7B_11/2023 27.09.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
7B_11/2023  
 
 
Arrêt du 27 septembre 2023  
 
IIe Cour de droit pénal  
 
Composition 
M. le Juge fédéral Abrecht, Président, 
Hurni et Kölz, 
Greffier : M. Valentino. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par Me Cyrille Piguet, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, 
intimé. 
 
Objet 
Ordonnance de non-entrée en matière (vol), 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 5 décembre 2022 
(ACPR/850/2022 - P/629/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Le 1er octobre 2020, A.________ SA a déposé plainte pénale contre inconnu, auprès du Ministère public de la République et canton de Genève, pour le vol du véhicule Porsche 911 Turbo S Cab, immatriculé VD ________, qui aurait été commis à la rue ________, à Genève, entre le 17 août 2020, à 17 heures, et le 30 septembre 2020, à 9 heures.  
A teneur de la plainte, le véhicule avait été pris en leasing par A.________ SA et mis à disposition d'un client de celle-ci, qui l'avait garé dans un parking souterrain, lequel était accessible par une clé ou un badge; à son retour, le client en question avait constaté que le véhicule avait disparu. La plaignante a précisé que le véhicule n'était pas muni d'un dispositif de traçage (tracker ou carte SIM intégrée). 
 
A.b. Le 22 juin 2021, A.________ SA a complété sa plainte, affirmant disposer d'éléments nouveaux.  
Elle a en particulier dirigé ses accusations contre B.________, qui, jusqu'en octobre 2019, avait vécu en concubinage avec C.________ - dont il devait être compris qu'il était le client évoqué dans la plainte initiale - expliquant que l'intéressée conduisait régulièrement le véhicule Porsche durant leur vie commune. Elle a en outre précisé que B.________ avait présenté C.________ à D.________, un ami garagiste, lequel s'était ensuite occupé de l'entretien des véhicules utilisés par C.________ durant plusieurs années, même après la rupture entre ce dernier et B.________. 
 
A.c. Entendue par la police en qualité de prévenue, B.________ a contesté les faits qui lui étaient reprochés. Entendu pour sa part comme personne appelée à donner des renseignements, D.________ a également nié toute implication dans le vol dénoncé.  
 
B.  
 
B.a. Par ordonnance du 11 avril 2022, le Ministère public genevois a refusé d'entrer en matière sur la plainte pénale.  
 
B.b. Statuant par arrêt du 5 décembre 2022, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise a déclaré irrecevable le recours interjeté par A.________ SA contre cette ordonnance.  
 
C.  
A.________ SA forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet arrêt. Elle conclut, avec suite de frais et dépens, principalement à la réforme de la décision entreprise en ce sens que l'ordonnance de non-entrée en matière du 11 avril 2022 soit annulée et la cause renvoyée au Ministère public genevois pour complément d'instruction et nouvelle décision. À titre subsidiaire, elle conclut à l'annulation de la décision entreprise et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision. 
Invités à se déterminer, la cour cantonale y a renoncé, tandis que le Ministère public a conclu au rejet du recours. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 149 IV 9 consid. 2; 146 IV 185 consid. 2). 
 
1.1. La décision attaquée dénie la qualité de partie plaignante à la recourante, laquelle se trouve dès lors définitivement écartée de la procédure pénale. Il s'agit ainsi d'une décision finale au sens de l'art. 90 LTF (arrêt 7B_167/2023 du 28 juillet 2023 consid. 1.2 et les références citées) et qui émane d'une autorité cantonale de dernière instance (art. 80 al. 1 LTF), de sorte que le recours est recevable quant à son objet. Le recours, qui a été interjeté dans le délai légal (art. 46 al. 1 let. c et 100 al. 1 LTF), répond aux exigences de forme déduites de l'art. 42 al. 1 et 2 LTF.  
 
1.2.  
 
1.2.1. Aux termes de l'art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à recourir au Tribunal fédéral si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles. Indépendamment des conditions posées par cette disposition, la partie recourante est aussi habilitée à se plaindre d'une violation de ses droits de partie équivalant à un déni de justice formel, sans toutefois pouvoir faire valoir par ce biais, même indirectement, des moyens qui ne peuvent pas être séparés du fond (ATF 146 IV 76 consid. 2; 141 IV 1 consid. 1.1 et les références citées; arrêt 6B_801/2023 du  
26 juin 2023 consid. 2.4). Sous cet angle, la partie recourante est notamment habilitée à se plaindre d'une décision qui déclare irrecevable un recours cantonal au motif du défaut de qualité pour recourir (cf. arrêts 6B_62/2022 du 21 février 2022 consid. 1.1; 6B_437/2019 du 8 août 2019 consid. 1.2.3; 6B_243/2015 du 12 juin 2015 consid. 1, publié in SJ 2016 I 125). 
 
