150 III 78
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Chapeau

150 III 78


8. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause Fondation A. contre B. (recours en matière civile)
4A_396/2022 du 7 novembre 2023

Regeste

Art. 336c al. 1 let. b et art. 336 al. 1 let. a CO; congé ordinaire donné pour cause de maladie persistante.
Après l'échéance du délai de protection de l'art. 336c al. 1 let. b CO, l'employeur est libre de résilier le contrat de travail pour cause de maladie persistante du travailleur (consid. 3.1.1 et 3.1.2). Le congé ordinaire ne peut être qualifié d'abusif au sens de l'art. 336 al. 1 let. a CO que dans des situations très graves (consid. 3.1.3). Absence de situation très grave en l'espèce (consid. 3.2).

Faits à partir de page 78

BGE 150 III 78 S. 78

A.

A.a Le 17 novembre 2008, la Fondation A. (ci-après: l'employeuse, la défenderesse ou la recourante) a engagé B. (ci-après: le travailleur, le demandeur ou l'intimé) comme cuisinier à un taux d'activité de 100 % à compter du 1er décembre 2008 pour un salaire mensuel brut de 5'250 fr.
BGE 150 III 78 S. 79
Par courrier du 15 septembre 2015, le travailleur a été nommé adjoint du responsable du département cuisine et son salaire a été augmenté de 300 fr. dès le 1er septembre 2015.

A.b À la suite du départ du chef de cuisine en décembre 2016, le travailleur a assumé seul la responsabilité de la cuisine et de l'équipe pendant un peu plus d'un mois.
En février 2017, l'employeuse a engagé C. (ci-après: le chef de cuisine) en qualité de chef de cuisine.

A.c Du 20 au 26 mars 2017, le travailleur était en incapacité de travail.
Le 11 avril 2017, l'employeuse a convoqué le travailleur pour un entretien en présence du chef de cuisine et de sa directrice. Le travailleur a indiqué que son arrêt de travail était en partie dû au travail, qu'il avait un sentiment de perte de liberté par rapport à sa manière de cuisiner et qu'il avait observé une ambiance froide dans l'équipe, un "ras-le-bol" et le fait que le chef de cuisine ne faisait pas confiance à son équipe.

A.d Selon l'évaluation du travailleur du 13 novembre 2017, celui-ci n'avait pas atteint ses objectifs. Le poste de sous-chef lui a été retiré avec effet au 28 février 2018. Le travailleur a exprimé son désaccord.
Selon le rapport d'évaluation du travailleur du 19 avril 2018, celui-ci n'avait qu'insuffisamment atteint ses objectifs et il ne remplissait pas les attentes de ses fonctions.
Selon le constat résultant de l'entretien annuel du travailleur effectué le 15 février 2019, celui-ci n'avait pas atteint les objectifs fixés. Il s'agissait dès lors d'un ultime avertissement.

A.e Du 22 mars 2019 au 31 janvier 2020, le travailleur a été en arrêt de travail.

A.f Par courrier recommandé du 24 septembre 2019, l'employeuse a résilié le contrat du travailleur avec effet au 31 décembre 2019. Par la suite, elle a motivé ce congé par le fait que l'incapacité de travail du travailleur perdurait au-delà du délai de protection de l'art. 336c CO.
Le 14 octobre 2019, le travailleur s'est opposé à ce congé.

B.

B.a Après que la tentative de conciliation a échoué, le travailleur a déposé sa demande auprès du Tribunal de prud'hommes de
BGE 150 III 78 S. 80
l'arrondissement de l'Est vaudois le 7 septembre 2020. Il a conclu à ce que l'employeuse fût condamnée à lui verser la somme de 24'827 fr. 60 net.
Par jugement du 26 août 2021, le tribunal a rejeté la demande. (...)

B.b Par arrêt du 19 juillet 2022, la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud a admis l'appel formé par le travailleur et a admis sa demande. En bref, la cour cantonale a renversé l'appréciation des premiers juges, retenant, d'une part, l'existence d'une mauvaise ambiance en cuisine, un conflit entre le travailleur et le chef de cuisine et le fait que l'employeuse avait résilié le contrat en raison dudit conflit et, d'autre part, l'absence de mesures prises par l'employeuse pour désamorcer le conflit. (...)

C. Contre cet arrêt, qui lui avait été notifié le 29 juillet 2022, l'employeuse défenderesse a formé un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral le 14 septembre 2022. (...)
Le Tribunal fédéral a admis le recours et a annulé et réformé l'arrêt attaqué, en ce sens que la demande du travailleur est rejetée.
(extrait)

Considérants

Extrait des considérants:

3. Est litigieuse la question de savoir si le congé ordinaire donné par l'employeuse le 24 septembre 2019 pour le 31 décembre 2019, soit après l'échéance du délai de protection de l'art. 336c al. 1 let. b CO, est abusif au sens de l'art. 336 CO.

