6B_1098/2022 31.07.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_1098/2022, 6B_1106/2022  
 
 
Arrêt du 31 juillet 2023  
 
Ire Cour de droit pénal  
 
Composition 
Mme et MM. les Juges fédéraux 
Denys, Juge présidant, Muschietti et van de Graaf. 
Greffier : M. Barraz. 
 
Participants à la procédure 
6B_1098/2022 
Ministère public de la République 
et canton de Genève, 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, 
recourant 1, 
 
contre  
 
1. A.________, 
2. B.________, 
tous deux représentés par Me Laïla Batou, avocate, 
3. C.________, 
représenté par Me Sophie Bobillier, avocate, 
4. D.________, 
représentée par Me Raphaël Roux, avocat, 
intimés, 
 
et 
 
6B_1106/2022 
A.________, 
représenté par Me Laïla Batou, avocate, 
recourant 2, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, 
intimé. 
 
Objet 
6B_1098/2022  
Infraction à l'Ordonnance 2 COVID-19, 
 
6B_1106/2022  
Liberté de réunion (art. 22 Cst. et 11 CEDH), 
 
recours contre l'arrêt de Chambre pénale d'appel 
et de révision de la Cour de justice de la République et canton de Genève, du 13 juillet 2022 
(P/13648/2020 AARP/211/22). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par jugement du 23 septembre 2021, le Tribunal de police de la République et canton de Genève a acquitté C.________, D.________, B.________ et A.________ de participation à un rassemblement de plus de cinq personnes au sens des art. 7c al. 1 et 10f al. 2 let. a de l'ordonnance 2 du 13 mars 2020 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus, dans sa version du 30 avril 2020 (Ordonnance 2 COVID-19; RS 818.101.24). Il a également acquitté les précités de l'infraction de refus d'obtempérer au sens de l'art. 10 de la loi cantonale du 26 juin 2008 sur les manifestations sur le domaine public (LMDPu/GE; RSGE F 3 10), sauf A.________, qui a été reconnu coupable à ce titre mais a été exempté de toute peine en application de l'art. 52 CP
 
B.  
Par arrêt du 13 juillet 2022, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice de la République et canton de Genève a rejeté les appels du Ministère public de la République et canton de Genève et de A.________. Elle a confirmé le jugement du 23 septembre 2021, tout en requalifiant l'infraction commise par A.________ de violation de l'art. 11F de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG/GE; RSGE E 4 05). 
Elle a statué sur la base des faits suivants: 
 
B.a. Au printemps 2020, une coalition apolitique a lancé une pétition en ligne baptisée " Appel du 4 mai " pour demander aux élus réunis en session extraordinaire du 4 au 8 mai de prendre en compte leur volonté de voir émerger, après la pandémie de COVID-19, un autre monde, passant entre autres par une reprise économique plus sociale, locale et écologique. Dans ce contexte, une initiative citoyenne appelée " #4m2 " a vu le jour sur les réseaux sociaux, invitant les participants à occuper l'espace public de manière symbolique, en traçant au sol un carré de 4m2, à la craie ou au moyen de scotch par exemple, puis à s'y tenir immobile, en silence, de 12h00 à 12h15, chaque jour dès le 4 mai 2020. À Genève, cette action devait notamment avoir lieu sur l'esplanade de la gare Cornavin.  
 
B.b. Le 4 mai 2020 a eu lieu une première action, qui a attiré de très nombreuses personnes, de même que la presse. Il n'y a pas eu de débordements et la police n'est pas intervenue.  
 
B.c.  
 
B.c.a. Le 6 mai 2020, la police est intervenue à la place Cornavin pour un rassemblement de six personnes, chacune se tenant au centre d'un carré dessiné au sol.  
 
B.c.b. Dès l'arrivée de la police, deux des six participants ont quitté les lieux, sans être identifié, sans qu'il soit possible d'établir s'ils sont partis à la suite de sommations ou à la simple vue de la police, et sans qu'il soit possible d'établir où se trouvait leur carré respectif.  
 
