4A_195/2023 24.07.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_195/2023  
 
 
Arrêt du 24 juillet 2023  
I  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Kiss, Juge présidant, Hohl et May Canellas, 
greffière Monti. 
 
Participants à la procédure 
L1.________ et L2.________, 
représentés par Me Romolo Molo, avocat, 
recourants, 
 
contre  
 
B.________, 
représentée par Me Stéphanie Nunez, avocate, 
intimée. 
 
Objet 
demeure du locataire (art. 257d CO); expulsion selon la procédure pour les cas clairs (art. 257 CPC), 
 
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 
20 mars 2023 par la Chambre des baux et loyers 
de la Cour de justice du canton de Genève 
(C/18759/2022; ACJC/389/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Le 30 septembre 2019, L1.________ et L2.________ (ci-après: le/la locataire; conjointement: les locataires) ont conclu avec B.________ (ci-après: la bailleresse) un contrat de bail à loyer portant sur un appartement de cinq pièces au 4ème étage d'un immeuble sis dans un quartier résidentiel de Genève.  
Le loyer mensuel initial a été fixé à 4'250 fr., charges comprises. 
Les locataires contestent avoir reçu la formule officielle fixant ce loyer (art. 270 al. 2 CO). Celle produite par la bailleresse porte la seule signature du locataire, lequel soutient qu'il s'agirait d'un faux. 
Par avenant du 30 septembre 2019, les parties ont convenu de réduire le loyer à 3'780 fr. par mois durant la rénovation de l'enveloppe du bâtiment. 
Les locataires ont versé quatre mois de loyer les 29 octobre 2019, 10 décembre 2019, 10 janvier 2020 et 19 mai 2020. 
La bailleresse leur a annoncé son intention de résilier le bail. 
Les locataires ont alors ouvert action en fixation judiciaire du loyer et en remboursement du trop-perçu par requête de conciliation du 29 juin 2021. Ils se sont prévalus du défaut de formule officielle lors de la conclusion du bail. 
 
A.b. Durant cette procédure, la bailleresse a plusieurs fois mis en demeure les locataires de payer le loyer en les menaçant de résilier le bail (art. 257d CO).  
Par avis comminatoires du 21 janvier 2022, elle les a sommés de verser 90'720 fr. dans les trente jours, correspondant à 28 mois de loyer dès le début du bail, sous déduction des quatre versements précités. Elle a précisé qu'ils pouvaient consigner en justice le montant querellé et ne verser que le montant admis. 
Les locataires ont contesté se trouver en demeure, faute d'avoir reçu la formule officielle à la signature du contrat. Ils ont en outre déclaré compenser les éventuelles prétentions de la bailleresse avec leurs propres créances découlant de « graves défauts de la chose louée ». 
Le 29 avril 2022, la bailleresse a derechef sommé les locataires de lui régler dans les dix jours le loyer dû pour le mois de février 2022, ou le montant qu'ils admettaient lui devoir en consignant le solde. 
Enfin, par avis comminatoire du 23 juin 2022, elle les a encore sommés de payer 109'620 fr. dans les trente jours, correspondant à 33 mois de loyer sous déduction des quatre versements effectués. Le 22 juillet suivant, les locataires ont à nouveau excipé de la compensation. Ils ont tout de même versé, « à bien plaire », 16'824 fr., correspondant à un loyer de 968 fr. par mois dès le 1er octobre 2019 (sous déduction des quatre versements déjà intervenus). 
 
A.c. Par avis officiels du 27 juillet 2022, la bailleresse a résilié le bail pour le 31 août 2022. Elle a invoqué le défaut de paiement.  
 
