4A_630/2023 28.02.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_630/2023  
 
 
Arrêt du 28 février 2024  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Jametti, Présidente, May Canellas et De Rossa. 
Greffière : Mme Jordan. 
 
Participants à la procédure 
A.________, représenté par Me Alain Maunoir, avocat, Etude Mentha Avocats, 
recourant, 
 
contre  
 
B.________ SA, 
représentée par Me François Bellanger, avocat, Poncet Turrettini Avocats, 
intimée. 
 
Objet 
mainlevée définitive de l'opposition, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, du 3 avril 2023 (C/11500/2022, ACJC/467/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par réquisition de poursuite du 23 août 2021, A.________, fondation de droit public genevoise dotée de la personnalité juridique, a introduit une poursuite ordinaire à l'encontre de B.________ SA en recouvrement de la somme de 313'893 fr., avec intérêts à 5% dès le 1 er janvier 2008, réclamée sur la base des titres de créance suivants : " Factures no xxx du 01.01.2008 et no yyy du 31.12.2013 adressées par le Département de l'Aménagement, du Logement et de l'Energie (taxe d'équipement selon dossier d'autorisation de construire (...)) ".  
Le 1 er septembre 2021, sur la base de cette réquisition, le commandement de payer, poursuite n o zzz, a été notifié à B.________ SA. Cette dernière a formé opposition.  
Par requête déposée le 15 juin 2022, A.________ a requis la mainlevée définitive de l'opposition " en tant que cette opposition port[ait] sur la créance de 313'893 fr. plus intérêts à 5% l'an dès le 1er janvier 2008 [et] les frais de poursuite de 190 fr. ", avec suite de frais et dépens. Elle a produit des factures datées des 3 juillet 2006, 1 er janvier 2008 et 31 décembre 2013, munies d'un tampon humide du Tribunal administratif de première instance du canton de Genève avec la mention " pas de recours ". Elle a fait valoir qu'il s'agissait de " bordereaux exécutoires " et que la créance en poursuite correspondait au solde de la taxe d'équipement fixée dans le dossier (...) après versement par B.________ SA d'un premier acompte correspondant à un tiers de ladite taxe, soit la somme de 313'893 fr., qui faisait l'objet des bordereaux exécutoires des 1 er janvier 2008 et 31 décembre 2013.  
Par jugement du 10 novembre 2022, le Tribunal de première instance du canton de Genève a rejeté la requête de mainlevée définitive et statué sur les frais et dépens de la procédure. Il a considéré en substance que les pièces produites ne valaient pas titres de mainlevée définitive. 
Statuant le 3 avril 2023, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté le recours interjeté le 25 novembre 2022 par A.________ et débouté les parties de toutes autres conclusions, sous suite de frais et dépens à la charge du recourant. 
 
B.  
Par écriture du 19 mai 2023, A.________ exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral. Il conclut principalement à la réforme de l'arrêt entrepris en ce sens que la mainlevée définitive de l'opposition est levée à concurrence de 313'893 fr., plus intérêts à 5% l'an dès le 1 er janvier 2008, et de 190 fr. à titre de frais de poursuite et à la condamnation de l'intimée à " tous les frais et dépens ". Il demande subsidiairement le renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision.  
Des réponses n'ont pas été requises. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours a été déposé en temps utile (art. 45 al. 1 et 100 al. 1 LTF) contre une décision finale (art. 90 LTF; ATF 134 III 115 consid. 1.1) rendue en matière de poursuite pour dettes (art. 72 al. 2 let. a LTF en lien avec les art. 80 s. LP) par une juridiction cantonale de dernière instance statuant sur recours (art. 75 al. 1 et 2 LTF). La valeur litigieuse atteint le seuil légal (art. 74 al. 1 let. b LTF). Le recourant, qui a succombé devant la juridiction précédente, a qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF). 
 
2.  
Le chef de conclusions principal tendant à la mainlevée définitive de l'opposition est irrecevable. Si la Cour de céans devait admettre que le recourant est au bénéfice d'une décision administrative exécutoire au sens de l'art. 80 LP, elle ne pourrait que renvoyer la cause en instance cantonale pour examen, notamment, du moyen libératoire tiré de la prescription soulevé par la poursuivie et sur lequel aucune des autorités cantonales - qui ont dénié la qualité de titre de mainlevée définitive aux titres présentés - ne s'est prononcée. Cela étant, l'argumentation du recourant visant à démontrer que la prescription a été interrompue est stérile. 
 
3.  
 
