1B_108/2017 01.06.2017
Avis important:
Les versions anciennes du navigateur Netscape affichent cette page sans éléments graphiques. La page conserve cependant sa fonctionnalité. Si vous utilisez fréquemment cette page, nous vous recommandons l'installation d'un navigateur plus récent.
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1B_108/2017  
   
   
 
 
 
Arrêt du 1er juin 2017  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Merkli, Président, 
Eusebio et Chaix. 
Greffière : Mme Kropf. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Maîtres Daniel Tunik 
et Jean-René Oettli, avocats, Etude Lenz & Staehelin, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public de la Confédération. 
 
Objet 
Procédure pénale; séquestre, 
 
recours contre la décision de la Cour des plaintes 
du Tribunal pénal fédéral du 16 février 2017. 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A la suite d'une annonce du Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS), le Ministère public de la Confédération (MPC) a ouvert, le 13 août 2014, une instruction pénale contre A.________ pour blanchiment d'argent aggravé.  
Les soupçons à l'origine de cette communication découlaient d'une annonce de la Société B.________ SA qui avait eu connaissance d'articles de presse en lien avec une procédure pénale portugaise pour blanchiment. Les médias portugais et internationaux auraient, dès juillet 2014, mis en cause la Banque C.X.________ (ci-après C.X.________) en raison de malversations comptables réalisées à l'étranger, notamment en Afrique; A.________, CEO de la Banque D.X.________ (ci-après D.X.________) pendant dix ans, serait également lié à ces faits. Il ressortirait aussi de la presse que le gouvernement du pays africain en cause aurait dû garantir US$ 5.7 milliards afin d'éviter une incapacité de paiement et que D.X.________ serait détenue à 55% par C.X.________, à 40% par des membres de la famille présidentielle et à 5% par A.________. Toujours selon les médias, la fortune de ce dernier pourrait être en lien avec des crédits douteux - selon le rapport d'audit de E.________ pour l'année 2013 - accordés sous sa gouvernance par D.X.________. 
 
A.b. Le MPC a procédé au séquestre de nombreux comptes bancaires suisses sous contrôle de A.________ pour une valeur globale de plusieurs millions de francs suisses. Le 20 juin 2016, il a en particulier séquestré un immeuble situé en Suisse dont A.________ est l'un des copropriétaires.  
 
B.   
Le 16 février 2017, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral a rejeté le recours intenté par A.________ contre cette ordonnance. Elle a tout d'abord considéré que la motivation de la décision attaquée ne violait pas le droit d'être entendu du susmentionné (propriété pouvant avoir été acquise par des fonds qu'il aurait obtenus par les malversations qui lui étaient reprochées dans le cadre de la débâcle du Groupe X.________ [cf. consid. 2.2 et 2.3). Après avoir rappelé les arguments des parties, elle a constaté que les explications du MPC démontraient l'avancement - certes lent - de la procédure (cf. sollicitation des autorités portugaises, réception de leurs prononcés, analyse de 18 relations bancaires et identification de 188 transactions litigieuses [cf. consid. 3.1, 3.2, 3.3 et 3.4]). Selon l'autorité précédente, il n'y avait pas identité des procédures portugaise et suisse s'agissant des flux financiers examinés (cf. consid. 3.3 in fine). Elle a retenu qu'à ce stade, il ne pouvait être exclu que le prévenu - soupçonné de blanchiment - n'ait acquis l'immeuble saisi avec des fonds illicites ou qu'une créance compensatrice puisse être ordonnée (cf. consid. 3.5). La Cour des plaintes a enfin considéré que les jugements portugais ne sauraient permettre la levée des séquestres en Suisse, ayant été rendus dans le cadre d'un complexe de faits différents et répondant aux exigences d'un système juridique étranger (cf. consid. 3.6). 
 
C.   
Par acte du 22 mars 2017, A.________ forme un recours en matière pénale contre cet arrêt, concluant à son annulation et au renvoi de la cause à l'autorité précédente. 
Invitée à se déterminer, l'autorité précédente s'est référée à ses considérants. Quant au MPC, il a conclu au rejet du recours. Le 2 mai 2017, le recourant a persisté dans ses conclusions. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Selon l'art. 79 LTF, le recours en matière pénale est recevable contre les décisions de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral qui portent sur des mesures de contrainte, dont font partie les prononcés relatifs à un séquestre (ATF 136 IV 92 consid. 2.2 p. 94). Ce type de décision a un caractère incident et cause en principe un dommage irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF car le détenteur des valeurs et/ou biens saisis se trouve privé temporairement de leur libre disposition (ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131). En tant que copropriétaire de l'immeuble séquestré, le recourant, prévenu qui a participé à la procédure devant l'instance précédente, a qualité pour agir au sens de l'art. 81 al. 1 LTF. Le recours a en outre été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF). 
Le recourant se limite à conclure à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité précédente, alors que le recours en matière pénale est un recours en réforme (art. 107 al. 2 LTF). Cela étant, vu la nature du litige et les motifs invoqués dans son recours, on comprend qu'il entend obtenir la levée du séquestre portant sur sa part de copropriété (ATF 137 II 313 consid. 1.3 p. 317). Partant, il y a lieu d'entrer en matière. 
 