B.c.c. Le 6 mai 2020, quelques minutes après 12h00, après ou simultanément au contrôle de son identité, auquel il a obtempéré très lentement mais calmement en présentant son permis B, C.________ a reçu l'ordre de circuler. Il a quitté les lieux à 12h15, à l'issue de la durée planifiée de l'opération " #4m2 " mais a néanmoins été déclaré en contravention à 12h08.  
 
B.c.d. Le 6 mai 2020, quelques minutes après 12h00, un policier a requis que D.________ s'identifie, ce qu'elle n'a pas eu le temps de faire avant que le précité ne se détourne pour intervenir auprès d'un tiers qui filmait. Suite à cette interaction, elle a commencé à enlever le scotch qui délimitait son carré et à prendre ses affaires. Alors qu'elle s'apprêtait à partir, elle a été déclarée en contravention à 12h08, a été menottée, puis emmenée au poste.  
 
B.c.e. Le 6 mai 2020, quelques minutes après 12h00, après ou simultanément au contrôle de son identité, auquel elle a obtempéré en présentant sa carte d'identité, B.________ a reçu l'ordre de circuler. Elle a été déclarée en contravention à 12h08. Une photographie versée au dossier la montre debout au centre de son carré à 12h12, en train de fouiller son sac. Une seconde photographie la montre obtempérer aux instructions de la police, prête à partir, après avoir enfilé son manteau et ramassé son sac.  
 
B.c.f. Le 6 mai 2022, à 12h00, A.________ s'est placé au centre de son carré. Quelques minutes après 12h00, un policier a requis qu'il s'identifie, ce qu'il a fait, tout en faisant usage de son téléphone pour filmer son interlocuteur. Quelques instants après, il a reçu l'ordre d'arrêter de filmer et de circuler. Il a rapidement quitté son carré en s'éloignant de quelques mètres, tout en continuant de filmer, puis s'est vu restituer ses papiers d'identité. Une seconde vidéo le montre, peu avant 12h15, en train de parlementer avec un policier, alors que B.________ avait déjà enfilé son manteau et que D.________ était en train d'enlever le scotch au sol et de prendre ses affaires pour partir. Il a été déclaré en contravention après la fin planifiée de l'opération " #4m2 ", soit à 12h20, alors qu'il refusait de quitter les lieux tant que des explications ne lui seraient pas fournies, en ignorant les ordres réitérés de dispersion, puis en filmant de manière rapprochée et insistante l'intervention de la police. Une troisième vidéo le montre se faire menotter, sans que l'on ne puisse plus apercevoir les autres participants de l'opération " #4m2 ".  
 
C.  
 
C.a. Le Ministère public de la République et canton de Genève forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt cantonal du 13 juillet 2022. Il conclut principalement, avec suite de frais, à sa réforme en ce sens que C.________, D.________, B.________ et A.________ sont reconnus coupables d'infraction aux art. 7c al. 1 et 10f al. 2 let. a Ordonnance 2 COVID-19 et condamnés à une amende de 600 fr. chacun. Subsidiairement, il conclut à son annulation et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants (cause 6B_1098/2022).  
 
C.b. A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt cantonal du 13 juillet 2022. Il conclut, avec suite de frais et dépens, à sa réforme en ce sens qu'il est acquitté de l'infraction de refus d'obtempérer au sens de l'art. 11F LPG/GE (cause 6B_1106/2022).  
 
C.c. Invités à se déterminer sur le recours dans la cause 6B_1106/2022, la Cour de justice de la République et canton de Genève y a renoncé, alors que le Ministère public de la République et canton de Genève a conclu à son rejet, tout en renvoyant à son propre recours dans la cause 6B_1098/2022. Ces communications ont été transmises à A.________.  
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Les deux recours, dirigés contre le même arrêt, concernent le même complexe de faits et portent dans une large mesure sur les mêmes questions de droit. Il se justifie de les joindre et de statuer par une seule décision (art. 71 LTF et 24 PCF). 
 
Recours formé par le Ministère public de la République et canton de Genève (recourant 1) 
 
2.  
 
