1C_607/2022 14.06.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_607/2022  
 
 
Arrêt du 14 juin 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Chaix et Haag. 
Greffière : Mme Tornay Schaller. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représentée par Me François Gillard, avocat, 
recourante, 
 
contre 
 
Secrétariat d'Etat aux migrations, 
Quellenweg 6, 3003 Berne. 
 
Objet 
Annulation de la naturalisation facilitée, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal administratif fédéral, Cour VI, du 12 octobre 2022 (F-124/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________, ressortissante marocaine née en 1986, s'est mariée au Maroc en 2010 avec B.________, ressortissant suisse né en 1959, qu'elle avait rencontré sur Internet. A la suite de cette union, elle s'est vu octroyer une autorisation de séjour pour regroupement familial et est entrée en Suisse le 5 avril 2011. 
Le 19 mars 2012, B.________ a introduit une requête de mesures protectrices de l'union conjugale, laquelle a débouché sur une convention, selon laquelle les époux ont décidé de vivre séparément pour une durée indéterminée. 
Par décision du 19 mars 2013, le Service de la population du canton de Vaud a révoqué l'autorisation de séjour de l'intéressée, en l'assortissant d'une décision de renvoi de la Suisse. Cette décision a été confirmée par le Tribunal cantonal du canton de Vaud puis par le Tribunal fédéral. Le 14 novembre 2013, le divorce de l'intéressée d'avec B.________a été prononcé. 
 
B.  
En avril 2014, la prénommée a sollicité l'octroi d'une nouvelle autorisation de séjour, désirant continuer à vivre auprès de son nouveau concubin, C.________, ressortissant suisse né en 1983. Cette requête a été jugée irrecevable par le Service de la population du canton de Vaud, le 5 mai 2014. 
Le 10 octobre 2014, A.________ a épousé C.________. A la suite de ce mariage, le Service de la population a annulé sa décision du 5 mai 2014. 
 
C.  
Le 11 décembre 2017, A.________ a introduit une demande de naturalisation facilitée. Dans le cadre de cette demande, elle a certifié, le 7 août 2019, vivre à la même adresse que son époux, non séparée, sous la forme d'une communauté conjugale effective et stable, et n'avoir aucune intention de se séparer ou de divorcer. 
Par décision du 20 août 2019, entrée en force le 21 septembre 2019, l'intéressée a été mise au bénéfice d'une naturalisation facilitée. 
 
D.  
Informé le 11 août 2020 par l'Office de la population de Vevey de la séparation des époux enregistrée le 31 juillet 2020, le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) a informé A.________ que cette situation l'amenait à examiner s'il y avait lieu d'annuler la naturalisation facilitée. 
En août 2020, A.________ a débuté une relation avec un ressortissant algérien né en 1974 et titulaire d'une autorisation d'établissement en Suisse, avec lequel elle a eu un fils né le 7 juin 2021. 
Le 6 mai 2021, le divorce du couple a été prononcé. 
Après avoir donné l'occasion à A.________ ainsi qu'à son ex-époux de se déterminer sur les circonstances de leur mariage et de leur divorce, le SEM a, par décision du 23 novembre 2021, prononcé l'annulation de la naturalisation facilitée accordée à la prénommée et à son fils. 
 
E.  
Par arrêt du 12 octobre 2022, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours déposé par A.________ contre cette décision. 
 
F.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande principalement au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 12 octobre 2022 et la décision du 23 novembre 2021 et de dire que la naturalisation facilitée n'est pas annulée. Elle conclut subsidiairement au renvoi de la cause au SEM pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants. Elle requiert aussi l'assistance judiciaire. 
Invité à se déterminer, le Tribunal administratif fédéral a renoncé à prendre position tandis que le SEM a observé que le recours ne contenait aucun élément prouvant une violation du droit fédéral ou l'établissement inexact des faits. La recourante s'est spontanément déterminée le 16 janvier 2023. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Dirigé contre la décision du Tribunal administratif fédéral qui confirme l'annulation de la naturalisation facilitée accordée à la recourante, le recours est recevable comme recours en matière de droit public (art. 82 let. a et 86 al. 1 let. a LTF). Le motif d'exclusion de l'art. 83 let. b LTF n'entre pas en ligne de compte, dès lors qu'il s'agit en l'espèce de la naturalisation facilitée et non pas de la naturalisation ordinaire. Pour le surplus, la recourante a la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF et les conditions formelles de recevabilité sont remplies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière. 
 
