7B_44/2023 24.08.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
7B_44/2023  
 
 
Arrêt du 24 août 2023  
 
IIe Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Abrecht, Président, 
Koch et Hofmann. 
Greffière : Mme Kropf. 
 
Participants à la procédure 
A.________ AG, 
représentée par Me Clara Poglia, avocate, 
recourante, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy. 
 
Objet 
Procédure pénale; levée de scellés, 
 
recours contre l'ordonnance du Tribunal des mesures de contrainte de la République et canton de Genève du 7 février 2023 (P/11842/2017-15; STMC/4/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Depuis le 7 juin 2017, le Ministère public de la République et canton de Genève (ci-après : le Ministère public) mène une instruction contre la banque A.________ AG pour une éventuelle responsabilité pénale fondée sur les art. 305bis et 102 al. 2 CP en raison d'un défaut d'organisation en lien avec les détournements reprochés à l'un de ses anciens conseillers clientèle (cause P/11842/2017). 
 
B.  
 
B.a. Au cours de cette instruction, la banque A.________ AG a demandé à différentes reprises l'apposition de scellés sur des documents remis au Ministère public par elle-même ou par l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (ci-après : FINMA) et différentes décisions en la matière ont été rendues.  
En particulier, le 13 décembre 2019 (cause STMC_1), le Tribunal des mesures de contrainte de la République et canton de Genève 
(ci-après : Tmc) a levé les scellés apposés sur le rapport dit "B.________" du 6 avril 2017 (ci-après : rapport B.________). Cette ordonnance a été confirmée le 19 juin 2020 par le Tribunal fédéral (cause 1B_59/2020). Le 14 juillet 2022, le Tribunal fédéral a également rejeté le recours formé par la banque A.________ AG contre le versement au dossier pénal de ce rapport dans une version caviardée (causes 1B_53/2022, 1B_55/2022, 1B_63/2022 et 1B_90/2022). 
 
B.b. Le 26 septembre 2022, le Ministère public a requis de la FINMA la production de la "décision d'enforcement" rendue le 3 septembre 2018 (ci-après : la décision FINMA). A la suite de la requête de mise sous scellés déposée le 27 septembre 2022 par la banque A.________ AG, les scellés ont été apposés le 4 octobre 2022.  
Le 19 octobre 2022, le Ministère public a saisi le Tmc d'une demande de levée des scellés. 
Par ordonnance du 7 février 2023 (cause STMC/4/2023), le Tmc a constaté l'utilité pour la procédure de la décision FINMA du 3 septembre 2018 (ch. 1 du dispositif) et a ordonné la levée des scellés sur ce document (ch. 2). Il a déclaré que la décision FINMA ne serait remise au Ministère public qu'à l'issue du délai pour recourir au Tribunal fédéral et que s'il y avait un tel recours, elle le serait selon la décision prise par cette dernière autorité (ch. 3). 
 
C.  
Par acte du 13 mars 2023, la banque A.________ AG forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cette ordonnance, en concluant principalement à sa réforme dans le sens du maintien intégral des scellés et de la restitution immédiate en sa faveur, respectivement à la FINMA, du document placé sous scellés ("décision FINMA"). A titre subsidiaire, elle demande l'annulation de l'ordonnance entreprise et le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants. Préalablement, la recourante sollicite l'octroi de l'effet suspensif. 
Le Ministère public s'en est remis à justice s'agissant de l'effet suspensif. L'autorité précédente a fait de même et, sur le fond, a conclu au rejet du recours, maintenant les termes de son ordonnance. Par ordonnance du 28 mars 2023, le Juge présidant de la Ire Cour de droit public du Tribunal fédéral a admis la requête d'effet suspensif. 
Le 17 mai 2023, la recourante a demandé la suspension de la procédure au motif que le Ministère public avait annoncé, dans son avis de prochaine clôture du 12 mai 2023, qu'il entendait classer la procédure. Invité à se déterminer, le Tmc s'en est remis à justice. Quant au Ministère public, il a conclu au rejet de la requête. Le 25 mai 2023, le Juge présidant de la Ire Cour de droit public a rejeté la requête de suspension. 
Le 3 juillet 2023, les parties ont été informées de la reprise de la cause par la IIe Cour de droit pénal. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 149 IV 9 consid. 2). 
 
