2C_694/2022 21.12.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
2C_694/2022  
 
 
Arrêt du 21 décembre 2023  
 
IIe Cour de droit public  
 
Composition 
Mmes et MM. les Juges fédéraux 
Aubry Girardin, Présidente, Donzallaz, 
Hänni, Hartmann et Ryter. 
Greffier : M. Jeannerat. 
 
Participants à la procédure 
République et Canton de Neuchâtel, agissant par son Conseil d'Etat, Le Château, Rue de la Collégiale 12, 
2000 Neuchâtel, 
recourant, 
 
contre  
 
Secrétariat d'Etat aux migrations, 
Quellenweg 6, 3003 Berne, 
intimé. 
 
Objet 
Subventions fédérales dans le domaine de l'asile, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal administratif fédéral, Cour VI, du 27 juin 2022 (F-1724/2019). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Par décision du 25 octobre 2016, le Secrétariat d'Etat aux migrations (ci-après: le SEM) a refusé d'entrer en matière sur la demande d'asile que A.________, ressortissant érythréen, avait déposée quelque temps plus tôt en Suisse, au motif que l'Italie était l'Etat compétent pour traiter une telle demande en application de l'Accord d'association à Dublin. Il a alors ordonné simultanément le transfert de l'intéressé vers ce pays. Dans ce contexte, l'autorité fédérale a retenu, entre autres considérations, que la relation que A.________ entretenait avec une requérante d'asile de la même origine vivant en Suisse, en l'occurrence B.________, n'était pas assez étroite et effective pour qu'il puisse bénéficier du droit à la garantie de la vie familiale et voir sa demande d'asile traitée par la Suisse. Cette décision est entrée en force le 5 novembre 2016 sans avoir été contestée.  
 
A.b. Le 25 novembre 2016, le Service des migrations de la République et canton de Neuchâtel (ci-après: le Service cantonal des migrations) a mené un entretien avec A.________, qui lui avait été attribué le 2 août 2016 et dont le canton avait dès lors la charge du renvoi. Lors de cet entretien, l'intéressé a notamment déclaré que sa compagne, B.________, attendait un enfant de lui.  
 
A.c. Le 14 février 2017, A.________ a sollicité du SEM qu'il réexamine sa décision du 25 octobre 2016. L'autorité fédérale a alors informé le Service cantonal des migrations qu'elle suspendait provisoirement l'exécution du transfert de l'intéressé, avant de rejeter la demande réexamen de ce dernier par décision du 28 mars 2017.  
 
A.d. Le 25 avril 2017, le Service cantonal des migrations est intervenu auprès du SEM afin qu'il ouvre une procédure nationale d'asile en ce qui concerne A.________, étant précisé que le délai de six mois pour réaliser son transfert vers l'Italie était échu. Par acte du 13 juin 2017, le SEM a alors levé sa décision du 25 octobre 2016 et ouvert une procédure nationale de traitement de la demande d'asile déposée par A.________. A compter de cette date, le SEM n'a en revanche plus versé de subventions fédérales à la République et canton de Neuchâtel en lien avec la prise en charge de l'intéressé.  
 
A.e. Par décision du 29 août 2018, le SEM a reconnu la qualité de réfugié à A.________ et lui a accordé l'asile. Afin de préserver l'unité de la famille, il en a fait de même par décision séparée du même jour s'agissant de B.________ et de l'enfant du couple né en Suisse le 27 avril 2017.  
 
B.  
Par décision du 8 mars 2019 rendue sur demande de la République et canton de Neuchâtel, le SEM a constaté n'avoir plus l'obligation de rembourser au canton les frais découlant de l'application de la loi sur l'asile en lien avec le cas de A.________ après l'échéance du délai de transfert de celui-ci vers l'Italie, soit depuis le 13 juin 2017, et qu'il était dès lors en droit de refuser le versement de toute subvention fédérale relative à ces frais depuis cette date. 
Agissant par l'intermédiaire de son Conseil d'Etat, la République et canton de Neuchâtel a saisi le Tribunal administratif fédéral d'un recours dirigé contre la décision susmentionnée. Elle concluait à l'annulation de cette dernière et à ce qu'il soit ordonné à la Confédération de reprendre le paiement des subventions qui lui étaient dues en raison de la prise en charge de A.________, à qui l'asile avait été octroyé, et de lui verser le montant qui aurait dû l'être depuis le 13 juin 2017, avec un intérêt de 5%. 
Le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours par arrêt du 27 juin 2022. 
 
C.  
Agissant toujours par l'intermédiaire de son Conseil d'Etat, la République et Canton de Neuchâtel dépose un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral à l'encontre de l'arrêt du Tribunal administratif fédéral du 27 juin 2022. Elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et, cela fait, principalement au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens de son recours et, subsidiairement, à ce qu'il soit ordonné à la Confédération de lui verser le montant de 76'669 fr. 48, somme correspondant aux subventions fédérales qui auraient dû lui être versées en raison de la prise en charge de A.________ entre juillet 2017 et juillet 2021, avec intérêt à 5% l'an. 
Le SEM et le Tribunal administratif fédéral ont répondu au recours, en concluant à son rejet. 
La République et Canton de Neuchâtel a répliqué. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Selon l'art. 29 al. 1 LTF, il appartient au Tribunal fédéral d'examiner d'office sa compétence. 
 
1.1. En l'espèce, le recours en matière de droit public de la République et canton de Neuchâtel est dirigé contre un arrêt du Tribunal administratif fédéral qui confirme la décision du SEM de ne plus verser d'indemnité au canton en raison de la prise en charge d'un requérant d'asile, soit A.________, ce à partir du 13 juin 2017, en application de l'art. 89b de la loi fédérale du 26 juin 1998 sur l'asile (LAsi; RS 142.31). Le recours porte donc sur un litige de droit public entre la Confédération et un canton. Or, d'après l'art. 120 al. 1 let. b de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110), le Tribunal fédéral ne connaît en principe de tels litiges que par la voie de l'action en instance unique. Selon l'art. 120 al. 2 LTF, une telle action est néanmoins irrecevable si une autre loi fédérale habilite une autorité à rendre une décision sur de telles contestations (1 re phrase). Contre cette décision, le recours est alors recevable en dernière instance devant le Tribunal fédéral (2 e phrase).  
 