2.  
A teneur de l'art. 99 LTF, aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente. La lettre de l'ex-époux datée du 11 janvier 2023, produite par la recourante, est postérieure à l'arrêt attaqué. Il s'agit donc d'un vrai novum, qui échappe à la cognition du Tribunal fédéral (ATF 143 V 19 consid. 1.2). Il n'en sera par conséquent pas tenu compte.  
 
3.  
La recourante conteste avoir obtenu la naturalisation par des déclarations mensongères et estime que les juges précédents ont violé le droit fédéral en retenant qu'elle n'était pas parvenue à rendre vraisemblable la survenance d'un événement extraordinaire (postérieur à sa naturalisation), de nature à entraîner une rupture rapide du lien conjugal. Elle se plaint aussi à cet égard d'une constatation manifestement inexacte des faits. Les griefs de fond et de forme se confondent, de sorte qu'il y a lieu de les traiter ensemble. 
 
3.1. Conformément à l'art. 36 al. 1 LN, le SEM peut annuler la naturalisation ou la réintégration obtenue par des déclarations mensongères ou par la dissimulation de faits essentiels.  
Pour qu'une naturalisation facilitée soit annulée, il ne suffit pas qu'elle ait été accordée alors que l'une ou l'autre de ses conditions n'était pas remplie; il faut qu'elle ait été acquise grâce à un comportement déloyal et trompeur. S'il n'est point besoin que ce comportement soit constitutif d'une escroquerie au sens du droit pénal, il est nécessaire que l'intéressé ait donné sciemment de fausses informations à l'autorité ou qu'il l'ait délibérément laissée dans l'erreur sur des faits qu'il savait essentiels (ATF 140 II 65 consid. 2.2; arrêt 1C_442/2022 du 16 janvier 2023 et les arrêts cités). Tel est notamment le cas si le requérant déclare vivre en communauté stable avec son conjoint alors qu'il envisage de se séparer une fois obtenue la naturalisation facilitée; peu importe que son mariage se soit ou non déroulé jusqu'ici de manière harmonieuse (arrêts 1C_272/2009 du 8 septembre 2009 consid. 3.1, in SJ 2010 p. 69; 1C_428/2022 du 7 mars 2023 consid. 4.1.1). 
La nature potestative de l'art. 36 LN confère une certaine liberté d'appréciation à l'autorité compétente, qui doit toutefois s'abstenir de tout abus dans l'exercice de celle-ci. Commet un abus de son pouvoir d'appréciation l'autorité qui se fonde sur des critères inappropriés, ne tient pas compte de circonstances pertinentes ou rend une décision arbitraire, contraire au but de la loi ou non conforme au principe de la proportionnalité (arrêt 1C_442/2022 du 16 janvier 2023 consid. 4.1.1; pour la jurisprudence rendue en application de l'art. 41 al. 1 aLN, cf. notamment arrêt 1C_601/2017 du 1 er mars 2018 consid. 3.1.1).  
D'après la jurisprudence, la notion de communauté conjugale (art. 27 al. 1 let. c aLN) - respectivement d'union conjugale selon le nouveau droit (cf. art. 21 al. 2 let. a LN) - suppose non seulement l'existence formelle d'un mariage, mais encore une véritable communauté de vie des conjoints; tel est le cas s'il existe une volonté commune et intacte de ceux-ci de maintenir une union conjugale stable; une séparation survenue peu après l'octroi de la naturalisation constitue un indice de l'absence de cette volonté lors de l'obtention de la citoyenneté suisse (ATF 135 II 161 consid. 2; 128 II 97 consid. 3a). 
 