1.1. Conformément à l'art. 393 al. 1 let. c CPP, un recours n'est ouvert contre les ordonnances du Tmc que dans les cas prévus par ledit code (cf. art. 380 CPP). Aux termes de l'art. 248 al. 3 let. a CPP, cette autorité statue définitivement sur la demande de levée des scellés au stade de la procédure préliminaire. Le code ne prévoit pas de recours cantonal contre les décisions rendues par le Tmc dans le cadre de la procédure de levée des scellés. La voie du recours en matière pénale au Tribunal fédéral est ainsi en principe directement ouverte contre de tels prononcés (art. 80 al. 2 in fine LTF; ATF 143 IV 462 consid. 1; arrêt 1B_635/2022 du 15 juin 2023 consid. 2.1).  
 
1.2. L'ordonnance entreprise ne met pas un terme à la procédure pénale. Elle a donc un caractère incident. Dans une telle situation, le recours au Tribunal fédéral n'est ouvert qu'en présence d'un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, l'art. 93 al. 1 let. b LTF n'étant généralement pas applicable en matière pénale (ATF 144 IV 127 consid. 1.3; 143 IV 462 consid. 1).  
En ce domaine, le préjudice irréparable se rapporte à un dommage de nature juridique qui ne puisse pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision favorable au recourant (ATF 147 IV 188 consid. 1.3.2; 144 IV 127 consid. 1.3.1). 
 
1.2.1. Une décision de levée des scellés est en principe susceptible de causer un préjudice irréparable lorsque, selon le recourant, la levée des scellés porterait atteinte à des secrets protégés (ATF 143 IV 462 consid. 1; 140 IV 28 consid. 4.3.6; arrêt 1B_635/2022 du 15 juin 2023 consid. 2.3); tel peut être le cas lorsqu'un secret commercial ou d'affaires au sens de l'art. 162 CP est invoqué par le détenteur des pièces litigieuses (arrêt 1B_477/2021 du 22 mars 2022 consid. 1.2 et les arrêts cités).  
En procédure pénale, le secret des affaires ou un secret au sens de l'art. 162 CP ne bénéficie toutefois pas de la même protection que les secrets professionnels ou de fonction visés par les art. 170 et 171 CPP. Selon l'art. 173 al. 2 1re phrase CPP, les détenteurs d'autres secrets protégés par la loi sont en effet tenus de déposer. Ils peuvent en être dispensés lorsqu'ils rendent vraisemblable que l'intérêt au maintien du secret l'emporte sur l'intérêt à la manifestation de la vérité (cf. art. 173 al. 2 2e phrase CPP; ATF 145 IV 273 consid. 3.3 p. 277; arrêt 1B_477/2021 du 22 mars 2022 consid. 1.2.1 et les arrêts cités). 
 