2.1. Le Tribunal fédéral examine d'office (art. 29 al. 1 LTF) et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 144 II 184 consid. 1; 144 V 280 consid. 1).  
 
2.2. En application de l'art. 81 al. 1 let. b ch. 3 LTF, l'accusateur public a qualité pour former un recours en matière pénale. Savoir quelle autorité au sein d'un canton constitue l'accusateur public est une question qui doit se résoudre à l'aune de la LTF. Lorsqu'il existe un ministère public compétent pour la poursuite de toutes les infractions sur l'ensemble du territoire, seule cette autorité aura la qualité pour recourir au Tribunal fédéral. En revanche, savoir qui, au sein de ce ministère public, a la compétence de le représenter est une question d'organisation judiciaire, à savoir une question qui relève du droit cantonal (ATF 142 IV 196 consid. 1.5.2; arrêt 6B_619/2022 du 8 février 2023 consid. 1).  
Dans le canton de Genève, il existe un ministère public pour l'ensemble du canton. Il est doté d'un poste de procureur général et de 43 postes de procureurs. Le procureur général dirige le ministère public; chaque section du ministère public est sous la surveillance d'un premier procureur (art. 76, 78 et 79 de la Loi genevoise du 26 septembre 2010 sur l'organisation judiciaire (LOJ; RSGE E 2 05)). Tout magistrat du ministère public a qualité pour interjeter les recours prévus par la loi (art. 38 al. 1 de la Loi genevoise du 27 août 2009 d'application du code pénal suisse et d'autres lois fédérales en matière pénale (LaCP; RSGE E 4 10). 
 
2.3. En l'espèce, le mémoire de recours du recourant 1 est signé par l'un des premiers procureurs, de sorte qu'il est recevable en la forme.  
 
3.  
Le recourant 1 se plaint d'une violation des art. 7c al. 1 et 10f al. 2 Ordonnance 2 COVID-19. 
 
3.1. Selon l'art. 7c al. 1 Ordonnance 2 COVID-19, les rassemblements de plus de cinq personnes dans l'espace public, notamment sur les places publiques, sur les promenades et dans les parcs, sont interdits.  
 
En vertu de l'art. 10f al. 2 let. a Ordonnance 2 COVID-19, est puni de l'amende quiconque enfreint l'interdiction de rassemblement dans les lieux publics visée à l'art. 7c. 
 
3.2. La cour cantonale a confirmé l'acquittement des intimés pour participation à un rassemblement de plus de cinq personnes au sens des art. 7c al. 1 et 10f al. 2 let. a Ordonnance 2 COVID-19 à double titre. Dans la première partie de son raisonnement, elle a confirmé que l'opération " #4m2 " devait être considérée comme un rassemblement au sens de l'art. 7c al. 1 Ordonnance 2 COVID-19. Elle a toutefois relevé qu'aucun attroupement n'était visible et qu'il n'était pas possible d'affirmer si certains manifestants étaient installés sur l'arrêt de bus et entravaient la circulation, et ainsi, que c'est sans arbitraire que l'autorité de première instance avait retenu que l'opération " #4m2 " était pacifique et se déroulait dans le calme, l'attention des badauds ayant été attirée par l'intervention de la police. Sur la base de ce qui précède, elle a jugé que les intimés ne sauraient être condamnés pour infraction à l'art. 7c al. 1 Ordonnance 2 COVID-19.  
Dans la seconde partie de son raisonnement, après avoir rappelé la portée de la liberté de réunion garantie par les art. 22 Cst. et 11 CEDH et fait référence à la jurisprudence de la CourEDH, en particulier l'arrêt Navalnyy c. Russie du 15 novembre 2018 [GC], § 128 ss (pour un développement circonstancié sur la question, voir infra consid. 6.1), la cour cantonale a jugé qu'indépendamment d'une violation de l'art. 7c al. 1 Ordonnance 2 COVID-19, une sanction pénale au titre de l'art. 10f al. 2 let. a Ordonnance 2 COVID-19 était exclue, puisque l'opération " #4m2 ", bien qu'illicite, s'était déroulée pacifiquement.  
 