1.2. Il résulte ainsi de l'art. 120 LTF que la voie de l'action devant le Tribunal fédéral constitue en principe la voie juridictionnelle ordinaire lorsqu'un canton et la Confédération ne parviennent pas à résoudre de manière amiable un différend juridique relevant du droit public survenant entre eux (cf. art. 44 al. 3 Cst.); elle devient en revanche subsidiaire à la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss LTF) lorsqu'une loi spéciale attribue à une autre autorité que le Tribunal fédéral la compétence de trancher une telle contestation par voie de décision (ATF 138 V 445 consid. 1.1; 136 IV 44 consid. 1.2). Or, à cet égard, la jurisprudence a déjà eu l'occasion de reconnaître qu'il appartenait à l'Office fédéral des migrations - devenu aujourd'hui le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) - de statuer par voie de décision sur le remboursement, par la Confédération, des frais engagés par les cantons pour l'hébergement de requérants d'asile (cf. ATF 124 II 489 consid. 1b; aussi arrêt 2A.406/1998 du 5 janvier 1999 consid. 1). Le Tribunal fédéral a estimé que l'Administration fédérale disposait d'une telle compétence en application de l'art. 16 de la loi fédérale du 5 octobre 1990 sur les aides financières et les indemnités (Loi sur les subventions, LSu; RS 616.1), lequel prévoyait en effet que les aides financières et les indemnités prestées par la Confédération étaient en règle générale allouées par voie de décision (cf. art. 16 al. 1 LSu), respectivement toujours rejetées par cette voie (cf. art. 16 al. 5 LSu). Relevons que le Tribunal fédéral a adopté un raisonnement similaire dans une autre affaire plus récente, dans laquelle il a considéré qu'en application de la même disposition légale, l'Office fédéral de la justice jouissait du pouvoir de statuer sur les demandes de remboursement des frais d'aide sociale que les cantons pouvaient adresser à la Confédération après avoir assisté un ressortissant suisse de l'étranger de retour au pays (cf. ATF 138 V 445 consid. 1).  
 
1.3. En l'occurrence, comme on l'a dit, la présente cause concerne le versement d'indemnités forfaitaires que la Confédération doit en principe verser aux cantons en compensation des frais résultant de l'application de la loi sur l'asile. Or, cette loi ne contient aucune prescription sur le mode, la voie ou la forme juridique que la Confédération devrait employer pour réclamer le remboursement desdites indemnités ou simplement renoncer à leur versement. Il apparaît donc que ces questions sont régies par les dispositions topiques de la loi sur les subventions, laquelle s'applique sans conteste aux indemnités forfaitaires prévues par la loi sur l'asile (cf. art. 2 al. 1 et 3 al. 2 LSu) et qui attribue de manière générale à l'Administration fédérale le soin de trancher les litiges pouvant survenir en lien avec de telles indemnités, ce que le SEM a précisément fait dans le cas d'espèce par décision du 8 mars 2019, confirmée sur recours par arrêt du Tribunal administratif fédéral du 27 juin 2022. Il s'ensuit que l'on se trouve dans une situation où une loi fédérale habilite une autorité administrative fédérale - en l'occurrence le SEM - à rendre une décision sur une contestation de droit public opposant la Confédération et un canton, si bien que cette contestation ne peut pas faire l'objet d'une action devant le Tribunal fédéral au sens de l'art. 120 al. 1 let. b LTF, mais uniquement d'un recours en matière de droit public en dernière instance au sens de l'art. 120 al. 2 LTF,  
 
1.4. Reste encore à examiner si le recours de la République et Canton de Neuchâtel doit satisfaire, pour être recevable, à l'ensemble des conditions de recevabilité applicables aux recours en matière de droit public devant le Tribunal fédéral, notamment celles posées aux art. 83 et 89 LTF.  
 
1.4.1. D'après l'art. 120 al. 2, 2e phrase, LTF, lorsque la loi habilite une autorité à rendre une décision sur une contestation entre la Confédération et un canton, un recours contre cette décision "est recevable en dernière instance devant le Tribunal fédéral" ("ist letztinstanzlich die Beschwerde an das Bundesgericht zulässig" ou "è impugnabile in ultima istanza con ricorso al Tribunale federale"). Or, cette précision du législateur est ambiguë. D'un point de vue littéral, elle pourrait revêtir une simple fonction déclarative visant à rappeler aux parties impliquées leur faculté de déposer un recours au Tribunal fédéral aux différentes conditions de recevabilité spécifiquement fixées au chapitre 3 de la LTF. Elle pourrait cependant également avoir pour effet d'ouvrir une voie de recours au Tribunal fédéral contre toute décision tranchant une contestation ou un conflit de compétences entre la Confédération et un canton ou entre cantons dans le seul respect des conditions générales de recevabilité fixées par le chapitre 4 de la LTF (motifs invocables, délai, etc.). Le fait d'avoir été élaborée directement par l'Assemblée fédérale sans véritables débats durant la phase parlementaire (cf. BO CE 2003 913 et BO CN 2004 1615) ne simplifie du reste pas l'interprétation de cette disposition qui fait d'ailleurs l'objet d'opinions divergentes en doctrine (cf. notamment YVES DONZALLAZ, in Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, no 72 ad art. 120, ainsi que BERNHARD WALDMANN, in Basler Kommentar, Bundesgerichtsgesetz, 3e éd. 2018, no 20a ad art. 120).  
 
1.4.2. Quant au Tribunal fédéral, il n'a jusqu'à présent pas adopté de ligne constante en ce qui concerne la portée de l'art. 120 al. 2 LTF. Dans un obiter dictum publié à l'ATF 136 IV 44 (cf. consid. 1.3), il a indiqué qu'un recours dirigé contre une décision tranchant un conflit ou une contestation au sens de l'art. 120 al. 1 LTF - en l'occurrence une contestation de droit public entre cantons - n'avait a priori pas à respecter en tout point ("in jeder Hinsicht") les conditions habituelles de recevabilité d'un recours au Tribunal fédéral (sauf les exigences de forme et de délai; cf. aussi ATF 136 IV 139 consid. 2.4, qui ne tranche pas vraiment la question). Il n'en demeure pas moins qu'il a en pratique déjà vérifié s'il y satisfaisait (ATF 138 V 445 consid. 1.5-1.7) et, parfois, refusé d'entrer en matière après avoir répondu à cette question par la négative, sans toutefois s'exprimer expressément sur la portée de l'art. 120 al. 2 LTF (cf. ATF 141 V 361 consid. 1). Il faut dire que le Tribunal fédéral procédait de cette manière sous l'empire de l'ancienne loi fédérale d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943 (aOJ), laquelle contenait une précision similaire à celle de l'art. 120 al. 2 LTF en lien avec l'ancienne action de droit administratif au Tribunal fédéral (cf. art. 117 let. c aOJ et ATF 124 II 489 consid. 1d; aussi arrêts 2A.597/2005 du 4 avril 2006 consid. 1 et 2A.406/1998 du 5 janvier 1999 consid. 1). À l'époque, l'idée selon laquelle un recours dirigé contre une décision tranchant une contestation de droit public entre Confédération et cantons ou entre cantons devait satisfaire à l'ensemble des conditions ordinaires de recevabilité ressortait toutefois clairement des travaux préparatoires et des débats parlementaires relatifs à cette précédente loi (cf. Message du 24 septembre 1965 concernant l'extension de la juridiction administrative fédérale, FF 1965 II 1301, p. 1362, et BO CE 1967 I 41 s. et BO CN 1967 IV 356). Le Tribunal fédéral se montrait néanmoins souple dans l'application desdites conditions de recevabilité afin de tenir compte de la nature particulière de telles causes, qui, en l'absence d'une décision, auraient normalement dû être directement soumises au Tribunal fédéral par la voie de l'action de droit administratif (cf. arrêt 2A.597/2005 du 4 avril 2006 consid. 3.6).  
 
