2C_107/2023 25.09.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
2C_107/2023  
 
 
Arrêt du 25 septembre 2023  
 
IIe Cour de droit public  
 
Composition 
Mmes les Juge fédérale 
Aubry Girardin, Présidente, Hänni et Ryter. 
Greffier : M. Rastorfer. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représentée par Me Tano Barth, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Office cantonal de l'inspection et des relations 
du travail du canton de Genève, 
rue David-Dufour 5, 1205 Genève, 
intimé. 
 
Objet 
Refus de délivrer une autorisation de séjour 
avec activité lucrative, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de 
la République et canton de Genève, Chambre administrative, du 31 janvier 2023 (ATA/100/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________, ressortissante chinoise née en 1987, est arrivée en Suisse en mars 2015 et a été mise au bénéfice d'une autorisation de séjour pour formation, régulièrement renouvelée jusqu'au 31 décembre 2021.  
Durant son séjour en Suisse, A.________ a suivi des cours de français auprès de l'Ecole B.________ et a obtenu, en 2017, un diplôme d'études en langue française, niveau B1. Après que sa candidature aux programmes de maîtrise en sciences de l'éducation de l'Université de C.________ et de la Haute école pédagogique du canton de D.________ eut été refusée, l'intéressée a été admise au "Master of Advanced Studies in Children's Rights" offert par l'Université de C.________ et a obtenu un certificat de formation continue en droit de l'enfant en septembre 2021. 
Dans sa demande initiale d'autorisation de séjour pour formation, ainsi que dans celles concernant la prolongation de celle-ci, A.________ s'était engagée à quitter la Suisse à la fin de ses études et à retourner en Suisse ou au Canada pour étudier et travailler. 
 
A.b. Le 22 septembre 2021, A.________ a cofondé avec E.________ la société F.________ Sàrl (ci-après: la Société), dont le but est "toute activité de conseil et de représentation en matière commerciale, juridique et financière, ainsi que des services de conseil dans le domaine de l'éducation". Selon l'extrait du registre du commerce, A.________ est associée avec signature individuelle de la Société. E.________ est associé gérant avec signature individuelle de la Société. Chacun détient 50% des parts sociales de celle-ci.  
 
B.  
 
B.a. Le 12 novembre 2021, la Société a déposé une demande d'autorisation de séjour avec activité lucrative en faveur de A.________, qu'elle souhaitait engager en qualité d'associée gérante à compter du 1er janvier 2022 pour un salaire mensuel brut de 6'500 fr. Une annonce avait été publiée sur le marché de l'emploi suisse et européen le 15 novembre 2021, sans qu'aucune des trois candidatures reçues ne soit retenue faute de correspondre au profil de A.________.  
 
B.b. Par décision du 22 décembre 2021, l'Office cantonal de l'inspection des relations du travail du canton de Genève (ci-après : l'Office cantonal) a refusé de délivrer l'autorisation de travail requise par la Société en faveur de A.________, l'admission de cette dernière ne servant pas les intérêts économiques de la Suisse.  
Par jugement du 13 septembre 2022, le Tribunal administratif de première instance du canton de Genève a rejeté le recours interjeté par A.________ contre la décision de l'Office cantonal précitée. 
Par arrêt du 31 janvier 2023, la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a rejeté le recours formé par l'intéressée contre le jugement du 13 septembre 2022 et a confirmé celui-ci. 
 
C.  
Contre l'arrêt de la Cour de justice du 31 janvier 2023, A.________ forme un recours en matière de droit public et un recours constitutionnel subsidiaire auprès du Tribunal fédéral. Elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et à sa réforme en ce sens qu'une autorisation de séjour avec activité lucrative indépendante d'une durée de deux ans est octroyée en sa faveur; subsidiairement, elle demande l'annulation de l'arrêt attaqué et le renvoi de la cause à la Cour de justice pour nouvelle décision. 
La Cour de justice ne formule pas d'observations et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. Le Service cantonal dépose des déterminations et conclut au rejet du recours. La recourante formule des observations finales. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 147 I 89 consid. 1). 
 
