1A.11/2002 11.03.2002
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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
1A.11/2002/dxc 
 
Arrêt du 11 mars 2002 
Ire Cour de droit public 
 
Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président du Tribunal fédéral, 
Reeb, Féraud, 
greffier Kurz. 
 
Fondation Y.________, recourante, représentée par Me Michel A. Halpérin, avocat, avenue Léon-Gaud 5, 1206 Genève, 
 
contre 
 
Juge d'instruction du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3344, 1211 Genève 3, 
Cour de justice du canton de Genève, Chambre d'accusation, 1, place du Bourg-de-Four, case postale 3108, 1211 Genève 3. 
 
Entraide judiciaire internationale en matière pénale avec la Belgique 
 
(recours de droit administratif contre l'ordonnance de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre d'accusation, du 5 décembre 2001) 
 
Faits: 
A. 
Le 11 décembre 2000, le Juge d'instruction au Tribunal de première instance de Bruxelles a adressé, directement au Juge d'instruction de Genève puis par le biais de l'Office fédéral de la justice (OFJ), une commission rogatoire formée pour les besoins d'une instruction menée contre Pierre Bosquet pour menaces et blanchiment, A.________ pour faux et escroquerie, et contre inconnu pour faux et abus de confiance, sur plainte de la société T.________ S.A. Le 14 juin 1997, représentée par son cadre A.________, T.________ S.A. avait signé un contrat de concession pour le transport et le stockage de gaz naturel au Kazakhstan. Sous le couvert de frais de consultance, les dénommés C.________, D.________ et B.________ se seraient vu verser 55 millions d'US$ par l'entremise d'E.________ International Inc., société des Bahamas ayant un siège à Genève, et attribuer 45% des actions de la société concessionnaire au Kazakhstan. Un montant important aurait été ristourné à A.________, par le biais de la société S.________, le tout à l'insu des responsables de T.________ S.A.. Cette dernière faisait état d'opérations similaires concernant d'autres marchés au Kazakhstan, au Pakistan, au Pérou et à Oman. L'autorité requérante désirait obtenir des extraits de la procédure pénale ouverte à Genève pour blanchiment d'argent, contre D.________, C.________ et B.________, des renseignements, notamment sur E.________ International Inc. et ses comptes bancaires, ainsi que sur les autres personnes physiques et morales mentionnées dans la demande. 
Par ordonnance du 11 janvier 2001, le Juge d'instruction genevois est entré en matière et a ordonné le blocage des comptes concernés. Le 17 janvier suivant, il a ordonné la saisie des documents et avoirs bancaires de C.________, D.________ et B.________ auprès de la Banque P.________, précisant que la documentation se trouvait déjà dans le dossier de la procédure pénale genevoise. 
L'OFJ a désigné le canton de Genève comme canton directeur le 20 mars 2001. 
B. 
Par ordonnance "d'entrée en matière et de clôture partielle" du 10 juillet 2001, le juge d'instruction a confirmé l'admissibilité de la demande d'entraide, les faits décrits pouvant être qualifiés en droit suisse de faux, gestion déloyale, escroquerie et abus de confiance. Il a décidé de transmettre à l'autorité requérante, notamment, l'intégralité de la documentation du compte xxx détenu auprès de la Banque P.________ par la Fondation Y.________ dont l'ayant droit est C.________. 
C. 
Par ordonnance du 5 décembre 2001, la Chambre d'accusation genevoise a rejeté le recours formé par la Fondation Y.________. La commission rogatoire était suffisamment motivée, et il n'y avait pas à tenir compte des pièces censées mettre C.________ hors de cause. 
D. 
La Fondation Y.________ forme un recours de droit administratif contre cette dernière ordonnance, concluant à son annulation. 
 