A.d. Dans leur requête de conciliation, les locataires avaient exigé un loyer de 2'000 fr. par mois.  
Une proposition de jugement avait été émise: l'autorité de conciliation suggérait un loyer de 2'780 fr. par mois, charges comprises. Faute de trouver l'assentiment de la bailleresse, une autorisation de procéder avait été délivrée aux locataires; selon leur demande du 22 novembre 2021, ils aspiraient à un loyer de 968 fr. par mois dès le 1er octobre 2019. 
Par jugement du 22 août 2022, le Tribunal des baux et loyers du canton de Genève a débouté ceux-ci. Même s'il y avait tout lieu de penser que la signature du locataire apposée sur la formule produite était bien réelle, celle de la bailleresse faisait défaut, ce qui constituait un vice de forme. Au surplus, la preuve de la remise d'une formule signée n'était pas apportée. Le contrat était partiellement nul quant au montant du loyer. Cela étant, les locataires commettaient un abus de droit en invoquant cette nullité. Ils avaient ouvert action après avoir appris que la bailleresse souhaitait résilier le bail. Ils n'avaient versé depuis le début du bail que quatre mois de loyer, ne s'étaient pas plaints de l'état de l'appartement et n'avaient pas consigné le loyer, ni sollicité une réduction de celui-ci. Ils avaient même réclamé une restitution d'un prétendu trop-perçu de 73'112 fr. En définitive, ils avaient ouvert action non pas pour faire fixer un loyer qu'ils ne payaient plus depuis longtemps, mais pour bénéficier d'une période de protection et éviter la résiliation ordinaire du bail, demeurant dans les locaux sans assumer un quelconque coût financier. 
Les locataires ont fait appel de ce jugement le 22 septembre 2022. La procédure est pendante devant la Cour de justice du canton de Genève. 
 
B.  
 
B.a. Le 23 septembre 2022, la bailleresse a déposé devant ce même Tribunal des baux et loyers une requête en protection des cas clairs (art. 257 CPC). Elle sollicitait que les locataires évacuent immédiatement l'appartement querellé de leurs personnes et de leurs biens, ainsi que de toute autre personne faisant ménage commun avec eux.  
Les locataires ont conclu à l'irrecevabilité de la requête au motif que le cas n'était pas clair et l'état de fait, litigieux. 
La bailleresse a maintenu ses conclusions en précisant que l'arriéré de loyers atteignait 111'696 fr. 
Lors de son audition le 24 novembre 2022, le locataire a déclaré que l'appartement était en chantier lors de leur emménagement et qu'il n'y avait pas d'avis de fixation du loyer initial. 
Par jugement rendu le même jour, le tribunal précité a déclaré la requête irrecevable. 
 
B.b. Par arrêt du 20 mars 2023, la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève a admis l'appel de la bailleresse, annulé le jugement querellé et ordonné aux deux locataires d'évacuer immédiatement l'appartement litigieux. Elle a autorisé la bailleresse à requérir l'évacuation des précités par la force publique dès l'entrée en force de son arrêt.  
 
C.  
Agissant par la voie du recours en matière civile, les locataires ont requis le Tribunal fédéral de déclarer irrecevable la requête en évacuation dirigée contre eux. Ils ont aussi présenté une demande d'effet suspensif. 
La bailleresse a sollicité des locataires, prétendument insolvables, qu'ils fournissent des sûretés en garantie des dépens. Les locataires ayant acquiescé à cette demande, une ordonnance présidentielle du 5 mai 2023 les a astreints à verser 6'500 fr. à la Caisse du Tribunal fédéral. Ils se sont exécutés en temps utile. 
Quant à la requête d'effet suspensif, l'autorité précédente s'en est remise à justice, tandis que la bailleresse intimée a conclu à son rejet. 
Ces protagonistes n'ont pas été invités à répondre sur le fond du recours. 
 
Considérant en droit :  
 
 
1.  
Interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 en lien avec l'art. 46 al. 1 let. a LTF) par les locataires qui ont succombé dans leurs conclusions (art. 76 al. 1 LTF), dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue sur appel par le Tribunal supérieur du canton de Genève (art. 75 LTF) dans une affaire de droit du bail (art. 72 LTF) dont la valeur litigieuse excède 15'000 fr. - sachant que la résiliation de bail est aussi contestée (art. 74 al. 1 let. a LTF; cf. ATF 144 III 346 consid. 1.2.1 et 1.2.2.3) -, le présent recours en matière civile est recevable sur le principe. 
 
2.  
 