3.3. Si le recourant 1 soutient que les intimés ont enfreint l'art. 7c al. 1 Ordonnance 2 COVID-19, cette question peut souffrir de demeurer irrésolue, puisqu'il ne démontre pas, par une motivation conforme aux art. 42 al. 2 et 106 al. 2 LTF, en quoi la motivation alternative de la cour cantonale est contraire au droit (ATF 142 III 364 consid. 2.4), alors qu'elle apparaît justifiée. Son grief est irrecevable.  
 
4.  
Faute de satisfaire aux conditions de recevabilité d'un recours en matière pénale au Tribunal fédéral, le recours 6B_1098/2022 doit être déclaré irrecevable. Il est statué sans frais (art. 66 al. 3 LTF). 
 
Recours formé par A.________ (recourant 2) 
 
5.  
Le recourant 2 produit deux pièces nouvelles qui ne figuraient pas encore à la procédure, soit deux rapports édités par la Coordination genevoise pour le droit de manifester (CGDM). Il explique que leur production a été rendue nécessaire par le changement de qualification juridique opéré par la cour cantonale, dont il ne soutient toutefois pas qu'il serait inattendu au point de consacrer une violation de son droit d'être entendu, mais estime qu'il trahit une tentative maladroite de soustraire la présente cause du champ de protection de la CEDH. Toujours selon le recourant, ces pièces permettraient de démontrer que la législation et la pratique genevoises sont particulièrement restrictives s'agissant de la liberté de réunion. 
Il convient de relever que la jurisprudence citée par le recourant (ATF 133 III 393 consid. 3) traite de cas dans lesquels l'autorité précédente a retenu une argumentation juridique nouvelle à laquelle les parties n'avaient pas été confrontées précédemment (ce qui implique en principe le droit pour les parties de pouvoir, devant le Tribunal fédéral, présenter des faits et moyens de preuve nouveaux afin de montrer qu'elles n'avaient pas envisagé cette construction ou l'avaient d'emblée écartée, parce qu'elle ne correspond pas à l'état de fait véritable; arrêts 5A_448/2020 du 18 février 2021 consid. 2.4.5; 2C_50/2017 du 22 août 2018 consid. 3.2), alors qu'en l'espèce, la cour cantonale a procédé à une simple requalification juridique qui n'avait rien d'inattendue, dans la mesure où elle avait déjà fait l'objet de discussions à l'occasion du jugement de première instance et de l'appel du ministère public. En outre, les pièces produites par le recourant 2 font uniquement état de l'avis de la CGDM quant aux pratiques générales des autorités genevoises en matière de droit de manifester, mais ne concernent pas directement la présente cause, encore moins la requalification juridique précitée. Finalement, il convient de constater que le recourant 2 se contente d'alléguer, sur la base de ces pièces, que la législation et la pratique genevoises sont particulièrement restrictives s'agissant de la liberté de réunion, faits nouveaux dont il ne fait aucun usage pour étayer la suite de son argumentation juridique. 
Compte tenu de ce qui précède, les deux pièces nouvelles produites par le recourant 2, tout comme les faits nouveaux allégués au chapitre III. du recours, ne résultent pas de la décision de l'autorité précédente au sens de l'art. 99 al. 1 LTF, de sorte qu'ils sont irrecevables. 
 
6.  
Le recourant 2 fait valoir que sa condamnation - fondée sur une disposition cantonale dont la violation est examinée uniquement sous l'angle de l'arbitraire par le Tribunal fédéral - consacre une violation de sa liberté de réunion, garantie par les art. 22 Cst. et 11 CEDH. 
 
6.1.  
 
6.1.1. L'art. 22 Cst. garantit la liberté de réunion (al. 1), toute personne ayant le droit d'organiser des réunions et d'y prendre part ou non (al. 2). Sont considérées comme des réunions les formes les plus diverses de regroupements de personnes dans le cadre d'une organisation déterminée, dans le but, compris dans un sens large, de former ou d'exprimer mutuellement une opinion (ATF 144 I 281 consid. 5.3.1; 132 I 256 consid. 3; arrêts 6B_837/2022 du 17 avril 2023 consid. 3.1.1; 6B_246/2022 du 12 décembre 2022 consid. 3.2.1).  
 
