2D_4/2022 13.07.2022
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
2D_4/2022  
 
 
Arrêt du 13 juillet 2022  
 
IIe Cour de droit public  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Aubry Girardin, Présidente, Donzallaz et Ryter. 
Greffier : M. Ermotti. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par Me Frédéric Hainard, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________ SA, 
intimée, 
 
Commune de C.________, 
représentée par Me Richard Calame, avocat. 
 
Objet 
Adjudication pour des prestations de collecte 
des déchets urbains, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, Cour de droit public, du 22 décembre 2021 (CDP.2021.230-MAP/amp). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Le 12 février 2021, la commune de C.________ NE (ci-après: la Commune) a publié un appel d'offres selon la procédure ouverte portant sur les prestations de collecte des déchets urbains d'un volume d'environ 1'000 tonnes par an. Pour l'évaluation des offres, la Commune a décidé de faire appel aux services de la société D.________ Sàrl (ci-après: D.________ Sàrl ou la mandataire). 
Trois soumissionnaires ont présenté une offre: A.________ SA, B.________ SA (ci-après: B.________ SA ou l'adjudicataire) et une troisième entreprise (qui a par la suite été exclue du marché). L'ouverture des offres a eu lieu le 24 mars 2021. Après les avoir examinées, D.________ Sàrl a informé la Commune que le résultat de l'évaluation aboutissait à une égalité entre les offres de A.________ SA et B.________ SA. Le 31 mai 2021, sur requête du pouvoir adjudicateur, deux collaborateurs de la Commune et un représentant de D.________ Sàrl ont donc procédé à une nouvelle évaluation, effectuée sur la base d'une documentation anonymisée. Les résultats de cette évaluation ont été résumés dans un tableau d'évaluation anonymisé daté du 31 mai 2021 et ils ont ensuite été transposés dans un tableau non anonymisé daté du 7 juin 2021. B.________ SA, qui avait déposé une offre avec une variante, a obtenu la note de 3,89 (respectivement de 3,82 pour la variante); A.________ SA a obtenu la note de 3,81. 
 
B.  
Par décision du 23 juin 2021, se fondant nota mment sur le rapport d'évaluation du 7 juin 2021, la Commune a attribué le marché à B.________ SA pour pour le prix de 86 fr./tonne HT. 
Le 5 juillet 2021, A.________ SA a recouru contre cette décision auprès de la Cour de droit public du Tribunal cantonal neuchâtelois (ci-après: le Tribunal cantonal), en invoquant une violation de son droit d'être entendue, une adjudication fondée uniquement sur le critère du prix, un abus du pouvoir d'appréciation de la part de la Commune, ainsi que "les conflits judiciaires qui l'ont opposée et l'opposent" à celle-ci. 
Par arrêt du 22 décembre 2021, le Tribunal cantonal a rejeté le recours. Après avoir écarté la critique relative au droit d'être entendu, cette autorité a retenu, en substance, que la décision d'adjudication renvoyait au rapport d'évaluation du 7 juin 2021 et tenait compte de tous les critères pertinents, de sorte qu'elle n'était pas fondée uniquement sur le critère du prix, que les notes attribuées aux soumissionnaires pour les différents critères n'étaient pas arbitraires, que la Commune n'avait pas abusé de son pouvoir d'appréciation et qu'il n'y avait au dossier aucun élément propre à indiquer que le pouvoir adjudicateur n'aurait pas été objectif et impartial dans la procédure d'adjudication. 
Le 17 janvier 2022, la Commune et B.________ SA ont signé le contrat relatif au marché litigieux. 
 
C.  
Agissant le 1er février 2022 par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, A.________ SA demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler l'arrêt du Tribunal cantonal du 22 décembre 2021, de constater l'illicéité de l'adjudication intervenue le 23 juin 2021 et d'ordonner à la Commune de mettre en oeuvre une nouvelle procédure d'adjudication. Subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause au Tribunal cantonal pour nouvelle décision au sens des considérants. 
Le Tribunal cantonal se réfère à l'arrêt attaqué et propose le rejet du recours. La Commune dépose des observations et conclut à ce que le recours soit déclaré irrecevable, subsidiairement au rejet de celui-ci. 
Par ordonnance du 24 février 2022, la Présidente de la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral a constaté que la requête d'effet suspensif formulée par la recourante était d'emblée sans objet. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 147 I 89 consid. 1). 
 
1.1. La présente cause relève du droit public (art. 82 let. a LTF). Dans le domaine des marchés publics, un recours en matière de droit public n'est recevable, en vertu de l'art. 83 let. f LTF, qu'à la double condition que la valeur du mandat à attribuer soit supérieure ou égale aux seuils déterminants prévus à cet effet et que la décision attaquée soulève une question juridique de principe (ATF 141 II 113 consid. 1.2; 140 I 285 consid. 1.1). Il incombe à la partie recourante de démontrer la réalisation de ces deux conditions (cf. art. 42 al. 2 LTF; ATF 141 II 113 consid. 1.2), qui sont cumulatives, à moins que la question de principe s'impose avec évidence (arrêt 2D_25/2018 du 2 juillet 2019 consid. 1.1, non publié in ATF 145 II 249).  
En l'espèce, la recourante ne prétend pas que son recours soulèverait une question juridique de principe et une telle question n'apparaît pas d'emblée clairement. C'est par conséquent à juste titre qu'elle a choisi la voie du recours constitutionnel subsidiaire (arrêt 2D_12/2021 du 30 août 2021 consid. 1.1). 
 
