1C_194/2023 12.12.2023
Avis important:
Les versions anciennes du navigateur Netscape affichent cette page sans éléments graphiques. La page conserve cependant sa fonctionnalité. Si vous utilisez fréquemment cette page, nous vous recommandons l'installation d'un navigateur plus récent.
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_194/2023  
 
 
Arrêt du 12 décembre 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Chaix et Haag. 
Greffier : M. Parmelin. 
 
Participants à la procédure 
A.________ et consorts, 
tous représentés par Me Xavier de Haller, avocat, 
recourants, 
 
contre  
 
Laurent Dutheil, Juge assesseur à la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud, 
intimé, 
 
Municipalité de Pully, avenue du Prieuré 2, 1009 Pully, représentée par Me Jean-Samuel Leuba, avocat. 
 
Objet 
Procédure administrative; suppression de places de stationnement sur le domaine public; récusation, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour administrative du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 22 mars 2023 (GE.2022.0144 - 12) 
 
 
Faits :  
 
A.  
En séance du 13 avril 2022, la Municipalité de Pully a validé le projet de la Direction des travaux et des services industriels tendant à la suppression de trente-six places de stationnement pour automobiles à l'avenue du Général-Guisan (route cantonale RC 777) et à la réduction de la durée de stationnement de six heures à deux heures des places de stationnement aménagées aux chemins de Verney, du Manoir et de la Tourronde. Ces décisions ont été publiées dans la Feuille des avis officiels du canton de Vaud le 14 juin 2022 et ont fait l'objet d'un communiqué de presse le même jour. Le dossier communal se compose d'un rapport technique établi le 13 avril 2022, intitulé "Optimisation de l'itinéraire cyclable sur la RC 777", et de sept plans, qui indiquent pour chaque zone de la route cantonale concernée les mesures de sécurisation de cet itinéraire prévues (abaissement de trottoir, trottoir projeté, zone de verdure projetée, marquage au sol existant à supprimer et marquage blanc et jaune projeté, signalisation à supprimer et signalisation nouvelle). 
Le 14 juillet 2022, A.________ et consorts ont recouru contre ces décisions auprès de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal. La cause a été enregistrée sous la référence GE.2022.0144. 
Par avis du 30 janvier 2023, le Juge instructeur a convoqué les parties à une inspection locale le vendredi 31 mars 2023, à 09h30. Une copie de la convocation était adressée à son attention et à celle du juge ordinaire Guillaume Vianin et du juge assesseur Laurent Dutheil. 
Se fondant sur l'art. 9 let. a et e de la loi vaudoise du 28 octobre 2008 sur la procédure administrative (LPA-VD, BLV 173.36), A.________ et consorts ont sollicité le 7 février 2023 la récusation du juge assesseur Laurent Dutheil en raison de son appartenance à des groupements ouvertement opposés à leurs intérêts et de ses liens avec l'autorité intimée, respectivement avec la responsable de la mobilité auprès de la Ville de Pully. 
Le Juge assesseur s'est déterminé le 21 février 2023 en concluant au rejet de la requête, après avoir détaillé les associations auxquelles lui-même ou la société B.________ Sàrl, dont il est l'associé gérant avec signature individuelle, étaient membres. 
Le 22 février 2023, A.________ et consorts ont produit un extrait de la page LinkedIn de Laurent Dutheil dont il ressort que la société B.________ Sàrl a rédigé la directive cantonale sur la mise en place de zones 30 et de zones de rencontre édictée en janvier 2023 par la Direction générale de la mobilité et des routes du canton de Vaud, autorité concernée dans la cause GE.2022.0144 pendante devant la Cour de droit administratif et public. 
Le 9 mars 2023, A.________ et consorts ont pris position sur les déterminations de Laurent Dutheil. 
Par arrêt du 22 mars 2023, la Cour administrative du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté la demande de récusation. 
 