2.   
Le recourant se plaint d'établissement arbitraire des faits, ainsi que de violation de son droit d'être entendu. Soutenant que la décision attaquée serait arbitraire, le recourant reproche en substance à l'autorité précédente d'avoir considéré qu'il existerait des soupçons suffisants de la commission d'infractions qui permettraient le séquestre prononcé à son encontre. 
 
2.1. Le Tribunal fédéral est lié par les constatations de fait de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF), à moins qu'elles n'aient été établies de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF), soit, pour l'essentiel, de façon arbitraire (art. 9 Cst.; sur cette notion cf. ATF 141 I 49 consid. 3.4 p. 53 et les arrêts cités). Lorsque le recourant entend s'en prendre à l'état de fait de l'arrêt attaqué, il lui appartient de soulever expressément un grief d'arbitraire et de le motiver de façon claire (art. 106 al. 2 LTF; ATF 141 IV 317 consid. 5.4 p. 324). Le Tribunal fédéral n'entre pas en matière sur des critiques de nature appellatoire portant sur l'état de fait; celles-ci sont irrecevables (ATF 142 III 364 consid. 2.4 p. 368; 141 IV 317 consid. 5.4 p. 324).  
 
2.2. Le droit d'être entendu garanti par les art. 29 al. 2 Cst., 6 par. 1 CEDH et 107 CPP comprend notamment le droit pour l'intéressé de produire des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. L'autorité peut cependant renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de forger sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 141 I 60 consid. 3.3 p. 64; 140 I 285 consid. 6.3.1 p. 299). Il n'y a arbitraire (art. 9 Cst.) dans l'appréciation des preuves que si le juge n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'un moyen important propre à modifier la décision attaquée ou encore si, sur la base des éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables (ATF 142 II 355 consid. 6 p. 358; 140 III 264 consid. 2.3 p. 266 et les arrêts cités).  
La jurisprudence a également déduit du droit d'être entendu de l'art. 29 al. 2 Cst. l'obligation pour l'autorité de motiver sa décision, afin que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et exercer son droit de recours à bon escient. Pour satisfaire à cette exigence, il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision. Elle n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à ceux qui, sans arbitraire, peuvent être tenus pour pertinents (ATF 142 II 154 consid. 4.2 p. 157). La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 p. 565). 
 
2.3. Le séquestre est une mesure de contrainte qui ne peut être ordonnée, en vertu de l'art. 197 al. 1 CPP, que si elle est prévue par la loi (let. a), s'il existe des soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elle apparaît justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d).  
Lors de cet examen, l'autorité statue sous l'angle de la vraisemblance, par rapport à des faits non encore établis (arrêt 1B_100/2017 du 25 avril 2017 consid. 2.1), respectivement à des prétentions encore incertaines. Le séquestre pénal est en effet une mesure provisoire destinée à préserver les objets et/ou valeurs qui peuvent servir de moyens de preuve, que le juge du fond pourrait être amené à confisquer, à restituer au lésé ou qui pourraient servir à l'exécution d'une créance compensatrice (cf. art. 263 al. 1 CPP et 71 al. 3 CP). L'autorité doit pouvoir statuer rapidement (cf. art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 141 IV 360 consid. 3.2 p. 364). 
Un séquestre est proportionné lorsqu'il porte sur des avoirs et/ou objets dont on peut admettre en particulier qu'ils pourront être vraisemblablement confisqués ou restitués en application du droit pénal. Tant que l'instruction n'est pas achevée et que subsiste une probabilité de confiscation, de créance compensatrice ou d'une allocation au lésé, la mesure conservatoire doit être maintenue (ATF 141 IV 360 consid. 3.2 p. 364); l'intégralité des fonds doit demeurer à disposition de la justice aussi longtemps qu'il existe un doute sur la part de ceux-ci qui pourrait provenir d'une activité criminelle (arrêt 1B_459/2016 du 9 janvier 2017 consid. 2). Les probabilités d'une confiscation, respectivement du prononcé d'une créance compensatrice, doivent cependant se renforcer au cours de l'instruction (ATF 122 IV 91 consid. 4 p. 96). Un séquestre peut en effet apparaître disproportionné lorsque la procédure dans laquelle il s'inscrit s'éternise sans motifs suffisants (ATF 132 I 229 consid. 11.6 p. 247). En outre, pour respecter le principe de proportionnalité, l'étendue du séquestre doit rester en rapport avec le produit de l'infraction poursuivie (ATF 130 II 329 consid. 6 p. 336; arrêt 1B_459/2016 du 9 janvier 2017 consid. 2). 
 