1.2. En sa qualité de partie à la procédure cantonale et d'entreprise soumissionnaire évincée, positionnée au deuxième rang dans le cadre d'une procédure ouverte d'adjudication, la recourante dispose de la qualité pour recourir au sens de l'art. 115 LTF, notamment d'un intérêt juridique. Même si le contrat a été conclu entretemps, la recourante, qui dénonce notamment des vices graves de nature formelle et conclut à la constatation de l'illicéité de l'adjudication, peut en outre se prévaloir d'un intérêt actuel et pratique à ce constat, en lien avec une éventuelle action en dommages-intérêts (cf. arrêt 2D_25/2018 du 2 juillet 2019 consid. 1.2, non publié in ATF 145 II 249; ATF 141 II 14 consid. 4.6; art. 9 al. 3 de la loi fédérale sur le marché intérieur du 6 octobre 1995 [LMI; RS 943.02]; art. 18 al. 2 de l'Accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994, modifié le 15 mars 2001 [AIMP], le canton de Neuchâtel n'ayant pas encore adhéré à l'AIMP 2019).  
 
1.3. Au surplus, déposé en temps utile, compte tenu des féries (art. 117, 46 al. 1 let. c et 100 al. 1 LTF), et dans les formes requises (art. 42 LTF), le recours est dirigé contre une décision finale (art. 117 et 90 LTF) rendue en dernière instance cantonale par une autorité judiciaire supérieure (art. 114 et 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF). Il convient donc d'entrer en matière, sous réserve de ce qui suit.  
 
1.4. Le contrat portant sur le marché en cause a été conclu entre la Commune et B.________ SA le 17 janvier 2022. La recourante a formé son recours au Tribunal fédéral le 1er février 2022, en concluant notamment à la mise en oeuvre d'une nouvelle procédure d'adjudication. Dès lors que le contrat avait déjà été conclu, cette conclusion est irrecevable.  
 
2.  
 
2.1. Le recours constitutionnel subsidiaire ne peut être formé que pour violation des droits constitutionnels (art. 116 LTF). En vertu de l'art. 106 al. 2 LTF, applicable par renvoi de l'art. 117 LTF, les griefs y relatifs doivent être invoqués et motivés par la partie recourante, à savoir expressément soulevés et exposés de manière claire et détaillée, en précisant en quoi consiste la violation (cf. ATF 139 I 229 consid. 2.2; arrêt 2D_12/2021 du 30 août 2021 consid. 2.1).  
 
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 118 al. 1 LTF). Il peut néanmoins rectifier ou compléter les constatations de cette autorité si les faits ont été constatés en violation d'un droit constitutionnel (art. 118 al. 2 LTF cum art. 116 LTF), ce que la partie recourante doit démontrer d'une manière circonstanciée, conformément aux exigences de motivation posées à l'art. 106 al. 2 LTF (applicable par renvoi de l'art. 117 LTF; cf. supra consid. 2.1).  
En l'occurrence, dans la mesure où la recourante présente une argumentation partiellement appellatoire, notamment en complétant librement sur plusieurs pages l'état de fait retenu dans l'arrêt entrepris, sans invoquer à ce sujet la violation d'aucun droit constitutionnel (en particulier l'interdiction de l'arbitraire), le Tribunal fédéral ne peut pas en tenir compte. Il statuera donc sur la base des faits tels qu'ils ressortent de l'arrêt attaqué. 
 
3.  
Dans un grief d'ordre formel, qu'il convient d'examiner en premier lieu (ATF 141 V 557 consid. 3), la recourante se plaint - comme elle l'avait fait devant le Tribunal cantonal - de la violation de son droit d'être entendue en relation avec l'accès au dossier de la cause. L'intéressée soutient que le dossier qui lui avait été remis pour consultation le 29 juin 2021 était incomplet, ce qui l'aurait empêchée de se déterminer de manière efficace dans son recours devant le Tribunal cantonal. En particulier, elle n'aurait pas pu consulter le "procès-verbal de la séance du 31 mai 2021" (recours, p. 18). 
 
3.1. Le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) garantit notamment aux parties à une procédure de marchés publics le droit de consulter le dossier et de se déterminer sur les allégués de fait déterminants (cf. arrêt 2D_31/2018 du 1er février 2019 consid. 3.1 et les références citées).  
 
