1B_40/2023 17.05.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1B_40/2023  
 
 
Arrêt du 17 mai 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Müller, Juge présidant, 
Chaix et Kölz. 
Greffière : Mme Kropf. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Maîtres Nicola Meier & Simine Sheybani, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy. 
 
Objet 
Procédure pénale; récusation; compétence, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 23 décembre 2022 (ACPR/907/2022 - PG/668/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Le 6 novembre 2022, A.________ a requis, dans le cadre de la cause P_2013 ouverte à son encontre, la récusation de la Procureure en charge de ce dossier et de "tout autre magistrat concerné" par les faits et agissements qui ont ensuite été dénoncés dans une plainte pénale le 11 novembre 2022 (cause P_2022). 
Les 9 et 14 novembre 2022, il a également sollicité la récusation, toujours dans la cause P_2013, de tout membre de la Brigade financière ayant participé aux agissements dénoncés. Dans son courrier du 5 décembre 2022 relatif à la cause PG/668/2022, le Procureur général de la République et canton de Genève (ci-après : le Procureur général) l'a notamment informé que la demande de récusation visant les policiers serait "traitée par l'autorité compétente, à savoir l'organe institué par l'art. 9 du règlement [genevois du 20 mai 2014] du Ministère public (RMinPub - [RS/GE] E 2 05.40) ". 
 
B.  
Dans son recours du 19 décembre 2022 contre ce courrier, A.________ a en substance demandé la constatation de la réalisation des conditions de l'art. 82A al. 3 de la loi genevoise du 26 septembre 2010 sur l'organisation judiciaire (LOJ; RS/GE E 2 05) et l'application de cette disposition à ses requêtes de récusation des 9 et 14 novembre 2022. Il a aussi requis qu'ordre soit donné au Procureur général de saisir la Présidente du Conseil supérieur de la magistrature afin qu'elle désigne un procureur extraordinaire au traitement de sa demande de récusation du 14 novembre 2022. 
Le 23 décembre 2022 (ACPR/907/2022), la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après : la Chambre pénale de recours) a déclaré ce recours irrecevable, faute en substance d'être compétente. 
 
C.  
Par acte du 20 janvier 2023, A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet arrêt, concluant à son annulation et à la constatation de la compétence de la Chambre pénale de recours pour statuer sur son recours cantonal du 19 décembre 2022 dans la procédure PG/668/2022. A titre subsidiaire, il demande le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour transmission de l'acte précité à l'autorité compétente en application de l'art. 91 al. 4 CPP. Encore plus subsidiairement, il requiert le renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Préalablement, le recourant sollicite l'octroi de l'effet suspensif. 
L'autorité précédente s'en est remise à justice s'agissant de l'effet suspensif et a renoncé à déposer des observations sur le recours. Quant au Procureur général, il a conclu au rejet du recours et en substance s'en est remis à justice sur la demande d'effet suspensif. Le 15 mars 2023, le recourant a persisté dans ses conclusions. 
Par ordonnance du 17 février 2013 [recte 2023], le Juge présidant a rejeté la demande d'effet suspensif. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
L'arrêt attaqué, décision incidente portant sur la compétence (cf. art. 92 LTF), a été rendu par une autorité cantonale statuant en tant que dernière instance cantonale (art. 80 al. 1 LTF) dans le cadre d'une cause pénale. Le recours en matière pénale au sens des art. 78 ss LTF est donc en principe ouvert. Le recourant a un intérêt juridiquement protégé à obtenir l'annulation ou la modification de la décision entreprise, laquelle refuse d'entrer en matière sur ses griefs (cf. art. 81 al. 1 let. a et b LTF). Le recours a en outre été déposé en temps utile (cf. art. 46 al. 1 let. c et 100 al. 1 LTF) et les conclusions présentées sont recevables (cf. art. 107 al. 2 LTF). 
Partant, il y a lieu d'entrer en matière. 
 
2.  
Invoquant une violation de l'art. 20 al. 1 let. b CPP, le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir considéré que le courrier du 5 décembre 2022 du Procureur général ne constituerait pas une décision sujette à recours entrant dans son domaine de compétence. 
 
2.1. Selon l'art. 20 al. 1 CPP, l'autorité de recours statue sur les recours dirigés contre les actes de procédure et contre les décisions non sujettes à appel rendues notamment par les tribunaux de première instance (let. a) ou par la police, le ministère public et les autorités pénales compétentes en matière de contraventions (let. b).  
Dans le canton de Genève, la Chambre pénale de recours est la juridiction prévue par la disposition susmentionnée (cf. art. 128 al. 1 let. a LOJ). Elle exerce les compétences attribuées par le CPP à l'autorité de recours (cf. art. 128 al. 2 let. a LOJ), par la loi fédérale du 20 mars 2009 sur la procédure pénale applicable aux mineurs (PPMin; RS 312.1) à l'autorité de recours des mineurs (cf. art. 128 al. 2 let. b LOJ), ainsi que par la loi genevoise du 27 août 2009 d'application du code pénal suisse et d'autres lois fédérales en matière pénale (LaCP; RS/GE E 4 10; cf. art. 128 al. 3 LOJ). 
 