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ces faits ont été établis de façon manifestement inexacte, c'est-à-dire arbitraire selon l'art. 9 Cst., ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).  
L'appréciation des preuves est arbitraire si le juge du fait n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, a omis sans raisons objectives de tenir compte des preuves pertinentes ou a tiré des éléments recueillis des déductions insoutenables (ATF 137 III 226 consid. 4.2; 136 III 552 consid. 4.2). 
La critique de l'état de fait est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 et les références citées). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références citées). Si elle souhaite compléter l'état de fait, elle doit aussi démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux autorités précédentes, en conformité avec les règles de la procédure, les faits juridiquement pertinents et les moyens de preuve adéquats (ATF 140 III 86 consid. 2). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait s'écartant de celui de la décision attaquée ne seront pas prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1). 
En l'espèce, les locataires/recourants soutiennent que l'état de fait devrait être rectifié, en ce sens qu'ils ont amplifié leurs conclusions à l'issue de la procédure de conciliation, sur la base d'un calcul de rendement. L'arrêt attaqué évoque cependant la modification des conclusions; au surplus, la précision concernant le calcul de rendement - non reliée à un allégué topique - est de toute façon dépourvue de pertinence pour l'issue de la cause. Ils reprochent aussi au Tribunal cantonal de ne s'être fondé sur aucun élément pour constater que la bailleresse leur avait signifié son intention de résilier le bail; à tort, car les juges cantonaux ont notamment mentionné les déclarations des parties. Et le Tribunal fédéral ne compte pas les passer en revue, dès lors que l'arbitraire est tout au plus esquissé. 
 
2.2. Saisi d'un recours en matière civile contre une décision rendue en procédure de protection dans les cas clairs, le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il revoit librement l'application de l'art. 257 CPC (art. 95 let. a LTF; ATF 138 III 728 consid. 3.2, 620 consid. 5 p. 621), pour autant que le recours soit motivé conformément aux exigences de l'art. 42 al. 2 LTF (ATF 140 III 115 consid. 2). Toutefois, le Tribunal fédéral n'est lié ni par les motifs invoqués par les parties, ni par l'argumentation juridique retenue par l'autorité cantonale; il peut donc admettre le recours pour d'autres motifs que ceux invoqués par le recourant, comme il peut le rejeter en opérant une substitution d'arguments (ATF 135 III 397 consid. 1.4; 134 III 102 consid. 1.1; 133 III 545 consid. 2.2).  
 
3.  
Lorsque le bailleur introduit une requête d'expulsion pour le retard dans le paiement du loyer, selon la procédure de protection dans les cas clairs de l'art. 257 CPC, la cause est soumise tant aux conditions de droit matériel de l'art. 257d CO qu'aux règles procédurales de l'art. 257 CPC
 
3.1. La réglementation de droit matériel mise en place par le législateur à l'art. 257d CO signifie que le locataire mis en demeure doit évacuer l'objet loué dans les plus brefs délais s'il ne paie pas le loyer en retard. Une prolongation du bail est exclue de par la loi (art. 272a al. 1 let. a CO). Selon la jurisprudence, la contre-créance invoquée en compensation par le locataire doit pouvoir être prouvée sans délai, sous peine de contrecarrer la volonté du législateur de permettre au bailleur de mettre fin au bail et d'obtenir l'évacuation du locataire dans les plus brefs délais (arrêt 4A_140/2014 du 6 août 2014 consid. 5.2).  
 
3.2. La procédure de protection dans les cas clairs prévue à l'art. 257 CPC permet d'obtenir rapidement une décision ayant l'autorité de la chose jugée et la force exécutoire lorsque la situation en fait et en droit n'est pas équivoque (ATF 138 III 620 consid. 5.1.1 avec référence au Message du 28 juin 2006 relatif au CPC, FF 2006 6959 ad art. 253; arrêts 4A_385/2022 du 14 février 2023 consid. 3.2, 4A_282/2015 du 27 juillet 2015 consid. 2.1).  
 