1.2.2. Il appartient généralement au juge du fond de rendre une décision sur l'exploitabilité d'un moyen de preuve, ainsi que de procéder à son appréciation, eu égard notamment aux questions en lien avec les faits et la culpabilité; l'interdiction d'utilisation des éléments de preuves prétendument obtenus de manière contraire aux art. 140 et 141 CPP - qui impose, le cas échéant, la restitution ou le retrait du dossier des moyens de preuve concernés - n'entre en considération, au cours de la procédure préliminaire de levée des scellés (art. 248 al. 3 let. a CPP), que si l'illicéité est manifeste (ATF 143 IV 387 consid. 4.4; 142 IV 207 consid. 9.8; arrêt 1B_443/2018 du 28 janvier 2019 consid. 1.2). Ce renvoi à un stade ultérieur de la procédure peut d'autant plus s'imposer s'agissant du droit de ne pas s'auto-incriminer, puisque celui-ci ne vise en soi pas à éviter que des documents contenant des secrets dignes de protection soient portés à la connaissance des autorités pénales, mais à empêcher que des éléments de preuve obtenus en violation de ce principe servent à fonder l'accusation, respectivement une condamnation (arrêt 1B_59/2020 du 19 juin 2020 consid. 7.2 et la référence citée; voir également KATIA VILLARD, Levée de scellés sur un rapport d'enquête interne établi par la FINMA, publié le 13 juin 2023 par le Centre de droit bancaire et financier, https://cdbf.ch/1292/, p. 2, qui rappelle qu'à compter de l'entrée en vigueur au 1er janvier 2024 de la révision du CPP, le droit de ne pas s'auto-incriminer ne sera plus un motif pour obtenir la mise sous scellés).  
Au demeurant, cette problématique qui relève de l'administration des preuves ne cause en principe aucun préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF justifiant l'entrée en matière au Tribunal fédéral - sous réserve des exceptions admises par la jurisprudence -, dès lors que ce grief peut être renouvelé jusqu'à la clôture définitive de la procédure (art. 93 al. 1 let. a LTF; ATF 144 IV 127 consid. 1.3.1; arrêts 7B_1/2023 du 18 juillet 2023 consid. 1.1; 1B_59/2020 du 19 juin 2020 consid. 7.2). 
 
1.2.3. En tout état de cause, il appartient à celui qui a demandé la mise sous scellés de démontrer, de manière suffisante, l'existence du secret invoqué (cf. art. 42 al. 2 LTF; ATF 147 IV 453 consid. 1.4.8; 145 IV 273 consid. 3.2; arrêt 1B_426/2022 du 29 novembre 2022 consid. 1.2) ou l'intérêt privé prépondérant au maintien du secret dont il se prévaut (ATF 145 IV 273 consid. 3.3).  
Du reste, il incombe, d'une manière générale, au recourant d'alléguer les faits qu'il considère comme propres à fonder sa qualité pour recourir et ceux permettant de démontrer l'existence d'un préjudice irréparable lorsque celui-ci n'est pas d'emblée évident (cf. art. 42 al. 2 LTF; ATF 148 IV 155 consid. 1.1; 141 IV 284 consid. 2.3; arrêt 1B_426/2022 du 29 novembre 2022 consid. 1.2). 
 
1.2.4. La banque recourante se prévaut du secret des affaires pour démontrer la recevabilité de son recours (cf. ch. 1.2 p. 4 du recours). Cela étant, elle ne saurait en principe se prévaloir d'un tel secret pour s'opposer au versement au dossier du document sous scellés, dès lors qu'elle est mise en cause dans la procédure pénale en cours; il lui est ainsi reproché de n'avoir pas pris, dans le cadre de ses activités, toutes les mesures d'organisation raisonnables et nécessaires pour empêcher des actes de blanchiment d'argent (art. 102 al. 2 et 305bis CP; arrêt 1B_282/2021 du 23 novembre 2021 consid. 2.3 et 5.2 et les arrêts cités).  
L'existence d'un préjudice irréparable en raison d'une atteinte à un secret des affaires est d'autant moins manifeste que le Tmc a enjoint au Ministère public de caviarder les éléments de la décision FINMA correspondant à ceux bénéficiant de cette mesure dans le rapport B.________ notamment pour ce même motif (cf. consid. 3 p. 8 de l'ordonnance entreprise; voir les arrêts 1B_59/2020 du 19 juin 2020 consid. 6 et 1B_53/2022 du 14 juillet 2022 spécialement consid. 2.3.2). Si la recourante semble soutenir que ce caviardage n'empêcherait pas la divulgation de données "hautement confidentielles" (cf. en particulier let. b p. 16 de son recours), elle ne fait cependant état, devant le Tribunal fédéral, d'aucune référence précise à la décision FINMA qui viendrait étayer ses affirmations, notamment quant à l'insuffisance de la mesure de protection déjà ordonnée. 
Faute de démonstration, un préjudice irréparable ne résulte en l'espèce pas d'une éventuelle atteinte au secret des affaires. 
 