2.4. En l'occurrence, le recourant reproche à l'autorité précédente de n'avoir pas pris en compte le jugement portugais rendu le 7 juillet 2016 - levant a priori des séquestres portant sur des biens du recourant -, ainsi que le Rapport parlementaire du 28 avril 2015; elle aurait également retenu à tort, en se fondant sur les affirmations du MPC, que le rapport de E.________ du 28 juin 2013 aurait fait état d'irrégularités, ainsi que de crédits octroyés à un petit groupe de personnes sans garanties suffisantes. A suivre le recourant, ces éléments démontreraient en substance que la poursuite de la procédure en Suisse violerait le principe "ne bis in idem" vu l'enquête pénale portugaise portant sur les mêmes faits.  
Il n'appartient cependant pas au juge du séquestre de statuer sur cette question - non dénuée de complexité -et le recourant pourra, le cas échéant, faire valoir ses griefs y relatifs devant le juge du fond. Au stade du contrôle de la mesure conservatoire, il est suffisant que certaines circonstances apparaissent, sous l'angle de la vraisemblance, différentes de celles examinées par les autorités portugaises. A cet égard, l'autorité précédente a constaté le défaut d'identité des procédures portugaise - a priori ouverte pour des infractions différentes (abus de confiance qualifié, escroquerie qualifiée selon le code pénal portugais [cf. consid. 3.2]) - et suisse s'agissant des flux financiers identifiés lors de l'examen de dix-huit relations bancaires dont le recourant est l'ayant droit économique (cf. consid. 3.3 de l'arrêt attaqué p. 7). Ce dernier ne démontre pas en quoi les pièces susmentionnées seraient déterminantes sur cette question spécifique. Vu l'infraction de blanchiment d'argent poursuivie en Suisse, il n'est ainsi pas exclu que les virements litigieux, objets de la procédure suisse, soient des autres infractions - notamment ultérieures - que celles ayant donné lieu à la procédure portugaise, qui pourraient en revanche mettre en évidence les infractions préalables nécessaires à l'application de l'art. 305bis CP. Par conséquent, la juridiction précédente pouvait, sans arbitraire ou violation du droit d'être entendu du recourant, ne pas en tenir compte lors de son raisonnement. 
Cette appréciation vaut d'autant plus que le jugement du 7 juillet 2016 ne met pas un terme à la procédure pénale portugaise à l'encontre du recourant et que le Rapport parlementaire dont il se prévaut n'a pas été traduit en langue française. Quant au rapport de E.________ - dans la version traduite produite par le recourant -, il ne semble pas exclure des irrégularités dans la comptabilité (cf. les nombreuses réserves a priori mentionnées), notamment en lien avec les prêts ("il n'a pas été possible de vérifier l'intérêt comptabilisé dans les résultats consolidés de l'exercice provenant du portefeuille de prêts accordés aux clients, en raison de l'impossibilité d'extraire les informations justificatives suffisantes et appropriées pour valider le solde comptable du compte précité de provisions pour créances à hauteur de 67'699'602 mille..." de la monnaie africaine locale [p. 2 dudit rapport]). 
En tout état de cause, le recourant ne développe aucune argumentation tendant à remettre en question l'existence des flux financiers litigieux. En effet, il se limite à soutenir que ces versements seraient uniquement des "mouvements d'avoirs depuis [ses] comptes africains [...] vers certaines de ses sociétés d'investissement" (cf. p. 9 du recours), explication qui ne donne toutefois aucune information sur les motifs de ces 188 transferts. Ce défaut d'indication et le contexte entourant ces virements (débâcle du Groupe X.________, comptes de débit auprès de D.X.________, fonction dirigeante du recourant dans cette banque et comptes crédités sous le contrôle de celui-ci) suffisent pour retenir l'existence de soupçons d'infractions de la part du recourant. Le séquestre ordonné en vue d'une confiscation (art. 263 al. 1 CPP) ou afin de garantir le prononcé d'une créance compensatrice (art. 71 al. 3 CP) est ainsi justifié, le recourant ne remettant en cause ni les éventuels liens entre ces fonds et le bien séquestré, ni l'hypothèse d'une créance compensatrice (cf. consid. 3.5 de l'arrêt attaqué). Il appartiendra cependant au MPC de faire progresser l'enquête afin d'étayer par d'autres éléments concrets - pouvant par exemple découler de l'analyse des comptes bancaires - les soupçons pesant sur le recourant (cf. également consid. 3.4 de l'arrêt attaqué), respectivement d'indiquer de manière précise quelles sont les mesures d'instruction en cours et/ou envisagées à court terme. 
Vu les considérations précédentes, la Cour des plaintes n'a pas violé le droit fédéral, ni a fortiori fait preuve d'arbitraire, en confirmant le séquestre portant sur la part de copropriété du recourant (art. 263 al. 1 CPP et 71 al. 3 CP). 
 
3.   
Il s'ensuit que le recours est rejeté. 
Le recourant, qui succombe, supporte les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est rejeté. 
 
2.   
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.   
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires du recourant, au Ministère public de la Confédération et à la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral. 
 
 
Lausanne, le 1 er juin 2017  
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Merkli 
 
La Greffière : Kropf