annulation du jugement attaqué et le renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouveau jugement. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le jugement attaqué prononce une créance compensatrice de 96'000 fr. en faveur de l'État et confirme le maintien du séquestre de divers comptes au-delà de l'entrée en force du jugement en vue de l'exécution de la créance compensatrice. Dans la mesure où le recourant est titulaire des avoirs saisis, il peut se prévaloir d'un intérêt juridique à obtenir l'annulation ou la modification du jugement attaqué, de sorte qu'il dispose de la qualité pour recourir au sens de l'art. 81 al. 1 LTF (ATF 133 IV 278 consid. 1.3 p. 282 s.; 128 IV 145 consid. 1a p. 148). En revanche, lorsque le jugement attaqué confirme le maintien du séquestre sur les valeurs déposées sur le compte de la mère du recourant, celui-ci n'est pas lésé par le jugement puisqu'il n'est pas titulaire du compte, de sorte qu'il n'a pas la qualité pour recourir. Le recours est donc irrecevable en tant que le recourant conteste le séquestre sur les valeurs déposées sur le compte de la Banque cantonale neuchâteloise ouvert au nom de sa mère. 
 
2.  
Le recourant conteste le séquestre de ses biens en vue de l'exécution de la créance compensatrice. 
 
2.1.  
 
2.1.1. Aux termes de l'art. 70 al. 1 CP, le juge prononce la confiscation des valeurs patrimoniales qui sont le résultat d'une infraction ou qui étaient destinées à décider ou à récompenser l'auteur d'une infraction, si elles ne doivent pas être restituées au lésé en rétablissement de ses droits. Selon la jurisprudence, la confiscation peut porter tant sur le produit direct de l'infraction que sur les objets acquis au moyen de ce produit dans la mesure où les différentes transactions peuvent être identifiées et documentées ("Papierspur", "paper trail") (ATF 144 IV 172 consid. 7.2.2 p. 175; arrêt 6B_98/2021 du 8 octobre 2021 consid. 3.1). Lorsque les valeurs patrimoniales à confisquer ne sont plus disponibles - parce qu'elles ont été consommées, dissimulées ou aliénées -, le juge ordonne, conformément à l'article 71 CP, leur remplacement par une créance compensatrice de l'État d'un montant équivalent, dont le but est d'éviter que celui qui a disposé des objets ou valeurs à confisquer soit privilégié par rapport à celui qui les a conservés (ATF 140 IV 57 consid. 4.1.2 p. 62).  
 
2.1.2. Aux termes de l'art. 70 al. 5 CP, si le montant des valeurs patrimoniales soumises à la confiscation ne peut pas être déterminé avec précision ou si cette détermination requiert des moyens disproportionnés, le juge peut procéder à une estimation. L'art. 70 al. 5 CP n'emporte aucun allègement des conditions de fond de la mesure de confiscation ou de la créance compensatrice, mais consacre un allègement du fardeau de la preuve en ce qui concerne la détermination du montant à confisquer (ATF 144 IV 1 consid. 4.4.1 p. 11).  
Selon l'art. 71 al. 2 CP, le juge peut renoncer totalement ou partiellement à la créance compensatrice s'il est à prévoir qu'elle ne serait pas recouvrable ou qu'elle entraverait sérieusement la réinsertion de la personne concernée. Il doit procéder à une appréciation globale de la situation de l'intéressé. Le cas échéant, il tiendra compte du fait que le délinquant a dû emprunter une somme importante pour se lancer dans le trafic de stupéfiants ou qu'il doit subir une lourde peine privative de liberté. Une réduction ou une suppression de la créance compensatrice n'est admissible que dans la mesure où l'on peut réellement penser que celle-ci mettrait concrètement en danger la situation sociale de l'intéressé et que des facilités de paiement ne permettraient pas d'y remédier (ATF 119 IV 17 consid. 2a p. 21). 
 