3.1. Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 s. LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF), sans être lié ni par les motifs de l'autorité précédente ni par les moyens des parties; il peut donc admettre le recours en se fondant sur d'autres motifs que ceux invoqués par le recourant, comme il peut le rejeter en opérant une substitution de motifs (ATF 146 IV 88 consid. 1.3.2; 145 IV 228 consid. 2.1 et la référence). Cela étant, eu égard à l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, il n'examine en principe que les griefs soulevés (ATF 142 III 364 consid. 2.4 et les références). Le recourant doit par conséquent discuter les motifs de la décision entreprise et indiquer précisément en quoi il estime que l'autorité précédente a méconnu le droit (ATF 146 IV 297 consid. 1.2; 142 I 99 consid. 1.7.1; 142 III 364 consid. 2.4 et la référence). Le Tribunal fédéral ne connaît par ailleurs de la violation de droits fondamentaux que si un tel grief a été expressément invoqué et motivé de façon claire et détaillée par le recourant (" principe d'allégation ", art. 106 al. 2 LTF; ATF 146 IV 114 consid. 2.1; 144 II 313 consid. 5.1).  
 
3.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ces faits ont été constatés de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF; ATF 146 IV 88 consid. 1.3.1). Le recourant qui soutient que les faits ont été établis d'une manière manifestement inexacte, c'est-à-dire arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 147 I 73 consid. 2.2; 144 II 246 consid. 6.7; 143 I 310 consid. 2.2 et la référence), doit, sous peine d'irrecevabilité, satisfaire au principe d'allégation susmentionné (art. 106 al. 2 LTF; cf. supra, consid. 2.1), étant rappelé que l'appréciation des preuves ne se révèle arbitraire que si le juge n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'une preuve propre à modifier la décision attaquée ou encore si, sur la base des éléments recueillis, il a effectué des déductions insoutenables (ATF 147 V 35 consid. 4.2; 143 IV 500 consid. 1.1 et la référence).  
 
4.  
Se plaignant d'arbitraire dans la constatation des faits et de la violation des art. 80 s. LP, le recourant soutient en substance que la facture-bordereau du 3 juillet 2006 constitue un titre de mainlevée définitive valable, contrairement aux considérations de l'autorité cantonale. 
 
4.1.  
 
4.1.1. Le créancier qui est au bénéfice d'un jugement exécutoire peut requérir du juge la mainlevée définitive de l'opposition (art. 80 al. 1 LP); sont notamment assimilées à des jugements les décisions des autorités administratives suisses (art. 80 al. 2 ch. 2 LP).  
La procédure de mainlevée, qu'elle soit provisoire ou définitive, est un incident de la poursuite. La décision qui accorde ou refuse la mainlevée est une pure décision d'exécution forcée dont le seul objet est de dire si la poursuite peut continuer. Le juge de la mainlevée définitive examine seulement la force probante du titre produit par le créancier, sa nature formelle, non la validité de la créance; il n'a ni à revoir ni à interpréter le titre qui lui est soumis (ATF 143 III 564 consid. 4.1; 132 III 140 consid. 4.1.1 et les références). 
Le prononcé de mainlevée ne sortit que des effets de droit des poursuites et ne fonde pas l'exception de chose jugée quant à l'existence de la créance (ATF 136 III 583 consid. 2.3). 
 
4.1.2. Le juge doit examiner d'office l'existence des trois identités : l'identité entre le poursuivant et le créancier désigné dans ce titre, l'identité entre le poursuivi et le débiteur désigné et l'identité entre la prétention déduite en poursuite et le titre qui lui est présenté (ATF 139 III 444 consid. 4.1.1). Il ne prononcera notamment pas la mainlevée s'il y a absence manifeste d'identité entre la créance et le titre (arrêts 5D_211/2019 du 29 mai 2020 consid. 5.2.1, publié in BlSchK 2021 p. 5; 5A_1023/2018 du 8 juillet 2019 consid. 6.2.4.2). Ainsi, si le montant est dû en vertu d'un autre titre que celui indiqué dans le commandement de payer, la mainlevée doit être rejetée (arrêts 5A_207/2021 du 8 février 2022 consid. 5.1; 5D_211/2019 précité, ibidem; 5A_1023/2018 précité, ibidem, et les autres références).  
 
4.1.3. Les décisions qui n'ont pas été notifiées à la personne concernée ne déploient en principe pas d'effets juridiques (ATF 141 I 97 consid. 7.1; 122 I 97 consid. 3a/bb); elles ne passent pas en force (ATF 130 III 396 consid. 1.3) et ne peuvent donc pas être exécutées (ATF 141 précité, ibidem). Il appartient en principe au créancier poursuivant qui requiert la mainlevée définitive d'apporter la preuve de la force exécutoire au sens de l'art. 80 al. 1 LP, et donc également la preuve de la notification lorsqu'il est contesté que celle-ci ait bien eu lieu (ATF 141 précité, ibidem; arrêt 5D_90/2022 du 26 avril 2023 consid. 4.3 et les références, partiellement publié in RSPC 2023 p. 574). Cette preuve peut, en l'absence d'un envoi recommandé, résulter de l'ensemble des circonstances, en particulier de la correspondance échangée ou de l'absence de protestation à une mise en demeure (ATF 141 I 97 précité, ibidem; 136 V 295 consid. 5.9; 105 III 43 consid. 3; arrêt 5A_40/2018 du 20 avril 2018 consid. 6.3.2).  
 