3.2. La procédure administrative fédérale est régie par le principe de la libre appréciation des preuves (art. 40 de la loi fédérale de procédure civile fédérale du 4 décembre 1947 [PCF; RS 273] applicable par renvoi de l'art. 19 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 [PA; RS 172.021]). Ce principe vaut également devant le Tribunal administratif fédéral (art. 37 de la loi fédérale sur le Tribunal administratif fédéral du 17 juin 2005 [LTAF; RS 173.32]). L'administration supporte le fardeau de la preuve lorsque la décision intervient, comme en l'espèce, au détriment de l'administré. Cela étant, la jurisprudence admet dans certaines circonstances que l'autorité puisse se fonder sur une présomption. C'est notamment le cas pour établir que le conjoint naturalisé a menti lorsqu'il a déclaré former une union stable, dans la mesure où il s'agit d'un fait psychique lié à des éléments relevant de la sphère intime, souvent inconnus de l'administration et difficiles à prouver (ATF 135 II 161 consid. 3). Partant, si l'enchaînement rapide des événements fonde la présomption de fait que la naturalisation a été obtenue frauduleusement, il incombe alors à l'administré de renverser cette présomption en raison non seulement de son devoir de collaborer à l'établissement des faits (art. 13 PA; ATF 135 II 161 consid. 3), mais encore de son propre intérêt (ATF 130 II 482 consid. 3.2). Par enchaînement rapide des événements, la jurisprudence entend une période de plusieurs mois, voire d'une année, mais ne dépassant pas deux ans (arrêt 1C_442/2022 du 16 janvier 2023 consid. 4.1.2).  
S'agissant d'une présomption de fait, qui ressortit à l'appréciation des preuves et ne modifie pas le fardeau de la preuve (cf. ATF 135 II 161 consid. 3 p. 166), l'administré n'a pas besoin, pour la renverser, de rapporter la preuve contraire du fait présumé, à savoir faire acquérir à l'autorité la certitude qu'il n'a pas menti; il suffit qu'il parvienne à faire admettre l'existence d'une possibilité raisonnable qu'il n'ait pas menti en déclarant former une communauté stable avec son conjoint. Il peut le faire en rendant vraisemblable, soit la survenance d'un événement extraordinaire susceptible d'expliquer une détérioration rapide du lien conjugal, soit l'absence de conscience de la gravité de ses problèmes de couple et, ainsi, l'existence d'une véritable volonté de maintenir une union stable avec son conjoint lorsqu'il a signé la déclaration (ATF 135 II 161 consid. 3 et les arrêts cités). 
 
3.3. En l'espèce, le Tribunal administratif fédéral a considéré que le court laps de temps séparant la signature de la déclaration commune (7 août 2019), l'octroi de la naturalisation facilitée (21 septembre 2019) et la séparation officielle des époux (31 juillet 2020) était de nature à fonder la présomption de fait selon laquelle, au moment de la signature de la déclaration commune, la communauté conjugale des époux n'était plus stable et orientée vers l'avenir.  
La recourante ne discute pas cette présomption de fait. Les éléments précités sont d'ailleurs propres à fonder la présomption que la naturalisation a été obtenue frauduleusement, la séparation des époux étant intervenue dix mois seulement après l'octroi de la naturalisation facilitée (cf. notamment arrêt 1C_82/2018 du 31 mai 2018 consid. 4.3 et les arrêts cités). 
Conformément à la jurisprudence précitée, il s'agit donc uniquement de déterminer si l'intéressée est parvenue à renverser cette présomption en rendant vraisemblable, soit la survenance d'un événement extraordinaire susceptible d'expliquer une dégradation aussi rapide du lien conjugal, soit l'absence de conscience de la gravité des problèmes de couple au moment de la signature de la déclaration commune. 
 