2.1.3. L'art. 71 al. 3 CP prévoit que l'autorité d'instruction peut placer sous séquestre, en vue de l'exécution d'une créance compensatrice, des valeurs patrimoniales appartenant à la personne concernée, sans lien de connexité avec les faits faisant l'objet de l'instruction pénale (ATF 140 IV 57 consid. 4.1.2 p. 63). Le séquestre au sens de l'art. 71 al. 3 CP est une mesure d'une nature et d'une portée différente du séquestre pénal traditionnel, en ce sens que ses effets sont maintenus au-delà de l'entrée en force du jugement, jusqu'au moment où une mesure du droit des poursuites aura pris le relais (Hirsig-Vouilloz, in Commentaire romand, Code pénal I, 2e éd., n° 21 ad art. 71 CP et les références citées). Eu égard aux intérêts des créanciers, la poursuite de la créance compensatrice, la réalisation des biens séquestrés et la distribution des deniers interviendront conformément à la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite. Le séquestre doit ainsi respecter les restrictions imposées par l'art. 92 LP et ne pas porter atteinte au minimum vital de l'intéressé (Hirsig-Vouilloz, op. cit., n° 22 ad art. 71 CP).  
 
2.2.  
 
2.2.1. La cour cantonale a ordonné une créance compensatrice en faveur de l'État (art. 71 al. 1 CP), car la confiscation n'était plus possible. En effet, l'instruction n'avait pas permis d'établir que les montants qui se trouvaient sur les comptes bancaires du recourant étaient liés à son trafic de cocaïne ni d'établir l'origine de l'argent liquide saisi à son domicile. Pour fixer le montant de la créance compensatrice, la cour cantonale a retenu que le recourant avait réalisé, grâce à son trafic de stupéfiants, un chiffre d'affaires d'au moins 122'000 francs. Estimant qu'une créance compensatrice d'un tel montant était disproportionnée, parce que sensiblement supérieure aux possibilités du recourant et entraînerait des poursuites qui nuiraient à ses chances de réinsertion, elle a réduit ce montant à 96'000 fr. en application de l'art. 71 al. 2 CP. Pour permettre le recouvrement par l'État de la créance compensatrice au besoin par la voie de poursuite, elle a maintenu le séquestre au sens de l'art. 71 al. 3 CP, précisant que le recourant n'avait ni allégué ni établi que cette mesure conservatoire constituerait une atteinte à la garantie de son minimum vital au sens des art. 92 et 93 LP.  
 
2.2.2. Le recourant considère que le séquestre des montants en vue d'une créance compensatrice revêt un caractère abusif et une rigueur excessive, de sorte qu'il y a lieu de lever ces séquestres et d'ordonner la libération des valeurs en sa faveur. Il explique que les sommes saisies à son domicile proviennent d'une indemnité de 10'000 fr. à la suite d'un accident, versée par la SUVA sur son compte CCP. L'argent versé sur les comptes en France proviendrait de montants remis par ses clients et aurait été destiné à être utilisé en faveur de ceux-ci; selon le recourant, la séquestration de ces montants en vue d'une créance compensatrice reviendrait à spolier des tiers; en outre, une partie des valeurs versées sur ces comptes l'aurait été en dehors de la période des infractions reprochées. Enfin, les valeurs déposées sur les comptes en Suisse proviendraient de prestations d'assurances ou du revenu de son activité de déménageur, sans lien avec une quelconque activité illicite.  
 
2.3. Le recourant ne conteste pas les conditions de la créance compensatrice ni son montant. Il s'en prend uniquement aux séquestres ordonnés sur ses comptes. C'est à tort qu'il estime que le séquestre en application de l'art. 71 al. 3 CP ne peut porter que sur des valeurs d'origine criminelle. Comme vu ci-dessus, le séquestre est une mesure conservatoire en vue de garantir l'exécution de la créance compensatrice et peut porter sur n'importe quel bien appartenant à l'intéressé, sans lien de connexité avec les faits faisant l'objet de l'instruction pénale. Le recourant soutient également que certaines valeurs en compte lui auraient été confiées par des tiers. Purement appellatoire, son affirmation est irrecevable (ATF 147 IV 73 consid. 4.1.2). Il ne conteste au demeurant pas être le seul titulaire du compte concerné. Enfin, il n'a ni allégué ni établi que le séquestre de ses comptes constituerait une atteinte à la garantie de son minimum vital au sens des art. 92 et 93 CP. Au vu de l'ensemble des circonstances, la cour cantonale n'a donc pas violé le droit fédéral en confirmant le maintien du séquestre ordonné le 18 décembre 2017 pour permettre le recouvrement par l'État de la créance compensatrice.  
 
3.  
Le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, Cour pénale. 
 
 
Lausanne, le 13 avril 2023 
 
Au nom de la Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Denys 
 
La Greffière : Kistler Vianin