2.2. Le recours est en particulier recevable contre les décisions et les actes de procédure de la police, du ministère public et des autorités pénales compétentes en matière de contraventions (art. 393 al. 1 let. a CPP) et contre les ordonnances, les décisions et les actes de procédure des tribunaux de première instance, sauf contre ceux de la direction de la procédure (art. 393 al. 1 let. b CPP). Ne peuvent en revanche être attaquées par la voie du recours les décisions qualifiées de définitive ou de non sujette à recours (cf. art. 380 CPP en lien avec les art. 379 et 393 CPP; pour des exemples, ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1 p. 85).  
Il découle ainsi de la systématique légale que, sauf exceptions prévues expressément par la loi, toutes les décisions de procédure - respectivement toute abstention ou omission -, qu'elles émanent du ministère public, de la police ou des autorités compétentes en matière de contraventions, sont susceptibles de recours; en d'autres termes, la méthode législative n'est plus celle d'un catalogue énumérant les décisions sujettes à recours, à l'instar de ce que prévoyaient plusieurs anciens codes de procédure cantonaux, mais consiste à appliquer un principe (universalité des recours) puis à le limiter par des exceptions exhaustivement prévues dans la loi (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1 p. 84 et les références citées). 
 
2.3. A teneur de l'art. 56 let. f CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention. Cette disposition a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus à l'art. 56 let. a à e CPP. L'art. 56 let. f CPP correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 Cst. et 6 CEDH. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 148 IV 137 consid. 2.2 p. 138 s.; 147 III 379 consid. 2.3.1 p. 384; 143 IV 69 consid. 3.2 p. 74). L'impartialité subjective d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire (ATF 136 III 605 consid. 3.2.1 p. 609; arrêts 6B_1381/2022 du 26 avril 2023 consid. 2.4.1; 1B_33/2023 du 13 avril 2023 consid. 4.2).  
Selon l'art. 59 al. 1 let. b CPP, lorsqu'un motif de récusation au sens de l'art. 56 let. a ou f CPP, est invoqué ou qu'une personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale s'oppose à la demande de récusation d'une partie qui se fonde sur l'un des motifs énumérés à l'art. 56 let. b à e CPP, le litige est tranché sans administration supplémentaire de preuves et définitivement par l'autorité de recours au sens de l'art. 20 CPP (ATF 143 IV 69 consid. 1.1 p. 72), lorsque le ministère public, les autorités pénales compétentes en matière de contraventions et les tribunaux de première instance sont concernés. 
 
2.4. Selon l'art. 9 RMinPub, les décisions portant sur la récusation d'un policier sont de la compétence d'un collège composé du procureur général et des premiers procureurs, qui peut statuer si trois au moins de ses membres sont présents (1 ère phrase); le collège statue à la majorité simple des membres présents (2 ème phrase); en cas d'égalité, la voix du procureur général est prépondérante (3 ème phrase).  
Les principes d'indépendance et d'impartialité susmentionnés s'appliquent également à l'autorité appelée à statuer sur une requête de récusation. Dans la mesure où une telle demande est formée contre un ou des membres du collège prévu à l'art. 9 RMinPub, l'autorité de recours est compétente pour statuer sur cette requête (cf. art. 59 al. 1 let. b CPP), soit dans le canton de Genève, la Chambre pénale de recours (cf. art. 128 al. 1 let. a et al. 2 let. a LOJ). 
A teneur de l'art. 82A al. 2 LOJ, lorsqu'un magistrat du Ministère public doit être entendu en tant que partie plaignante ou en qualité de prévenu d'un crime ou d'un délit, le procureur général ou un premier procureur informe sans délai le président du conseil supérieur de la magistrature; celui-ci désigne un procureur extraordinaire parmi ceux visés à l'art. 76 let. c LOJ, et lui attribue la procédure; la mise en oeuvre d'actes d'instruction urgents est réservée. Lorsqu'il existe d'autres circonstances particulières, le procureur général ou un premier procureur peut demander au président du conseil supérieur de la magistrature qu'il désigne un procureur extraordinaire parmi ceux visés à l'art. 76 let. c LOJ, et lui attribue la procédure (art. 82A al. 3 LOJ). 
 