4.2. La Chambre civile de la Cour de justice a considéré que, si la facture du 3 juillet 2006 équivalait à une décision administrative au sens de l'art. 80 al. 2 ch. 2 LP, comme le plaidait le créancier recourant, elle ne valait toutefois pas titre de mainlevée définitive. En effet, la facture du 1 er janvier 2008 - qui revêtait les mêmes caractéristiques décisionnelles que la facture du 3 juillet 2006 - indiquait expressément " annule[r] et remplace[r] " cette dernière, annulation par ailleurs attestée par les mentions dans la réquisition de poursuite de la facture du 1 er janvier 2008 comme titre de créance (et non celle du 3 juillet 2006) et d'un dies a quo des intérêts arrêté au 1 er janvier 2008 (et non au 3 juillet 2006).  
L'autorité cantonale a en outre jugé qu'une décision qui n'a pas été communiquée, respectivement notifiée à la personne concernée ne déploie pas d'effets juridiques et n'acquière pas force exécutoire. Le créancier recourant ne pouvait donc pas non plus invoquer comme titre de mainlevée définitive la facture du 1 er janvier 2008, dans la mesure où il n'avait pas démontré l'avoir notifiée à l'intimée - laquelle avait affirmé ne l'avoir jamais reçue -, alors que le fardeau de la preuve lui incombait sur ce point. A cet égard, une attestation d'entrée en force ne suffisait pas. C'était par ailleurs en vain que le créancier recourant se référait aux échanges de courriers de 2009 et 2013 entre l'intimée et le Département du territoire, dès lors que ceux-là ne renvoyaient nullement à la facture du 1er janvier 2008.  
 
4.3. Le recourant ne critique pas, sous l'angle de l'arbitraire (cf. supra, consid. 3.2.), l'arrêt cantonal en tant qu'il constate qu'il n'a pas apporté la preuve de la notification de la facture du 1 er janvier 2008. Il ne s'en prend pas non plus - à bon droit, au demeurant - aux considérations selon lesquelles, à défaut de preuve de sa notification, cette facture n'était pas exécutoire et ne valait donc pas titre de mainlevée définitive. Il reproche uniquement à la cour cantonale d'avoir considéré que cette facture, quoique dépourvue de tout effet juridique, a annulé et remplacé la facture du 3 juillet 2006, que cette dernière était donc inexistante et que, partant, elle ne valait pas titre de mainlevée définitive. Il plaide, en d'autres termes, que la facture du 3 juillet 2006 constitue le titre de mainlevée définitive fondant la créance en poursuite. Il n'y a pas lieu de creuser plus avant ce grief ni d'examiner - pour autant qu'il appartienne au juge de la mainlevée de le faire - si la correspondance échangée entre l'intimée et le Département à partir de 2008 démentait toute annulation. L'arrêt cantonal peut en effet être confirmé par substitution de motifs.  
Il résulte tant de la réquisition de poursuite du 23 août 2021 que du commandement de payer notifié à l'intimée que le recourant a requis le paiement de 313'893 fr., avec intérêts à 5% dès le 1 er janvier 2008 en indiquant comme titres de mainlevée la facture du 1 er janvier 2008 et celle du 31 décembre 2013. Or, comme il a été relevé ci-devant, il ne conteste pas que la facture du 1er janvier 2008 ne vaut pas titre de mainlevée, faute de preuve de sa notification. Il ne remet pas non plus en cause les considérations de la cour cantonale déniant la qualité de titre de mainlevée définitive à la facture du 31 décembre 2013, motif pris de l'absence d'identité entre le débiteur poursuivi et le débiteur désigné dans le titre. Il prétend désormais uniquement que le montant en poursuite de 313'893 fr. serait dû en vertu de la facture du 3 juillet 2006, à savoir un titre qui n'a pas été invoqué dans le commandement de payer et qui fait, au demeurant, état d'une créance de 470'840 fr. Il n'y a ainsi pas identité entre la créance déduite en poursuite et le titre présenté, de telle sorte que la mainlevée définitive doit être rejetée (cf. supra, consid. 4.1.2).  
 
5. Vu ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. Les frais de justice sont mis à la charge de A.________, qui succombe dans la défense d'un intérêt patrimonial (art. 66 al. 1 et 4 LTF; arrêt 2C_80/2020 du 15 octobre 2020 consid. 8). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens à l'intimée, qui n'a pas été invitée à répondre (art. 68 al. 1 et 2 LTF).  
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 6'500 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 28 février 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
La Greffière : Jordan