6.1.2. L'art. 11 par. 1 CEDH (en relation avec l'art. 10 CEDH), qui consacre notamment le droit de toute personne à la liberté de réunion et à la liberté d'association, offre des garanties comparables (ATF 132 I 256 consid. 3; arrêts 6B_837/2022 précité consid. 3.1.1; 6B_246/2022 précité consid. 3.2.1). Son exercice est soumis aux restrictions qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (art. 11 par. 2, 1ère phrase, CEDH).  
 
6.1.3. Le Tribunal fédéral a récemment rappelé, en référence à la jurisprudence de la CourEDH, qu'en l'absence d'actes de violence de la part des participants à une manifestation non autorisée, les pouvoirs publics devaient faire preuve, dans le cadre de l'application du droit pénal, d'une certaine tolérance pour les rassemblements pacifiques afin que la liberté de réunion garantie par l'art. 11 CEDH ne soit pas vidée de sa substance. Ainsi, la liberté de participer à une réunion pacifique revêt une telle importance qu'une personne ne peut faire l'objet d'une quelconque sanction - même une sanction se situant vers le bas de l'échelle des peines disciplinaires - pour avoir participé à une manifestation non prohibée, dans la mesure où l'intéressé ne commet par lui-même, à cette occasion, aucun acte répréhensible. La tolérance qui est demandée aux pouvoirs publics à l'égard des rassemblements pacifiques "illégaux" s'étend aux cas dans lesquels la manifestation en cause se tient dans un lieu public en l'absence de tout risque pour la sécurité, et si les nuisances causées par les manifestants ne dépassent pas le niveau de perturbation mineure qu'entraîne l'exercice normal du droit à la liberté de réunion pacifique dans un lieu public. Elle doit également s'étendre aux réunions qui entraînent des perturbations de la vie quotidienne, notamment de la circulation routière (arrêt 6B_246/2022 précité consid. 3.2.4 et les références citées, soit notamment arrêts de la CourEDH Navalnyy c. Russie du 15 novembre 2018 [GC], § 128; Egitim ve Bilim Emekcileri Sendikasi et autres c. Turquie du 5 juillet 2016, § 95).  
 
6.1.4. Les limites de la tolérance que les autorités sont censées démontrer à l'égard d'un rassemblement illicite, dépendent des circonstances particulières de l'espèce, notamment de la durée et de l'ampleur du trouble à l'ordre public causé par le rassemblement ainsi que de la question de savoir si ses participants se sont vu offrir une possibilité suffisante d'exprimer leurs opinions (arrêt 6B_246/2022 précité consid. 3.2.4; arrêts de la CourEDH Frumkin c. Russie du 5 janvier 2016, § 97; Kudrevicius et autres c. Lituanie du 15 octobre 2015 [GC], §§ 155-157 et 176-177). Il ne faut ainsi pas perdre de vue que les autorités sont fondées à prendre des mesures répressives et imposer des sanctions pour des infractions spécifiques commises au cours d'un rassemblement. Des ingérences dans l'exercice du droit à la liberté de réunion sont en principe justifiées pour la défense de l'ordre et la prévention du crime, ainsi que pour la protection des droits et des libertés d'autrui lorsque les manifestants se livrent à des actes de violence (arrêt de la CourEDH Giuliani et Gaggio c. Italie du 24 mars 2011 [GC], § 251). De même, lorsque des manifestants perturbent intentionnellement la vie quotidienne et les activités licites d'autrui, ces perturbations, lorsque leur ampleur dépasse celle qu'implique l'exercice normal de la liberté de réunion pacifique, peuvent être considérées comme des "actes répréhensibles". Pareil comportement peut justifier l'imposition de sanctions, y compris de nature pénale (arrêt de la CourEDH Kudrevicius et autres c. Lituanie [GC], § 173-174).  
 
