5D_204/2023 08.03.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
5D_204/2023  
 
 
Arrêt du 8 mars 2024  
 
IIe Cour de droit civil  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Herrmann, Président, Hartmann et De Rossa. 
Greffière : Mme de Poret Bortolaso. 
 
Participants à la procédure 
Hoirie de A.A.________, soit: 
 
1. B.A.________, 
2. C.A.________, 
3. D.A.________, 
représentée par D.A.________, 
elle-même représentée par Me Nicolas Stucki, avocat, 
recourants, 
 
contre  
 
Commune de U.________, 
intimée. 
 
Objet 
mise à ban de forêt et pâturage (art. 699 CC et 258 ss CPC), 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel, Cour d'appel civile, du 28 septembre 2023 (CACIV.2023.55). 
 
 
Faits :  
 
A.  
B.A.________, C.A.________ et D.A.________ constituent l'hoirie de A.A.________ (ci-après: l'hoirie). 
Celle-ci est propriétaire des articles 3217 et 2571 du cadastre de V.________. 
 
B.  
Le 29 septembre 2020, l'hoirie a saisi le Tribunal civil du Littoral et du Val-de-Travers (ci-après: le tribunal civil) d'une requête tendant à la mise à ban de ses parcelles pour une durée indéterminée et plus précisément à ce qu'il soit "[...] strictement interdit aux personnes non autorisées ou à quiconque de traverser ce chemin ou de pénétrer cette propriété". 
L'hoirie invoquait pour l'essentiel que des promeneurs, cavaliers et cyclistes passaient sur sa propriété et y laissaient des déchets, que la plupart des chiens des promeneurs n'étaient pas tenus en laisse, qu'ils faisaient leurs besoins sur le chemin, dans les champs et devant la maison, et que les déjections canines étaient susceptibles de transmettre certaines maladies (néosporose et sarcosporidiose) fatales pour le bétail. 
 
B.a. Par décision du 15 octobre 2020, le tribunal civil a mis à ban les parcelles concernées en prononçant l'interdiction suivante: "fait interdiction, pour une durée indéterminée, à toute personne non autorisée de pénétrer sur les parcelles nos 3217 et 2571 du cadastre de V.________".  
Entre le 24 novembre 2020 et le 15 février 2021, de nombreuses personnes ont déposé une opposition auprès du tribunal civil contre cette mise à ban. Ces oppositions ont été transmises à l'hoirie, qui a été rendue attentive au contenu de l'art. 260 CPC
 
B.b. Le 16 février 2021, la commune de U.________ a requis auprès du tribunal civil l'annulation de la décision de mise à ban du 15 octobre 2020 et, subsidiairement, à ce qu'il soit pris acte du dépôt d'une opposition à cette mise à ban "par la commune de U.________ représentant l'ensemble de ses citoyens et résidents".  
 
La commune se prévalait de la garantie d'accès à ces parcelles sur la base de l'art. 699 CC et du caractère vicié de la décision en raison de son défaut d'indications quant à l'obtention du préavis du Conseil d'État, nécessaire selon l'art. 69b de la loi cantonale concernant l'introduction du code civil suisse (LI-CC; RSN 211.1). 
 
B.b.a. Cette dernière question a fait l'objet d'une suspension de la procédure, requise par l'hoirie afin de solliciter le consentement du Conseil d'État à la mise à ban.  
Celui-ci l'a refusé. Le recours adressé par l'hoirie à la Cour de droit public du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel a été déclaré irrecevable. 
 
B.b.b. La procédure a repris le 28 janvier 2022 et un délai a été imparti à l'hoirie pour se déterminer sur la requête de la commune de U.________.  
 
B.b.c. Par décision du 26 juin 2023, le tribunal civil a constaté la nullité de la décision du 15 octobre 2020, ordonné à l'hoirie de retirer les avis de mise à ban affichés sur les immeubles concernés et invité le greffe à publier le constat en nullité dans la feuille officielle.  
 
B.c. Statuant le 28 septembre 2023 sur l'appel formé par l'hoirie, la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel (ci-après: la cour cantonale ou la cour d'appel) l'a rejeté et confirmé la décision du tribunal civil, modifiant néanmoins d'office le chiffre 1 de son dispositif dans le sens d'une annulation de la décision du 15 octobre 2020.  
 