1.1. La recourante forme un recours en matière de droit public et un recours constitutionnel subsidiaire. Ce dernier n'étant ouvert que si la voie du recours ordinaire est exclue (art. 113 LTF), il sied d'examiner en premier lieu la recevabilité du recours en matière de droit public  
 
1.2. Selon l'art. 83 let. c ch. 2 LTF, le recours en matière de droit public est irrecevable contre les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit. Selon la jurisprudence, il suffit, sous l'angle de la recevabilité, qu'il existe un droit potentiel à l'autorisation, étayé par une motivation soutenable, pour que cette clause d'exclusion ne s'applique pas et que la voie du recours en matière de droit public soit ouverte. La question de savoir si les conditions d'un tel droit sont effectivement réunies relève du fond (ATF 139 I 330 consid. 1.1).  
 
1.2.1. L'autorisation de séjour avec activité lucrative indépendante réclamée par la recourante est envisagée à l'art. 19 de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers et l'intégration (LEI; RS 142.20). Cette disposition prévoit qu'un étranger "peut", à certaines conditions, être admis à séjourner en Suisse en vue de l'exercice d'une activité lucrative indépendante. En raison de sa formulation potestative, cette norme - comme au demeurant toutes celles qui concernent l'admission en Suisse d'étrangers en vue de l'exercice d'une activité lucrative [art. 18 à 26a LEI]) - ne confère aucun droit à une autorisation de séjour (cf. arrêts 2C_224/2021 du 17 mars 2021 consid. 3; 2C_30/2020 du 14 janvier 2020 consid. 3.1). Le recours en matière de droit public n'est donc pas ouvert contre le refus d'octroi d'une telle autorisation (cf. arrêt 2C_292/2023 du 24 mai 2023 consid. 2.1 et les arrêts cités).  
 
1.2.2. La recourante se prévaut de l'art. 8 al. 3, 2ème phr., Cst., ainsi que des art. 2 let. c et 24 de la Convention du 18 décembre 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDEF; RS 0.108). Selon elle, ces dispositions garantissent un droit à une égalité de fait entre les hommes et les femmes et, par voie de conséquence, un droit à une autorisation de séjour en vue de l'exercice d'une activité lucrative indépendante. En particulier, elle est d'avis que, dans la mesure où la proportion de femmes exerçant des fonctions dirigeantes est notoirement inférieure à celle des hommes, elle aurait droit, afin que l'égalité de fait soit concrétisée, à l'octroi de l'autorisation de séjour sollicitée pour lui permettre d'obtenir le poste d'associée gérante de sa société.  
Selon l'art. 8 al. 3, 2ème phr., Cst., la loi pourvoit à l'égalité de droit et de fait, en particulier dans les domaines de la famille, de la formation et du travail. De jurisprudence constante, cette phrase donne simplement mandat au législateur de concrétiser dans la réalité sociale le principe d'égalité (égalité de fait), sans toutefois conférer des droits justiciables aux particuliers (cf. ATF 137 I 305 consid. 3.1; 131 II 361 consid. 5.2 et les arrêts cités). La recourante ne saurait donc en déduire un quelconque droit à une autorisation de séjour relevant du droit des étrangers, qui plus est pour occuper un poste dans une société qu'elle a elle-même cofondée. 
Il n'en va pas autrement s'agissant des dispositions de la CEDEF que cite la recourante. Les normes de droit international public ne peuvent en effet être invoquées dans des litiges concrets que si elles confèrent des droits de portée individuelle (ou sont "self-executing") (cf. ATF 145 I 308 consid. 3.4.1 et les arrêts cités). Or, la jurisprudence a retenu que l'art. 2 CEDEF était une norme programmatique à l'attention du législateur qui ne conférait, sous l'angle du droit des étrangers, aucun droit potentiel à séjourner en Suisse (cf. arrêt 2C_1001/2021 du 13 décembre 2021 consid. 4.5). Quant à l'art. 24 CEDEF, il traduit l'engagement des Etats d'adopter toutes les mesures nécessaires au niveau national pour mettre en oeuvre leurs obligations découlant de la CEDEF. 
 