6.1.5. En vertu de l'art. 10 LMDPu/GE, celui qui a omis de requérir une autorisation de manifester, ne s'est pas conformé à sa teneur, a violé l'interdiction édictée à l'art. 6 al. 1, ou ne s'est pas conformé aux injonctions de la police, est puni de l'amende jusqu'à 100'000 francs.  
 
6.1.6. En vertu de l'art. 11F LPG/GE, celui qui n'aura pas obtempéré à une injonction d'un membre de la police ou d'un agent de la police municipale agissant dans le cadre de ses attributions sera puni de l'amende.  
 
6.2. En première instance, le recourant 2 a été condamné pour avoir enfreint l'art. 10 LMDPu/GE, ne s'étant pas rapidement soumis aux ordres de la police, mais ayant au contraire parlementé de manière provocatrice avec les policiers jusqu'à 12h20, moment à partir duquel l'ordre de se disperser a été jugé proportionné. Il a été exempté de toute peine en application de l'art. 52 CP, à titre de droit cantonal supplétif, compte tenu du caractère minime de sa faute, de l'absence de dommage et de l'absence de conséquence sur les intérêts privés et publics concernés. Pour sa part, la cour cantonale a commencé par dire que, compte tenu du caractère pacifique de l'opération " #4m2 ", toute sanction pénale était exclue. C'est notamment pour cette raison qu'elle a confirmé l'acquittement de C.________, D.________ et B.________ du chef de l'art. 10 LMDPu/GE. Pour ce qui est du recourant 2, la cour cantonale a jugé que son cas devait être traité à part. Ainsi, elle a relevé qu'il avait été sanctionné à 12h20, soit cinq minutes après la fin prévue de l'opération " #4m2 ", de sorte qu'il ne pouvait plus justifier sa présence sur les lieux et une éventuelle absence de sanction par son droit de manifester. Elle a également retenu que son attitude, consistant à refuser de quitter les lieux tant que des explications ne lui seraient pas fournies, en ignorant les ordres réitérés de dispersion, puis en filmant de manière rapprochée et insistante l'intervention des policiers, était susceptible d'entraver ces derniers dans leur travail et de provoquer des troubles à l'ordre public. Le comportement reproché au recourant 2 ne se situant plus dans le cadre d'une manifestation, la cour cantonale a jugé qu'il ne pouvait être condamné sur la base de l'art. 10 LMDPu/GE, mais uniquement sur celle de l'art. 11F LPG/GE. Finalement, elle a confirmé l'exemption de toute peine.  
 
6.3.  
 
6.3.1. La sanction pénale infligée au recourant 2 par la cour cantonale repose ainsi sur le seul postulat qu'à 12h20, soit cinq minutes après la fin planifiée de l'opération " #4m2 ", il ne bénéficiait plus de la protection de l'art. 11 CEDH. La cour cantonale reconnaît en revanche que si tel avait été le cas, il aurait dû être acquitté, tout comme les autres participants, en raison de la portée de la disposition précitée (cf. supra consid. 6.1.3 et 6.1.4) et du caractère pacifique de l'opération " #4m2 ".  
 
