4A_504/2023 22.02.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_504/2023  
 
 
Arrêt du 22 février 2024  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Kiss, juge présidant, Hohl et May Canellas. 
Greffier: M. O. Carruzzo. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Étienne Campiche, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
World Aquatics, (auparavant Fédération Internationale de Natation), représentée par Mes Michele Bernasconi, Emanuel Cortada et Basil Kupferschmied, avocats, 
intimée. 
 
Objet 
arbitrage international en matière de sport, 
 
recours en matière civile contre la sentence rendue le 15 septembre 2023 par le Tribunal Arbitral du Sport (CAS 2022/A/9297). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________ est le président de la Fédération B.________ (B.________) laquelle est affiliée à l'association de droit suisse World Aquatics (anciennement: Fédération Internationale de Natation [FINA]), instance dirigeante de la natation au niveau mondial.  
A.________ a été élu à la tête de B.________ en 2000. Il a aussi présidé la Ligue Européenne de Natation (LEN) entre septembre 2012 et février 2022. Il a également assumé la fonction de vice-président de la FINA entre 2017 et 2021. 
 
A.b. Le 9 mars 2021, A.________, agissant en qualité de président de la LEN, a signé un contrat conclu entre la LEN et B.________ en lien avec les Championnats d'Europe de natation 2022 devant se tenir à Rome. En vertu de l'art. 16.1 dudit contrat, B.________ devait verser un montant de 3 millions d'euros à la LEN afin d'organiser cette compétition.  
Le 10 mai 2021, la LEN, représentée par A.________, et B.________ ont conclu un addendum au contrat précité. A teneur de cet accord, l'indemnité due par B.________ pour organiser cette compétition était réduit à un montant compris entre 500'000 et 1'500'000 euros. La réduction finale devait être calculée en tenant compte des restrictions liées à la crise du coronavirus applicables sur le territoire italien. Par ailleurs, la part des droits de commercialisation de B.________ a été portée de 50 à 60 %. 
Les circonstances entourant la conclusion de cet addendum ont été portées à l'attention de la LEN puis des dirigeants de la FINA. Contrairement à la LEN, la FINA a décidé d'ouvrir une procédure disciplinaire à l'encontre de A.________. 
 
A.c. Statuant le 8 novembre 2022, la Commission d'éthique de la FINA a interdit à A.________ d'exercer toute activité en lien avec la natation sous les auspices de la FINA ou de ses membres pendant une durée d'une année. En bref, elle a notamment retenu que le prénommé se trouvait dans une situation claire de conflit d'intérêts lorsqu'il avait signé l'addendum, puisqu'il présidait à la fois la LEN et B.________.  
 
B.  
Le 18 novembre 2022, A.________ a appelé de cette décision auprès du Tribunal Arbitral du Sport (TAS). 
Le 20 mars 2023, les parties ont indiqué que la tenue d'une audience n'était pas nécessaire. 
Par sentence du 15 septembre 2023, la Formation du TAS, composée de trois arbitres, a rejeté l'appel de l'intéressé et a confirmé la décision attaquée. 
 
C.  
Le 16 octobre 2023, A.________ (ci-après: le recourant) a formé un recours en matière civile aux fins d'obtenir l'annulation de cette sentence. 
World Aquatics (ci-après: l'intimée) a conclu au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité. 
Le TAS a renoncé à déposer des observations sur le recours. 
Le recourant a déposé une réplique spontanée. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
D'après l'art. 54 al. 1 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le Tribunal fédéral rédige son arrêt dans une langue officielle, en règle générale dans la langue de la décision attaquée. Lorsque cette décision a été rendue dans une autre langue (ici l'anglais), il utilise la langue officielle choisie par les parties. Devant le TAS, celles-ci se sont servies de l'anglais, tandis que, dans les mémoires qu'elles ont adressés au Tribunal fédéral, elles ont employé le français respectant ainsi l'art. 42 al. 1 LTF en liaison avec l'art. 70 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.; RS 101; ATF 142 III 521 consid. 1). Conformément à sa pratique, le Tribunal fédéral rendra, par conséquent, son arrêt en français. 
 