1.2.3. Pour le reste, l'intéressée, qui est de nationalité chinoise et qui ne peut donc pas se prévaloir des dispositions de l'accord entre la Confédération suisse, d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681), ne prétend pas - et on ne le voit pas non plus de manière manifeste - que d'autres dispositions de droit fédéral ou international lui conféreraient un droit potentiel à une autorisation de séjour pour activité lucrative indépendante en Suisse.  
 
1.2.4. Il découle de ce qui précède que le recours en matière de droit public est exclu en application de l'art. 83 let. c ch. 2 LTF.  
 
1.3. Reste à examiner la recevabilité du recours constitutionnel subsidiaire également déposé par la recourante (art. 113 LTF).  
 
1.3.1. La qualité pour former un recours constitutionnel subsidiaire suppose un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée (art. 115 let. b LTF). La recourante, qui ne peut se prévaloir d'aucun droit à séjourner en Suisse (cf. supra consid. 1.2), n'a pas une position juridique protégée lui conférant la qualité pour agir au fond sous cet angle (ATF 133 I 185 consid. 6.1).  
Même si elle n'a pas qualité pour agir au fond, elle peut se plaindre par la voie du recours constitutionnel subsidiaire de la violation de ses droits de partie équivalant à un déni de justice formel, pour autant qu'il ne s'agisse pas de moyens ne pouvant être séparés du fond (cf. ATF 146 IV 76 consid. 2). Seuls les griefs de nature formelle qui sont séparés de l'examen de la cause au fond peuvent donc être présentés. La recourante ne peut ainsi ni critiquer l'appréciation des preuves ni, au titre de la violation de son droit d'être entendue, se plaindre du refus d'administrer une preuve résultant de l'appréciation anticipée de celle-ci, puisque de tels griefs supposent nécessairement d'examiner, au moins dans une certaine mesure, le fond du litige lui-même (cf. ATF 136 I 323 consid. 1.2; arrêt 2D_21/2018 du 19 février 2019 consid. 2.4 et les arrêts cités). 
 
1.3.2. Dans la mesure où la recourante invoque l'arbitraire (art. 9 Cst.) pour se plaindre de l'appréciation des faits par la Cour de justice en lien avec l'octroi de l'autorisation de séjour sollicitée, le grief revient à critiquer l'arrêt attaqué sur le fond et est partant irrecevable. Il en va de même en tant qu'elle se prévaut de la violation de son droit d'être entendue (art. 29 al. 2 Cst.) pour se plaindre du refus des juges précédents, au terme d'une appréciation anticipée des preuves, de procéder à des mesures probatoires relatives à l'autorisation de séjour litigieuse. Enfin, dans la mesure où l'intéressée invoque une violation de son droit d'accès au dossier - sans néanmoins prétendre ni encore moins démontrer qu'un tel accès lui aurait été indûment refusé - pour reprocher à la Cour de justice de ne pas avoir ordonné la production d'un procès-verbal de la commission tripartite cantonale, sa critique revient en réalité, sous couvert du droit d'accès au dossier, à s'en prendre à l'appréciation anticipée des preuves par l'autorité précédente et s'avère donc, comme on vient de le voir, également irrecevable.  
 
1.3.3. La recourante se plaint d'arbitraire dans l'application de l'art. 19 LEI respectivement de l'art 18 LEI. Ce faisant, elle perd de vue que ces dispositions ne lui donnent aucun droit à une autorisation de séjour (cf. supra consid. 1.2.1) et, par conséquent, qu'elles ne lui confèrent aucun intérêt juridique protégé au sens de l'art. 115 let. b LTF, de sorte que leur violation, même sous l'angle de l'arbitraire, ne peut pas être soulevée dans le cadre d'un recours constitutionnel subsidiaire (cf. arrêts 2C_1049/2022 du 5 janvier 2023 consid. 5.1; 2C_307/2022 du 26 avril 2022 consid. 5.1 et l'arrêt cité).  
 