1.4.3. Il faut constater que, d'un point de vue systématique, une reprise de cette ancienne pratique - consistant à imposer le respect de l'ensemble des conditions de recevabilité pouvant prévaloir devant le Tribunal fédéral lorsque des cantons recourent contre des décisions tranchant un litige les opposant à la Confédération ou à un autre canton - s'accorderait assez mal avec les objectifs de la Réforme de la justice, adoptée en 2000, que l'art. 120 al. 2 LTF est censé respecter et mettre en oeuvre. Depuis l'entrée en vigueur en 2007 de cette révision importante de la Constitution fédérale, l'art. 189 al. 2 Cst. souligne en effet plus clairement - par le biais d'un alinéa "à part" - que le Tribunal fédéral connaît des différends entre la Confédération et les cantons, ainsi qu'entre cantons. L'idée du constituant était de mettre en évidence que la tâche "importante" de juger de tels conflits devrait en principe toujours revenir au Tribunal fédéral, quel que soit le domaine juridique concerné (cf. Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 1, p. 539), étant entendu qu'il s'agit là de l'une de ses attributions typiques et essentielles en tant que juridiction suprême du pays (cf. notamment FRANÇOIS CHAIX, in Commentaire romand de la Constitution fédérale, 2021, n. 27 ad art. 189 Cst., et GIOVANNI BIAGGINI, BV-Kommentar, 2e éd. 2017, n. 9 ad art. 189 Cst.). Or, tel ne serait précisément pas le cas si le Tribunal fédéral devait déclarer irrecevables certains recours dirigés contre des décisions fédérales tranchant des litiges entre Confédération et cantons ou entre cantons au sens de l'art. 120 al. 2 LTF, aux motifs, par exemple, que le canton recourant n'a pas qualité pour recourir au sens de l'art. 89 LTF ou que la cause concerne un domaine juridique où la voie du recours en matière de droit public est par principe exclue en application de l'art. 83 LTF. Un arrêt d'irrecevabilité fondé sur ce genre de considérations aurait pour conséquence d'empêcher la plus haute juridiction du pays de se prononcer sur certains types de différends survenant entre Confédération et cantons ou entre cantons, contrairement à ce que prévoit l'art. 189 al. 2 Cst., étant précisé que la voie de l'action serait dans un tel cas également fermée en application de l'art. 120 al. 2 LTF (cf. ATF 136 IV 44 consid. 2).  
 
1.4.4. Sur un plan téléologique enfin, il ressort des travaux préparatoires de la LTF qu'en adoptant cette loi, le législateur avait notamment pour intention, conformément aux objectifs de la Réforme de la justice, de permettre au Tribunal fédéral de mieux centrer son activité sur les questions qui revêtent une importance fondamentale pour la Suisse, mais aussi de simplifier les voies de droit devant cette autorité (cf. notamment Message du 28 février 2001 concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, FF 2001 4000, p. 4013 s. et 4020; BO 2003 CE 884 s.). Or, il serait peu conforme à de tels objectifs d'exiger qu'un recours au sens de l'art. 120 al. 2 LTF remplisse toujours l'ensemble des conditions de recevabilité régissant ordinairement un recours au Tribunal fédéral, y compris celles prévues au chapitre 3 de la LTF. Premièrement, comme on vient de le dire, une telle exigence pourrait dans certains cas empêcher le Tribunal fédéral de se prononcer sur des questions juridiques fondamentales pour l'organisation du pays (cf. supra consid. 1.4.3). Secondement, elle pourrait avoir pour effet pratique négatif de contraindre les parties souhaitant contester le pouvoir d'une autre autorité de rendre une décision en lien avec leur différend au sens de l'art. 120 al. 2 LTF à déposer une action directe au Tribunal fédéral, en plus d'engager une procédure de recours contre ladite décision, ce afin d'être certaines que leur grief d'incompétence soit traité par la plus haute instance judiciaire suprême du pays, le cas échéant au moins au stade de l'examen de recevabilité de leur action (cf. d'ailleurs ATF 136 IV 139 consid. 2.4). Une telle situation s'accorderait mal avec la volonté du législateur de simplifier l'articulation des voies de droit au Tribunal fédéral.  
 
1.4.5. Les motifs qui précèdent font qu'il convient d'interpréter l'art. 120 al. 2 LTF en ce sens qu'une voie de recours au Tribunal fédéral est en principe ouverte contre toutes les décisions qui tranchent une contestation ou un conflit entre la Confédération et un canton ou entre cantons, ce aux seules conditions du chapitre 4 de la LTF. Demeurent réservés les conflits de compétences entre autorités pénales fédérales et/ou cantonales, ainsi que les divergences d'opinion entre autorités dans le domaine de l'entraide judiciaire ou de l'assistance administrative au niveau national. Le législateur fédéral a clairement souhaité - après avoir adopté l'art. 120 al. 2 LTF - que de tels différents soient exclusivement tranchés par une autre autorité que le Tribunal fédéral (en l'occurrence la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral, respectivement le Tribunal administratif fédéral) et, partant, décidé d'empêcher tout recours au Tribunal fédéral en prévoyant que la décision rendue par cette autorité était définitive, règle qui lie le Tribunal fédéral conformément à l'art. 190 Cst. (cf. art. 28 CPP [RS 312.0] et art. 37 al. 1 LOAP [RS 173.71] en lien avec l'art. 79 LTF, ainsi que l'arrêt 1B_66/2010 du 30 mars 2010 consid. 3; aussi art. 36a LTAF [RS 173.32] en lien avec l'art. 83 let. v LTF, ainsi que l'arrêt 2C_806/2011 du 20 mars 2012 consid. 1.2).  
 
1.5. En l'occurrence, le présent recours, qui est dirigé contre une décision finale (cf. art. 92 LTF) du Tribunal administratif fédéral tranchant une contestation de droit public entre la Confédération et un canton au sens de l'art. 120 al. 1 let. b LTF (cf. supra consid. 1.3), a été déposé dans les formes (cf. art. 42 LTF) et les délais, compte tenu des féries estivales (cf. art. 100 al. 1 en lien avec l'art. 46 al. 1 let. b LTF). Il est donc recevable, sans qu'il faille se demander, comme on vient de le dire, si les conditions de l'art. 83 et 89 LTF sont réunies.  
 