6.3.2. Avec le recourant 2, il est constaté que l'approche de la cour cantonale est contraire au but poursuivi par l'art. 11 CEDH et a l'esprit général qui se dégage de la jurisprudence rendue par la CourEDH et par le Tribunal fédéral en la matière.  
Il est constant que l'opération " #4m2 " devait avoir lieu de 12h00 à 12h15, mais qu'elle a été interrompue prématurément par la police, de manière jugée disproportionnée par l'autorité de première instance et la cour cantonale, qui n'est pas directement revenue sur cette question (arrêt attaqué consid. B.b et B.i). Il est également établi que la police a débuté son intervention quelques minutes après 12h00 et qu'elle l'a terminée à 12h20, laps de temps durant lequel elle a procédé au contrôle de l'identité des quatre intimés, à l'arrestation de D.________ et à celle du recourant 2 (arrêt attaqué consid. B.e et 3.6). Il résulte encore de l'arrêt attaqué que le recourant 2 est resté sur les lieux de l'opération " #4m2 " après sa fin planifiée pour obtenir des explications quant à l'intervention de la police, mais surtout qu'il n'était pas seul - contrairement à ce que soutiendra plus tard la cour cantonale - puisqu'il a été établi que B.________ a filmé son arrestation (arrêt attaqué consid. e.c in fine et 3.7). Il résulte de ce qui précède que la présence du recourant 2 sur le lieu de l'opération " #4m2 " à 12h20 était intimement liée, tant chronologiquement que conceptuellement et géographiquement, à dite opération. À tout le moins, la cour cantonale n'a pas jugé qu'elle pouvait être expliquée par d'autres raisons. Dans cette mesure, elle ne pouvait pas considérer que le recourant ne bénéficiait plus de la protection accordée par les art. 22 Cst. et 11 CEDH du simple fait que l'opération " #4m2 " aurait dû se terminer cinq minutes avant. Le Tribunal fédéral a d'ores et déjà eu l'occasion de confirmer qu'une telle protection devait être accordée à des manifestants qui avaient poursuivi leur contestation une heure et demie après la fin officielle d'une manifestation licite (cf. arrêt 6B_246/2022 précité consid. 3.4).  
Quand bien même il fallait considérer que l'opération " #4m2 " avait pris fin, la CourEDH a eu l'occasion de rappeler que par "restriction à la liberté de réunion", il fallait entendre les mesures - en particulier pénales - prises non seulement avant ou pendant une manifestation, mais aussi après la fin de celle-ci ( Ezelin c. France du 26 avril 1991, § 39, série A n° 2022). Ainsi, puisque la présence du recourant 2 à 12h20 s'expliquait par son envie d'obtenir des explications quant à la fin prématurée de l'opération " #4m2 ", qu'il aurait souhaité mener de 12h00 à 12h15, il y a lieu de constater qu'à ce titre également, il bénéficiait de la protection des art. 22 Cst. et 11 CEDH.  
 
6.3.3. Au demeurant, c'est à juste titre que la cour cantonale a considéré que l'acquittement du recourant 2 se serait imposé si tant est qu'il bénéficiait de la protection accordée par les art. 22 Cst. et 11 CEDH. Pour cause, il n'a commis aucune infraction spécifique au cours de l'opération " #4m2 ", si ce n'est son refus d'y mettre un terme, sanctionné ici au titre de l'art. 11F LPG/GE. De plus, l'opération précitée était pacifique, de petite ampleur, n'a pas engendré de risque pour la sécurité ou de quelconques nuisances. Du moins, cela ne ressort pas de l'arrêt attaqué. À cela s'ajoute que la fin très rapide de l'opération " #4m2 ", due à l'intervention de la police, exclu que ses participants aient suffisamment eu la possibilité d'exprimer leurs opinions.  
 
6.4. Il s'ensuit que la cour cantonale a violé la liberté de réunion du recourant 2, garantie par les art. 22 Cst. et 11 CEDH, en le condamnant au titre de l'art. 11F LPG/GE, alors qu'il n'aurait dû faire l'objet d'aucune sanction pénale.  
 
7. Le recours du recourant 2 doit être admis dans la mesure où il est recevable, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Au vu du sort du recours, les autres griefs soulevés par le recourant 2 deviennent sans objet.  
Le recourant 2 obtient gain de cause. Il ne supporte pas de frais (art. 66 al. 1 LTF). Il peut prétendre à des dépens à la charge de la République et canton de Genève (art. 68 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Les causes 6B_1098/2022 et 6B_1106/2022 sont jointes. 
 
2.  
Le recours 6B_1098/2022 est irrecevable. 
 
3.  
Il est statué sans frais dans la cause 6B_1098/2022. 
 
4.  
Le recours 6B_1106/2022 est admis dans la mesure où il est recevable, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
 
5.  
La République et canton de Genève versera au recourant 2 la somme de 3'000 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
6.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision. 
 
 
Lausanne, le 31 juillet 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Denys 
 
Le Greffier : Barraz