B.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ et consorts demandent au Tribunal fédéral principalement de réformer cet arrêt dans le sens où la demande de récusation du 7 février 2023 est admise et subsidiairement de l'annuler et de renvoyer la cause à l'autorité inférieure pour nouvelle décision dans le sens de l'arrêt à intervenir. 
La Cour administrative a renoncé à se déterminer et se réfère aux considérants de l'arrêt. Elle a remis son dossier. 
La Municipalité de Pully s'en remet à justice. L'intimé conclut au rejet du recours. 
Les recourants ont répliqué. 
A la demande du juge instructeur, la Cour de droit administratif et public a produit le dossier de la cause GE.2022.0144. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Conformément aux art. 82 let. a et 92 al. 1 LTF, une décision prise en dernière instance cantonale relative à la récusation d'un juge dans une procédure administrative peut faire immédiatement l'objet d'un recours en matière de droit public, malgré son caractère incident. L'auteur de la demande de récusation débouté a par ailleurs qualité pour agir en vertu de l'art. 89 al. 1 LTF. Le recours a au surplus été interjeté en temps utile et dans les formes requises de sorte qu'il convient d'entrer en matière. 
 
2.  
Les recourants contestent le rejet de leur demande de récusation du Juge assesseur Laurent Dutheil qui ne répondrait pas, selon eux, aux garanties d'impartialité et d'indépendance requises en raison d'un lien économique avec l'une des parties à la procédure, de sa participation à certaines associations qui militent en faveur de la mobilité active et de l'aménagement de pistes cyclables et de sa relation avec la responsable de la mobilité de la Ville de Pully. Ils dénoncent à ce propos une violation des art. 6 par. 1 CEDH, 30 al. 1 Cst. et 28 al. 1 de la Constitution du canton de Vaud du 14 avril 2003 (Cst-VD; BLV 101.1). 
 
2.1. La garantie d'un tribunal indépendant et impartial, telle qu'elle résulte de l'art. 6 par. 1 CEDH et de l'art. 30 al. 1 Cst., permet, indépendamment du droit de procédure cantonal (cf. art. 9 LPA-VD), de demander la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. Elle vise à éviter que des circonstances extérieures à l'affaire puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective est établie, car une disposition interne de la part du juge ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence d'une prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat; cependant, seules les circonstances objectivement constatées doivent être prises en compte, les impressions purement individuelles n'étant pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3; 137 I 227 consid. 2.1). Ces principes s'appliquent également aux juges assesseurs laïcs.  
L'art. 28 al. 1 Cst-VD dispose que toute personne dont la cause doit être jugée dans une procédure judiciaire a droit à ce que cette cause soit portée devant un tribunal établi par la loi, indépendant et impartial. Il n'a ainsi pas de portée indépendante par rapport à l'art. 30 al. 1 Cst. dont il reprend la teneur. Quant à l'art. 9 LPA-VD, évoqué devant l'instance précédente, il prévoit que toute personne appelée à rendre ou à préparer une décision ou un jugement doit se récuser, notamment si elle a un intérêt personnel dans la cause (let. a) ou si elle pourrait apparaître comme prévenue de toute autre manière, notamment en raison d'une amitié étroite ou d'une inimitié personnelle avec une partie ou son mandataire (let. e). 
 
2.2. La Cour administrative a relevé que Laurent Dutheil avait été nommé en tant que juge assesseur par le Grand Conseil pour ses compétences en matière de transport et de mobilité et désigné pour faire partie de la composition de la cour pour cette raison. En cette qualité, il traitera le dossier litigieux sous l'angle technique des normes de construction et des connaissances acquises tout au long de son parcours professionnel dans le domaine de l'urbanisme. La Cour administrative a considéré le fait que le Juge assesseur Laurent Dutheil soit l'associé gérant de sa société B.________ Sàrl comme insuffisant pour fonder sa récusation. Il n'était pas établi que cette société aurait un quelconque intérêt dans la cause pendante devant la Cour de droit administratif et public ou que ses intérêts seraient diamétralement opposés à ceux des requérants, la mobilité douce pouvant coexister avec les moyens de transport individuels motorisés. Le fait que Laurent Dutheil et sa société soient membres de l'association E.________, dont l'un des buts statutaires est de chercher à promouvoir une vision de rue qui ne soit pas que des routes, favorisant la cohabitation des multiples usages et usagers, la sécurité des placements des usagers vulnérables et la qualité de vie en ville, n'était pas de nature à mettre en doute son impartialité. Les buts de cette association n'étaient pas en totale opposition avec l'affaire en cause dès lors que la mobilité douce peut coexister avec les moyens de transport individuel motorisés. Le fait que l'intimé ait collaboré à la Ville de Lausanne il y a quelques années avec C.________, qui travaille à la Ville de Pully en tant que responsable en mobilité au sein de la Direction des travaux des services industriels, et qu'ils soient tous deux membres du comité de l'association D.________, ne permettait pas de retenir une apparence de prévention.  
 