1.2.2. En l'espèce, la cour cantonale a déclaré irrecevable le recours interjeté par la recourante au motif que celle-ci ne disposait pas de la qualité pour recourir au sens de l'art. 382 al. 1 CPP. La recourante est dès lors habilitée, dans cette mesure, à s'en plaindre devant le Tribunal fédéral.  
 
2.  
 
2.1. En vertu de l'art. 99 al. 1 LTF, aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente. Cette exception vise les faits qui sont rendus pertinents pour la première fois par la décision attaquée; peuvent en particulier être allégués des faits nouveaux concernant le déroulement de la procédure devant l'instance précédente, afin d'en contester la régularité, ou encore des faits postérieurs au jugement attaqué permettant d'établir la recevabilité du recours; en dehors de ces cas, les nova ne sont pas admissibles, qu'il s'agisse de faits ou moyens de preuve survenus postérieurement à la décision attaquée ou d'éléments que les parties ont négligé de présenter aux autorités cantonales  
(ATF 143 V 19 consid. 1.2; 136 III 123 consid. 4.4.3; arrêt 6B_482/2022 du 4 mai 2023 consid. 3). 
 
2.2. En l'espèce, la recourante produit, à l'appui de son recours, différentes pièces destinées à établir l'existence d'un contrat de leasing, et en particulier son statut contractuel de preneuse de leasing, en lien avec la voiture objet du vol dénoncé. Elle fait valoir, pour justifier de leur recevabilité en procédure fédérale, que ces pièces ne seraient devenues pertinentes qu'à la suite de l'arrêt attaqué, la cour cantonale ayant pris motif, d'une manière inattendue selon la recourante, de l'absence de production au dossier d'un contrat de leasing pour déclarer le recours irrecevable.  
Cela étant, la recevabilité de ces pièces, au regard de l'art. 99 al. 1 LTF, souffre de demeurer indécise, dès lors que le recours doit en tout état être admis pour les motifs qui suivent (cf. consid. 3 infra). 
 
3.  
 
3.1. Invoquant une violation de l'art. 115 CPP, la recourante fait grief à la cour cantonale de ne pas lui avoir reconnu la qualité de lésée, en lien avec le vol qu'elle avait dénoncé, et partant d'avoir estimé qu'elle ne disposait pas de la qualité de partie plaignante (art. 118 al. 1 CPP), ni de celle pour recourir (art. 382 al. 1 CPP) contre le refus du Ministère public d'entrer en matière sur sa plainte. Elle soutient en particulier que son statut contractuel de preneuse de leasing, s'agissant du véhicule volé, suffisait à lui reconnaître la qualité de lésée.  
 
3.2.  
 
3.2.1. A teneur de l'art. 382 al. 1 CPP, toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision a qualité pour recourir contre celle-ci. L'art. 104 al. 1 let. b CPP précise que la qualité de partie est reconnue à la partie plaignante. On entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil (art. 118 al. 1 CPP). Le lésé est celui dont les droits ont été touchés directement par une infraction (art. 115 al. 1 CPP). En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 141 IV 454 consid. 2.3.1; 141 IV 1 consid. 3.1). Lorsque la norme protège un bien juridique individuel, la qualité de lésé appartient au titulaire de ce bien (ATF 141 IV 1 consid. 3.1; 138 IV 258 consid. 2.3; 129 IV 95 consid. 3.1). Pour être directement touché, le lésé doit subir une atteinte en rapport de causalité directe avec l'infraction poursuivie, ce qui exclut les dommages par ricochet (arrêts 6B_1276/2021 du 9 mars 2023 consid. 1.5.1; 6B_103/2021 du 26 avril 2021 consid. 1.1).  
 