3.2.1. Aux termes de l'art. 257 al. 1 CPC, le tribunal admet l'application de la procédure sommaire de protection dans les cas clairs lorsque les conditions suivantes sont remplies: (a) l'état de fait n'est pas litigieux ou peut être immédiatement prouvé et (b) la situation juridique est claire. Si ces conditions ne sont pas remplies, le tribunal n'entre pas en matière sur la requête (art. 257 al. 3 CPC) et la déclare irrecevable. Il est exclu que la procédure aboutisse au rejet de la prétention du demandeur avec autorité de la chose jugée (ATF 144 III 462 consid. 3.1 p. 465; 140 III 315 consid. 5.2.3 et 5.3).  
 
3.2.2. La recevabilité de la procédure de protection dans les cas clairs est donc soumise à deux conditions cumulatives.  
 
3.2.2.1. Premièrement, l'état de fait n'est pas litigieux lorsqu'il n'est pas contesté par le défendeur. Il est susceptible d'être immédiatement prouvé lorsque les faits peuvent être établis sans retard et sans trop de frais. En règle générale, la preuve est rapportée par la production de titres, conformément à l'art. 254 al. 1 CPC. Il ne s'agit pas d'une preuve facilitée: le demandeur doit apporter la preuve certaine ( voller Beweis) des faits justifiant sa prétention; la simple vraisemblance ne suffit pas. Si le défendeur soulève des objections et exceptions motivées et concluantes ( substanziiert und schlüssig) qui ne peuvent être écartées immédiatement et qui sont de nature à ébranler la conviction du juge, la procédure du cas clair est irrecevable (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 141 III 23 consid. 3.2; 138 III 620 consid. 5.1.1. et les arrêts cités).  
 
3.2.2.2. Secondement, la situation juridique est claire lorsque l'application de la norme au cas concret s'impose de façon évidente au regard du texte légal ou sur la base d'une doctrine et d'une jurisprudence éprouvées (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 138 III 123 consid. 2.1.2, 620 consid. 5.1.1, 728 consid. 3.3). En règle générale (cf. toutefois l'arrêt 4A_185/2017 du 15 juin 2017 consid. 5.4 et les références citées), la situation juridique n'est pas claire si l'application d'une norme nécessite un certain pouvoir d'appréciation du juge ou si celui-ci doit rendre une décision fondée sur l'équité qui intègre les circonstances concrètes (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 141 III 23 consid. 3.2; 138 III 123 consid. 2.1.2; arrêt 4A_273/2012 du 30 octobre 2012 consid. 5.1.2, non publié in ATF 138 III 620).  
 
3.2.3. Si le locataire conteste la résiliation du bail (art. 150 al. 1 in fine et 55 al. 1 CPC), le tribunal devra examiner sa validité à titre préjudiciel, autrement dit vérifier si les conditions matérielles de l'art. 257d al. 1 et 2 CO sont remplies. En effet, l'expulsion du locataire présuppose que le bail ait valablement pris fin, puisque l'extinction du bail est une condition du droit à la restitution des locaux (art. 267 al. 1 CO, respectivement art. 299 al. 1 CO). Les conditions de l'art. 257 CPC s'appliquent également à cette question préjudicielle (ATF 144 III 462 consid. 3.3.1; 142 III 515 consid. 2.2.4 in fine; 141 III 262 consid. 3.2 in fine; sur la notification de l'avis comminatoire et de la résiliation, cf. arrêt 4A_234/2022 du 21 novembre 2022 consid. 4.1).  
 
3.2.4. Il appartient au bailleur, conformément à l'art. 8 CC, d'alléguer et de prouver les conditions de l'art. 257d CO (faits générateurs de droit; rechtserhebende Tatsachen), conformément aux exigences de l'art. 257 CPC. En revanche, il incombe au locataire d'invoquer les faits dirimants ou destructeurs ( rechtshindernde oder rechtsvernichtende Tatsachen) en invoquant des objections ou des exceptions ( Einwendungen oder Einreden) telle l'extinction de sa dette ou la compensation avec une contre-créance.  
 
4.  
 