3.4. La recourante reconnaît que la stérilité de son ex-époux ainsi que sa forte dépendance à l'alcool (préexistante à la conclusion du mariage) étaient déjà connues en 2019, au moment de la signature de la déclaration commune. Pour expliquer une soudaine dégradation du lien conjugal dix mois seulement après l'octroi de la naturalisation, la recourante se contente d'abord de mentionner qu'au printemps 2020 alors que la pandémie de COVID-19 avait commencé à frapper, elle s'était retrouvée isolée au Maroc et qu'elle ne s'était pas sentie soutenue par son mari à cette époque-là. Nonobstant le fait que cet élément ne permet pas d'établir qu'en août 2019, au moment de la signature de la déclaration commune, l'harmonie existait toujours au sein du couple au point d'envisager la continuation de leur vie maritale pour une période durable, la recourante ne répond pas à l'argumentation convaincante du Tribunal administratif fédéral qui a expliqué pour quelle raison le manque d'engagement de son ex-mari pour la faire rapatrier du Maroc au printemps 2020 ne pouvait avoir un caractère extraordinaire susceptible d'expliquer la dégradation rapide des liens conjugaux: ce n'était pas en raison de la prétendue inaction de son ex-mari qu'elle n'avait pas pu rentrer rapidement en Suisse, mais à cause d'une erreur de sa part, ayant indiqué une mauvaise adresse e-mail sur la liste de rapatriement du DFAE; s'ajoutait à cela que la recourante n'avait pas réintégré le domicile conjugal à son retour du Maroc le 16 juillet 2020, allant jusqu'à omettre d'informer son ex-époux de sa présence en Suisse et ne le contactant que le 31 juillet 2020 pour lui annoncer leur séparation officielle; de plus, la recourante exposait avoir immédiatement après le 31 juillet 2020 entretenu une relation sentimentale avec son nouveau compagnon, avec lequel elle avait conçu un enfant moins de trois mois plus tard. Le Tribunal administratif fédéral pouvait donc, sans violer l'art. 36 al. 1 LN, considérer que le manque d'engagement de l'ex-mari pour faire rapatrier la recourante du Maroc au printemps 2020 ne saurait constituer un événement extraordinaire susceptible d'expliquer une détérioration rapide du lien conjugal.  
La recourante prétend aussi que le refus de son ex-époux d'entamer un processus de procréation médicalement assistée malgré un accord préalable (impliquant l'abandon du projet d'avoir un enfant) serait un événement extraordinaire ayant conduit à la séparation. Il ressort cependant des déclarations de l'ex-époux qu'il avait annulé le rendez-vous dans un centre de procréation médicalement assistée à la suite d'une dispute car "pour un tel rendez-vous, le couple doit s'y présenter dans une parfaite harmonie, ce qui n'était pas le cas ce jour-là". L'instance précédente a démontré à cet égard de manière pertinente que cet élément apparaissait davantage comme un motif supplémentaire qui venait s'ajouter aux nombreuses tensions du couple que comme une raison expliquant la fin subite de la vie d'un couple marié depuis de nombreuses années, sauf à considérer que leur union n'était pas stable. La recourante a en effet souligné à plusieurs reprises avoir toléré la consommation excessive d'alcool de son ex-époux durant leur mariage, indiquant par-là avoir difficilement vécu la situation. Elle ne conteste d'ailleurs pas que le couple a peu communiqué lorsqu'elle s'est retrouvée bloquée au Maroc malgré une dispute non résolue survenue la veille de son départ, voire s'est séparé au printemps 2020 sans tentative de conciliation. On constate dès lors, avec le Tribunal administratif fédéral, que les problèmes conjugaux étaient antérieurs à la signature de la déclaration de vie commune et que la recourante ne pouvait pas en ignorer l'ampleur. 
 
3.5. En définitive, les éléments avancés par la recourante ne suffisent pas à renverser la présomption établie. Par conséquent, les conditions d'application de l'art. 36 LN sont réunies et le Tribunal administratif fédéral n'a pas violé le droit fédéral en confirmant l'annulation de la naturalisation facilitée qui avait été octroyée à la recourante ainsi que celle accordée à son enfant.  
 
4.  
Il s'ensuit que le recours est rejeté. 
Dans la mesure où le recours paraissait d'emblée voué à l'échec, l'assistance judiciaire ne peut être accordée pour la procédure devant le Tribunal fédéral (art. 64 al. 1 et 2 LTF). A titre exceptionnel, il est renoncé à percevoir des frais judiciaires (art. 66 al. 1, 2ème phrase, LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
La demande d'assistance judiciaire est rejetée. 
 
3.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au Secrétariat d'Etat aux migrations et au Tribunal administratif fédéral (Cour VI). 
 
 
Lausanne, le 14 juin 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
La Greffière : Tornay Schaller