9F_9/2023 17.10.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
9F_9/2023  
 
 
Arrêt du 17 octobre 2023  
 
IIIe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Parrino, Président, Moser-Szeless et Beusch. 
Greffier : M. Bleicker. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Rémy Bucheler, avocat, 
requérant, 
 
contre  
 
Caisse cantonale genevoise de compensation, rue des Gares 12, 1201 Genève, 
intimée. 
 
Objet 
Assurance-vieillesse et survivants, 
 
demande de révision de l'arrêt du Tribunal fédéral suisse du 4 avril 2018 (9C_119/2018). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A la suite du décès de son épouse, A.________, né en 1963 et père de trois enfants (nés en 1993, 1995 et 1998), s'est vu octroyer une rente de veuf dès le 1 er mai 2015 par la Caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après: la caisse de compensation), le 11 juin 2015. Par décision du 7 mars 2016, confirmée sur opposition le 15 juin 2017, la caisse de compensation a, en application de l'art. 24 al. 2 LAVS (RS 831.10), mis fin au versement de la prestation au 31 mars 2016, au motif que la benjamine de l'intéressé avait atteint l'âge de 18 ans révolus.  
Les recours formés par A.________ successivement contre cette décision devant la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, puis contre l'arrêt de celle-ci du 21 décembre 2017 devant le Tribunal fédéral (arrêt 9C_119/2018 du 4 avril 2018) ont été rejetés. 
 
B.  
Par requête du 25 avril 2018 (n° 20341/18), A.________ a saisi la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après: la CourEDH), invoquant un grief tiré d'une violation de l'art. 14 CEDH combiné avec l'art. 8 CEDH (discrimination fondée sur le sexe dans l'allocation d'une rente de veuf). Par décision du 17 mai 2023, rectifiée le 29 juin 2023, la CourEDH a pris acte de l'accord intervenu entre A.________ et la Suisse. Elle a rayé la requête du rôle conformément à l'art. 39 CEDH
 
C.  
Après qu'une première demande de révision de l'arrêt 9C_119/2018 a été déclarée irrecevable (arrêt 9F_18/2022 du 5 janvier 2023), A.________ demande la révision de l'arrêt 9C_119/2018 du 4 avril 2018 et, en substance, l'annulation des décisions de la caisse de compensation du 7 mars 2016 et du 15 juin 2017 et de l'arrêt de la Cour de justice du 21 décembre 2017 (acte du 3 juillet 2023). Il conclut à ce que la caisse de compensation reprenne le versement de la rente de veuf avec effet rétroactif dès le 1 er avril 2016, avec intérêts à 5% l'an sur chacun des montants dus. Subsidiairement, il demande à ce que la caisse de compensation lui verse la somme de 127'734 fr. 60.  
L'OCAS s'en remet à justice, tandis que l'Office fédéral des assurances sociales renonce à se déterminer sur la demande de révision. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
La procédure de révision auprès du Tribunal fédéral se déroule en plusieurs phases. Tout d'abord, le Tribunal fédéral examine la recevabilité de la demande. Pour les questions qui ne sont pas traitées dans le chapitre 7 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110) relatif à la procédure de révision, les dispositions générales de la LTF s'appliquent. Si le Tribunal fédéral estime la demande de révision recevable, il entre alors en matière et examine si le motif de révision allégué est réalisé. Si tel est le cas, le Tribunal fédéral rend successivement deux décisions distinctes, même s'il le fait en règle générale dans un seul arrêt: par la première, dénommée le rescindant, il annule l'arrêt formant l'objet de la demande de révision; par la seconde, appelée le rescisoire, il statue sur le recours dont il avait été précédemment saisi (cf. art. 128 al. 1 LTF). La décision d'annulation met fin à la procédure de révision proprement dite et entraîne la réouverture de la procédure antérieure. Elle sortit un effet ex tunc, si bien que le Tribunal fédéral et les parties sont replacés dans la situation où ils se trouvaient au moment où l'arrêt annulé a été rendu, la cause devant être tranchée comme si cet arrêt n'avait jamais existé (ATF 144 I 214 consid. 1.2 et les références). 
 
