1C_374/2022 09.10.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_374/2022  
 
 
Arrêt du 9 octobre 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Chaix, Juge présidant, 
Müller et Merz. 
Greffière : Mme Arn. 
 
Participants à la procédure 
A.________, représenté par Mes Mathis Kern et François Bellanger, avocats, 
recourant, 
 
contre  
 
Département du territoire de la République et canton de Genève, Office des autorisations de construire, Service des affaires juridiques, case postale 22, 1211 Genève 8. 
 
Objet 
Ordre de remise en état, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, du 17 mai 2022 (ATA/519/2022 - A/1762/2008-LCI). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________ et B.________ sont devenus copropriétaires de la parcelle n° 11'011 de la commune de Troinex, par deux achats successifs en 1998 et 1999. Cette parcelle est sise en zone agricole et classée, pour partie, en surface d'assolement (ci-après: SDA). Elle comporte un bâtiment n° 22 (initialement un hangar), construit au bénéfice d'autorisations, dont l'affectation a été modifiée à destination de chambres pour employés agricoles. Selon l'extrait du 23 janvier 2022 du registre foncier, il s'agit désormais de "bureaux". 
La commission foncière agricole (ci-après: CFA) a autorisé l'acquisition de la parcelle le 3 novembre 1998, car B.________, pépiniériste, et A.________, paysagiste, souhaitaient l'utiliser pour exercer leur activité professionnelle. Ils y exploitaient l'entreprise C.________ SA, qui a pour but de "concevoir et entreprendre l'aménagement et entretien de parcs et jardins; participer à des travaux de construction de terrains de sport, de piscines, de places de jeux, de fouilles, de terrassement et de drainage; transports relatifs à la construction". Ils étaient aussi administrateurs de l'entreprise D.________ SA, dont le but est l'exploitation d'une "entreprise de génie civil, exécution de travaux publics, démolitions et terrassement, exploitations de carrières et de gravières, achat, fabrication et vente de matériaux de construction, transport de tous matériaux". 
 
B.  
Le 24 janvier 2008, le Département des constructions et des technologies de l'information du canton de Genève, aujourd'hui le Département du territoire (ci-après: le département) a ouvert une procédure d'infraction à l'encontre de A.________ dès lors que, selon un rapport d'enquête du 23 janvier 2008, un inspecteur de la police des constructions a constaté, lors d'un contrôle sur place le 18 janvier 2008, que l'entreprise D.________ SA s'était installée sur la parcelle sans autorisation; le bâtiment à l'entrée de la parcelle avait changé d'affectation, un parking avait été créé devant le bâtiment, un couvert avait été érigé en limite sud de la parcelle (abritant des véhicules de chantier), des engins de chantier et des véhicules (roulottes, bennes, trax, camions, véhicules de service) étaient entreposés au sud-est de la parcelle, et des matériaux de chantier occupaient son extrémité est. Lors d'un nouveau contrôle le 11 avril 2008, l'inspecteur a constaté que la situation décrite dans le précédent rapport d'enquête était demeurée identique. 
Par décision du 17 avril 2008, le département a ordonné à A.________ de supprimer les bureaux aménagés dans le bâtiment n° 22, le parking visiteur, les véhicules de chantier, les installations de stockage de matériaux de chantier et les matériaux eux-mêmes, et de rétablir une affectation des bâtiments et de la parcelle conforme aux dispositions légales régissant la zone agricole. 
 
C.  
En mai 2008, A.________ a interjeté recours, auprès du Tribunal administratif, devenu la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) à l'encontre de cet ordre de remise en état. Entre le 17 juin 2008 et le 12 décembre 2021, la procédure de recours a été suspendue sans interruption à la demande des parties, en raison de leurs négociations. A cet effet, les parties ont eu de nombreux échanges durant cette période. 
Le 1 er décembre 2021, le département a informé A.________ que la procédure en cours ne pouvait aboutir à un accord et que, pour régulariser la situation, il devait déposer une demande d'autorisation de construire. Le même jour, le département a sollicité de la Cour de justice la reprise de la procédure, les parties n'ayant finalement pas trouvé une solution transactionnelle; A.________ s'y est opposé.  
Par décision incidente du 13 décembre 2021, la Cour de justice a ordonné la reprise de la procédure et, après plusieurs échanges d'écritures, elle a, par décision du 17 mai 2022, rejeté le recours déposé par A.________ contre la décision du département du 17 avril 2008. Elle a en substance considéré que l'intérêt public au rétablissement d'une situation conforme au droit primait les intérêts privés de l'intéressé et que l'ordre de démolition ne contrevenait pas aux principes de la bonne foi et de la proportionnalité. 
 