3.1

3.1.1 Lorsque le contrat de travail est de durée indéterminée, chaque partie est en principe libre de le résilier (art. 335 al. 1 CO), moyennant le respect du délai et du terme de congé convenus ou légaux. Le droit suisse du contrat de travail repose en effet sur la liberté de la résiliation et sur la liberté contractuelle (ATF 136 III 513 consid. 2.3; ATF 132 III 115 consid. 2.1; ATF 131 III 535 consid. 4.1; ATF 127 III 86 consid. 2a; arrêts 4A_245/2019 du 9 janvier 2020 consid. 4.2; 4A_78/2018 du 10 octobre 2018 consid. 3.1.1). Celle-là est limitée dans certains cas, soit lorsque la résiliation est abusive (art. 336 CO) ou qu'elle intervient en temps inopportun (art. 336c CO), notamment en cas d'incapacité de travail résultant d'une maladie non imputable à la faute du travailleur durant 180 jours à partir de la sixième année de service (art. 336c al. 1 let. b et al. 2 CO).
BGE 150 III 78 S. 81

3.1.2 Après l'échéance du délai de protection (Sperrfrist) de l'art. 336c al. 1 let. b CO, l'employeur peut en principe librement résilier le contrat du travailleur empêché de fournir ses prestations pour cause de maladie (ATF 136 III 510 consid. 4.4; ATF 123 III 246 consid. 5), alors même que cette maladie est elle-même la cause de la résiliation (ATF 124 II 53 consid. 2b/aa; ADRIAN STAEHELIN, Zürcher Kommentar, 4e éd. 2014, n° 23 ad art. 336c CO; THOMAS GEISER, Kündigungsschutz bei Krankheit, PJA 1996 p. 556). En effet, lorsque le travailleur souffre d'une maladie persistante qui l'empêche de travailler, l'employeur doit pouvoir résilier le contrat; la persistance de la maladie est alors un juste motif de résiliation.

3.1.3 Ce n'est que dans des situations très graves (krasse Fälle) que la résiliation pour cause de maladie persistante doit être qualifiée d'abusive au sens de l'art. 336 al. 1 let. a CO (ATF 136 III 513 consid. 2.3; ATF 132 III 115 consid. 2.1; ATF 131 III 535 consid. 4.2; arrêts 4A_293/2019 du 22 octobre 2019 consid. 3.5.1 et les arrêts cités; 4A_485/2016 / 4A_491/2016 du 28 avril 2017 consid. 2.2). Tel ne peut être le cas que lorsqu'il résulte de manière univoque de l'administration des preuves que l'employeur a directement causé la maladie du travailleur, par exemple lorsqu'il a omis de prendre les mesures de protection du travailleur telles que celles prévues à l'art. 328 al. 2 CO et que le travailleur est devenu malade pour cette raison.
Si la situation n'atteint pas ce degré de gravité, comme c'est souvent le cas en cas d'incapacité de travail en raison d'une maladie psychique, le congé n'est pas abusif. En effet, des difficultés au travail peuvent fréquemment entraîner une dépression ou d'autres troubles psychologiques, qui ne sont pas constitutifs d'une maladie directement causée par l'employeur.
Le fait qu'un conflit avec un nouveau supérieur hiérarchique puisse entraîner une incapacité de travail ne doit généralement pas être pris en considération. En effet, de telles situations de conflit sont fréquentes et n'atteignent la plupart du temps pas le degré de gravité nécessaire pour que l'existence d'un congé abusif puisse être admise. De plus, on ne saurait exiger de l'employeur qu'il prenne toutes les mesures envisageables pour éviter un tel conflit.

3.2 En l'espèce, lorsque l'employeuse a notifié le congé litigieux le 24 septembre 2019 pour le 31 décembre 2019, le travailleur était en arrêt de travail depuis le 22 mars 2019. Celle-ci a motivé le congé par le fait que l'incapacité de travail du travailleur perdurait au-delà
BGE 150 III 78 S. 82
du délai de protection de l'art. 336c CO. Dans la mesure où l'employeuse a résilié le contrat de travail de manière ordinaire en raison d'une incapacité de travail due à une maladie persistant au-delà dudit délai de protection, le congé n'est en principe pas abusif.
Il s'agit donc uniquement d'examiner si l'on se trouve en l'espèce en présence d'une situation très grave qui serait constitutive d'un congé abusif.
Le travailleur invoque la violation de l'art. 336 al. 1 let. a CO. Or, force est d'admettre que le congé litigieux n'est pas abusif au sens de cette disposition.
En effet, il n'est ni établi, ni manifeste qu'une exception au principe de l'admissibilité du congé ordinaire prononcé, pour cause de maladie persistante, après le délai de protection de l'art. 336c al. 1 let. b CO serait ici réalisée. L'employeur n'a pas directement causé la maladie ayant conduit à l'incapacité de travail du travailleur et il n'y a pas eu non plus de harcèlement psychologique (ou mobbing; sur cette notion, cf. arrêts 4A_215/2022 du 23 août 2022 consid. 3.1 et les arrêts cités; 2A.312/2004 du 22 avril 2005 consid. 6.2 et les références citées).
De plus, la situation conflictuelle avec le nouveau chef de cuisine invoquée par le travailleur ne saurait conduire à exiger de l'employeuse qu'elle démontre avoir pris des mesures pour régler ce conflit. La situation conflictuelle n'atteint en effet pas le seuil de gravité requis(krasse Fälle) pour admettre l'existence d'un congé abusif au sens de l'art. 336 al. 1 let. a CO.

contenu

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Etat de fait

Considérants 3

références

ATF: 136 III 513, 132 III 115, 131 III 535, 127 III 86 suite...

Article: Art. 336c al. 1 let. b et art. 336 al. 1 let. a CO, art. 336 al. 1 let. a CO, art. 336c CO, art. 336 CO suite...