C.  
Agissant le 6 novembre 2023 par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, l'hoirie A.________, représentée par D.A.________ (ci-après: la recourante), conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal et à sa réforme dans le sens que soit ordonnée la mise à ban sur les parcelles lui appartenant. Subsidiairement, elle sollicite l'annulation de l'arrêt cantonal et le renvoi de la cause à la cour d'appel pour nouvelle décision au sens des considérants. 
Des déterminations n'ont pas été demandées. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Il est admis que la valeur litigieuse de la cause, rendue en matière civile (art. 72 al. 1 LTF), n'atteint pas 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF). Seule la voie du recours constitutionnel subsidiaire est ainsi ouverte (art. 113 LTF) dès lors qu'aucune question juridique de principe n'est soulevée (art. 74 al. 2 let. a LTF). Les conditions de recevabilité d'un tel recours sont ici réalisées (art. 75 et art. 114 LTF; art. 90 et art. 117 LTF; art. 100 et art. 117 LTF; art. 115 LTF). 
 
2.  
Le recours constitutionnel subsidiaire peut être formé pour violation des droits constitutionnels (art. 116 LTF), dont la garantie contre l'arbitraire (art. 9 Cst.). Conformément à l'art. 106 al. 2 LTF (applicable en vertu du renvoi de l'art. 117 LTF), le Tribunal fédéral n'examine toutefois que les griefs expressément soulevés et motivés conformément au principe d'allégation. Le recourant doit indiquer quel droit ou principe constitutionnel a été violé par l'autorité précédente et dans quelle mesure, en présentant une argumentation claire et circonstanciée (ATF 145 I 121 consid. 2.1 et les références); des critiques simplement appellatoires ne sont pas admissibles (ATF 143 II 283 consid. 1.2.2; 142 III 364 consid. 2.4). 
 
3.  
Il s'agit de relever à titre liminaire que ce ne sont pas les héritiers propriétaires des parcelles litigieuses qui ont saisi le tribunal civil d'une action dirigée contre les opposants afin de faire valider la mise à ban (art. 260 al. 2 CPC; sur le déroulement de la procédure de mise à ban: cf. arrêt 5D_127/2022 consid. 4.2), mais c'est au contraire une opposante, à savoir la commune de U.________, qui a pris l'initiative de saisir le tribunal civil d'une requête tendant à son annulation. 
 
3.1. Soulignant cette particularité, la cour cantonale a admis ici l'application de l'art. 256 al. 2 CPC. Cette disposition, applicable à la procédure sommaire générale, réserve la possibilité d'annuler ou de modifier une décision prise dans une procédure gracieuse - dont relève la procédure de mise à ban (arrêt 5D_127/2022 précité ibid. et les références doctrinales) - qui s'avère ultérieurement incorrecte.  
 
3.2. La doctrine est néanmoins divisée sur l'application de cette disposition à la procédure sommaire spéciale de la mise à ban (en faveur: JENT-SØRENSEN, in KUKO ZPO, 3e éd. 2021, n. 9 ad art. 258-260 CPC; implicitement: GÜNGERICH, in Berner Kommentar, 2012, n. 10 ad art. 258 CPC qui considère que la procédure de mise à ban est un cas d'application du gracieux et procède à un renvoi général aux art. 252 ss CPC; contre: BOHNET, in CR CPC, 2e éd. 2020, n. 14 ad art. 258 CPC). La plupart des auteurs ne s'expriment pas à cet égard, se fondant vraisemblablement sur la faculté de déposer une opposition, laquelle induit envers son auteur la caducité de la mise à ban (art. 260 al. 2 CPC); ils se limitent à évoquer la possibilité pour le tiers d'ouvrir en tout temps une action pour faire reconnaître un droit qui l'emporterait sur l'interdiction objet de la mise à ban (STEINAUER, La mise à ban générale: du juge civil au juge pénal, in Droit pénal et criminologie, Mélanges en l'honneur de Nicolas Queloz, 2020, p. 423 ss, n. 7; GÖKSU, in Sutter-Somm et al. [éd.], Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], 3e éd. 2016, n. 7 s. ad art. 260 CPC; GASSER/RICKLI, Schweizerische Zivilprozessordnung [ZPO] Kurzkommentar, 2e éd. 2014, n. 6 ad art. 260 CPC) ou d'attendre la mise en oeuvre de la sanction pénale prévue par la mise à ban pour faire valoir ce droit (ainsi: STEINAUER, op. cit., ibid.; SCHWANDER, in Brunner et al. [éd.], ZPO Schweizerische Zivilprozessordnung Kommentar, 2e éd. 2016, n. 16 ad art. 258 CPC; GASSER/RICKLI, op. cit., n. 5 ad art. 260 CPC; TENCHIO/TENCHIO, in Basler Kommentar ZPO, n. 2 ad art. 260 CPC; GÖKSU, op. cit., n. 1 et 9 ss ad art. 258 CPC).  
 