D.  
Par acte du 22 juin 2022, A.________ forme un recours en matière de droit public, dans lequel il conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt attaqué et de la décision du département et demande au Tribunal fédéral, principalement, de prendre acte de son engagement à supprimer le parking du personnel selon plan du 21 décembre 2017 et, subsidiairement, de dire qu'il devra rétablir une affectation des bâtiments et de la parcelle conforme à la zone agricole dans un délai de dix ans à compter de la notification du jugement. A titre encore plus subsidiaire, il demande le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Il sollicite par ailleurs l'effet suspensif, accordé par ordonnance du 18 juillet 2022. 
La Cour de justice renonce à se déterminer et se réfère à son arrêt. Le département conclut au rejet du recours, tout comme l'Office fédéral du développement territorial (ARE). Le recourant et le département déposent de nouvelles écritures et confirment leurs conclusions. Le recourant dépose une ultime écriture. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Dirigé contre une décision rendue en dernière instance cantonale dans le domaine du droit public de la police des constructions, le recours est recevable comme recours en matière de droit public conformément aux art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. 
Le recourant a pris part à la procédure de recours devant la Cour de justice; il est particulièrement touché par l'arrêt attaqué, qui confirme l'ordre de remise en état des lieux, et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification. Il a donc la qualité pour recourir selon l'art. 89 al. 1 LTF
Les autres conditions de recevabilité sont au surplus réunies, si bien qu'il convient d'entrer en matière. 
 
2.  
La Cour de justice a précisé que le présent litige était strictement circonscrit à l'examen de l'ordre de remise en conformité des installations et aménagements réalisés sans autorisation et non à l'appréciation de l'activité déployée sur la parcelle du point de vue de sa conformité avec la zone agricole, faute de demande d'autorisation de construire dans ce sens. Selon l'arrêt entrepris, le litige ne concerne plus que la suppression des bureaux aménagés dans le bâtiment n° 22, le parking, la serre adjacente à celui-ci et des matériaux en dépôt. 
 
3.  
Le recourant se plaint d'une violation du principe de la bonne foi, plus particulièrement de l'interdiction des comportements contradictoires et du principe de la confiance (cf. art. 5 al. 3 et 9 Cst.), ainsi que du principe de la proportionnalité. En substance, il conteste l'ordre de remise en état et soutient que les échanges et rencontres intervenues durant les années écoulées entre les parties ont créé l'apparence que sa situation serait régularisée par le biais d'un accord formalisé avec le département, à l'exclusion de toute autre mesure. Durant ces treize années de discussions, avec 3 visites sur place, en présence du directeur du service rural de l'Office cantonal de l'agriculture et de la nature (OCAN), la conformité de l'entreprise à la zone agricole n'aurait jamais été remise en question et il n'aurait jamais été question du dépôt d'une demande d'autorisation de construire. Le changement soudain de position du département constituerait un comportement contradictoire. Il affirme avoir pris des mesures concrètes sur la base des assurances données par le département: il a notamment supporté les honoraires de son avocat durant toutes ces années; il a donné de son temps et fait travailler son personnel pour élaborer des solutions concrètes et des plans à la demande du département; enfin, il a fait procéder à la suppression de stalles à matériaux utilisées pour sa pépinière. Sur ce dernier point, le recourant soulève le grief d'établissement manifestement inexact des faits en tant que la cour cantonale a considéré qu'il n'avait pris aucune disposition concrète sur la base du comportement de l'autorité. 
 