4.1. En l'espèce, la cour cantonale a considéré que l'état de fait n'était pas litigieux et que la situation juridique était claire, de sorte que la bailleresse pouvait emprunter la voie de la protection dans les cas clairs pour obtenir l'expulsion de ses locataires. L'arrêt attaqué ne l'indique pas en toutes lettres, mais ce n'en est pas moins une évidence.  
Certes, les locataires ont ouvert action en contestation du loyer initial en se prévalant du fait que la formule officielle topique ne leur avait pas été remise à la conclusion du bail, et la procédure corrélative est encore pendante devant la Cour de justice du canton de Genève. A lire leur recours, ils auraient également introduit une action en contestation du congé signifié par la bailleresse. Cela étant, aucune de ces deux actions ne fait obstacle à l'action postérieure en expulsion intentée par la bailleresse selon l'art. 257 CPC (voir par ex. ATF 141 III 262 consid. 3; arrêts 4A_184/2015 du 11 août 2015 consid. 3.2; 4A_252/2014 du 28 mai 2014 consid. 3 et 4; 4A_265/2013 du 8 juillet 2013 consid. 6; 4A_187/2012 du 10 mai 2012 consid. 3; 4A_7/2012 du 3 avril 2012 consid. 2; 4A_585/2011 du 7 novembre 2011 consid. 3). Les locataires ne le contestent d'ailleurs pas sur le principe, du moins pas de manière explicite. 
 
4.2. Ils plaident que l'état de fait était litigieux et la situation juridique, obscure. Cela étant, ils ne contestent pas l'envoi par la bailleresse de mises en demeure pour défaut de paiement du loyer, notamment le 23 juin 2022, ni les paiements très sporadiques effectués jusqu'au 19 mai 2020, qui laissent subsister une dette de loyer considérable. Les faits ne sont donc guère litigieux à cet égard.  
C'est un autre élément qui cristallise leur grief: le loyer contractuel serait nul, faute pour la bailleresse de leur avoir remis la formule officielle topique à la conclusion du bail; ce loyer devrait être réévalué à 968 fr. par mois dès le 1er octobre 2019. De leur point de vue, l'intégralité du loyer dû aurait été versée le 22 juillet 2022. 
La cour cantonale a toutefois estimé que les locataires commettaient un abus de droit (art. 2 al. 2 CC) en se prévalant du fait que la formule agréée par les autorités cantonales (formule officielle) ne leur aurait pas été remise à la conclusion du bail. Lors de son audition par le Tribunal des baux et loyers dans la présente procédure, le locataire avait déclaré avoir cessé de payer le loyer car « quand il avait emménagé dans l'appartement il s'agissait d'un vrai chantier. Par ailleurs, il n'y avait pas d'avis de fixation du loyer initial ». La cour cantonale en a inféré qu'il savait, dès juin 2020 au plus tard, que le loyer pouvait être affecté d'un vice de forme. Or, il avait attendu novembre 2021 (dépôt de la demande, réd.) pour agir en fixation judiciaire du loyer, après avoir appris que la bailleresse entendait résilier leur bail. Ce délai excédait largement le délai raisonnable pour contester le loyer devant l'autorité compétente, tel que fixé par la jurisprudence fédérale. En dénonçant ce vice aussi longtemps après, ils commettaient un abus de droit manifeste. Ergo il fallait s'en référer au loyer contractuel pour déterminer le montant dû. Ergo encore, ce loyer n'avait pas été acquitté en intégralité à l'issue de la dernière mise en demeure adressée par la bailleresse le 23 juin 2022 (la somme de 16'824 fr. créditée par les locataires ne représentant guère plus d'un décime de la dette de loyer). En conclusion, la résiliation de bail pour défaut de paiement du loyer était valide (art. 257d al. 2 CO).  
 
4.3. D'après les locataires, la cour cantonale ne pouvait retenir un abus de droit dans une procédure de protection dans les cas clairs. Il faudrait porter une appréciation sur l'ensemble des circonstances, opération qui ne saurait avoir lieu dans une procédure sommaire.  
Le Tribunal fédéral ne saurait toutefois les suivre sur ce chapitre. En effet, s'agissant d'un tel abus de droit manifeste, rien ne s'oppose à retenir son existence dans une semblable procédure (cf. arrêt 4A_350/2015 du 25 août 2015 consid. 4.2 et les références citées). 
 