2.  
Saisi d'un recours en matière de droit public, le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Ce faisant, il se fonde sur les faits constatés par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), à moins que ceux-ci n'aient été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire (ATF 143 IV 241 consid. 2.3.1) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et pour autant que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (cf. art. 97 al 1 LTF), ce que la partie recourante doit démontrer d'une manière circonstanciée, conformément aux exigences de l'art. 106 al. 2 LTF
 
3.  
En l'occurrence, le litige trouve son origine dans la décision du SEM de ne plus verser d'indemnités forfaitaires à la République et canton de Neuchâtel en lien avec la prise en charge de A.________ au-delà du 13 juin 2017, au motif que le canton aurait failli à son devoir de procéder au transfert dit "Dublin" de ce requérant d'asile dans le délai imparti, soit avant le 25 avril 2017. 
Le Tribunal administratif fédéral a confirmé cette décision de l'Administration fédérale en rappelant que l'art. 89b de la loi sur l'asile permettait effectivement à la Confédération de renoncer à verser les indemnités forfaitaires prévues par cette loi en faveur des cantons lorsque ceux-ci ne remplissaient pas ou que partiellement leurs obligations en matière d'exécution du renvoi, sans que rien ne justifie de tels manquements. Or, d'après lui, la République et canton de Neuchâtel avait précisément négligé ses obligations en matière d'exécution du renvoi en ce qui concerne A.________, dans la mesure où elle n'avait entrepris aucune mesure concrète en vue du transfert de ce requérant d'asile vers l'Italie, lequel devait intervenir, selon les accords d'association à Dublin (AAD; RS 0.142.392.68), dans les six mois après que le SEM avait refusé d'entrer en matière sur la demande d'asile de l'intéressé par décision du 25 octobre 2015. Selon les juges précédents, il importait en l'occurrence peu que le canton ait renoncé à procéder audit transfert en raison de la grossesse de la compagne de A.________, également requérante d'asile en Suisse, laquelle attendait un enfant pour la fin avril 2017. En effet, d'après le Tribunal administratif fédéral, le législateur fédéral n'a voulu laisser aucune marge de manoeuvre aux cantons, qui devraient toujours exécuter fidèlement les décisions de renvoi prononcées par le SEM en relation avec les requérants d'asile qui leur ont été assignés, sauf motifs objectifs empêchant techniquement un renvoi ou un transfert vers l'étranger. D'après le tribunal, un canton ne pourrait en tout cas pas justifier l'inexécution d'un renvoi et réclamer le versement d'indemnités forfaitaires liées à la prise en charge du requérant d'asile concerné en rediscutant, hors de tout cadre procédural, la décision de non-entrée en matière et de renvoi frappant ce dernier, comme l'avait fait la République et canton de Neuchâtel en la cause. 
 
4.  
La République et canton de Neuchâtel formule différents griefs à l'encontre de l'arrêt du Tribunal administratif fédéral. Elle reproche notamment à celui-ci d'avoir mal appliqué le droit fédéral et, en particulier, l'art. 89b de la loi sur l'asile. Affirmant avoir eu des raisons objectives de ne pas procéder au transfert Dublin de A.________ vers l'Italie, elle soutient que la Confédération n'était pas en droit de lui refuser les indemnités forfaitaires qui lui étaient dues en raison de la prise en charge de cette personne après la fin de son délai de transfert vers l'Italie. 
 
4.1. De manière générale, le droit de l'asile en Suisse est du ressort de la Confédération (cf. art. 121 al. 1 Cst.) et, plus particulièrement, du Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM), qui constitue l'autorité fédérale de mise en oeuvre de la loi fédérale sur l'asile (cf. art. 6a, 22 s., 44, 63 et 68 LAsi). Il n'en demeure pas moins que la loi confie également certaines tâches spécifiques importantes aux cantons dans le domaine de l'asile. L'art. 46 de la loi sur l'asile délègue en particulier à ces derniers la charge d'exécuter les éventuelles décisions de renvoi frappant les personnes étrangères qui séjournent en Suisse en vertu de cette même loi et qui leur ont été attribuées par le SEM (cf. art. 46 al. 1 en lien avec l'art. 27 al. 3 LAsi), tandis que l'art. 80a de la loi sur l'asile dispose pour sa part que les cantons doivent fournir l'aide sociale ou l'aide d'urgence à ces mêmes personnes. Afin de compenser dans une certaine mesure les frais découlant de ces tâches, le législateur a néanmoins prévu que la Confédération devait verser diverses aides financières aux cantons et, notamment, ce que l'on appelle des "indemnités forfaitaires" (cf. art. 88 al. 1 LAsi). Selon les situations, ces indemnités, qui sont versées en principe pendant cinq ans au plus à compter du dépôt de la demande d'asile du requérant attribué au canton (cf. art. 88 al. 3 LAsi), peuvent constituer une simple indemnisation des coûts de l'aide d'urgence ou couvrir plus largement les coûts de l'aide sociale, de l'assurance-maladie obligatoire et d'autres frais d'encadrement ou administratifs (cf. art. 88 al. 2 à 4 LAsi). Il appartient au Conseil fédéral d'en fixer les montants exacts (cf. art. 89 LAsi). Il ressort du texte de l'art. 88 al. 1 de la loi sur l'asile ("[la] Confédération verse [...]") et des travaux préparatoires de la loi que les cantons jouissent en principe d'un véritable droit au versement d'indemnités forfaitaires pour chacune des personnes étrangères qui leur a été attribuée et dont ils ont la charge d'assurer la subsistance en application de cette même loi (cf. Message du 4 septembre 2002 concernant la modification de la loi sur l'asile, de la loi fédérale sur l'assurance-maladie et de la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants du 4 septembre 2002, FF 2002 6359, p. 6410).  
 