3.1. Découlant directement de l'art. 9 Cst. et valant pour l'ensemble de l'activité étatique, le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de celles-ci. Selon la jurisprudence, un renseignement ou une décision erronés de l'administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que l'autorité soit intervenue dans une situation concrète à l'égard de personnes déterminées, qu'elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et que l'administré n'ait pas pu se rendre compte immédiatement de l'inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore qu'il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice, que la réglementation n'ait pas changé depuis le moment où l'assurance a été donnée et que l'intérêt à l'application correcte du droit n'apparaisse pas prépondérant (ATF 143 V 95 consid. 3.6).  
Dans le cadre de la jurisprudence relative aux comportements contradictoires de l'administration, autre aspect du principe de la bonne foi, le respect des règles de la bonne foi par l'administration doit être examiné selon des critères objectifs, indépendamment de la personne des agents en cause; aussi l'administration peut-elle être rendue responsable d'un comportement contradictoire, même si celui-ci est dû à des personnes différentes, au besoin à l'insu des unes et des autres (ATF 121 I 181 consid. 2a; arrêt 1C_50/2020 du 8 octobre 2020 consid. 8.1.2). 
Par ailleurs, l'autorité peut renoncer à un ordre de démolition, conformément au principe de la proportionnalité, si les dérogations à la règle sont mineures, si l'intérêt public lésé n'est pas de nature à justifier le dommage que la démolition causerait au maître de l'ouvrage, si celui-ci pouvait de bonne foi se croire autorisé à construire ou encore s'il y a des chances sérieuses de faire reconnaître la construction comme conforme au droit (ATF 132 II 21 consid. 6; 123 II 248 consid. 3a/bb). Celui qui place l'autorité devant un fait accompli doit s'attendre à ce que celle-ci se préoccupe plus de rétablir une situation conforme au droit que d'éviter les inconvénients qui en découlent pour lui (ATF 123 II 248 consid. 4a; arrêt 1C_189/2022 du 13 janvier 2023 consid. 2.2). 
Conformément à l'art. 106 al. 2 LTF, les griefs de violation des droits fondamentaux sont soumis à des exigences de motivation accrues. La partie recourante doit alors indiquer les principes constitutionnels qui n'auraient pas été respectés et expliquer de manière claire et précise en quoi ces principes auraient été violés (cf. ATF 136 II 489 consid. 2.8; 133 IV 286 consid. 1.4). 
 
3.2. Les conditions posées par la jurisprudence pour que le recourant puisse se prévaloir du principe de la bonne foi et obliger les autorités à tolérer les aménagements réalisés en zone agricole sans autorisation ne sont en l'espèce pas réunies. A la suite à l'ordre de remise en état notifié par le département en 2008, les parties ont certes entrepris des discussions afin de trouver un accord en vue de régulariser la situation. Toutefois, aucune assurance ferme n'a été donnée au recourant sur l'issue de ces pourparlers, ni par le juriste du département, ni par sa hiérarchie. En particulier, la proposition formulée par le recourant le 21 décembre 2017, soit la suppression du parking du personnel et des stalles à matériaux, n'a à aucun moment été approuvée formellement et le département est finalement parvenu à la conclusion que la régularisation de la situation devait passer par le dépôt d'une autorisation de construire. La Cour de justice a à cet égard ajouté, sans que cela ne soit contesté par le recourant, que celui-ci ne pouvait pas ignorer, au vu des échanges entre les parties, que le juriste du département devait obtenir l'approbation de sa hiérarchie; cela ressort en effet, entre autres, du courriel du 20 décembre 2019 adressé audit juriste par l'avocat du recourant, celui-ci indiquant espérer que le compromis trouvé en séance "trouvera grâce aux yeux de vos supérieurs" (cf. art. 105 al. 2 LTF).  
De surcroît, la cour cantonale a retenu que le recourant n'avait pris, sur la base du comportement de l'autorité, aucune disposition concrète, à laquelle il ne saurait renoncer sans subir de préjudice. En l'occurrence, pas plus que devant l'instance précédente, le recourant n'a chiffré et documenté les frais soi-disant générés par les pourparlers. Au demeurant, le temps de travail consacré par son personnel pour élaborer des solutions concrètes et des plans, ainsi que les honoraires de son avocat ne paraissent pas avoir été engagés sur la base de prétendues assurances de l'autorité, mais bien en raison de l'ordre de remise en état qui lui avait été notifié précédemment. Il en va de même avec les coûts liés à l'exécution de certaines mesures ("cessation de l'usage des bureaux" et "suppression des stalles de stockage de matériaux"), également non chiffrés et non documentés. Sur ce point, les faits n'ont pas été constatés de manière inexacte par la cour cantonale et la critique du recourant doit être rejetée. Enfin, comme l'a souligné l'instance précédente, le recourant a pu de facto utiliser sans restrictions sa parcelle sise en zone agricole durant près de treize ans, rendant ainsi d'autant plus difficilement concevable l'existence d'un éventuel préjudice. Pour les motifs exposés ci-dessus, la conclusion subsidiaire du recourant tendant au versement d'une indemnisation qu'il n'a ni chiffrée ni documentée, à supposer recevable, doit être rejetée. 
Au vu de ce qui précède, l'arrêt attaqué ne consacre aucune violation du principe de la protection de la bonne foi. 
 
