8C_696/2022 02.06.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
8C_696/2022  
 
 
Arrêt du 2 juin 2023  
 
IVe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Wirthlin, Président, Viscione et Abrecht. 
Greffière : Mme von Zwehl. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par M e Charles Guerry, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), Division juridique, Fluhmattstrasse 1, 6002 Lucerne, 
intimée. 
 
Objet 
Assurance-accidents (rechute; révision de la rente), 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Fribourg du 24 octobre 2022 (605 2021 190). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________, né en 1962, effectuait un apprentissage de peintre en carrosserie lorsqu'il a été victime d'un accident de moto le 31 juillet 1981. Il a notamment subi une fracture du fémur gauche et une fracture ouverte de la rotule gauche qui a nécessité plusieurs opérations. Par décision du 3 février 1987, la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), auprès de laquelle il était obligatoirement assuré contre le risque d'accidents, lui a alloué une rente, fondée sur un taux d'invalidité de 50 %, ainsi qu'une indemnité pour atteinte à l'intégrité d'un taux de 20 %.  
 
A.b. A.________ a également bénéficié de prestations de l'assurance-invalidité (AI) sous la forme d'une formation professionnelle initiale. Il a obtenu un certificat fédéral de capacité (CFC) de vendeur-magasinier en pièces détachées et d'accessoires automobiles en 1989 ainsi qu'un CFC d'employé de commerce de détail en 1990. A la suite du reclassement de l'assuré, la CNA a réduit la rente allouée, fixant le taux d'invalidité à 25 % (décision du 18 juillet 1991).  
 
A.c. Le 14 avril 2009, en raison d'une évolution défavorable, A.________ s'est vu poser une prothèse totale du genou gauche. Cette opération et l'incapacité de travail qu'elle a entraînée ont été prises en charge par la CNA à titre de rechute de l'accident du 31 juillet 1981. Par décision du 11 novembre 2011, l'Office AI du canton de Fribourg a alloué à A.________ une rente dégressive à compter du 1er avril 2010 (rente entière, trois-quarts de rente, demi-rente et ensuite quart de rente dès le 1er décembre 2010). De son côté, la CNA a augmenté le taux d'atteinte à l'intégrité à 30 % mais a maintenu le taux d'invalidité de l'assuré à 25 % (décisions des 27 septembre 2011 et 16 mai 2012).  
 
A.d. Le 28 juin 2019, A.________ a annoncé une nouvelle rechute avec une incapacité de travail totale depuis le 28 mai 2019 à cause d'une accentuation des douleurs au genou gauche (rapport du docteur B.________ du 19 septembre 2019). Cette situation a conduit à son licenciement par l'entreprise C.________ SA, où il travaillait depuis le 1er octobre 1997 comme représentant à temps partiel. Le docteur D.________, médecin d'arrondissement de la CNA, l'a examiné le 5 décembre 2019 et a considéré que la situation était superposable à celle qu'il avait observée en 2011; le genou était calme sans épanchement ni hyperthermie ou autres signes réactifs et la mobilisation libre avec une extension complète et une flexion à 100°. Selon lui, les plaintes de l'assuré, qui s'était épuisé dans une activité pas vraiment adaptée à l'état de son genou, relevaient de facteurs non orthopédiques.  
 
A.e. Sur la base d'une scintigraphie osseuse réalisée le 10 janvier 2020, le docteur E.________, de la Clinique de chirurgie orthopédique de l'Hôpital F.________, a posé le diagnostic de descellement de la prothèse totale du genou (PTG), indiquant que cela pourrait expliquer la symptomatologie douloureuse de l'assuré. Ce médecin proposait une révision chirurgicale de la prothèse tout en soulignant que cette opération délicate devait être différée le plus longtemps possible. Dans un rapport d'examen final du 6 juillet 2020, le docteur D.________ a estimé que l'examen clinique était rassurant en dépit du descellement constaté; la situation était stabilisée et l'assuré conservait une capacité de travail entière dans une activité adaptée avec des limitations fonctionnelles (port de charges moyennes, pas de station debout prolongée ni de longs trajets surtout en terrain accidenté). Le médecin de la CNA a néanmoins reconnu un taux d'atteinte à l'intégrité supplémentaire de 5 % pour tenir compte de la nécessité d'un changement de prothèse à moyen terme.  
 
