6B_939/2023 18.01.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_939/2023  
 
 
Arrêt du 18 janvier 2024  
 
Ire Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux 
Denys, Juge présidant, Muschietti et von Felten. 
Greffière : Mme Brun. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Rémy Bucheler, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, 
intimé. 
 
Objet 
Indemnité du défenseur d'office; arbitraire, droit d'être entendu, etc., 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale 
de recours, du 18 juillet 2023 
(P/16392/2015 ACPR/535/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Le 15 mai 2020, le Ministère public de la République et canton de Genève a désigné l'avocat A.________ en qualité de défenseur d'office de B.________ dans le cadre d'une procédure pénale dirigée contre ce dernier.  
 
A.b. Le 31 janvier 2023, le Tribunal de police du canton de Genève a notifié aux parties, le jour-même, un dispositif de jugement dont il ressort que l'indemnité d'office allouée à A.________ s'élève à 15'539 fr. 80 TTC en lieu et place du montant de 26'500 fr. TTC demandé.  
S'agissant du poste "Correspondance", couvrant la période du 20 mai 2020 au 30 janvier 2023, de la liste des frais remise par A.________, le tribunal lui a accordé une indemnité forfaitaire, calculée selon les règles du pouvoir judiciaire genevois - 10 % de l'indemnité arrêtée à 22'810 fr. (sans les déplacements, la TVA, les débours et les déductions) - qui s'élève à 2'281 fr. en lieu et place du montant de 7'515 fr. réclamé. Seules les réductions opérées sur cette rubrique de son état des frais sont contestées. 
 
B.  
Par arrêt du 18 juillet 2023, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté le recours formé par A.________ contre la décision d'indemnisation du jugement du 31 janvier 2023 et a confirmé celui-ci. 
En bref, la cour a retenu que certaines opérations effectuées par A.________ n'étaient pas liées à la procédure ou concernaient des points problématiques périphériques non nécessaires à la défense du prévenu. La cour a jugé que le poste "Correspondance" apparaissait artificiellement gonflé par des activités qui ne remplissaient pas les exigences légales pour être prises en compte dans le cadre de l'assistance judiciaire. Dans ces circonstances, elle a estimé qu'il était correct d'appliquer un taux forfaitaire de 10 % et de ne pas accorder à A.________ une rémunération effective de son activité déployée en relation avec cette rubrique. 
 
 
C.  
A.________ forme un recours en matière pénale à l'encontre de l'arrêt cantonal du 18 juillet 2023. Il conclut principalement à sa réforme en ce sens que l'indemnité de défenseur d'office octroyée s'élève à 21'156 fr. 20 et subsidiairement à son annulation et au renvoi de la cause à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice pour nouvelle décision au sens des considérants. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
L'indemnité litigieuse a été fixée par une autorité de première instance dont la décision a ensuite fait l'objet d'un recours au plan cantonal. Nous ne nous trouvons dès lors pas dans l'hypothèse visée par l'art. 135 al. 3 let. b CPP, qui prévoit un recours devant le Tribunal pénal fédéral lorsque l'indemnité pour la défense d'office est fixée par l'autorité de recours. Le recours en matière pénale au Tribunal fédéral est ouvert (ATF 140 IV 213 consid. 1.7). 
 
2.  
Le recourant invoque l'arbitraire, une violation de l'art. 135 CPP et une violation du droit d'être entendu en lien avec un défaut de motivation de l'arrêt cantonal quant aux réductions opérées sur la rubrique "Correspondance" de son état de frais. 
 
2.1.  
 
2.1.1. Le droit d'être entendu, garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, l'attaquer utilement s'il y a lieu et afin que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. Le juge doit ainsi mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision (ATF 146 II 335 consid. 5.1; 143 III 65 consid. 5.2; 139 IV 179 consid. 2.2), de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3; 141 IV 249 consid. 1.3.1; 139 IV 179 consid. 2.2). Il n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 147 IV 249 consid. 2.4; 142 II 154 consid. 4.2; 139 IV 179 consid. 2.2). La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; arrêt 7B_937/2023 du 27 décembre 2023 consid. 2.2.2).  
 
2.1.2. Aux termes de l'art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d'office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. Dans le canton de Genève, ces tarifs sont fixés par le règlement sur l'assistance juridique et l'indemnisation des conseils juridiques et défenseurs d'office en matière civile, administrative et pénale (RAJ/GE; RSGE E 2 05.04). A teneur de l'art. 16 RAJ, l'indemnité due à l'avocat et au défenseur d'office en matière pénale est calculée selon le tarif de 110 fr. pour l'avocat stagiaire, 150 fr. pour le collaborateur et 200 fr. pour le chef d'étude (al. 1). Seules les activités nécessaires sont retenues; elles sont appréciées en fonction, notamment, de la nature, de l'importance, et des difficultés de la cause, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (al. 2). L'art. 3 RAJ indique que l'assistance juridique ne couvre que les démarches ou les actes de procédure utiles à la défense de la personne bénéficiaire (al. 2). Elle ne s'étend pas aux activités relevant de l'assistance sociale ou dont d'autres organismes subventionnés directement ou indirectement peuvent se charger à moindre frais (al. 3).  
Des instructions du Pouvoir judiciaire des 10 septembre 2002 et 17 décembre 2004 précisent respectivement que les frais de courriers et de téléphones, c'est-à-dire les frais et le temps consacré à ces activités, sont pris en compte sur la base d'un forfait correspondant à 20 % des heures d'activité dont l'autorité admet la nécessité (cf. arrêt 6B_838/2015 du 25 juillet 2016 consid. 3.1). L'autorité peut s'éloigner du taux de 20 % si les frais et activités sont couverts par un montant inférieur (cf. arrêts 6B_198/2022 du 29 novembre 2022 consid. 2.4.2; 6B_165/2014 du 19 août 2014 consid. 3.5). 
 
2.1.3. La fixation des honoraires de manière forfaitaire est admissible. Dans un tel cas, il ne doit être tenu compte du temps de travail effectif que pour fixer le montant des honoraires dans le cadre de l'échelle forfaitaire (ATF 143 IV 453 consid. 2.5; 141 I 124 consid. 4.2). Le forfait est inconstitutionnel lorsqu'il ne tient aucun compte de la situation concrète et que, dans le cas d'espèce, il est hors de toute proportion raisonnable eu égard aux prestations fournies par l'avocat (ATF 143 IV 453 consid. 2.5.1).  
 
2.2. La cour cantonale a relevé que le poste "Correspondance" contenait un total de deux-cents-dix-huit entrées parmi lesquelles figurent notamment " Téléphone avec U.________ (médical) : transfert à l'hôpital ? " (0h05); " Courrier avec le MP (efax) : demande de tenue d'un index et numération des pièces " (0h45); " Courrier avec le MP (efax) demande de 8 mesures médicales" (0h30); "Courrier avec service médical de U.________ " (0h30); " Téléphone avec Mme [...] (SPI: souhaite restée (sic) informée des changements dans les MSubs " (0h05); " Courrier avec l'OCPM: mise en demeure préalable à un recours en déni de justice (attestation de résidence) " (0h20); " Courrier avec l'OCPM: urgent, renouvellement et risques médicaux de M. B.________ " (0h30); " courrier avec le client: envoi permis de séjour original " (1h00).  
La cour a estimé que ce poste était artificiellement gonflé par des activités qui ne remplissaient pas les exigences légales pour être prises en compte dans l'indemnisation du défenseur d'office, en particulier les démarches auprès de l'Office cantonal de la population et des migrations, du Service de probation et d'insertion ou toutes celles liées à la santé du prévenu ou son éventuel permis de séjour. Elle ajoute, qu'une fois ces activités étrangères écartées, ce poste ne présente plus d'éléments permettant de justifier une rémunération effective et que celle-ci semble couverte par l'indemnité allouée de 2'281 francs. 
 
2.3. Le recourant reproche à la cour cantonale, alors qu'il a produit la liste contenant sa correspondance effective, de ne pas avoir détaillé les "activités étrangères" qu'il écarte pour considérer ensuite que la correspondance effectuée serait effectivement couverte par l'indemnité de 2'281 francs. Cette manière de procéder le forcerait selon lui à spéculer sur les activités écartées et violerait son droit d'être entendu. Il relève que les démarches entreprises auprès de différents services, considérées comme "activités étrangères", aboutissent à un montant de 1'441 francs. Même en retranchant ce montant du total demandé, on ne comprend pas comment la cour cantonale est parvenue au montant retenu.  
 
2.4. En l'espèce, l'analyse de la liste des frais relative à la rubrique "Correspondance" - tout en procédant en parallèle au retrait des éléments évoqués par la cour cantonale à l'appui de sa motivation pour appliquer le forfait de 10 % - ne permet pas, sans plus de précisions, de retenir que le montant de 2'281 fr. couvre la rémunération du défenseur d'office, même en tenant compte du temps généreux consacré à certaines opérations. La très brève motivation relative au poste "Correspondance" du tribunal de police, qui indique qu'il n'y a pas lieu de s'écarter du forfait "courriers/téléphones" arrêté à 10 % vu l'importance de l'activité déployée (art. 16 al. 2 RAJ), ainsi que la motivation globale de la cour cantonale susmentionnée, ne permettent pas au recourant d'identifier facilement et clairement les éléments qui ont été considérés comme excessifs et en conséquent non sujets à indemnisation. Cette manière de procéder viole son droit d'être entendu, alors qu'il a justifié de manière détaillée sa liste d'opérations. Pour ce motif, le recours doit être admis et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision.  
 
2.5. Il n'y a dès lors pas lieu d'examiner plus avant les autres griefs.  
 
3.  
Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité précédente afin qu'elle rende une nouvelle décision dans le sens des considérants. Vu la nature procédurale du vice admis, il peut être procédé au renvoi sans détermination préalable (ATF 133 IV 293 consid. 3.4.2). 
Le recourant, qui obtient gain de cause, ne supporte pas de frais (art. 66 al. 1 LTF) et peut prétendre à des dépens, à la charge de la République et canton de Genève (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, pour nouvelle décision. 
 
2.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3.  
La République et canton de Genève versera au recourant la somme de 3'000 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours. 
 
 
Lausanne, le 18 janvier 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Denys 
 
La Greffière : Brun