2.3. Les recourants soutiennent que la société B.________ Sàrl, dont Laurent Dutheil est l'unique employé, serait tournée vers la promotion d'une mobilité excluant les transports individuels motorisés au profit des autres modes de transport et ne serait pas multimodale, comme le retient l'arrêt attaqué, et que ses intérêts seraient opposés aux leurs en tant qu'elle prône une vision de l'espace public qui tend à favoriser le développement des bandes cyclables au détriment des automobiles. Elle aurait également un intérêt économique dans la cause GE.2022.0144 dès lors qu'elle a été mandatée par la Direction générale de la mobilité et des routes, autorité concernée dans ladite cause, afin de rédiger la directive cantonale concernant la mise en oeuvre des nouvelles dispositions légales régissant les zones 30 km/h et les zones de rencontres. La Cour administrative aurait omis de relever que l'association D.________ dont Laurent Dutheil et C.________ sont membres aurait aussi pour objectif de favoriser la création de conditions-cadres garantissant le caractère sûr et attrayant des déplacements à vélo. Quant à l'association E.________, elle aurait pour essence de soutenir et de favoriser la création d'aménagements cyclables au détriment de l'espace accordé aux automobilistes. Le fait que l'intimé siège aux comités de ces deux associations, dont les intérêts sont opposés aux leurs, le placerait dans une situation de conflits d'intérêts et créerait à tout le moins une apparence de prévention propre à justifier sa récusation.  
 
2.4. Dans ses déterminations, Laurent Dutheil relève ne faire partie d'aucun parti politique ou association militante dans le domaine de la mobilité. Ni sa société ni aucune des associations dont il est membre à titre privé et/ou membre du comité ne sont parties prenantes dans le litige opposant les recourants à la Municipalité de Pully. Il ne retire aucun revenu de ses fonctions au sein du comité de D.________ et E.________, qui regroupent essentiellement des collectivités publiques et des bureaux privés spécialisés dans les domaines de l'aménagement urbain et qui ne font pas de militantisme. La Direction générale de la mobilité et des routes n'est pas l'auteur du projet querellé et n'est concernée par le litige qu'en raison du fait que les aménagements litigieux portent sur un tronçon de route cantonale en traversée de localité. La directive cantonale à l'élaboration de laquelle son bureau d'ingénieur a participé ne porte au demeurant pas sur des mesures sécuritaires mais sur des zones à vitesse limitée et est entrée en vigueur avant que la décision municipale n'ait été rendue. Celle-ci porte sur des mesures de balisage prises sur la route cantonale 777 pour des motifs de sécurité concernant l'ensemble des usagers et non pas seulement les cyclistes. Elle n'a aucun impact sur la capacité routière et ne réduit pas l'accessibilité à une parcelle privée ou à des activités commerciales des recourants. Il ne s'agirait ainsi pas d'un litige qui opposerait les intérêts des automobilistes à ceux des cyclistes. Enfin, il n'a aucun lien de parenté, hiérarchique ou économique avec B.________ qui fait partie de ses connaissances dans un cadre purement professionnel et avec qui il n'a eu aucun échange concernant le dossier en cause.  
 