A.f. Par décision du 15 juillet 2020, la CNA a mis fin au paiement des indemnités journalières à compter du 20 juillet 2020; elle a octroyé à l'assuré une indemnité pour atteinte à l'intégrité d'un taux de 5 %, mais a refusé d'augmenter la rente, considérant que les limitations fonctionnelles de celui-ci étaient restées les mêmes qu'à l'époque. Saisie d'une opposition, la CNA l'a admise en ce sens que le droit à la rente devait être réexaminé sur le plan économique (décision sur opposition du 2 octobre 2020). A.________ a transmis à la CNA deux rapports du docteur G.________, du Centre de la douleur de l'Hôpital F.________, des 6 novembre 2020 et 22 janvier 2021.  
 
A.g. Par décision du 23 mars 2021, la CNA a maintenu le taux d'invalidité de l'assuré à 25 %. Ce dernier a formé opposition et a produit de nouveaux documents médicaux émanant des docteurs G.________ (rapports des 19 avril et 15 juillet 2021), E.________ (rapports de consultation des 14 mai et 28 juin 2021) et H.________, de la Clinique I.________ (rapport de consultation du 8 juillet 2021). Le 13 août 2021, la CNA a rendu une décision sur opposition sans changer sa position.  
 
B.  
L'assuré a déféré cette dernière décision devant la I e Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal fribourgeois, qui a rejeté son recours par arrêt du 24 octobre 2022. 
 
C.  
A.________ interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant principalement à sa réforme en ce sens qu'une rente d'invalidité fondée sur un taux de 83 % lui soit octroyée dès le 19 juillet 2020. A titre subsidiaire, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour mise en oeuvre d'une expertise médicale et nouvelle décision. 
La CNA conclut au rejet du recours; la cour cantonale ainsi que l'Office fédéral de la santé publique ont renoncé à se déterminer. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable. 
 
2.  
Le litige porte sur le point de savoir si la cour cantonale a violé le droit fédéral en confirmant le maintien du taux d'invalidité du recourant à 25 % après l'annonce de la dernière rechute. 
Dans une procédure de recours concernant l'octroi ou le refus de prestations en espèces de l'assurance-accidents, le Tribunal fédéral n'est pas lié par l'état de fait constaté par l'autorité précédente (art. 105 al. 3 LTF
 
3.  
Aux termes de l'art. 17 al. 1 LPGA [RS 830.1] (dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2021), si le taux d'invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d'office ou sur demande, révisée pour l'avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée. Tout changement important des circonstances propre à influencer le taux d'invalidité, et donc le droit à la rente, peut motiver une révision. La rente peut être révisée non seulement en cas de modification sensible de l'état de santé, mais aussi lorsque celui-ci est resté en soi le même, mais que ses conséquences sur la capacité de gain ont subi un changement important (ATF 144 I 103 consid. 2.1; 134 V 131 consid. 3). Dans le domaine de l'assurance-accidents, le caractère notable de la modification est admis lorsque le taux d'invalidité diffère d'au moins de 5 % du taux initial (ATF 145 V 141 consid. 7.3.1; 140 V 85 consid. 4.3 et les références). 
 
4.  
 