2.  
Le recours en matière civile est recevable contre les sentences touchant l'arbitrage international aux conditions fixées par les art. 190 à 192 de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP; RS 291), conformément à l'art. 77 al. 1 let. a LTF
Le recourant n'était pas domicilié en Suisse au moment déterminant. Les dispositions du chapitre 12 de la LDIP sont donc applicables (art. 176 al. 1 LDIP). 
 
3.  
Qu'il s'agisse de l'objet du recours, de la qualité pour recourir, du délai de recours ou des conclusions prises par le recourant, aucune de ces conditions de recevabilité ne fait problème en l'espèce. Rien ne s'oppose, dès lors, à l'entrée en matière. Demeure réservé l'examen, sous l'angle de sa motivation, de la recevabilité du moyen invoqué par l'intéressé. 
 
4.  
 
4.1. Un mémoire de recours visant une sentence arbitrale doit satisfaire à l'exigence de motivation telle qu'elle découle de l'art. 77 al. 3 LTF en liaison avec l'art. 106 al. 2 LTF et la jurisprudence relative à cette dernière disposition (ATF 134 III 186 consid. 5). Cela suppose que le recourant discute les motifs de la sentence entreprise et indique précisément en quoi il estime que l'auteur de celle-ci a méconnu le droit. La partie recourante ne pourra le faire que dans les limites des moyens admissibles contre ladite sentence, à savoir au regard des seuls griefs énumérés à l'art. 190 al. 2 LDIP lorsque l'arbitrage revêt un caractère international. Au demeurant, comme cette motivation doit être contenue dans l'acte de recours, le recourant ne saurait user du procédé consistant à prier le Tribunal fédéral de bien vouloir se référer aux allégués, preuves et offres de preuve contenus dans les écritures versées au dossier de l'arbitrage. De même se servirait-il en vain de la réplique pour invoquer des moyens, de fait ou de droit, qu'il n'avait pas présentés en temps utile, c'est-à-dire avant l'expiration du délai de recours non prolongeable (art. 100 al. 1 LTF en liaison avec l'art. 47 al. 1 LTF) ou pour compléter, hors délai, une motivation insuffisante (arrêt 4A_478/2017 du 2 mai 2018 consid. 2.2 et les références citées).  
 
4.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits constatés dans la sentence attaquée (cf. art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter d'office les constatations des arbitres, même si les faits ont été établis de manière manifestement inexacte ou en violation du droit (cf. l'art. 77 al. 2 LTF qui exclut l'application de l'art. 105 al. 2 LTF). Les constatations du tribunal arbitral quant au déroulement de la procédure lient aussi le Tribunal fédéral, qu'elles aient trait aux conclusions des parties, aux faits allégués ou aux explications juridiques données par ces dernières, aux déclarations faites en cours de procès, aux réquisitions de preuves, voire au contenu d'un témoignage ou d'une expertise ou encore aux informations recueillies lors d'une inspection oculaire (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références citées; arrêts 4A_54/2019 du 11 avril 2019 consid. 2.4; 4A_322/2015 du 27 juin 2016 consid. 3 et les références citées).  
La mission du Tribunal fédéral, lorsqu'il est saisi d'un recours en matière civile visant une sentence arbitrale internationale, ne consiste pas à statuer avec une pleine cognition, à l'instar d'une juridiction d'appel, mais uniquement à examiner si les griefs recevables formulés à l'encontre de ladite sentence sont fondés ou non. Permettre aux parties d'alléguer d'autres faits que ceux qui ont été constatés par le tribunal arbitral, en dehors des cas exceptionnels réservés par la jurisprudence, ne serait plus compatible avec une telle mission, ces faits fussent-ils établis par les éléments de preuve figurant au dossier de l'arbitrage (arrêt 4A_140/2022 du 22 août 2022 consid. 4.2). Cependant, le Tribunal fédéral conserve la faculté de revoir l'état de fait à la base de la sentence attaquée si l'un des griefs mentionnés à l'art. 190 al. 2 LDIP est soulevé à l'encontre dudit état de fait ou que des faits ou des moyens de preuve nouveaux sont exceptionnellement pris en considération dans le cadre de la procédure du recours en matière civile (ATF 138 III 29 consid. 2.2.1 et les références citées). 
 