4.2. Toutefois, si l'on doit admettre un droit du canton au versement de telles indemnités, ce droit n'est pas absolu. En effet, depuis la révision partielle de la loi sur l'asile adoptée le 25 septembre 2015, laquelle visait une restructuration du domaine de l'asile, un nouvel art. 89b LAsi prévoit que la Confédération peut, à certaines conditions, réclamer le remboursement d'indemnités forfaitaires déjà versées (al. 1) ou, simplement, renoncer à leur versement (al. 2) lorsqu'un canton n'accomplit pas ou pas correctement sa mission d'exécution de renvoi. Cette disposition, qui se trouve au centre du présent litige, a la teneur exacte suivante:  
 
Art. 89b Remboursement et renonciation au versement d'indemnités forfaitaires 
1 La Confédération peut réclamer le remboursement d'indemnités forfaitaires déjà versées conformément à l'art. 88 de la présente loi et aux art. 58 et 87 LEI, lorsqu'un canton ne remplit pas ses obligations en matière d'exécution comme le prévoit l'art. 46 de la présente loi ou ne les remplit que partiellement et que rien ne justifie de tels manquements. 
2 Si le fait de ne pas remplir ses obligations en matière d'exécution comme le prévoit l'art. 46 ou de ne les remplir que partiellement entraîne une prolongation de la durée du séjour de l'intéressé en Suisse, la Confédération peut renoncer à verser au canton les indemnités forfaitaires visées à l'art. 88 de la présente loi et aux art. 58 et 87 LEI
 
4.3. En l'occurrence, le Tribunal administratif fédéral a constaté que la République et canton de Neuchâtel n'avait pas exécuté le transfert dit "Dublin" vers l'Italie de A.________ - c'est-à-dire d'un requérant d'asile dont le canton s'était vu attribuer la charge depuis le 2 août 2016 - contrairement à ce que le SEM avait ordonné après avoir refusé d'entrer en matière sur la demande d'asile de l'intéressé par décision du 25 octobre 2016. Le Tribunal administratif fédéral a même constaté, d'une manière qui lie la Cour de céans (cf. art. 105 al. 1 LTF et supra consid. 2.2), que le canton n'avait en réalité plus procédé à aucune démarche en vue d'un quelconque renvoi de A.________ - lequel devait pourtant être effectué dans les six mois - dès le moment où il avait appris que la compagne de l'intéressé attendait un enfant pour la fin avril 2017. Or, en l'absence de transfert dans les délais, le SEM a dû, en application de l'art. 1 ch. 1 et 3 de l'Accord d'association à Dublin (en lien avec l'art. 29 ch. 2 du Règlement [UE] no 604/2013 du 26 juin 2013 [ci-après: Règlement Dublin III]), ouvrir une procédure nationale de traitement de la demande d'asile de A.________, procédure à l'issue de laquelle le SEM a reconnu la qualité de réfugié à ce dernier et l'a autorisé à demeurer en Suisse. Il est ainsi indéniable que la République et canton de Neuchâtel n'a pas rempli ses obligations d'exécution en matière de renvoi en ce qui concerne A.________, prolongeant ce faisant la durée de son séjour en Suisse. Or, il faut admettre que, dans ces circonstances, une suspension du versement des indemnités forfaitaires liées à la prise en charge de ce requérant était susceptible d'entrer en ligne de compte à l'aune de l'art. 89b al. 2 de la loi sur l'asile, à tout le moins dans son principe.  
 
4.4. Il convient de vérifier si la République et canton de Neuchâtel peut s'opposer à une telle mesure en se prévalant de l'existence de justes motifs à son manquement, comme le fait le Conseil d'Etat dans ses écritures. Répondre à cette question implique en premier lieu de se demander si un canton peut véritablement se prévaloir de raisons justificatives à la non-exécution d'un renvoi pour s'opposer à une éventuelle suspension de paiement des indemnités forfaitaires. Une telle faculté n'est en effet pas expressément prévue à l'art. 89b al. 2 de la loi sur l'asile, qui règle la suspension de tels versements, mais uniquement à l'art. 89b al. 1 de cette loi, qui concerne exclusivement d'éventuelles demandes de remboursement d'indemnités forfaitaires.  
 
4.4.1. La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Le Tribunal fédéral ne se fonde cependant sur la compréhension littérale d'un texte légal que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste. Il y a lieu de déroger au sens littéral d'un texte clair, lorsque des raisons objectives permettent de penser que le texte ne restitue pas le sens véritable de la disposition en cause et conduit à des résultats que le législateur ne peut avoir voulus et qui heurtent le sentiment de la justice et le principe de l'égalité de traitement. De tels motifs peuvent découler des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme (ATF 140 V 462 consid. 5.1; 138 II 557 consid. 7.1).  
 
4.4.2. L'art. 89b de la loi sur l'asile n'était pas prévu dans le projet de loi de restructuration du domaine de l'asile - visant à accélérer les procédures d'asile - que le Conseil fédéral avait déposé devant les Chambres fédérales le 3 septembre 2014. Il a été élaboré et adopté directement par les Chambres fédérales à l'initiative du Conseil des Etats. Celui-ci était d'avis que la révision de la loi sur l'asile proposée par le Conseil fédéral ne pouvait être mise en oeuvre avec succès que si les cantons étaient incités à respecter les décisions de renvoi prononcées par le SEM, ce qui impliquait que la Confédération puisse dans certains cas leur refuser le versement des indemnités forfaitaires, respectivement en réclamer le remboursement lorsqu'ils faillaient à leurs obligations dans ce domaine (cf. BO 2015 CE 558). Les membres de la Commission parlementaire en charge du projet de loi ont alors souligné que le nouvel art. 89b LAsi, qui envisageait une telle possibilité, impliquait la réalisation de deux conditions cumulatives, à savoir, premièrement, que le canton sanctionné ne remplisse pas - ou que partiellement - ses obligations en matière d'exécution de renvoi et, deuxièmement, que "rien ne justifie de tels manquements" ( ibidem). Le Conseil national s'est rallié à la proposition du Conseil des Etats en première lecture. Plusieurs députés de la Chambre basse sont à cette occasion partis du principe, comme leurs homologues du Conseil des Etats, que les cantons pourraient invoquer des motifs justificatifs à la non-exécution d'un renvoi pour s'opposer non seulement à une demande de remboursement des indemnités forfaitaires, mais aussi à une décision de suspension de versement (cf. notamment BO 2015 CN 1428 et 1432 s.).  
 
4.4.3. Il ne ressort ainsi pas des débats aux Chambres fédérales qu'en adoptant l'art. 89b al. 2 LAsi, celles-ci auraient voulu qu'il soit systématiquement loisible à la Confédération de ne plus verser certaines indemnités forfaitaires à un canton chaque fois que celui-ci aurait manqué à ses devoirs en matière de renvoi, indépendamment du point de savoir s'il existe ou non une justification auxdits manquements. Le Parlement semble au contraire être parti du postulat que le SEM ne pourrait envisager une telle suspension de paiement que si rien n'excusait les manquements du canton, à l'instar de ce que prévoit expressément l'art. 89 al. 1 LAsi s'agissant des demandes de remboursement d'indemnités forfaitaires. Le Conseil fédéral s'est d'ailleurs toujours tenu à cette interprétation historique de la loi dans ses diverses réponses adressées aux Chambres fédérales (voir Réponses du Conseil fédéral du 11 août 2021 à la motion 21.3490 "Mesures contre l'immigration illégale [6/9]" et celle du 15 mai 2019 à l'interpellation 19.3133 "Compatibilité de la politique vaudoise des renvois avec le droit fédéral"). Il faut dire que l'on ne voit pas d'emblée pourquoi un canton à qui la Confédération refuserait de payer des indemnités forfaitaires en raison d'un prétendu manquement à ses devoirs en matière de renvoi ne pourrait pas se prévaloir de motifs excusables, alors même qu'il le pourrait dans l'hypothèse où la Confédération exigerait de lui le remboursement d'indemnités déjà versées en application de l'art. 89b al. 1 LAsi.  
 