1.2.5. La recourante ne développe, à juste titre, aucune argumentation visant à démontrer l'existence d'un préjudice irréparable en raison de la violation invoquée, au fond, de son droit de pas s'auto-incriminer (cf. ch. 1.2 p. 4 s. du recours [recevabilité] et ch. 3.3. p. 9 ss du recours [grief au fond]).  
En effet, ainsi que l'a retenu l'autorité précédente, la violation alléguée n'est pas manifeste dans le présent cas et la recourante ne subit donc aucun préjudice qu'aucune décision ultérieure ne serait à même de réparer. Il n'appartient dès lors pas à l'autorité saisie d'une problématique de scellés d'entrer en matière sur cette question, mais au juge du fond. Cette conclusion découle tout d'abord de la nature du document litigieux et de la procédure ayant abouti à son obtention : il ne s'agit ainsi pas d'un document établi par la recourante - antérieurement ou au cours de la procédure administrative -, mais d'une décision rendue par une autorité; celle-ci n'a pas non plus été obtenue à la suite d'une mesure de contrainte visant la recourante, mais dans le cadre de l'entraide entre autorités (arrêt 1B_547/2018 du 15 janvier 2019 consid. 1.2), configuration qui ne saurait donc sans autre élément conduire nécessairement à l'apposition des scellés dans le cadre pénal (cf. art. 194 CPP; arrêts 1B_243/2021 du 20 décembre 2021 consid. 3.7; 1B_49/2021 du 14 décembre 2021 consid. 5.8; 1B_268/2019 du 25 novembre 2019 consid 2), a fortiori à leur maintien. 
A ces premières considérations s'ajoute le fait que si la recourante soutient en substance que la violation alléguée découlerait des pièces fondant le raisonnement retenu dans la décision FINMA, il a été constaté dans l'arrêt 1B_59/2020 du 19 juin 2020 la concernant qu'il n'était pas démontré que le rapport B.________ résulterait - exclusivement - des pièces produites par la banque recourante sous la menace de sanctions pénales en violation manifeste de son droit de ne pas s'auto-incriminer (cf. consid. 7.2 de l'arrêt précité). Une telle appréciation s'impose également dans la présente cause où la banque recourante ne fait toujours aucune énumération des documents qui auraient été produits - respectivement créés spécialement pour la procédure administrative - sous la menace de sanctions pénales, notamment à la suite de l'ordonnance du 10 mars 2016 (cf. ch. 3.3.3 p. 13 du recours; voir au demeurant les considérations déjà émises en lien avec ce prononcé dans l'arrêt 1B_59/2020 du 19 juin 2020 consid. 7.2), ou des éléments requis qui n'auraient pas fait partie des informations qu'elle était tenue d'établir ou de conserver en vertu de ses obligations découlant de la législation en matière de lutte contre le blanchiment (ATF 142 IV 207 consid. 7.1.4 et 8.18.3 voir également arrêt de la Cour e uropéenne des droits de l'homme De Légé c. les Pays-Bas, requête n° 58342/15, du 4 octobre 2022, § 74 ss). Elle ne soutient en tout état de cause pas n'avoir pas pu, dans ce cadre particulier, faire valoir son droit de ne pas s'auto-incriminer en refusant en particulier de déposer (cf. notamment arrêts 1B_92/2023 du 11 mai 2023 consid. 5.5; 1B_59/2020 du 19 juin 2020 consid. 7.2), possibilité pratique qui ne semble pas contestée (voir par exemple VILLARD, op. cit., p. 2).  
Faute de violation manifeste du principe précité, la recourante ne subit aucun préjudice irréparable justifiant l'entrée en matière sur ce grief à ce stade de la procédure. 
 
2.  
Il s'ensuit que le recours doit être déclaré irrecevable. 
 
La recourante, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est irrecevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, fixés à 3'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué à la mandataire de la recourante, au Ministère public de la République et canton de Genève et au Tribunal des mesures de contrainte de la République et canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 24 août 2023 
 
Au nom de la IIe Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Abrecht 
 
La Greffière : Kropf