4.4. Les locataires soutiennent que leur argument relatif à la nullité du loyer était propre à ébranler la conviction du juge, raison pour laquelle celui-ci aurait nécessairement dû sanctionner la requête par l'irrecevabilité.  
La cour cantonale ne s'est toutefois pas laissée ébranler par le vice de forme que les locataires ont sorti de leur manche. Elle a considéré que l'abus de droit était ici manifeste, et l'on ne peut guère lui en faire le reproche. 
D'après la jurisprudence, le locataire excipe abusivement du défaut de remise de la formule officielle relative au loyer initial s'il omet de protester dans un délai raisonnable. Dans un tel cas, l'on peut en effet inférer qu'il considère le loyer comme non abusif et renonce à le contester devant l'autorité, validant ainsi le montant convenu et guérissant les effets du vice de forme (ATF 140 III 583 consid. 3.2.4; 137 III 547 consid. 2.3; 121 III 56 consid. 2c; arrêt 4C.315/2000 du 5 février 2001 consid. 4b-c, in CdB 2001 p. 77; cf. aussi ATF 148 III 63 consid. 6.2; arrêt 4A_495/2019 du 28 février 2020 consid. 3.5, non publié à l'ATF 146 III 82). 
Indépendamment de savoir si la formule officielle relative au loyer initial a bel et bien été remise, il importe de noter que les locataires ne taxent pas d'arbitraire la constatation selon laquelle ils connaissaient au plus tard dès le mois de juin 2020 l'impact potentiel de l'absence de cette formule. S'ils avaient véritablement voulu contester leur loyer, ils l'auraient fait bien avant. Puisqu'ils ont attendu un an (date du dépôt de la requête de conciliation) pour s'y atteler, ils poursuivaient selon toute évidence un but autre que celui de corriger un loyer prétendument abusif, à savoir très certainement celui de demeurer le plus longtemps possible dans l'appartement querellé, sachant que la bailleresse leur avait indiqué vouloir vendre l'appartement et résilier leur contrat. De fait, en multipliant les procédures, ils sont parvenus à demeurer dans les locaux depuis près d'un an à compter de la résiliation fondée sur le défaut de paiement. 
Partant, le Tribunal fédéral ne discerne pas de violation de l'art. 257 CPC
 
4.5. Les locataires se plaignent également d'une violation de l'art. 257d CO. Leur argumentation tourne autour du loyer qu'ils devraient réellement payer selon leur calcul (968 fr. par mois), en adoptant toujours la prémisse que le loyer initial serait nul pour vice de forme, et en contestant s'être trouvés en demeure au moment de la résiliation de bail puisqu'ils auraient payé l'intégralité du loyer.  
Cela étant, ces considérations ne sauraient prospérer si l'on admet que le vice de forme (nullité du loyer initial faute de formule ad hoc) est invoqué de manière abusive. Le Tribunal cantonal n'a donc pas trahi le sens de l'art. 257d CO en considérant, à titre préjudiciel, que la résiliation de bail était légitime. Les locataires versent aussi dans l'abus de droit en contestant le congé pour défaut de paiement jusque devant le Tribunal fédéral, connaissant les montants minimes dont ils ont daigné s'acquitter.  
 
5.  
Au vu de ce qui précède, le recours se révèle privé de fondement et doit être rejeté aux frais de ses auteurs (art. 66 al. 1 LTF), qui indemniseront la bailleresse intimée pour les frais d'avocat qu'a engendrés sa détermination sur la demande d'effet suspensif (art. 68 al. 1 et 2 LTF). Celle-ci se trouve privée d'objet. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, fixés à 5'500 fr., sont mis à la charge des recourants, solidairement entre eux. 
 
3.  
Les recourants, débiteurs solidaires, verseront à l'intimée une indemnité de 3'000 fr. à titre de dépens. Cette somme sera payée au moyen des sûretés déposées à la Caisse du Tribunal fédéral. Le solde, soit 3'500 fr., sera rétrocédé aux recourants. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 24 juillet 2023 
 
Au nom de la I re Cour de droit civil  
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Juge présidant : Kiss 
 
La Greffière : Monti