4.4.4. Les méthodes d'interprétation historique et systématique de la loi permettent ainsi de retenir - comme l'autorité précédente semble l'avoir elle-même implicitement admis - que le SEM ne peut pas refuser de verser des indemnités forfaitaires à un canton qui aurait failli à ses obligations en matière de renvoi dans l'hypothèse où ce dernier pourrait se prévaloir de motifs justificatifs à son manquement, quand bien même l'art. 89b al. 2 LAsi ne le précise pas expressément. Aucun des participants à la procédure ne le conteste au demeurant.  
 
4.5. Il convient à présent de poursuivre l'interprétation de l'art. 89b LAsi afin de définir le type de motifs que peut valablement invoquer un canton au sens de cette norme pour justifier le non-respect de ses obligations en matière de renvoi et, partant, s'opposer à une éventuelle suspension du versement d'indemnités forfaitaires décidée par le SEM.  
 
4.5.1. Dans ses versions française et italienne, l'art. 89b de la loi sur l'asile prévoit qu'un canton qui ne remplit pas ou que partiellement ses obligations en matière d'exécution ne peut se voir réclamer le remboursement d'indemnités forfaitaires déjà versées - ni, comme nous venons de le voir, imposer une suspension de leur paiement (cf. supra consid. 5.4.3) - que si "rien ne justifie de tels manquements" ("niente giustifica tale inadempienza"). La version allemande de la loi diverge quant à elle très légèrement sur le plan rédactionnel, en prévoyant que de telles mesures ne sont possibles que "s'il n'existe aucun motif excusable" au manquement du canton ("wenn keine entschuldbaren Gründe vorliegen"). La Cour de céans note d'emblée qu'une telle formulation, quelle que soit sa version linguistique, permet a priori aux cantons d'invoquer tout motif propre à démontrer qu'il ne peut pas leur être reproché d'avoir voulu se soustraire sans raison légitime à leurs devoirs en matière de renvoi. D'un point de vue strictement littéral, la disposition n'empêche notamment pas les cantons de s'opposer à une suspension de leurs indemnités forfaitaires en avançant d'autres justifications qu'une impossibilité de renvoi d'ordre purement technique (cf. d'ailleurs, à titre de comparaison, ATF 130 V 125 consid. 3.5 et arrêt 2C_1030/2020 du 8 décembre 2021 consid. 5.3.2, relatifs à d'autres domaines où la perte d'un droit pour un justiciable dépend aussi du non-respect d'une obligation légale sans motif valable ["ohne entschuldbaren Grund"]).  
 
4.5.2. Les travaux préparatoires ne fournissent pour leur part pas d'indication véritablement claire quant à la manière d'interpréter l'art. 89b LAsi. Rappelons que le message accompagnant le projet de loi visant la restructuration du domaine de l'asile, finalement adoptée le 25 septembre 2015 par les Chambres fédérales, ne contient aucune explication en lien avec cette disposition, puisque le Conseil fédéral ne l'avait pas envisagée dans son projet de loi initial déposé devant le Parlement une année plus tôt (cf. supra consid. 4.4.2). Quant aux débats parlementaires ayant conduit à l'adoption du nouvel art. 89b LAsi, ils ont davantage porté sur l'opportunité d'édicter une telle norme - contestée par certains élus - que sur son interprétation future. Ils laissent en outre transparaître quelques divergences sur ce second point. Tandis que le Conseil fédéral a déclaré devant les Chambres fédérale que les cantons ne devraient pas pouvoir renoncer à un renvoi pour des "motifs subjectifs" ("aus subjectiven Gründen oder aus anderen Gründen"), mais uniquement lorsque celui-ci s'avérerait objectivement inexécutable (p. ex. en cas de disparition de la personne à renvoyer ou d'absence de vol à destination du pays de destination; cf. BO 2015 CE 558 et BO 2015 CN 1432), la rapporteure de la Commission en charge du projet de loi devant le Conseil national a souligné de manière plus générale que la commission estimait qu'il existerait des motifs excusables à la non-exécution d'un renvoi lorsqu'aucune faute ne pourrait être reprochée au canton, tout en relevant que cela était "notamment" le cas si ledit renvoi était impossible pour des raisons techniques (BO 2015 CN 1434). Certains intervenants aux débats parlementaires ont pour leur part affirmé que l'art. 89b LAsi devait a priori s'appliquer dans les cas où les cantons négligeraient leurs devoirs d'exécution des renvois sans bonnes raisons ("ohne gute Gründe"; BO 2015 CE 559) ou n'agiraient pas dans ce domaine pour des motifs politiques ou idéologiques ("aus politischen und ideologischen Gründen"; BO 2015 CN 1430). D'autres ont enfin relevé qu'il appartiendrait en dernier ressort au Tribunal fédéral de définir la portée de la disposition (BO 2015 E 558), dans la mesure où celle-ci ne couvrait pas des états de fait clairement et mathématiquement délimitables (BO 2015 CN 1431). Ce flou entourant l'interprétation de l'art. 89b LAsi a ainsi conduit certains élus, qui craignaient que les cantons trouvent toujours des "motifs valables" à ne pas exécuter la loi sur l'asile ("«entschuldbare Gründe» wird man immer finden"), à proposer un amendement de l'art. 89b LAsi visant à sanctionner automatiquement les cantons n'ayant pas rempli leurs devoirs de renvoi, nonobstant d'éventuels motifs excusables (BO 2015 CN 1429). Un tel amendement a toutefois été rejeté par une large majorité du Conseil national (BO 2015 CN 1436).  
En résumé, il existait lors des débats parlementaires une incertitude sur l'interprétation à donner à la notion de "motifs excusables" contenue à l'art. 89b LAsi. Il en résulte que l'interprétation historique de cette disposition ne permet pas d'infirmer la thèse, découlant de l'interprétation littérale, selon laquelle la Confédération ne peut a priori pas refuser le paiement d'indemnités forfaitaires à un canton ayant manqué à ses devoirs en matière de renvoi non seulement lorsqu'un renvoi n'a pas été effectué pour des motifs techniques, mais également lorsque le canton défaillant y a renoncé pour d'autres raisons légitimes.  
 