3.3. La recourante n'aborde cependant aucunement cette problématique; il n'y a donc pas lieu de trancher ici si l'art. 256 al. 2 CPC trouve application dans le contexte d'une procédure de mise à ban, étant rappelé que le choix d'une solution opéré par l'autorité cantonale sur une question controversée en doctrine ne peut en principe pas être qualifié d'arbitraire (parmi d'autres: arrêts 5A_117/2021 du 9 mars 2022 consid. 2.1; 5A_503/2020 du 16 décembre 2020 consid. 2).  
 
4.  
La cour cantonale a relevé qu'une limitation du libre accès aux forêts et pâturages, tel que garanti par l'art. 699 al. 1 CC, devait faire l'objet d'une pesée des intérêts en présence, être proportionnée et éviter de porter atteinte au droit d'accès dans sa substance. Or la mise à ban sollicitée par la recourante était ici disproportionnée: d'abord sous l'angle de son inaptitude à atteindre l'objectif qu'elle visait (ainsi: néosporose très rarement transmise par des chiens ne vivant pas sur une exploitation agricole; transmission de la sarcosporidiose possible par les déjections d'autres carnivores; intoxication d'autres têtes de bétail et incivilités des promeneurs malgré la mise à ban prononcée le 15 octobre 2020); puis en portant une atteinte à la substance même du droit d'accès (interdiction pure et simple de tout passage sur les parcelles concernées). Les incivilités combattues par la recourante étaient par ailleurs déjà punissables d'une amende selon la réglementation pénale cantonale en vigueur (art. 16a du code pénal neuchâtelois [en lien avec l'abandon de déchets]); art. 14 al. 1 et 2; art. 20 de la loi cantonale sur les chiens [en lien avec les déjections canines]); elles étaient de surcroît susceptibles de se produire à tout endroit accessible par des promeneurs. Selon l'autorité cantonale, l'argumentation de la recourante relevait en définitive d'un plaidoyer pour une modification du droit d'accès ancré à l'art. 699 CC dans le sens d'une restriction d'accès aux pâturages et forêts situés à proximité des zones urbaines, restriction qui n'était cependant pas prévue en l'état actuel du droit. 
 
4.1. La recourante reproche d'abord à la cour cantonale de s'être fondée sur le préavis négatif du Conseil d'État, limité à des généralités, sans prise en compte de la particularité de sa situation (forêts et pâturages en bordure d'agglomération, objets d'une pression urbaine importante et croissante), et de ne pas avoir pris en considération ses arguments (intérêt privé à protéger son activité professionnelle et intérêt public à protéger le cheptel de maladies transmissibles au bétail et à l'homme), pourtant appuyés par la Chambre neuchâteloise d'agriculture et de viticulture (ci-après: CNAV). La recourante soutient par ailleurs dans ce contexte qu'il serait parfaitement erroné de soutenir que seuls les chiens de ferme seraient susceptibles de transmettre la néosporose.  
L'on ne saisit pas le grief d'ordre constitutionnel que la recourante entend soulever à l'appui de cette motivation ( supra consid. 2). A supposer qu'il s'agisse de l'arbitraire dans l'appréciation des preuves, l'on précisera que la cour cantonale a indiqué que l'avis de la CNAV ne concernait aucunement la situation particulière de la recourante, mais se limitait à relever que, d'une manière générale, la cohabitation entre les agriculteurs et certains promeneurs dans les zones périurbaines tendait à devenir de plus en plus conflictuelle et problématique à plusieurs égards. Les juges cantonaux ont également souligné qu'il ressortait de la prise de position du vétérinaire cantonal du 25 avril 2021 qu'il était extrêmement rare que la néosporose pût être transmise par un chien "non agricole". La recourante ne remet aucunement ces éléments en cause si ce n'est le fait, certes avéré, que l'avis de la CNAV lui était adressé personnellement et soutenait sa démarche. Cette circonstance n'ôte cependant rien au caractère très général de la position développée par cette association. Dans cette mesure, il n'y a donc pas lieu d'entrer en matière sur la - supposée - critique élevée par la recourante.  
 