2.  
Le requérant fonde sa demande de révision sur l'art. 122 LTF
 
2.1. En vertu de l'art. 122 let. a in fine LTF, dans sa version en vigueur à partir du 1 er juillet 2022 (RO 2022 289), la révision d'un arrêt du Tribunal fédéral pour violation de la CEDH peut être demandée si la CourEDH a constaté, dans un arrêt définitif (art. 44 CEDH), une violation de la CEDH ou de ses protocoles, ou a conclu le cas par un règlement amiable (art. 39 CEDH). Si les parties parviennent à un règlement amiable lors de la procédure devant la CourEDH, celle-ci rend une décision au sens des art. 39 par. 3 CEDH et 43 par. 3 du Règlement du 4 novembre 1998 de la Cour européenne des droits de l'homme (RS 0.101.2). En pareil cas, le délai de 90 jours prévu par l'art. 124 al. 1 let. c LTF - qui ne mentionne pas l'éventualité du règlement amiable - pour la demande de révision devant le Tribunal fédéral court à compter du prononcé de la décision de radiation de la CourEDH (DENYS, Commentaire de la LTF, 3 e éd. 2022, n° 6 ad art. 122 et 124 LTF). En outre, le requérant doit avoir la qualité pour former une demande de révision et, notamment, disposer d'un intérêt actuel à obtenir un nouveau jugement sur le point litigieux (ATF 144 I 214 consid. 2.1 et les références).  
 
2.2. Partie à la procédure ayant abouti à l'arrêt du Tribunal fédéral dont la révision est demandée, le requérant bénéficie de la qualité pour agir et d'un intérêt actuel à obtenir le réexamen de sa cause ensuite de la décision de la CourEDH, sous réserve du consid. 3.3 ci-après. Par ailleurs, la CourEDH a rayé la requête du rôle, car les parties étaient parvenues à un règlement amiable conformément aux art. 39 par. 3 CEDH et 43 par. 3 du règlement de la CourEDH. Pour le surplus, la demande de révision est recevable à la forme et déposée en temps utile.  
 
3.  
 
3.1. Le motif de révision de l'art. 122 LTF suppose, de surcroît, outre que les parties soient parvenues à un accord, qu'une indemnité ne soit pas de nature à remédier aux effets de la violation (let. b) et que la révision soit nécessaire pour remédier aux effets de la violation (let. c).  
 
3.2. En l'espèce, dans l'arrêt 9C_119/2018, le Tribunal fédéral a rejeté le recours formé par A.________, jugeant qu'il n'y avait pas lieu de s'écarter de la jurisprudence selon laquelle la suppression de la rente d'un conjoint survivant à la majorité du dernier enfant n'entrait pas dans le champ d'application de l'art. 8 CEDH, de sorte que la situation ne se prêtait pas à un examen sous l'angle de l'art. 14 CEDH (ATF 139 I 257).  
Dans l'affaire Beeler c. Suisse, la Grande Chambre de la CourEDH a admis le 11 octobre 2022 qu'un litige portant sur le droit à une rente de veuf de l'assurance-vieillesse et survivants suisse au-delà de la majorité du dernier enfant entrait dans le champ d'application de l'art. 8 par. 1 CEDH sous l'angle du droit au respect de la vie familiale (arrêt Beeler c. Suisse du 11 octobre 2022, n° 78630/12, § 73 ss; cf. aussi sur les critères pertinents quant au point de savoir "ce qui tombe sous l'empire de l'art. 8 CEDH en matière de prestations sociales" § 66 ss). A la suite de cet arrêt, conformément à la décision de la CourEDH du 17 mai 2023, rectifiée le 29 juin 2023, la Suisse et le requérant sont parvenus à un accord amiable, réservant la question de la réparation du dommage matériel pour le requérant résultant de l'interruption du versement de la rente du veuf au moment où son dernier enfant a atteint l'âge de la majorité. La Suisse a en outre constaté dans ce règlement amiable que la présente affaire soulevait une question similaire à celle de l'affaire Beeler c. Suisse. Dans ces circonstances, la réparation du dommage matériel ayant été réservée, la révision est nécessaire pour remédier aux effets de la violation. Il y a dès lors lieu d'admettre le motif de révision et de procéder conformément à l'art. 128 al. 1 LTF, en d'autres termes, d'annuler le ch. 2 du dispositif de l'arrêt 9C_119/2018 et de statuer à nouveau sur le recours à la lumière de l'accord amiable et de l'arrêt Beeler contre Suisse du 11 octobre 2022.  
 
3.3. En revanche, dans le cadre du règlement amiable, la Suisse a versé au requérant la somme de 4'996 euros (environ 5'000 fr.) afin de couvrir l'ensemble des frais et dépens encourus par celui-ci dans les procédures internes et devant la Cour à raison des faits qui ont donné lieu à l'introduction de la requête. Le requérant ne saurait dès lors obtenir la révision du ch. 3 du dispositif de l'arrêt 9C_119/2018, en tant qu'il met des frais de procédure de 500 fr. à sa charge. Sur ce point, le requérant ayant déjà été indemnisé, la demande de révision est irrecevable (art. 122 let. b LTF).  
 