4.5.3. Sous les angles systématique et téléologique, il est certes essentiel de garder à l'esprit que, selon les art. 46 al. 1 Cst. et 46 al. 1 LAsi, les cantons sont tenus d'exécuter les décisions de renvoi du SEM et que le respect de cette injonction implique nécessairement de se montrer assez strict dans l'admission des motifs excusables au sens de l'art. 89b LAsi, d'autant que le but de cette disposition est bien d'inciter les cantons à respecter les décisions de renvoi prononcées par le SEM (cf. supra consid. 4.4.2). Toutefois, il convient également de ne pas perdre de vue que, lorsque l'exécution d'un renvoi n'est pas réalisable pour des raisons techniques objectives, il ne peut de toute façon pas être reproché au canton responsable d'avoir violé ses obligations en matière de renvoi au sens de l'art. 89b LAsi, respectivement d'avoir commis un quelconque "manquement" au sens de cette disposition. Cette évidence est d'une certaine manière soulignée par l'art. 46 LAsi lui-même, auquel l'art. 89b LAsi se réfère et qui prévoit à son deuxième alinéa que, si l'exécution d'un renvoi n'est pas possible pour des raisons techniques, le canton doit demander au SEM d'ordonner l'admission provisoire de l'étranger concerné. Ainsi, interpréter l'art. 89b LAsi en ce sens qu'un canton ne pourrait invoquer que des motifs d'empêchement d'ordre technique à l'exécution d'un renvoi pour s'opposer à une suspension du paiement d'indemnités forfaitaires ou à une demande de remboursement de celles-ci reviendrait en fin de compte non seulement à formuler une évidence, mais aussi à retirer tout effet utile à la précision légale, contenue à cette disposition, selon laquelle de telles sanctions ne sont admissibles que si "rien ne justifie" le "manquement" considéré. Cela serait faire également peu cas de l'importance que l'Assemblée fédérale a accordée à cette précision lors des débats parlementaires, notamment en refusant une amendement tendant à sa suppression (cf. supra consid. 4.5.2).  
 
4.5.4. Il résulte ainsi des différentes méthodes d'interprétation de la loi que la Confédération ne peut pas refuser de verser des indemnités forfaitaires à un canton ayant manqué à ses obligations en matière de renvoi au sens de l'art. 89b LAsi, ni en réclamer le remboursement, non seulement lorsque le canton concerné démontre avoir été empêché de remplir son devoir pour des raisons techniques (p. ex. en raison de la fuite ou de l'intransportabilité de la personne à renvoyer), mais également lorsque le canton peut invoquer des motifs excusables ( entschuldbare Gründe) à son manquement qui font qu'il est objectivement impossible de lui reprocher un manque de diligence et d'avoir voulu se soustraire fautivement à ses obligations.  
 
4.5.5. Il s'ensuit notamment que, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal administratif fédéral, qui n'a procédé à aucune interprétation particulière de l'art. 89b LAsi dans son arrêt, il n'est pas possible de dénier d'emblée et par principe l'existence de tout motif excusable à un canton qui, comme la République et canton de Neuchâtel, justifie la non-exécution d'un renvoi ou d'un transfert "Dublin" en raison de la situation familiale particulière dans laquelle se trouvait la personne intéressée. L'autorité précédente a fait à tort grand cas des travaux préparatoires de la loi sur l'asile, datant d'il y a presque trente ans, qui, selon elle, indiqueraient clairement que le législateur "n'entendait laisser aucun pouvoir d'appréciation aux cantons en matière d'exécution", en ce sens que les cantons devraient "se conformer à la réglementation des compétences prévue" et "exécuter la décision de renvoi rendue par [le SEM] - et, le cas échéant confirmée par la CRA [à savoir la Commission fédérale de recours en matière d'asile, correspondant aujourd'hui le TAF]" (cf. Message du Conseil fédéral du 4 décembre 1995 concernant la révision totale de la loi sur l'asile, FF 1996 II 1, spéc. p. 65). Le Tribunal administratif fédéral a ce faisant perdu de vue que la question de la répartition des compétences en matière d'asile ne se confond pas totalement avec celle du versement d'indemnités forfaitaires aux cantons, ni avec celle de leur éventuel remboursement et suspension de paiement, laquelle fait, depuis 2016, l'objet d'une réglementation spécifique - et seule topique - nouvelle à l'art. 89b LAsi, que le Conseil fédéral n'avait pas imaginé dans son projet de nouvelle loi sur l'asile de 1995, ni d'ailleurs dans son projet de révision de la loi de 2015 ayant abouti à l'adoption de cette disposition.  
 
4.6. Il ne reste plus qu'à déterminer si, en tant qu'elle prétend avoir renoncé à exécuter le transfert de A.________ vers l'Italie en raison de la grossesse de sa compagne, la République et canton de Neuchâtel se prévaut véritablement d'un "motif excusable" ( entschuldbarem Grund) à son manquement au sens de l'art. 89b LAsi, tel qu'interprété ci-devant.  
 
4.6.1. En l'occurrence, il ressort de l'arrêt attaqué que A.________ a été attribué à la République et canton de Neuchâtel par le SEM le 2 août 2016, ce après avoir déposé une demande d'asile en Suisse dans laquelle il indiquait que son épouse, B.________, également requérante d'asile d'origine erythréenne, vivait aussi dans le pays. Le SEM a toutefois refusé d'entrer en matière sur cette demande et ordonné le transfert de l'intéressé vers l'Italie par décision du 25 octobre 2016, en retenant qu'il appartenait à cet Etat de se prononcer sur l'octroi d'une éventuelle protection internationale en application de l'Accord d'association à Dublin (AAD; RS 0.142.392.68). Dans ce contexte, le SEM a notamment estimé que la relation que A.________ entretenait avec B.________ n'était pas assez étroite et effective pour pouvoir bénéficier du droit à la garantie de la vie familiale. A.________ n'ayant pas contesté cette décision du SEM, la République et canton de Neuchâtel disposait alors d'un délai échéant le 25 avril 2017 pour exécuter son transfert vers l'Italie. A cette fin, le Service cantonal des migrations a organisé un entretien le 25 novembre 2016 au cours duquel il a appris que la compagne de l'intéressé attendait un enfant pour la fin avril 2017. Quelques mois plus tard, par écrit du 1er mars 2017, le SEM a informé la République et canton de Neuchâtel qu'il suspendait provisoirement l'exécution du transfert de A.________, dans la mesure où celui-ci avait demandé le réexamen de sa décision du 25 octobre 2016 en produisant notamment des photographies de son couple en Erythrée, un certificat de mariage religieux de 2011, ainsi que le certificat de baptême d'une fille née de cette union en 2012. L'autorité fédérale a toutefois rejeté cette demande de réexamen en date du 28 mars 2017, en considérant que les documents remis n'étaient toujours pas de nature à démontrer que A.________ et B.________ s'étaient mariés ou avaient déjà commencé une relation dans leur pays d'origine. En date du 25 avril 2017, le Service des migrations de la République et canton de Neuchâtel a finalement demandé au SEM d'engager une procédure nationale d'asile pour A.________, dans la mesure où il n'avait pas été possible d'exécuter le transfert "Dublin" de l'intéressé vers l'Italie dans le délai de six mois en raison de la grossesse de sa compagne, laquelle a du reste accouché deux jours plus tard. Le SEM a alors ouvert une procédure nationale d'asile pour A.________, à l'issue de laquelle il a finalement reconnu la qualité de réfugié à ce dernier et lui a accordé l'asile par décision du 29 août 2019. Il a fait de même en ce qui concerne B.________ et son fils né en avril 2017, ce afin de préserver l'unité de la famille. Notons enfin qu'il ressort du dossier que le couple a également obtenu du SEM qu'il octroie la qualité de réfugié et l'asile à leur autre fille commune, initialement demeurée en Erythrée, ce par décision du 5 juin 2020 (cf. art. 105 al. 2 LTF).  
 