4.2. La recourante invoque ensuite la violation du principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.), "entre autres".  
 
4.2.1. Bien qu'il soit ancré à l'art. 5 al. 2 Cst., le principe de proportionnalité n'est pas considéré comme un droit fondamental. Il n'a pas de portée propre et ne peut être invoqué dans un recours constitutionnel subsidiaire qu'en relation avec la violation d'un droit fondamental (ATF 140 II 194 consid. 5.8.2; 134 I 153 consid. 4.1; arrêts 5A_163/2022 du 14 octobre 2022 consid. 3.4; 4D_54/2023 du 31 octobre 2023 consid. 4).  
L'on déduit des critiques développées par la recourante que l'expression "entre autres" fait référence à l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.), ce qui permet d'admettre la recevabilité du grief précité. 
 
4.2.2.  
 
4.2.2.1. Quoi qu'en dise la recourante dans ce contexte, il faut d'abord reconnaître que l'efficacité de la mise à ban ordonnée le 15 octobre 2020 n'est pas claire: tout en affirmant que la situation se serait améliorée, l'intéressée prétend en effet que l'interdiction n'aurait pas pu être mise en oeuvre. L'on ne saurait ainsi reprocher à la cour cantonale d'avoir arbitrairement retenu que la mise à ban n'avait pas permis de régler la situation.  
 
4.2.2.2. Pour l'essentiel, la recourante se plaint de l'inaction communale au sujet des incivilités dont elle se prévaut, lui reprochant de ne prendre aucune mesure à cet égard, de ne pas mettre en oeuvre les sanctions pénales prévues par les réglementations cantonales citées par la cour cantonale et de faire ainsi finalement prévaloir l'intérêt d'administrés irrespectueux sur celui des agriculteurs. Elle reproche à la cour cantonale de n'en avoir arbitrairement pas tenu compte.  
Cette argumentation ne permet cependant pas de démontrer que la mise à ban des parcelles agricoles privées de l'hoirie serait la seule mesure apte à combattre les incivilités des promeneurs et les conséquences qu'elles entraînent. La recourante, qui confirme la nécessité d'une restriction complète d'accès à ses parcelles et ainsi, l'atteinte à la substance même de la garantie aménagée par l'art. 699 CC, ne conteste pas utilement les motifs invoqués par la cour cantonale pour démontrer l'inaptitude de la mesure sollicitée. Se limitant à affirmer l'inefficacité des sanctions pénales, elle ne discute pas le fait que les incivilités qu'elle combat sont susceptibles de se produire en tout endroit accessible par les promeneurs, ni ne nie efficacement que la propagation des maladies citées n'est pas nécessairement le fait de déjections canines (sarcosporidiose), voire apparaît rarement liée à des chiens qui ne vivent pas sur des exploitations agricoles (néosporose). Les critiques de la recourante soulèvent en réalité les problématiques générales que génère pour les paysans le droit d'accès garanti par l'art. 699 CC; elles s'inscrivent ainsi dans une dimension politique, ce que tendent d'ailleurs à démontrer les références qu'elle effectue à la prise de position du Conseil d'État neuchâtelois ainsi qu'aux mesures décidées dans ce contexte par la ville de Lausanne. La cour cantonale ne s'y est pas trompée en relevant que, par ces critiques, la recourante plaidait en définitive une modification de cette dernière disposition, ce que ne permet manifestement pas le moyen choisi pour y parvenir. 
 
5.  
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté, dans la mesure de sa recevabilité. Les frais sont mis à la charge de la recourante (art. 66 al. 1 LTF); aucune indemnité de dépens n'est octroyée à la commune (art. 68 al. 3 LTF), laquelle n'a de surcroît pas été invitée à se déterminer. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'500 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel, Cour d'appel civile. 
 
 
Lausanne, le 8 mars 2024 
 
Au nom de la IIe Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Herrmann 
 
La Greffière : de Poret Bortolaso