2C_200/2022 25.10.2022
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
2C_200/2022  
 
Arrêt du 25 octobre 2022  
 
IIe Cour de droit public  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Aubry Girardin, Présidente, Donzallaz et Ryter. 
Greffière : Mme Jolidon. 
 
Participants à la procédure 
1. A.________, 
2. B.________, 
3. C.________, 
4. D.________, 
5. E.________, 
tous représentés par Maîtres Guillaume Francioli et Romaine Zürcher, 
recourants, 
 
contre  
 
1. Commission foncière agricole du canton de Genève, c/o AgriGenève,  
rue des Sablières 15, 1242 Satigny,  
2. Conseil d'Etat de la République et canton de Genève, 
rue de l'Hôtel-de-Ville 2, 1204 Genève,  
représenté par l'Office cantonal du logement et de la planification foncière de la République et canton de Genève, rue du Stand 26, 1204 Genève, 
intimés, 
 
Office fédéral de l'agriculture, Mattenhofstrasse 5, 3003 Berne. 
 
Objet 
Autorisation d'acquérir un immeuble agricole, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, du 25 janvier 2022 (ATA/56/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________, D.________, E.________, ainsi que B.________ et C.________ (ci-après: les Consorts) sont propriétaires de la parcelle n° xxxxx d'une surface de 4'275 m² de la commune de U.________, ainsi que, à hauteur d'un sixième, de la parcelle n° yyy d'une surface de 375 m² (constituant un étroit chemin d'accès à la parcelle n° xxxxx). Ces deux biens-fonds sont situés en zone agricole.  
Dans le cadre de la construction d'une route d'évitement et de la réalisation d'une zone industrielle, le canton de Genève a souhaité acquérir les parcelles n os xxxxx et yyy, afin de relocaliser provisoirement des jardins familiaux qui se situaient dans le périmètre de cette route, inscrite dans le plan directeur cantonal 2030. Ainsi, le 13 mai 2020, un " projet d'acte de vente " entre les Consorts et l'Etat de Genève, portant sur ces deux immeubles agricoles, a été établi par un notaire. Le prix de vente des deux parcelles, versé antérieurement à la " promesse de vente " (recte: projet d'acte de vente [art. 105 al. 2 LTF]) sur le compte du notaire chargé d'instrumenter l'acte de vente, était fixé à 217'000 fr., c'est-à-dire 50 fr. le m²; l'État de Genève avait également payé aux Consorts une indemnité de 73'000 fr. visant à compenser la perte occasionnée par la résiliation du contrat de bail en vigueur sur la parcelle n° xxxxx, ainsi qu'un montant de 54'000 fr. au locataire pour le dédommager.  
 
A.b. Le 23 juin 2020, le notaire susmentionné a, au nom des Consorts et de l'État de Genève, déposé auprès de la Commission foncière agricole de la République et canton de Genève (ci-après: la Commission foncière) une requête d'autorisation d'acquérir les parcelles n os xxxxx et yyy en application de la disposition permettant l'acquisition d'immeubles agricoles par la collectivité quand cette acquisition est nécessaire à l'exécution d'une tâche publique prévue conformément aux plans du droit de l'aménagement du territoire (cf. art. 65 al. 1 let. a de la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur le droit foncier rural [LDFR ou la loi sur le droit foncier rural; RS 211.412.11]).  
 
Le 18 février 2021, les Consorts ont signé avec F.________ SA, société active notamment dans l'exploitation de graviers, une promesse de vente et d'achat, assortie d'un droit d'emption, portant sur les bien-fonds en cause. L'annotation de ce droit, avec échéance au 18 février 2031, a été requise au registre foncier, en date du 22 février 2021. Les Consorts ne souhaitaient plus vendre leurs immeubles agricoles à l'État de Genève. 
 
B.  
 
B.a. Par décision du 9 mars 2021, la Commission foncière agricole a rejeté la requête d'autorisation d'acquérir les parcelles n os xxxxx et yyy par l'État de Genève, qui a recouru contre cette décision.  
 
B.b. Par arrêt du 25 janvier 2022, la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a partiellement admis le recours du Conseil d'État de la République et canton de Genève, a annulé la décision de la Commission foncière agricole du 9 mars 2021, a autorisé l'acquisition de la parcelle n° xxxxx et un sixième de la parcelle n° yyy de la commune de U.________ par l'État de Genève et a mis un émolument de 2'000 fr. à la charge des Consorts. Elle a constaté qu'était en cause l'exécution d'une tâche publique, à savoir la construction d'une route d'évitement qui s'inscrivait dans la mise en oeuvre du plan directeur cantonal 2030, instrument de la planification genevoise de l'aménagement du territoire en vigueur; partant, les conditions de l'art. 65 al. 1 let. a LDFR étaient remplies.  
 