4.1. En substance, la cour cantonale a considéré que l'état de santé du recourant ne s'était pas aggravé, à tout le moins pas dans une mesure propre à influer sur sa capacité de travail qui demeurait entière dans une activité adaptée. Elle s'est fondée pour cela sur les conclusions du médecin d'arrondissement de la CNA, écartant notamment l'avis du docteur G.________ sur lequel s'appuyait le recourant pour établir que sa capacité de travail ne dépassait pas plus de deux heures par jour avec un rendement de 75 % (cf. rapport du 6 novembre 2020). D'après la cour cantonale, cet avis n'était pas déterminant dès lors que le médecin prénommé s'était limité à formuler des hypothèses en pronostiquant un taux d'activité de deux heures par jour selon les effets des médicaments nouvellement prescrits au recourant; quant au rapport ultérieur du même docteur G.________, il ne faisait que résumer l'évolution médicale du recourant sans autre précision sur la capacité de travail de ce dernier. Elle a donc jugé que les documents versés au dossier par le recourant ne remettaient aucunement en cause l'appréciation du docteur D.________. Procédant ensuite à l'évaluation de l'invalidité, la cour cantonale a confirmé le taux retenu par l'assureur-accidents (25 %), même si elle est parvenue à un résultat légèrement inférieur à l'issue de la comparaison des revenus avec et sans invalidité.  
 
4.2. Le recourant s'en prend à l'appréciation des preuves effectuée par la cour cantonale, à laquelle il reproche de n'avoir fait aucun cas des considérations médicales contenues dans les rapports qu'il avait produits. Le docteur E.________ avait diagnostiqué un descellement du plateau tibial de la prothèse posée en 2009, ce qui démontrait que l'état du genou gauche s'était objectivement péjoré depuis la précédente décision de l'intimée du 16 mai 2012. Le docteur B.________ avait attesté une aggravation de la symptomatologie douloureuse, celle-ci devenant de moins en moins tolérable et impactant l'exercice d'une activité professionnelle même adaptée (rapport du 19 septembre 2019). Enfin, le docteur G.________ avait confirmé la présence de douleurs chroniques intenses (également en position assise) et mentionné que le traitement prescrit au recourant pouvait avoir des effets délétères sur sa concentration et engendrer une fatigue incompatible avec l'exercice d'une activité à plein temps et plein rendement. Si, en novembre 2020, ce médecin avait certes indiqué que le degré d'activité encore exigible dépendait de la réponse du traitement instauré à partir du 15 octobre 2020, il avait rapporté, à l'issue d'une consultation du 24 juin 2021, que seul le traitement d'Oxycotin permettait un effet favorable et que ce nonobstant, l'état douloureux était en augmentation avec un impact important sur la qualité de vie du recourant (rapport du 15 juillet 2021). Partant, ce serait manifestement à tort que la cour cantonale a nié une modification suffisante de l'état de santé, respectivement de la capacité de travail encore exigible, pour influer sur le droit à la rente. A tout le moins aurait-elle dû constater qu'il existait un doute sérieux quant à la fiabilité de l'appréciation du médecin d'arrondissement de la CNA à cet égard.  
 
4.3.  
 
4.3.1. C'est la tâche du médecin de porter un jugement sur l'état de santé et d'indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler (ATF 140 V 193 consid. 3.2; 125 V 256 consid. 4 et les arrêts cités). En matière d'appréciation des preuves médicales, le juge doit examiner objectivement tous les documents à disposition, quelle que soit leur provenance, puis décider s'ils permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. S'il existe des avis contradictoires, il ne peut pas trancher l'affaire sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion plutôt qu'une autre. En ce qui concerne la valeur probante d'un rapport médical, ce qui est déterminant, c'est que les points litigieux aient fait l'objet d'une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu'il ait été établi en pleine connaissance de l'anamnèse, que la description du contexte médical et l'appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l'expert soient dûment motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3a; 122 V 157 consid. 1c et les références).  
 
4.3.2. Lorsqu'une décision administrative s'appuie exclusivement sur l'appréciation d'un médecin interne à l'assureur social et que l'avis motivé d'un médecin traitant ou d'un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l'un ou sur l'autre de ces avis. Il y a lieu de mettre en oeuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l'art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 135 V 465 consid. 4.5 et 4.6).  
 