1.3.4. En tant que l'intéressée se prévaut ensuite de la violation de l'art. 6 § 1 CEDH au motif que la Cour de justice n'a pas donné suite à sa demande d'audience publique, son grief est irrecevable. En effet, une décision relative au séjour d'un étranger dans un pays ne concerne ni un droit de caractère civil, ni une accusation en matière pénale au sens de l'art. 6 § 1 CEDH, le fait d'invoquer le droit de demeurer en Suisse dans l'optique d'y exercer une activité lucrative indépendante ne suffisant pas à conférer au litige la qualité de droit de caractère civil au sens de l'art. 6 § 1 CEDH (cf. ATF 137 I 128 consid. 4.4.2; arrêt de la CourEDH Mamatkulov Rustam et Askarov Zainiddin contre Turquie, Recueil CourEDH 2005-I p. 225 §§ 82 s.).  
 
1.3.5. La recourante soutient encore avoir un intérêt juridique protégé à la modification de l'arrêt attaqué en ce que ce dernier porterait atteinte à son "droit" à une égalité dans les faits au sens de l'art. 8 al. 3, 2ème phr., Cst. Une fois encore, l'intéressée oublie que, dès lors qu'elle ne peut tirer aucun droit à une autorisation de séjour de cette disposition (cf. supra consid. 1.2.2), elle n'a pas de position juridique protégée au sens de l'art. 115 let. b LTF lui conférant la qualité pour agir au fond.  
 
1.3.6. Enfin, la recourante invoque un déni de justice formel (art. 29 al. 2 Cst.) au motif que la Cour de justice aurait omis de se prononcer sur le grief de discrimination des ressortissants chinois par rapport à d'autres nationalités qu'elle aurait "dûment soulevé devant" cette Cour.  
Si le grief de déni de justice formel est en principe de nature à ouvrir la voie du recours constitutionnel subsidiaire, on relèvera d'emblée que, contrairement à ce que la recourante affirme d'une manière qui confine à la témérité, celle-ci ne s'est à aucun moment, dans son recours cantonal, prévalue au fond d'un grief de discrimination fondée sur la nationalité. Il ressort en effet uniquement du recours précité qu'elle a, devant la Cour de justice, produit un article de presse soutenant que "certaines administrations cantonales sembl[aient] attribuer plus facilement des permis [de travail] à des Américains plutôt qu'à des Chinois, des Russes ou des Mexicains" (art. 105 al. 2 LTF) et qu'elle a, sous cet angle, requis de l'autorité précédente qu'elle procède à des mesures d'instruction pour déterminer si tel était effectivement le cas. La Cour de justice n'a ensuite, par appréciation anticipée des preuves, pas donné suite aux actes d'instruction réclamés. Sous couvert d'un déni de justice formel, c'est donc en réalité l'appréciation anticipée des preuves par les juges précédents que critique la recourante. Or, un tel grief qui suppose un examen au fond est, comme on l'a vu (cf. supra consid. 1.3.1), irrecevable. Pour le reste, contrairement à ce que semble soutenir implicitement la recourante, la Cour de justice n'avait pas à se saisir d'office d'un grief qui n'avait pas été soulevé au fond devant elle. 
 
1.3.7. Il résulte de ce qui précède que, faute de pouvoir se prévaloir d'un intérêt juridique au sens de l'art. 115 let. b LTF, le recours constitutionnel subsidiaire formé par la recourante doit être déclaré irrecevable.  
 
2.  
Le recours en matière de droit public et le recours constitutionnel subsidiaire déposés par la recourante étant irrecevables, celle-ci doit supporter les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 1 et 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours en matière de droit public est irrecevable. 
 
2.  
Le recours constitutionnel subsidiaire est irrecevable. 
 
3.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, à l'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail du canton de Genève, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, ainsi qu'au Secrétariat d'Etat aux migrations. 
 
 
Lausanne, le 25 septembre 2023 
 
Au nom de la IIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : F. Aubry Girardin 
 
Le Greffier : H. Rastorfer