3.2.2. L'art. 139 ch. 1 CP réprime le comportement de celui qui, pour se procurer ou pour procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura soustrait une chose mobilière appartenant à autrui dans le but de se l'approprier.  
Cette disposition figure parmi les infractions contre le patrimoine, telles que décrites au Titre 2 du Livre 2 du Code pénal (art. 137 ss CP), et dont le bien juridique protégé se rapporte précisément au patrimoine d'autrui. Est ainsi généralement considérée comme lésée par une infraction contre le patrimoine toute personne qui a un intérêt à l'usage de l'objet, volé ou endommagé par exemple, soit en d'autres termes toute personne à qui incombe la responsabilité de conserver l'objet. L'idée sous-jacente demeure que le locataire, et d'autres potentiels ayants droit, ont un intérêt direct, dans le cadre de l'exercice de leur droit de faire usage de la chose, à la préservation de la valeur de celle-ci et peuvent donc être tout autant touchés par sa défaillance que le bailleur, ou plus généralement le propriétaire, qui a, pour sa part, perdu la valeur réelle correspondante (ATF 144 IV 49 consid. 1.2; 118 IV 209 consid. 2 et 3; s'agissant de dommages à la propriété [art. 144 al. 1 CP]: arrêt 6B_1431/2020 du 8 juillet 2021 consid. 2.1; DANIEL STOLL, in: Commentaire romand, Code pénal I, 2e éd. 2021, n° 21 ad art. 30 CP; CAMILLE PERRIER DEPEURSINGE, in: Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2e éd. 2019, n° 9 ad art. 115 CPP; MAZZUCCHIELLI/POSTIZZI, in: Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung, 2e éd. 2014, nos 54 et 55 ad art. 115 CPP). 
 
3.2.3. Le contrat de leasing (de l'anglais " to lease ", soit louer, remettre à bail) est généralement défini comme le contrat par lequel une partie (donneur de leasing) cède à l'autre partie (preneur de leasing), pour une durée déterminée, un bien économique (objet du leasing) destiné à l'utilisation, le risque de conservation intégral étant en règle générale transféré contractuellement. À cet effet, le preneur de leasing verse une rémunération qui doit être payée sous forme de prestations partielles (intérêts de leasing). Les acomptes capitalisés correspondent en tout ou partie à la valeur vénale rémunérée à la fin du contrat (coût de fabrication ou d'acquisition plus part des frais généraux et du bénéfice) au moment de la conclusion du contrat  
(ATF 119 II 236 consid. 3 à 4; arrêt 4A_404/2008 du 18 décembre 2008 consid. 4.1.1; cf. également AMSTUTZ/MORIN, in: Basler Kommentar, Obligationenrecht I, 7e éd. 2020, n° 59 de l'Introduction aux art. 184 ss CO et les nombreuses références citées). 
 
3.3. Cela étant observé, il apparaît que la situation d'un preneur de leasing, en tant qu'il se voit céder contractuellement le droit d'utiliser l'objet du leasing, s'apparente à bien des égards à celle d'un locataire, dans son acception comprise par le droit du bail (cf. art. 253 ss CO). Le preneur de leasing ayant ainsi à l'évidence un intérêt à la conservation de l'objet du leasing, la qualité de lésé (art. 115 al. 1 CPP) doit lui être reconnue dans une procédure pénale ouverte ensuite du vol de l'objet en question. Peu importe à cet égard qu'au moment de l'infraction, le preneur était ou non en possession de l'objet.  
 
3.4. Il s'ensuit qu'en l'espèce, au-delà de déterminer si, s'agissant du véhicule Porsche prétendument volé, la recourante était effectivement preneuse de leasing - ce qu'il appartiendra à la cour cantonale d'établir dans le cadre du renvoi ordonné (cf. consid. 4 infra) - les juges cantonaux ne pouvaient pas lui dénier d'emblée tout intérêt juridiquement protégé à contester le refus du Ministère public d'entrer en matière sur la plainte qu'elle avait déposée le 1er octobre 2020, puis complétée le 22 juin 2021.  
 
4.  
En définitive, le recours doit être admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs développés par la recourante. Dans sa nouvelle décision, il appartiendra en particulier à la cour cantonale de déterminer si, au moment de l'infraction dénoncée, la recourante était preneuse de leasing dans le sens décrit ci-avant, auquel cas la qualité pour recourir contre l'ordonnance du 11 avril 2022 devra lui être reconnue. 
 
5.  
La recourante, qui obtient gain de cause, ne supportera pas de frais et peut prétendre à des dépens, à la charge du canton de Genève (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis. L'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision. 
 
2.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3.  
Le canton de Genève versera au conseil de la recourante la somme de 3'000 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 27 septembre 2023 
 
Au nom de la IIe Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Abrecht 
 
Le Greffier : Valentino