3.2. En l'espèce, le Tribunal cantonal a rejeté la critique de l'intéressée relative au droit d'être entendu en relevant que la séance du 31 mai 2021, qui avait abouti au tableau d'évaluation anonymisé daté du même jour (cf. supra let. A), n'avait pas fait l'objet d'un procès-verbal, de sorte que "la pièce dont la recourante demande la consultation n'existe pas" (arrêt entrepris, p. 4). Cette constatation de fait, que la recourante ne remet pas en question par une motivation conforme aux exigences de l'art. 118 al. 2 LTF, lie le Tribunal fédéral (art. 118 al. 1 LTF; cf. supra consid. 2.2). Dans ces circonstances, comme l'a retenu à juste titre le Tribunal cantonal, une violation du droit d'être entendu fondée sur le refus de concéder l'accès à un acte de la procédure est exclue, l'acte en question n'existant pas. Le grief est rejeté.  
 
4.  
L'intéressée se réfère au principe de transparence et affirme que l'arrêt entrepris est arbitraire, car il "confirme des procédés douteux, trompeurs, opaques, qui n'ont pas fait l'objet de procès-verbaux et qui émanent de personnes qui, à trois reprises déjà, ont vu leurs rêves d'évincer A.________ SA être brisé [sic]" (recours, p. 21). 
 
4.1. Le principe de transparence n'est pas un droit constitutionnel au sens de l'art. 116 LTF, de sorte que sa violation ne peut être remise en discussion qu'en lien avec le grief d'arbitraire (cf. arrêts 2D_12/2021 du 30 août 2021 consid. 4.1; 2C_951/2019 du 16 juillet 2020 consid. 6.1; 2D_31/2018 du 1er février 2019 consid. 5.1). En ce sens, le grief de violation du principe en question, par lequel la recourante se plaint de la manière (prétendument trompeuse et opaque) avec laquelle a été menée la procédure d'adjudication, se confond avec le grief d'arbitraire (consid. 4.2 et 4.3 ci-dessous) et ne sera pas examiné séparément.  
 
4.2. Une décision est arbitraire (art. 9 Cst.) lorsqu'elle contredit clairement la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou qu'elle heurte d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une solution autre que celle de l'autorité précédente semble concevable, voire préférable. Pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable; il faut encore que cette décision soit arbitraire dans son résultat (ATF 144 I 318 consid. 5.4).  
 
4.3. En l'espèce, la critique de la recourante est fondée sur des faits qui ne sont pas constatés dans l'arrêt entrepris et ne peuvent pas être pris en considération (cf. supra consid. 2.2). Il en va ainsi notamment de la prétendue hostilité envers l'intéressée des personnes qui ont procédé à l'évaluation des offres, respectivement de leur manque d'indépendance. Du reste, il ressort plutôt de l'arrêt attaqué que la procédure d'adjudication a été conduite de manière objective et soucieuse de l'égalité entre les concurrents, la Commune ayant notamment fait appel aux services d'un mandataire externe spécialisé pour évaluer les offres et l'évaluation en question ayant eu lieu sur la base d'un document anonymisé ne permettant pas de reconnaître l'auteur des réponses, remarques et propositions faites (arrêt entrepris, p. 14). Quant au fait que la séance du 31 mai 2021 n'a pas fait l'objet d'un procès-verbal, il ressort de l'arrêt entrepris que, bien qu'un compte-rendu de cette séance sous la forme d'un procès-verbal n'ait pas été dressé, le résultat de l'évaluation a été consigné dans un tableau d'évaluation qui figure au dossier (cf. arrêt attaqué, p. 13; voir aussi la réponse de la Commune du 8 mars 2022, p. 5). Il existe donc un document attestant du résultat de ladite séance.  
 
4.4. Au vu de ce qui précède, on ne voit pas en quoi l'arrêt attaqué, qui constate que la procédure d'adjudication a été menée de manière correcte et confirme la décision d'adjudication du 23 juin 2021, serait entaché d'arbitraire. La critique est écartée.  
 
5.  
Pour le reste, la recourante soulève à plusieurs reprises des critiques générales et vagues (violation des "garanties constitutionnelles" [recours, p. 18]; doutes au sujet du "caractère anonyme de l'évaluation" [recours, p. 20]; "abus de pouvoir" de la part du Tribunal cantonal [recours, p. 20]; "abus de droit manifeste" [recours, p. 24]) qui, à défaut d'être en lien avec la violation d'un droit constitutionnel précis (art. 116 LTF; c f. supra consid. 2.1), respectivement de respecter les exigences de motivation accrues de l'art. 106 al. 2 LTF (applicable par renvoi de l'art. 117 LTF; cf. supra consid. 2.1), n'ont pas à être traitées. 
 
6.  
Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours dans la mesure où il est recevable. 
Succombant, la recourante doit supporter les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens à la Commune (art. 68 al. 1 et 3 LTF), ni à l'adjudicataire, qui ne s'est pas déterminée sur le recours (cf. art. 68 al. 1 LTF; arrêt 2C_258/2017 du 2 juillet 2018 consid. 8, non publié in ATF 144 II 359). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'500 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires de la recourante et de la Commune, à l'intimée, ainsi qu'au Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, Cour de droit public. 
 
 
Lausanne, le 13 juillet 2022 
 
Au nom de la IIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : F. Aubry Girardin 
 
Le Greffier : A. Ermotti