4.4. En l'occurrence, on constate que le docteur D.________ a évalué la capacité de travail du recourant au regard de la seule fonctionnalité du genou gauche de celui-ci et qu'il n'a pas tenu compte de l'existence de douleurs chroniques. Pourtant, selon les médecins qui suivent le recourant, celles-ci sont bien présentes, voire en augmentation avec une prise de médication de plus en plus forte, et reposent sur un substrat organique. Selon le docteur G.________, le recourant souffre de douleurs mixtes d'origine mécanique et neuropathique liées à ses antécédents orthopédiques. Dans la plupart des avis également, il est fait mention que ces douleurs ont une incidence sur la capacité de travail et le rendement du recourant même dans une activité adaptée, ce qui apparaît convaincant au regard déjà de la reconnaissance d'une atteinte à l'intégrité de 35 %. De façon paradoxale, la cour cantonale a jugé que ces considérations ne permettaient pas de remettre en cause les conclusions du médecin d'arrondissement de la CNA, tout en retenant que les douleurs chroniques intenses et la nécessité d'une alternance fréquente des positions qui leur était liée justifiaient une réduction du salaire statistique à hauteur de 15 % (cf. consid. 5.2.5 de l'arrêt attaqué). Or l'incidence de telles douleurs doit être prise en considération dans l'évaluation de la capacité de travail et non pas dans le cadre de la détermination du revenu d'invalide en tant que facteur de réduction du salaire statistique. Il en va de même des effets secondaires décrits par le docteur G.________ résultant de la prise des opioïdes prescrits au recourant. A teneur des dernières pièces médicales versées au dossier (voir le rapport de consultation du docteur H.________ du 8 juillet 2021), une nouvelle intervention chirurgicale ne conduirait pas à une diminution de la symptomatologie douloureuse - le recourant y ayant d'ailleurs renoncé en raison des risques encourus -, de sorte que cette situation est amenée à durer. Aussi doit-on admettre qu'au vu des rapports des médecins traitants produits, les conclusions finales du docteur D.________, qui n'a tenu aucun compte de la symptomatologie douloureuse chronique présentée par le recourant, n'emportent pas la conviction. Dans ces conditions, la cour cantonale aurait dû donner suite à la conclusion subsidiaire de ce dernier tendant à la mise en oeuvre d'une expertise médicale.  
 
4.5. Vu qu'il appartient en premier lieu à l'assureur-accidents de procéder à des instructions complémentaires pour établir d'office l'ensemble des faits déterminants et, le cas échéant, d'administrer les preuves nécessaires avant de rendre sa décision (art. 43 al. 1 LPGA; ATF 132 V 368 consid. 5; arrêt 8C_412/2019 du 9 juillet 2020 consid. 5.4 et ses références), la cause ne sera pas renvoyée à l'autorité précédente, comme le requiert le recourant, mais à l'intimée afin qu'elle mette en oeuvre une expertise dans une procédure au sens de l'art. 44 LPGA et rende une nouvelle décision sur le droit à la rente. En ce sens, le recours se révèle bien fondé.  
 
5.  
L'intimée, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF) et versera au recourant une indemnité à titre de dépens (art. 68 al. 1 LTF). La cause sera renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision sur les dépens de la procédure antérieure (art. 68 al. 5 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est partiellement admis. L'arrêt de la I e Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Fribourg du 24 octobre 2022 et les décisions de la CNA des 23 mars et 13 août 2021 sont annulées. La cause est renvoyée à l'assureur-accidents pour instruction complémentaire et nouvelle décision sur le droit à la rente. Le recours est rejeté pour le surplus. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de l'intimée. 
 
3.  
L'intimée versera au recourant la somme de 2'800 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
4.  
La cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision sur les dépens de la procédure antérieure. 
 
5.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal du canton de Fribourg, Cour des assurances sociales, et à l'Office fédéral de la santé publique. 
 
 
Lucerne, le 2 juin 2023 
 
Au nom de la IVe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Wirthlin 
 
La Greffière : von Zwehl