C.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, les Consorts demandent au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler l'arrêt du 25 janvier 2022 de la Cour de justice et de confirmer la décision du 9 mars 2021 de la Commission foncière agricole, subsidiairement, de renvoyer la cause à la Cour de justice pour une nouvelle décision dans le sens des considérants. 
 
Le Conseiller d'État en charge du Département du territoire de la République et canton de Genève conclut, sous suite de frais et dépens, à l'irrecevabilité du recours pour défaut de qualité pour recourir des Consorts et à la confirmation de l'arrêt attaqué. La Commission foncière agricole estime que l'art 65 al. 1 let. a LDFR ne trouve pas application in casu et s'en remet à justice pour le surplus. La Cour de justice s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. L'Office fédéral de l'agriculture a expressément déclaré ne pas vouloir se déterminer. 
 
Les Consorts ont persisté dans leurs conclusions par réplique du 10 mai 2022. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 147 I 333 consid. 1). 
 
1.1. L'objet du litige porte sur l'autorisation d'acquérir la parcelle n° xxxxx de la commune de U.________ et un sixième de la parcelle n° yyy (néanmoins, dès lors que celle-ci comprend une surface de 375 m², elle n'est pas soumise à la loi sur le droit foncier rural; cf. art. 2 al. 3 LDFR), appartenant aux recourants, octroyée à l'État de Genève.  
 
1.2. Selon l'art. 89 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a), est particulièrement atteint par la décision ou l'acte normatif attaqué (let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c).  
 
1.3. La loi sur le droit foncier rural contient une disposition qui définit le cercle des personnes ayant qualité pour interjeter un recours au niveau cantonal. L'art. 83 al. 3 LDFR prévoit:  
 
"Les parties contractantes peuvent interjeter un recours devant l'autorité cantonale de recours (art. 88) contre le refus d'autorisation, l'autorité cantonale de surveillance, le fermier et les titulaires du droit d'emption, du droit de préemption ou du droit à l'attribution, contre l'octroi de l'autorisation." 
 
 
1.4. L'art. 83 al. 3 LDFR constitue une lex specialis par rapport à la clause générale relative à la qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral que représente l'art. 89 LTF. En adoptant l'art. 83 al. 3 LDFR, le législateur fédéral a délibérément cherché à limiter le cercle des personnes qui peuvent recourir contre l'octroi d'une autorisation d'acquérir; en particulier, il a exclu de ce cercle les voisins, les organisations de protection de la nature et de l'environnement, ainsi que les organisations professionnelles comme les associations paysannes. La ratio legis de ce choix est que les décisions prises en application de la loi sur le droit foncier rural produisant des effets formateurs sur les rapports de droit privé elles ne doivent pas pouvoir être attaquées par un tiers quelconque; l'intérêt public associé à l'exigence de l'autorisation devrait être protégé par les autorités et non par des tiers. Cette réglementation particulière vise uniquement à restreindre la qualité pour recourir, mais pas à passer outre l'exigence générale selon laquelle seules les personnes qui ont un intérêt pratique digne de protection peuvent former un recours (ATF 145 II 328 consid. 2.3; 139 II 233 consid. 5.2.1 et les arrêts cités).  
 
Selon la jurisprudence, le vendeur peut avoir un intérêt digne de protection à contester une autorisation d'acquérir, lorsque celle-ci a été accordée sous réserve de conditions restrictives; la légitimation découle toutefois du fait que les demandes des parties contractantes n'ont été satisfaites que partiellement ou de manière limitée et elle n'est admise que dans la mesure où les parties sont lésées par la décision d'autorisation litigieuse. Cependant, lorsque l'autorité a approuvé le contrat tel qu'il a été conclu par les parties, celles-ci n'ont aucun intérêt à le contester (ATF 139 II 233 consid. 5.2.2; 126 III 274 consid. 1d; arrêts 2C_465/2012 du 29 octobre 2012 consid. 2.6; 5A.21/2005 du 17 novembre 2005 consid. 4.2). Il en va de même lorsque le vendeur fait valoir qu'il a été trompé lors de la conclusion du contrat; en effet, dans un tel cas, il convient de faire appel aux moyens de droit civil (art. 28 CO; ATF 139 II 233 consid. 5.2.2; arrêts 2C_20/2021 du 19 novembre 2021 consid. 1.4.1, 2C_465/2012 susmentionné consid. 2.7). 
 