La cour cantonale se réfère aux considérants de sa décision. Le juge d'instruction et l'OFJ concluent au rejet du recours. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
Interjeté dans le délai et les formes utiles contre une décision de clôture partielle confirmée en dernière instance cantonale, le recours de droit administratif est recevable (art. 80e let. a et 80f al. 1 de la loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale - EIMP, RS 351.1). Titulaire du compte bancaire au sujet duquel l'autorité d'exécution a décidé l'envoi de renseignements complets, la recourante a qualité pour agir (art. 80h let. b EIMP et 9a let. a OEIMP). 
2. 
La recourante reprend l'argumentation soumise à la cour cantonale, en soutenant que la demande d'entraide du 11 décembre 2000 serait lacunaire et abusive. Le Juge d'instruction de Bruxelles aurait omis de préciser que dans une lettre du 28 avril 2000 adressée aux autorités de poursuite belges, les organes de T.________ S.A. SA avaient fait savoir qu'ayant trouvé un accord avec D.________, C.________ et B.________, ils n'élevaient aucune prétention à leur encontre, précisant même que la plainte du 10 novembre 1999 ne visait en aucun cas ces personnes ou leurs sociétés. Le 12 juillet 1999, le Procureur général de la République du Kazakhstan s'était adressé aux Procureurs belge et suisse pour attester de l'intégrité de C.________. Faute de mentionner ces faits, la demande d'entraide serait gravement lacunaire et mettrait en cause la confiance due entre les Etats requérant et requis. 
2.1 La recourante ne prétend pas, à juste titre, que l'exposé des faits fourni par le Juge d'instruction de Bruxelles serait insuffisant pour comprendre l'objet de l'entraide requise. La demande expose sur plusieurs pages et dans le détail en quoi consistent les agissements poursuivis, sur la base de la plainte pénale et des éléments dont dispose actuellement l'autorité requérante. 
2.2 La lecture de la commission rogatoire fait aussi ressortir que D.________, C.________ et B.________ ne sont pas formellement visés par l'instruction pénale, poursuivie contre l'ex-cadre de T.________ S.A. A.________, contre F.________, "manager de crise" chargé de résoudre la problématique des commissions suspectes versées au Kazakhstan, ainsi que contre inconnu, la plaignante soupçonnant un ou plusieurs de ses propres responsables de s'être enrichis à ses dépens. Il est certes mentionné que, selon la plaignante, D.________, C.________ et B.________ se seraient enrichis de manière délictueuse, mais la plainte ne comporte aucune incrimination pénale à leur encontre. Comme cela sera encore relevé ci-après, il est indifférent, pour l'octroi de l'entraide judiciaire et pour la remise des pièces bancaires de la recourante, que celle-ci ou ses ayants droit se voient imputer un comportement pénalement répréhensible. Même si les sommes parvenues à la recourante constituaient de simples commissions versées à un consultant extérieur à la société, il n'est pas exclu qu'il y ait, en amont et en aval de ces versements, des détournements punissables. La portée juridique des pièces produites par la recourante n'est d'ailleurs pas évidente: on ignore si la lettre de la plaignante doit être considérée comme une renonciation ou un retrait de la plainte pénale à l'égard des personnes mises hors de cause, et on ne sait pas non plus si les autorités de poursuite sont liées par une telle renonciation. Quant à l'"attestation" du Procureur général de la République du Kazakhstan, on en ignore à la fois les motifs, les fondements et la portée. Pour l'autorité suisse d'entraide, il ne s'agit que d'un élément à décharge dont il n'est pas tenu compte. Les précisions dont fait état la recourante ne sont donc pas pertinentes, et leur omission par le Juge d'instruction de Bruxelles ne relève pas de l'abus de droit. On ne saurait reprocher à l'autorité requérante d'avoir tenté d'induire en erreur l'autorité requise afin d'obtenir une entraide à laquelle elle n'aurait pas droit. Ce premier grief est manifestement mal fondé. 
3. 
Invoquant les principes de proportionnalité et d'"efficacité", la recourante relève que son compte serait sans rapport avec le "contexte T.________ S.A.". Les trois versements opérés sur ce compte n'auraient aucun lien avec les opérations décrites dans la demande. 
3.1 Le principe de la proportionnalité empêche d'une part l'autorité requérante de demander des mesures inutiles à son enquête et, d'autre part, l'autorité d'exécution d'aller au-delà de la mission qui lui est confiée (ATF 121 II 241 consid. 3a). L'autorité suisse requise s'impose une grande retenue lorsqu'elle examine le respect de ce principe, faute de moyens qui lui permettraient de se prononcer sur l'opportunité de l'administration des preuves. Le juge de l'entraide doit lui aussi se borner à examiner si les renseignements à transmettre présentent, prima facie, un rapport avec les faits motivant la demande d'entraide. Il ne doit exclure de la transmission que les documents n'ayant manifestement aucune utilité possible pour les enquêteurs étrangers (examen limité à l'utilité "potentielle", ATF 122 II 367 consid. 2c p. 371). 
3.2 En l'espèce, le juge d'instruction genevois n'est pas allé au-delà de l'entraide requise: l'autorité requérante désire être renseignée sur tous les comptes détenus directement ou non par les personnes physiques ou morales impliquées dans les faits décrits, notamment celles qui sont en rapport avec la société E.________ International Inc., puisque cette société a été utilisée pour faire parvenir à leurs destinataires les 55 millions d'US$ de commissions. Quand bien même la poursuite pénale en Belgique est limitée aux personnes directement rattachées à T.________ S.A. (employés, ex-cadres, mandataires), il apparaît nécessaire pour l'enquête de déterminer le cheminement et la destination finale des commissions suspectes, puisque d'une part, celles-ci, qui ne correspondraient à aucune activité économique réelle, auraient été versées à l'insu de la société et constitueraient des actes de détournement et que, d'autre part, une partie de ces commissions aurait été reversée à des responsables de T.________ S.A., notamment A.________ qui aurait perçu 5 millions d'US$. Même si, comme le soutient la recourante, C.________ n'a commis aucune infraction, sa position centrale dans les agissements soumis à l'enquête rendait nécessaires les investigations requises. Il n'y a pas de violation du principe de la proportionnalité. 
4. 
Le recours de droit administratif doit par conséquent être rejeté, aux frais de son auteur (art. 156 al. 1 OJ). 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
 
1. 
Le recours est rejeté. 
2. 
Un émolument judiciaire de 5000 fr. est mis à la charge de la recourante. 
3. 
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, au Juge d'instruction et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre d'accusation, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice, Division des affaires internationales, Section de l'entraide judiciaire internationale (B 109695/10). 
Lausanne, le 11 mars 2002 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le président: Le greffier: