5A_89/2023 13.10.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
5A_89/2023  
 
 
Arrêt du 13 octobre 2023  
 
IIe Cour de droit civil  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Herrmann, Président, 
von Werdt et Schöbi. 
Greffière : Mme de Poret Bortolaso. 
 
Participants à la procédure 
1. A.________, 
2. B.________, 
tous les deux représentés par Me Jean-Franklin Woodtli, avocat, 
recourants, 
 
contre  
 
1. C.________, 
2. D.________, 
toutes les deux représentées par Me Christian Grosjean, avocat, 
intimées. 
 
Objet 
servitude foncière, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre civile, du 20 décembre 2022 (C/21586/2015, ACJC/1682/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. B.________ et A.________ sont copropriétaires par moitié de la parcelle no 794 sise sur la commune de V.________ (GE) au Chemin U.________.  
Suite au décès en cours de procédure de E.________, D.________, est devenue propriétaire unique de la parcelle no 915 (anciennement no 795), située dans la même commune au Chemin U.________. 
C.________, mère de feu E.________, est propriétaire unique de la parcelle no 914 (anciennement no 795), également située à V.________, au Chemin U.________. 
 
A.a.a. La parcelle du couple B________ et A.________ est adjacente à la parcelle de D.________, qui elle-même jouxte la parcelle no 914 de C.________.  
Les bâtiments sis sur les parcelles nos 794, 914 et 915 forment une cour intérieure correspondant à l'adresse des parties. Deux chemins mènent à cette cour: le chemin communal U.________, propriété de la commune de V.________, et un chemin privé passant sur la parcelle no 914 de C.________, depuis le début du chemin U.________. 
 
A.a.b. Les parties ne s'opposent actuellement plus qu'à propos d'un droit de passage d'entretien (no 15388), qui grève les parcelles nos 914 et 915 au profit de la parcelle no 794. L'état de fait établi par la cour cantonale ne sera ainsi rapporté que dans cette perspective.  
 
A.b. Au cours du temps, différentes constructions ont été érigées sur cette servitude. Il a ainsi été constaté en cours de procédure ( infra let. B.b) que feu E.________ avait érigé à une date non précisée un couvert (ou avant-toit) dont les piliers sont posés sur le tracé de la servitude ainsi qu'une remise d'une surface de 38 m2 (bâtiment cadastré no 1236).  
 
A.c. Des discussions se sont élevées entre les parties dès 2014, dans le contexte de la réfection du revêtement bitumeux du chemin U.________, discussions qui ont par la suite conduit à un important litige entre les intéressés et ont amené le couple B.________ et A.________ à agir devant les tribunaux.  
 
B.  
Suite à l'échec de la conciliation, B.________ et A.________ ont ainsi introduit devant le Tribunal de première instance du canton de Genève (ci-après: le tribunal) le 27 janvier 2017 une demande dirigée contre C.________, E.________ et D.________ visant en substance à faire respecter l'exercice de différentes servitudes, dont la servitude de passage pour entretien, et à en inscrire d'autres. 
Par mémoire de réponse du 31 octobre 2017, C.________, E.________ et D.________ ont conclu au déboutement de leurs parties adverses; sur demande reconventionnelle, ils ont pris différentes conclusions tendant à faire cesser l'usurpation et certaines violations de leurs droits de propriété ainsi qu'à faire respecter l'étendue des servitudes grevant leurs propriétés. 
Pour des raisons évidentes de simplification, l'intégralité des chefs de conclusions formulés par les parties - une cinquantaine de part et d'autre - n'est pas reprise, étant rappelé que seule reste litigieuse la servitude de passage pour entretien et précisé que C.________ n'est plus concernée par la discussion. 
 
B.a. Au sujet de cette dernière servitude, B.________ et A.________ ont conclu, à l'encontre de D.________, à ce qu'il soit dit et constaté que le bâtiment cadastré sous no 1236 et sis sur la parcelle no 915 empiète sur son assiette et à ce que D.________ soit en conséquence condamnée à procéder ou faire procéder à la démolition de la partie de ce bâtiment constitutive de l'empiétement, ce dans un délai de 60 jours. Ils ont par ailleurs conclu à ce qu'il soit ordonné à D.________, sous la menace des conséquences prévues par l'art. 292 CP, de respecter la servitude de passage d'entretien en lui faisant interdiction de construire, utiliser, stationner, entreposer, délaisser sur l'assiette de ladite servitude tout hangar, avant-toit, véhicule automobile, engin agricole ou de chantier, meuble meublant, amas de bois, outils, matériel divers, poubelles ou autres déchets de jardin ou détritus.  
D.________ a conclu à ce qu'il soit dit et constaté que la servitude de passage pour entretien de jardin est non carrossable, l'usage de tout véhicule étant ainsi interdit sur son assiette; elle a également requis que le couple B.________ et A.________ ou leurs ayants-droit soient condamnés à respecter ladite servitude, interdiction leur étant faite d'utiliser tout véhicule sur son assiette. 
 
B.b. Le tribunal a procédé à une inspection locale le 14 mai 2018 (let. A.b).  
Plusieurs témoins ont été entendus. 
 
B.c. Par jugement du 26 octobre 2020, statuant sur demande principale du couple B.________ et A.________, le tribunal a notamment condamné D.________ à procéder, à ses frais, à l'enlèvement du bâtiment no 1236 érigé sur la parcelle no 915 en lui impartissant pour ce faire un délai de 60 jour à compter de la décision (ch. 2) et fait interdiction à la précitée d'entreposer, construire ou installer tout objet empêchant l'accès et l'exercice à pied ou à véhicule de la servitude de passage pour entretien RS 15388 grevant la parcelle no 915 (ch. 3).  
 
B.d. B.________ et A.________ ont fait appel de ce jugement, sollicitant notamment l'annulation du ch. 3 de son dispositif et concluant à ce qu'il soit ordonné à D.________ de respecter la servitude de passage pour entretien dans les mêmes termes que formulés dans leurs conclusions soumises au premier juge, interdiction lui étant singulièrement faite de délaisser tout hangar, et/ou avant-toit sur l'assiette de la servitude.  
D.________ a conclu au rejet de l'appel et notamment à la confirmation du ch. 3 de son dispositif. Elle a par ailleurs déposé un appel joint, concluant à ce que B.________ et A.________ soient condamnés à respecter la servitude de passage pour entretien de jardin en faisant interdiction d'utiliser tout véhicule sur l'assiette de dite servitude. 
Statuant le 20 décembre 2022, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la cour cantonale) a confirmé le jugement de première instance. 
 
C.  
Agissant le 1er février 2023 par la voie du recours en matière civile au Tribunal fédéral, B.________ et A.________ (ci-après: les recourants) concluent à ce que l'arrêt cantonal soit annulé en tant qu'il n'a pas été fait droit à leur "conclusion 4" formulée en appel et, principalement, à ce qu'il soit réformé dans le sens de celle-ci, étant ainsi ordonné à l'intimée D.________ (ci-après: l'intimée) de respecter la servitude de passage pour entretien litigieuse en lui faisant interdiction de construire, utiliser, stationner, entreposer, délaisser tout hangar, avant-toit, véhicules automobiles, engins agricoles de chantier, meubles meublant, amas de bois, outils, matériel divers, poubelles ou autres déchets de jardin ou détritus sur l'assiette de la servitude. Subsidiairement, les recourants sollicitent le renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision. 
Des déterminations n'ont pas été demandées. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Les conditions du recours en matière civile sont ici réalisées (art. 72 al. 1, 75 al. 1 et 2, 76 al. 1 let. a et b, 90, 100 al. 1 et 46 al. 1 let. c), étant précisé que la cour cantonale a indiqué qu'elle considérait la valeur litigieuse égale ou supérieure à 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF). 
 
2.  
 
2.1. Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 s. LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Cela étant, eu égard à l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, il n'examine en principe que les griefs soulevés (ATF 142 III 364 consid. 2.4 et les références). Le recourant doit par conséquent discuter les motifs de la décision entreprise et indiquer précisément en quoi il estime que l'autorité précédente a méconnu le droit (ATF 146 IV 297 consid. 1.2; 142 III 364 précité consid. 2.4 et la référence). Le Tribunal fédéral ne connaît par ailleurs de la violation de droits fondamentaux que si un tel grief a été expressément invoqué et motivé de façon claire et détaillée par le recourant ("principe d'allégation", art. 106 al. 2 LTF; ATF 146 IV 114 consid. 2.1; 144 II 313 consid. 5.1).  
 
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ceux-ci ont été constatés de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). Le recourant qui soutient que les faits ont été établis d'une manière manifestement inexacte, c'est-à-dire arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 147 I 73 consid. 2.2; 144 II 246 consid. 6.7; 143 I 310 consid. 2.2 et la référence), doit satisfaire au principe d'allégation susmentionné (art. 106 al. 2 LTF; cf. supra, consid. 2.1). En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 147 V 35 consid. 4.2; 143 IV 500 consid. 1.1 et la référence). Le recourant ne peut pas se borner à contredire les constatations litigieuses par ses propres allégations ou par l'exposé de sa propre appréciation des preuves; il doit indiquer de façon précise en quoi ces constatations sont arbitraires au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 133 II 249 consid. 1.4.3). Une critique des faits qui ne satisfait pas à cette exigence est irrecevable (ATF 147 IV 73 consid. 4.1.2 et les références; 145 IV 154 consid. 1.1).  
 
3.  
Les recourants reprochent à la cour cantonale de ne pas avoir totalement donné suite à leur conclusion concernant la servitude litigieuse. Ils se plaignent ainsi qu'il ne soit pas indiqué dans le dispositif de la décision entreprise qu'interdiction est faite à l'intimée de délaisser tout hangar, respectivement avant-toit, sur l'assiette de la servitude. 
 
3.1. La cour cantonale a d'abord considéré que les recourants n'avaient jamais allégué dans leurs écritures de première instance qu'un avant-toit ou une partie de construction se trouverait sur l'assiette de la servitude et empêcherait totalement le passage. Il s'agissait ainsi de faits nouveaux et partant, irrecevables. Les photographies produites étaient soit sans rapport avec ce qu'ils soutenaient (pièces 41 et 42 à l'appui de l'allégué 37), soit ne se référaient à aucun allégué (photographies produites sous pièces 60 à 62). Cette manière de procéder n'était ainsi pas admissible. Les juges cantonaux ont ensuite relevé que, même à supposer recevables les conclusions des recourants, il n'y avait pas lieu de s'écarter des observations du premier juge, qui s'était rendu sur place et avait estimé que les autres constructions n'étaient pas gênantes pour l'exercice de la servitude de passage. Les photographies auxquelles renvoyaient les recourants n'étaient que partielles et leurs explications ne s'appuyaient sur rien de concret pour convaincre l'autorité cantonale de s'écarter des observations du premier juge.  
 
 
3.2. Les recourants soutiennent avoir bien allégué et relevé, de manière précise et concrète devant les deux instances cantonales, que l'exercice de la servitude litigieuse était limité par la présence de constructions (notamment hangar ou avant-toit), se trouvant sur son assiette. Ils soulignent que la servitude permet le passage de véhicules pour des travaux d'entretien. Or la présence des toitures du hangar ou de l'avant-toit litigieux, en pente et inférieures à 2 mètres au point le plus bas, empêcherait ainsi l'exercice de la servitude, dont ils précisent qu'elle ne prévoit aucune limitation en hauteur. En refusant de le retenir, la cour cantonale aurait violé les art. 730 al. 1 et 737 al. 1 et 3 CC.  
 
3.3. Le contenu de la servitude litigieuse n'est actuellement plus contesté. Il est ainsi retenu que celle-ci a été constituée pour l'entretien du jardin et des bâtiments du fonds dominant et qu'elle peut être empruntée à pied, mais aussi en véhicule (arrêt attaqué, consid. 5.2, p. 36 s.). Il est par ailleurs précisé que la décision querellée relève l'étroitesse de son assiette (entre 2,8 mètres et 2,2 mètres) et l'existence d'un angle droit qui implique la difficulté de passer avec un gros véhicule ( ibid.).  
 
3.3.1. Même si la demande des recourants n'est peut-être pas très claire quant à savoir si l'avant-toit empêche l'exercice de la servitude (allégué 37), leur mémoire de plaidoiries finales devant le premier juge, auquel ils se réfèrent ici, indique que l'exercice normal de la servitude sur son tracé et sur son assiette est empêché par les parties bâties auxquelles faisait référence le procès-verbal d'inspection locale du 24 mai 2018, à savoir notamment "avant-toit, baraquement ou autre remise".  
Il faut ainsi admettre que les recourants ont allégué la gêne occasionnée par l'avant-toit sur l'assiette de la servitude devant le premier juge. L'on peut ainsi comprendre de leur conclusion ("interdiction de délaisser tout avant-toit, hangar"), même si elle aurait pu être formulée plus explicitement, que celle-ci tend à obtenir l'enlèvement de la construction qu'ils considèrent gênante pour l'exercice de la servitude dont bénéficie leur bien-fonds. 
 
3.3.2. Reste à déterminer si l'empêchement d'exercer la servitude est avéré.  
Le procès-verbal d'inspection locale se limite à indiquer sur ce point: " le Tribunal se déplace vers le chemin d'accès à la propriété sise au Chemin U.________: photographie est prise dudit chemin d'accès (sans nom) (photo 14); photographie est prise du couvert construit sur le tracé de la servitude de passage pour entretien de jardin en prolongement dudit chemin (photo 15) ". Aucune description, voire appréciation ne sont formulées à ce stade. La photo 15 susmentionnée, prise de face, permet de constater l'existence d'un avant-toit en légère pente. 
Dans sa décision, le premier juge - qui a procédé à la vision locale - apprécie la situation ainsi: " [q]uant aux autres constructions évoquées par les demandeurs [= les recourants], l'inspection locale a permis au Tribunal de constater que seuls les piliers de l'avant-toit empiètent sur l'assiette de la servitude. Cela étant, les demandeurs n'ont, à teneur de leurs conclusions et à juste titre, pas demandé leur démolition puisque cette construction n'apparaît pas troubler sensiblement l'exercice normal de la servitude. Le passage d'un véhicule reste, en effet, parfaitement praticable sur le tronçon où se trouvent les piliers ". L'autorité de première instance a ainsi clairement écarté l'existence de l'empiétement allégué par les recourants en limitant celui-ci aux piliers de l'avant-toit, à l'exclusion de toute autre construction, et en soulignant de surcroît que cet empiètement n'empêchait pas l'exercice de la servitude litigieuse. 
Il n'apparaît pas arbitraire de privilégier les observations effectuées de visu par le tribunal au détriment des explications fournies par les recourants. Celui-ci ne nie pas en effet l'existence de l'avant-toit mais écarte expressément toute gêne à l'exercice de la servitude après s'être rendu sur place alors que l'on ne peut finalement retenir de l'argumentation des recourants que la seule l'existence de l'avant-toit, qui n'est pas contestée. Cette appréciation se justifie d'autant plus dans la mesure où, vu sa configuration, la servitude litigieuse n'est pas vouée à être empruntée par de gros véhicules ( supra consid. 3.3), alors que les recourants se plaignent essentiellement du fait que la construction litigieuse ne permettrait pas l'accès à des engins de chantier, sans contester la possibilité d'accéder actuellement par un véhicule de dimension usuelle.  
 
4.  
En définitive, le recours est rejeté et les recourants en supporteront solidairement les frais (art. 66 al. 1 et 5 LTF). Aucune indemnité de dépens n'est attribuée aux intimées qui n'ont pas été invitées à se déterminer. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 6'500 fr., sont mis à la charge des recourants solidairement entre eux. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre civile. 
 
 
Lausanne, le 13 octobre 2023 
 
Au nom de la IIe Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Herrmann 
 
La Greffière : de Poret Bortolaso