4.  
 
4.1. La Grande Chambre de la CourEDH a jugé dans l'arrêt Beeler c. Suisse que le Gouvernement suisse n'avait pas démontré qu'il existait des considérations très fortes ou des "raisons particulièrement solides et convaincantes" propres à justifier à l'art. 24 al. 2 LAVS la différence de traitement fondée sur le sexe entre les veufs et les veuves. Selon cette disposition, outre les causes d'extinction mentionnées à l'art. 23 al. 4 LAVS, le droit à la rente de veuf s'éteint lorsque le dernier enfant atteint l'âge de 18 ans. La Grande Chambre de la CourEDH a retenu dès lors que l'inégalité de traitement entre les veufs et les veuves ne saurait reposer sur une justification raisonnable et objective (au sens de l'art. 14 CEDH, combiné avec l'art. 8 CEDH).  
Il convient de prendre acte de l'interprétation de l'art. 14 CEDH, combiné avec l'art. 8 par. 1 CEDH, donnée par la Grande Chambre de la CourEDH. Appliqué à la lumière de ces principes, l'art. 24 al. 2 LAVS ne repose dès lors pas sur une justification raisonnable et objective susceptible de permettre un traitement différent du requérant et recourant après le 18 e anniversaire de son plus jeune enfant. Aussi, la rente de veuf de A.________ octroyée sur la base de l'art. 23 LAVS ne devait pas prendre fin lorsque le dernier de ses enfants a atteint l'âge de 18 ans et devait continuer à être versée (cf. Bulletin de l'OFAS n° 460 du 21 octobre 2022 à l'intention des caisses de compensation AVS et des organes d'exécution des PC, ch. 2). Le droit à sa rente de veuf est maintenu au-delà du 31 mars 2016. Cela conduit à l'annulation de l'arrêt de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 21 décembre 2017 et de la décision sur opposition de la Caisse cantonale genevoise de compensation du 15 juin 2017, ainsi qu'au renvoi de la cause à ladite caisse afin qu'elle fixe le montant du droit à la rente de veuf au-delà du 31 mars 2016 ainsi que les paiements rétroactifs y relatifs, avec intérêts moratoires (cf. Bulletin de l'OFAS précité, ch. 2), étant précisé que le recourant a indiqué s'être remarié entre-temps.  
En tant que A.________ conclut également à l'annulation de la décision de la caisse de compensation du 7 mars 2016, sa conclusion est irrecevable. La décision sur opposition du 15 juin 2017 s'est en effet substituée au prononcé antérieur. 
 
4.2. Dans la mesure où l'accord amiable prévoit déjà une indemnisation couvrant l'ensemble des frais et dépens encourus par l'intéressé dans les procédures internes, il n'y a pas lieu de revenir sur la réparation des frais et dépens de la procédure cantonale et fédérale antérieure (consid. 3.3. supra).  
 
5.  
Le requérant obtient gain de cause sur le principe de la révision. 
Au vu des circonstances, il y a lieu de renoncer exceptionnellement à percevoir des frais judiciaires (art. 66 al. 1, 2e phrase, LTF). L'intimée versera au requérant une indemnité à titre de dépens (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
La demande de révision est admise dans la mesure où elle est recevable. 
 
2.  
Le ch. 2 du dispositif de l'arrêt 9C_119/2018 du 4 avril 2018 est réformé comme suit : 
 
"2. Le recours en matière de droit public est admis. L'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, du 21 décembre 2017 et la décision sur opposition de la Caisse cantonale genevoise de compensation du 15 juin 2017 sont annulés. La cause est renvoyée à la Caisse cantonale genevoise de compensation pour qu'elle rende une nouvelle décision sur le montant du droit à la rente de veuf au-delà du 31 mars 2016 ainsi que sur les paiements rétroactifs y relatifs, avec intérêts moratoires." 
 
3.  
Il n'est pas prélevé de frais judiciaires pour la procédure de révision. 
 
4.  
L'intimée versera au requérant la somme de 2'800 fr. à titre de dépens pour la procédure de révision devant le Tribunal fédéral. 
 
5.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral des assurances sociales. 
 
 
Lucerne, le 17 octobre 2023 
 
Au nom de la IIIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Parrino 
 
Le Greffier : Bleicker