L'énumération légale des personnes habilitées à recourir contre l'octroi d'une autorisation d'acquérir un bien agricole n'est pas exhaustive (ATF 139 II 233 consid. 5.2.2; 126 III 274 consid. 1c). Un droit de recours allant au-delà de ce texte de la loi n'est reconnu que dans les cas où un intérêt digne de protection contre cet octroi est admis eu égard aux buts de la loi sur le droit foncier rural et à condition que celui-ci ne puisse être obtenu autrement (ATF 139 II 233 consid. 5.1 et 5.2). La jurisprudence du Tribunal fédéral est particulièrement stricte dans ce domaine (ATF 145 II 328 consid. 2.3; 139 II 233 consid. 5.2.2). 
 
1.5. Les recourants sont les propriétaires des parcelles litigieuses. Le notaire a déposé pour leur compte et celui de l'État de Genève, à qui les Consorts entendaient vendre leurs biens-fonds, la demande d'autorisation d'acquérir ces immeubles agricoles, autorisation qui a été accordée. Aux termes de l'art. 83 al. 3 LDFR, le vendeur possède la qualité pour recourir lorsque l'autorisation d'acquérir est refusée par l'autorité compétente, pas lorsque celle-ci est octroyée, comme c'est le cas en l'espèce. La raison pour laquelle les recourants s'opposent à présent à cet octroi tient au fait qu'ils ne souhaitent plus vendre leurs biens-fonds à l'État de Genève, mais à une société avec qui ils ont conclu une promesse de vente et d'achat assortie d'un droit d'emption. Il est toutefois relevé que, même si l'État de Genève a été autorisé à acquérir les immeubles agricoles en cause, les intéressés ne sont en aucun cas obligés de lui vendre leurs biens: une telle autorisation est fondée sur le seul droit foncier rural et constate que l'acquéreur potentiel remplit les conditions posées à l'achat d'un immeuble agricole; elle n'a aucun effet sur les liens civils de la relation entre le vendeur et l'acheteur. De plus, on ne saurait suivre les recourants, en tant qu'ils allèguent que leur intérêt au recours réside dans le fait que, si l'autorisation d'acquérir octroyée à l'État de Genève est maintenue, celui-ci pourrait par la suite agir en expropriation ou " les rechercher en responsabilité précontractuelle ". En effet, d'une part, il s'agit là d'un intérêt purement hypothétique. D'autre part, cet intérêt n'a aucun lien avec les buts de la loi sur le droit foncier rural, mais avec le droit civil (et l'éventuel conflit sera réglé par le biais des moyens offerts en la matière). Or, le lien avec les buts du droit foncier rural est une condition à remplir pour se voir reconnaître un droit de recours allant au-delà de l'art. 83 al. 3 LDFR (cf. consid. 1.4 supra).  
 
Les recourants ne possèdent donc pas d'intérêt protégé leur permettant de recourir contre l'arrêt attaqué accordant l'autorisation d'acquérir la parcelle n° xxxxx et un sixième de la parcelle n° yyy de la commune de U.________ à l'État de Genève fondé sur l'art. 83 al. 3 LDFR
 
1.6. Les recourants considèrent également que leur qualité pour recourir découle du fait que l'instance précédente leur a imposé des frais judiciaires se montant à 2'000 fr.  
 
Cet élément pourrait effectivement fonder ladite qualité. Néanmoins, l'arrêt attaqué, en tant qu'il concerne les frais judiciaires, ne repose pas sur la loi sur le droit foncier rural ou sur une autre loi fédérale, mais sur le droit cantonal de procédure. La violation de ce droit ne constitue pas en soi un motif de recours au Tribunal fédéral (cf. art. 95 LTF) et ne peut être jugée par le Tribunal fédéral que dans la mesure où elle implique une violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), par exemple de l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.), du droit international (art. 95 let. b LTF) ou d'autres droits constitutionnels (art. 95 let. c LTF). En outre, lorsqu'une telle violation est invoquée, le recours doit contenir un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés et préciser de façon circonstanciée en quoi consiste la violation (cf. art. 106 al. 2 LTF; ATF 147 I 73 consid. 2.1, IV 73 consid. 4.1.2). Or, le mémoire ne contient aucun grief à ce sujet. Partant, faute de motivation suffisante (art. 42 al. 2 et 106 al. 2 LTF), le Tribunal fédéral ne peut pas entrer en matière. 
 
2.  
Au regard de ce qui précède, le recours est irrecevable. 
 
Succombant, les recourants doivent supporter les frais judiciaires, solidairement entre eux (art. 66 al. 1 et 5 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 1 et 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est irrecevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge des recourants, solidairement entre eux. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des recourants, au Conseil d'État, à la Commission foncière agricole et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, ainsi qu'à l'Office fédéral de l'agriculture. 
 
 
Lausanne, le 25 octobre 2022 
 
Au nom de la IIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : F. Aubry Girardin 
 
La Greffière : E. Jolidon