3.3. Le recourant fait enfin valoir une violation du principe de la proportionnalité.  
 
3.3.1. Dans son arrêt, la cour cantonale a estimé que l'intérêt privé du recourant de pouvoir continuer à exploiter les aménagements réalisés, qu'il jugeait nécessaires à son entreprise, était certes important, mais il existait un intérêt public certain au rétablissement d'une situation conforme au droit. Les aménagements précités n'avaient jamais été autorisés et la situation était d'autant plus délicate que la parcelle était située en zone agricole. Dans ces circonstances, l'intérêt à préserver ladite zone devait primer, étant précisé qu'une partie de la parcelle se trouvait en SDA et que le recourant avait créé un parking et des zones de stockage, compactant le sol à ces emplacements et le rendant inapte de facto à tout usage productif.  
L'ordre de remise en état constituait ainsi, selon la Cour de justice, une mesure adéquate et apte à atteindre le but visé. Il était ainsi conforme au principe de la proportionnalité. 
 
3.3.2. A l'appui de son grief, le recourant affirme que durant les treize années écoulées, le département n'aurait jamais remis en cause la conformité de son activité de pépiniériste à la zone agricole et qu'il aurait, en outre, de sérieuses chances de rétablir une situation conforme au droit, en mettant en oeuvre l'accord trouvé entre les parties fin 2019. Ce faisant, le recourant se contente d'affirmations strictement appellatoires, au mépris des exigences de motivation précitées (cf. consid. 3.1 in fine); le recourant ne fournit en particulier aucun élément concret susceptible de démontrer le caractère disproportionné de la remise en état. Quoi qu'il en soit, l'appréciation de l'instance précédente ne prête pas le flanc à la critique. Le recourant a en l'occurrence bénéficié pendant de nombreuses années des installations et aménagements réalisés sans aucune autorisation de construire valable et, pour certains, a priori non conformes à la zone agricole, tels que le parking et les zones de stockage mis en évidence par la cour cantonale.  
Il existe en l'occurrence un intérêt public important - lié à des motifs de sécurité du droit et d'égalité de traitement - au respect des règles du droit public des constructions, et en particulier de la procédure d'autorisation de construire s'agissant tout spécialement de la zone agricole comprenant des SDA. Le recourant ne saurait se prévaloir du fait que la conformité de son activité avec la zone agricole n'a pas été examinée par la cour cantonale, dès lors qu'il n'avait, selon les constatations de l'instance précédente, déposé aucune demande de permis de construire, malgré l'invitation du département à le faire. Dans ces conditions, il n'existe aucune mesure moins incisive que l'ordre de remise en état, étant toutefois précisé que le département pourra, le cas échéant, examiner les arguments du recourant quant à la conformité des aménagements réalisés en lien avec son activité professionnelle, dans le cadre d'une procédure d'autorisation de construire. Quant à la conclusion subsidiaire du recourant tendant à l'octroi d'un délai de dix ans pour rétablir une situation conforme à la zone agricole, elle doit être rejetée. 
 
3.4. En définitive, la cour cantonale n'a violé ni le principe de la bonne foi ni le principe de la proportionnalité en confirmant l'ordre de remise en état litigieux.  
 
4.  
Le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge du recourant, qui succombe. Il n'est pas alloué de dépens. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Il n'est pas alloué de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires du recourant, au Département du territoire et à la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève, ainsi qu'à l'Office fédéral du développement territorial. 
 
 
Lausanne, le 9 octobre 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Chaix 
 
La Greffière : Arn