4.6.2. Il ressort ainsi de l'arrêt attaqué que la République et canton de Neuchâtel n'a effectivement plus procédé à aucun acte de transfert de A.________ vers l'Italie, lequel devait intervenir jusqu'au 25 avril 2017, dès le moment où elle a appris, le 25 novembre 2016, que la compagne de ce dernier, dont la demande d'asile était pendante devant le SEM, attendait un enfant pour la fin avril 2017. Or, en tenant compte de cet élément nouveau, le canton a non seulement permis à A.________ de demeurer auprès de B.________ lors de l'accouchement de leur enfant commun, lequel a finalement eu lieu le 27 avril 2017, mais surtout - et plus généralement - fait en sorte de ne pas séparer une famille de requérants d'asile qui, d'après les faits constatés dans l'arrêt attaqué, préexistait à son arrivée en Suisse, quand bien même ce fait n'avait pas été d'emblée reconnu par le SEM dans le cadre de la procédure "Dublin" menée à l'égard de l'intéressé.  
Or, en ménageant l'unité d'une famille et le bien d'un enfant à naître, la République et canton de Neuchâtel a préservé des intérêts qui sont protégés aussi bien par la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH; RS 0.101) et la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant (CDE; RS 0.107) que par le Règlement Dublin III lui-même. Celui-ci reconnaît en effet que la préservation de l'unité du groupe familial est en règle générale dans l'intérêt supérieur de l'enfant, ce même lorsque celui-ci n'est pas encore né (cf. art. 6 par. 3 let a et par. 4, ainsi qu'art. 8 par. 1, art. 11 et art. 20 par. 3; arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne C-661/17 du 23 janvier 2019, § 87 à 90). La Cour de céans relève d'ailleurs que, conformément à ce que prévoit le Règlement Dublin III, qui interdit en principe d'insister sur la preuve flagrante des relations familiales (cf. art. 22 ch. 4 Règlement Dublin III), le SEM aurait vraisemblablement renoncé au transfert de A.________ vers l'Italie de son propre mouvement s'il avait constaté d'emblée ou lors de la procédure de reconsidération initiée par l'intéressée que celui-ci formait déjà une famille avec B.________ avant son arrivée en Suisse (cf. art. 11 Règlement Dublin III), comme il l'a finalement admis dans le cadre des différentes procédures d'asile menées ultérieurement en lien avec le couple et ses deux enfants. Sous un angle rétrospectif, il apparaît ainsi contradictoire de la part du SEM de reprocher à la République et canton de Neuchâtel d'avoir renoncé à procéder au transfert de A.________ vers l'Italie pour un motif dont lui-même a reconnu la validité et la pertinence quelque temps plus tard. La volonté de la République et canton de Neuchâtel de ne pas exécuter le transfert de A.________ vers l'Italie en raison de la situation familiale de ce dernier n'a en fin de compte rien fait d'autre que de rétablir une situation conforme au droit matériel et aux engagements internationaux de la Suisse. Il s'agit là assurément d'un motif objectif légitimant le "manquement" du canton, à qui l'on ne peut pas reprocher une quelconque faute, ni d'avoir agi hors de tout cadre procédural, dès lors que lui-même ne disposait a priori d'aucun moyen de droit contre la décision du SEM du 25 octobre 2016. On ne saurait donc considérer, comme l'ont fait les autorités précédentes, que rien ne justifiait la non-exécution du transfert de A.________.  
 
4.7. Il résulte des considérants qui précèdent que la République et canton de Neuchâtel a failli à son obligation de procéder au transfert "Dublin" de A.________ vers l'Italie pour des motifs excusables au sens de l'art. 89b LAsi. Partant, le Tribunal administratif fédéral a violé le droit fédéral en confirmant la décision du SEM de ne plus verser aucune indemnité forfaitaire à la République et canton de Neuchâtel en lien avec la prise en charge de ce requérant d'asile à partir du 13 juin 2017.  
 
5.  
Sur le vu des considérants qui précèdent, le recours doit être admis, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs que la République et canton de Neuchâtel soulève à l'encontre de l'arrêt attaqué. Celui-ci doit en tout état de cause être annulé et le dossier renvoyé au SEM afin qu'il calcule et verse les indemnités forfaitaires dues au canton en lien avec la prise en charge de A.________ à partir du 13 juin 2017, étant précisé qu'il n'est pas possible au Tribunal fédéral de fixer lui-même le montant total des arriérés à payer sur la seule base de l'arrêt attaqué et des allégations du Conseil d'Etat neuchâtelois. 
Le dossier sera également renvoyé au Tribunal administratif fédéral pour qu'il statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure menée devant lui (art. 67 et 68 al. 5 LTF a contrario).  
 
6.  
Le SEM, dans la mesure où il succombe en la présente cause et que ses intérêts patrimoniaux étaient en jeu, supportera les frais de justice (art. 66 al. 1 et 4 LTF). Aucuns dépens ne seront en revanche alloués à la République et canton de Neuchâtel, laquelle a du reste procédé devant le Tribunal fédéral sans l'aide d'aucun mandataire (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis. L'arrêt du Tribunal administratif fédéral du 27 juin 2022 est annulé et la cause est renvoyée au SEM afin qu'il fixe et verse à la République et canton de Neuchâtel les indemnités forfaitaires qui lui sont dues pour la prise en charge de A.________ au sens des considérants. 
 
2.  
La cause est renvoyée au Tribunal administratif fédéral pour qu'il statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure antérieure menée devant lui. 
 
3.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge du SEM. 
 
4.  
Il n'est pas alloué de dépens. 
 
5.  
Le présent arrêt est communiqué à la République et canton de Neuchâtel, au SEM et au Tribunal administratif fédéral, Cour VI. 
 
 
Lausanne, le 21 décembre 2023 
Au nom de la IIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : F. Aubry Girardin 
 
Le Greffier : E. Jeannerat