2.5. Il n'est pas contesté que les compétences professionnelles de l'intimé en sa qualité d'ingénieur en mobilité puissent être utiles pour déterminer si les motifs de sécurité des usagers et des riverains de la route cantonale 777 invoqués par la Municipalité de Pully sont propres à justifier les mesures litigieuses d'un point de vue technique. L'opinion de la Cour administrative suivant laquelle il ne s'agirait pas d'un litige dans le cadre duquel les intérêts des automobilistes sont opposés à ceux des cyclistes doit être nuancée. Selon le rapport technique, le projet querellé s'inscrit dans l'optique d'une optimisation de l'itinéraire cyclable sur la route cantonale 777. Les aménagements routiers ne se résument par ailleurs pas à la suppression des places de parc sur cette artère et à la réduction de la durée de stationnement sur les autres rues adjacentes. Ils portent également sur des marquages au sol sur la route cantonale pour permettre l'aménagement d'une bande cyclable dans l'axe est-ouest, voire des deux côtés de la route s'agissant la zone 1, la suppression d'une présélection ou encore le déplacement d'un passage pour piétons. Les recourants soutiennent ainsi à juste titre que le projet litigieux ne se limite pas à des questions sécuritaires mais qu'il intervient dans un contexte plus large lié au réaménagement de la route cantonale 777 en faveur de la mobilité douce et des cyclistes. Le rôle du juge assesseur au sein de la Cour de droit administratif et public ne se résumera ainsi pas à examiner le litige au regard de la sécurité routière et à donner son avis sur le bien-fondé des mesures adoptées d'un point de vue technique. En tant que membre de la cour, il devra également donner son avis sur le fond du litige et procéder à la pesée des intérêts en présence que postule l'examen du recours. En outre, comme le relèvent les recourants, Laurent Dutheil n'est pas qu'un membre passif des associations D.________ et E.________; il fait partie de l'organe de direction de ces deux associations qui poursuivent entre autres objectifs pour la première celui de favoriser la création de conditions-cadres garantissant le caractère sûr et attrayant des déplacements à vélo, pour la seconde ceux de promouvoir une vision de rues qui ne soient pas que des routes, favorisant la cohabitation des multiples usages et usagers et de développer des thèmes en lien avec les aménagements de rues, la modération de la circulation, les usagers vulnérables et les modes doux. Enfin, parmi les thèmes de prédilection du bureau B.________ Sàrl, dont l'intimé est l'associé gérant et unique employé, figurent ceux des aménagements cyclables et des voies vertes et pistes cyclables.  
Au niveau des apparences, de telles circonstances sont objectivement de nature à susciter auprès des recourants des doutes quant à l'impartialité du juge assesseur, respectivement à les amener à craindre que la pesée des intérêts en présence ne soit pas ouverte et qu'il ne favorise un projet qui s'inscrit dans l'optimisation de l'itinéraire cyclable sur la route cantonale 377. 
Dans ces conditions, les recourants se plaignent à juste titre d'une violation des art. 30 al. 1 Cst., 6 par. 1 CEDH et 28 al. 1 Cst-VD. 
 
3.  
Les considérants qui précèdent conduisent à l'admission du recours et à la réforme de l'arrêt attaqué en ce sens que la demande de récusation du Juge assesseur de la Cour de droit administratif et public Laurent Dutheil dans la cause GE.2022.0144 est admise. Il n'est pas perçu de frais judiciaires pour les procédures fédérale et cantonale (art. 66 al. 4 LTF). Les recourants, qui obtiennent gain de cause avec l'assistance d'un avocat, ont droit à des dépens pour les procédures fédérale et cantonale à la charge du canton de Vaud (art. 68 al. 1 et 5 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis. L'arrêt attaqué est réformé en ce sens que la récusation du Juge assesseur Laurent Dutheil est ordonnée dans la cause GE.2022.0144. 
 
2.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires pour les procédures fédérale et cantonale. 
 
3.  
Une indemnité de dépens, fixée à 3'000 fr., pour les procédures fédérale et cantonale est allouée aux recourants, créanciers solidaires, à la charge du canton de Vaud. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des recourants et de la Municipalité de Pully, à l'intimé, à la Cour administrative du Tribunal cantonal du canton de Vaud ainsi que, pour information, à la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud avec son dossier en retour. 
 
 
Lausanne, le 12 décembre 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
Le Greffier : Parmelin