5.  
Dans un unique moyen divisé en deux branches, le recourant, invoquant l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, soutient que la sentence attaquée est incompatible avec l'ordre public matériel. 
 
5.1. Une sentence est contraire à l'ordre public matériel lorsqu'elle viole des principes fondamentaux du droit de fond au point de ne plus être conciliable avec l'ordre juridique et le système de valeurs déterminants (ATF 144 III 120 consid. 5.1; 132 III 389 consid. 2.2.1). Qu'un motif retenu par un tribunal arbitral heurte l'ordre public n'est pas suffisant; c'est le résultat auquel la sentence aboutit qui doit être incompatible avec l'ordre public (ATF 144 III 120 consid. 5.1). L'incompatibilité de la sentence avec l'ordre public, visée à l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, est une notion plus restrictive que celle d'arbitraire (ATF 144 III 120 consid. 5.1; arrêts 4A_318/2018 du 4 mars 2019 consid. 4.3.1; 4A_600/2016 du 29 juin 2017 consid. 1.1.4). Pour qu'il y ait incompatibilité avec l'ordre public, il ne suffit pas que les preuves aient été mal appréciées, qu'une constatation de fait soit manifestement fausse ou encore qu'une règle de droit ait été clairement violée (arrêts 4A_116/2016 du 13 décembre 2016 consid. 4.1; 4A_304/2013 du 3 mars 2014 consid. 5.1.1; 4A_458/2009 du 10 juin 2010 consid. 4.1). L'annulation d'une sentence arbitrale internationale pour ce motif de recours est chose rarissime (ATF 132 III 389 consid. 2.1).  
 
5.2. Dans la première branche du moyen considéré, le recourant dénonce une violation du principe de l'interdiction de l'abus de droit. A en croire l'intéressé, l'intimée aurait adopté une attitude contradictoire puisqu'elle aurait accepté, sans rien dire, qu'il préside simultanément la LEN et B.________ durant près de dix ans, avant de lui reprocher, par la suite, d'avoir signé, pour le compte de la LEN, l'addendum conclu avec B.________. L'intéressé fait valoir qu'il se trouvait, dès sa nomination à la tête de la LEN, dans une situation permanente de conflit d'intérêts, contraire aux règles du Code d'Éthique adopté par l'intimée, puisqu'il présidait toujours B.________. Pareille situation était connue et acceptée par la LEN et l'intimée. Le recourant estime dès lors qu'il ne saurait se voir reprocher d'avoir signé l'addendum pour le compte de la LEN, car "il n'a fait qu'exercer les prérogatives liées à sa fonction, dans une situation, certes de conflit d'intérêts, mais qui existait ab ovo et était acceptée de toutes les fédérations concernées".  
Semblable argumentation n'emporte point la conviction de la Cour de céans. Que l'intimée ait consenti à ce que le recourant préside simultanément la LEN et B.________, nonobstant les règles énoncées dans son Code d'Éthique, ne signifie pas encore que la fédération internationale concernée lui aurait donné carte blanche ni que l'intéressé ait pu légitimement se croire autorisé à conclure n'importe quel contrat entre les deux entités qu'il présidait. Cette seule circonstance ne saurait suffire à taxer l'attitude adoptée par l'intimée de contraire au principe de l'interdiction de l'abus de droit. L'intimée n'a en effet jamais laissé entendre que l'intéressé, agissant en tant que président de la LEN, pouvait oeuvrer dans l'intérêt de B.________. Or, dans la sentence attaquée, la Formation a souligné, à bon droit, que le recourant, en signant l'addendum pour le compte de la LEN, avait en réalité servi exclusivement les intérêts de B.________, puisque cette dernière avait bénéficié d'une réduction substantielle de ses obligations financières. Dans ces circonstances, la Formation n'a nullement rendu une sentence incompatible avec l'ordre public matériel, en considérant que le recourant aurait dû s'abstenir de participer à ladite transaction ou, à tout le moins, aurait dû consulter la Commission d'Éthique de l'intimée. 
 