2.5. La cour cantonale a laissé indécise la question de savoir si le courrier du 5 décembre 2022 constituait une décision sujette à recours. Relevant que le recourant se plaignait d'une violation de son droit à ce que sa cause soit portée devant un tribunal établi par la loi, compétent, indépendant et impartial, elle a considéré qu'en application de l'art. 128 al. 2 let. a et al. 3 LOJ, elle exerçait cependant uniquement les compétences attribuées par le CPP, ainsi que par la LaCP; elle n'était ainsi pas habilitée à garantir la bonne application de la LOJ; l'art. 82A LOJ ne prévoyait de plus pas de voie de recours en cas d'absence de saisine d'un procureur extraordinaire. Faute d'être compétente, la Chambre pénale de recours ne pouvait ainsi pas entrer en matière sur le recours cantonal, lequel était donc irrecevable.  
 
2.6. Ce raisonnement ne saurait cependant être suivi.  
En effet, la démarche du recourant tend à obtenir que ses requêtes de récusation des 9 et 14 novembre 2022 visant les policiers ne soit pas traitée par le collège prévu à l'art. 9 RMinPub au motif en substance que celui-ci ne serait pas à même de lui offrir les garanties suffisantes notamment en matière d'impartialité et d'indépendance auxquelles il aurait droit (voir notamment ad let. c p. 17 du recours fédéral, ainsi qu'ad ch. 2 p. 15, ch. 1 p. 16 et ch. 2 p. 17 de son recours cantonal). Ce faisant, le but poursuivi par le recourant ne se distingue pas de celui que tend à assurer une procédure de récusation; le recourant le reconnaît d'ailleurs lui-même en relevant les analogies avec cette procédure (cf. en particulier ad let. b p. 13 et let. c p. 17 du recours fédéral). Il ne prétend pas non plus que les "autres circonstances particulières" nécessaires à une éventuelle application de l'art. 82A al. 3 LOJ seraient fondamentalement différentes des motifs qui peuvent être invoqués dans une demande de récusation (cf. en particulier l'art. 56 let. f CPP). Enfin, le recourant ne soutient pas que, dans le cadre de la récusation, il ne pourrait pas faire valoir des motifs visant l'ensemble du collège de l'art. 9 RMinPub et conclure à la désignation d'un procureur extraordinaire, notamment par la saisine par le Procureur général de la Présidente du Conseil supérieur de la magistrature. A cela s'ajoute encore que le courrier du 5 décembre 2022 - confirmant que les requêtes de récusation visant les policiers seraient traitées par le collège prévu à l'art. 9 RMinPub - s'apparente aux informations que peut donner une autorité quant à sa composition future. Dans une telle configuration, si l'intéressé estime que l'un ou l'autre des membres de cette autorité - identifiés en l'occurrence (cf. ad ch. ii p. 13 du recours cantonal) - ne présente pas les garanties d'indépendance nécessaires, il doit alors immédiatement demander sa/leur récusation. Au regard de ces considérations, c'est donc par le biais de la procédure de récusation que le recourant doit agir s'il estime que les "autres circonstances particulières" de l'art. 82A al. 3 LOJ sont réalisées. 
Lorsqu'une requête de récusation vise des membres du Ministère public, la Chambre pénale de recours est compétente pour examiner cette demande (cf. art. 59 al. 1 let. b CPP). 
 
2.7. La cause doit par conséquent être renvoyée à l'autorité précédente afin qu'elle examine dans quelle mesure l'acte du 19 décembre 2022 constituerait une demande de récusation et, le cas échéant, entre en matière sur les griefs qui y sont soulevés.  
Sauf à violer l'interdiction du formalisme excessif et en raison de l'incertitude juridique qui existait quant à la voie à suivre, la cour cantonale ne saurait se limiter, pour écarter l'acte du 19 décembre 2022, à se référer à l'affirmation du recourant selon laquelle il n'aurait pas voulu déposer de requête de récusation (cf. notamment ad ch. 1 p. 2 des observations du 15 mars 2023). L'acte du 19 décembre 2022 a également été déposé dans le respect du délai imparti par la voie de droit que le recourant pensait ouverte (cf. art. 90 al. 2, 91 al. 2 et 396 al. 1 CPP; voir les faits retenus à cet égard p. 8 de l'arrêt attaqué); il ne saurait donc en l'occurrence lui être reproché de n'avoir pas respecté les exigences en matière de célérité découlant de l'art. 58 al. 1 CPP (sur cette disposition, voir arrêts 1B_196/2023 du 27 avril 2023 consid. 3; 1B_163/2022 du 27 février 2023 consid. 3.1 et les arrêts cités). 
 
3.  
Il s'ensuit que le recours est admis. L'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle procède au sens des considérants (cf. en particulier le consid. 2.7). 
Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). Le recourant, qui obtient gain de cause avec un avocat, a droit à des dépens à la charge du canton de Genève (cf. art. 68 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis. L'arrêt du 23 décembre 2022 de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève est annulé. La cause est renvoyée à cette autorité pour qu'elle procède au sens des considérants. 
 
2.  
Une indemnité, arrêtée 2'500 fr., est allouée au recourant à la charge de la République et canton de Genève. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 17 mai 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Müller 
 
La Greffière : Kropf