5.3.  
 
5.3.1. Dans la seconde branche du moyen examiné, le recourant prétend que la sanction prononcée à son encontre porterait une atteinte injustifiée à sa personnalité.  
 
5.3.2. En matière de sanctions disciplinaires infligées dans le domaine du sport, le Tribunal fédéral n'intervient à l'égard des décisions rendues en vertu d'un pouvoir d'appréciation que si elles aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante (arrêts 4A_542/2021 du 28 février 2022 consid. 6.3.2; 4A_318/2018, précité, consid. 4.5.2; 4A_600/2016, précité, consid. 3.7.2). Dans l'affaire Platini où elle a été amenée à examiner la sanction infligée à ce dernier sous l'angle déjà restreint du grief d'arbitraire au sens de l'art. 393 let. e CPC, la Cour de céans a relevé que seule la mise en évidence d'une ou de plusieurs violations crasses de leur pouvoir d'appréciation par les arbitres, qui plus est à l'origine d'une sanction excessivement sévère, pourrait justifier l'intervention du Tribunal fédéral (arrêt 4A_600/2016, précité, consid. 3.7.2). Le pouvoir d'examen de la Cour de céans est encore plus limité in casu, puisqu'il s'exerce dans le cadre du grief de contrariété à l'ordre public matériel, notion plus restrictive que celle d'arbitraire (arrêt 4A_542/2021, précité, consid. 6.3.2).  
 
5.3.3. A la lecture du mémoire de recours, force est de relever que les quelques paragraphes que l'intéressé consacre à la démonstration d'une atteinte à sa personnalité, à grand renfort d'affirmations péremptoires et en formulant ses critiques sur un mode appellatoire, ne constituent pas une motivation digne de ce nom visant à établir l'existence d'une prétendue contrariété à l'ordre public.  
Quoi qu'il en soit, considérées à la lumière de ce qui précède, dans le cadre prédéfini du pouvoir d'examen dont jouit la Cour de céans, les critiques émises par le recourant ne suffisent de toute manière pas à établir que le résultat auquel a abouti la Formation serait contraire à l'ordre public. En l'occurrence, la Formation a soigneusement exposé les raisons pour lesquelles elle estimait qu'une suspension d'une durée d'une année était justifiée (sentence, n. 108-121). Elle a également tenu compte d'une série de circonstances atténuantes en faveur de l'intéressé (sentence, n. 121). A l'encontre de cette motivation détaillée, le recourant se borne à affirmer que la sanction prononcée à son encontre porte atteinte à son honneur. Il fait aussi valoir qu'il serait contraint de démissionner de son poste de président de B.________, si d'aventure il venait à faire l'objet d'autres sanctions dans le cadre de deux autres affaires soumises au TAS. Il soutient, enfin, que la sanction qui lui a été infligée n'est justifiée par aucun intérêt prépondérant de l'intimée. En argumentant de la sorte, le recourant ne remet non seulement pas en question les éléments pris en considération par le TAS pour justifier la sanction prononcée à son encontre, mais il échoue surtout à démontrer que le résultat auquel a abouti la Formation serait incompatible avec l'ordre public matériel. 
 
6.  
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. Le recourant, qui succombe, supportera les frais de la présente procédure (art. 66 al. 1 LTF) et versera des dépens à l'intimée (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 7'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le recourant versera à l'intimée une indemnité de 8'000 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et au Tribunal Arbitral du Sport (TAS). 
 
 
Lausanne, le 22 février 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Juge présidant : Kiss 
 
Le Greffier : O. Carruzzo