145 II 303
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Chapeau

145 II 303


28. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause X. contre Ville de Genève, Département de la culture et du sport (recours en matière de droit public)
2C_569/2018 du 27 mai 2019

Regeste

Gestion de théâtres municipaux genevois; transfert de monopole communal au sens de l'art. 2 al. 7 LMI; droit à une décision.
Demande d'un candidat éconduit, fondée notamment sur la loi fédérale sur le marché intérieur, d'obtenir une décision en lien avec la nomination, par la Ville de Genève, des directions chargées de la gestion de deux théâtres municipaux pour plusieurs saisons. Refus de la Ville de Genève, confirmé par la Cour de justice (consid. 5).
En confiant la gestion de deux de ses théâtres municipaux à des directions externes privées, la Ville de Genève a effectué un transfert de monopole communal au sens de l'art. 2 al. 7 LMI. Du fait de sa maîtrise exclusive sur les locaux, qui font partie de son patrimoine administratif, la Ville de Genève est en effet dans une situation de monopole de fait par rapport à l'activité de gestion de ces théâtres. La désignation des directions devait par conséquent faire l'objet d'une décision attaquable (consid. 6).

Faits à partir de page 304

BGE 145 II 303 S. 304

A.

A.a La Ville de Genève est propriétaire du Théâtre du Grütli, un espace destiné à la création professionnelle indépendante, et du Théâtre de l'Orangerie, qui accueille durant la période estivale des manifestations artistiques publiques dans le domaine des arts de la scène.

A.b En avril 2017, le Département de la culture et du sport de la Ville de Genève (ci-après: le Département) a mis au concours, pour une durée de trois ans renouvelable une fois à compter du 1er juillet 2018, la direction du Théâtre du Grütli, en indiquant qu'une convention de subventionnement et une convention de mise à disposition des locaux seraient conclues avec la direction choisie, qui serait chargée de la programmation, de la gestion et de l'animation (cf. art. 105 al. 2 LTF).
X. et A. ont déposé leur candidature pour une "direction conjointe". Par courrier du 6 juillet 2017, le Conseiller administratif en charge du Département (ci-après: le Conseiller administratif) leur a annoncé que leur candidature n'avait pas été retenue.
Le 29 août 2017, la Ville de Genève a annoncé la "nomination" de B. et C. à la direction. Par la suite, la Ville de Genève, soit pour elle le Département, a conclu avec l'Association Le Grütli-Centre de production et de diffusion des Arts vivants, dénommée "Le Théâtre du Grütli", créée le 9 décembre 2017 pour gérer le Théâtre du Grütli (cf. art. 105 al. 2 LTF), une "convention de subventionnement pour les années 2018-2021" (trois saisons), renouvelable une fois. Il y est notamment prévu que la Ville de Genève s'engage à verser à l'Association une aide financière pour les trois saisons (art. 18) et met à
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disposition les locaux, par le biais d'un contrat de prêt à usage (art. 19). L'Association, autonome quant au choix de son programme artistique et culturel (art. 17), s'engage pour sa part à mettre en oeuvre le projet artistique et culturel développé en annexe (art. 5), ainsi qu'à respecter différentes obligations, notamment en lien avec les tarifs qu'elle pratique (art. 6 à 10). La gestion du personnel est confiée à l'Association, mais la convention réserve la "nomination de la direction" par la Ville (art. 11; cf. aussi art. 14 des statuts de l'Association) (cf. art. 105 al. 2 LTF).

A.c A la mi-juin 2017, le Département a mis au concours, pour trois saisons à partir de l'été 2018, la direction du Théâtre de l'Orangerie.
X. et A. ont déposé leur candidature pour une "direction conjointe". Le 8 septembre 2017, le Service culturel du Département les a informés que leur candidature n'avait pas été retenue.
Le 12 septembre 2017, la Ville de Genève a annoncé que D. avait été nommé à la direction du Théâtre de l'Orangerie. Par la suite, la Ville de Genève a conclu avec l'Association du Théâtre de l'Orangerie, dénommée le "Théâtre de l'Orangerie", une "convention de subventionnement pour les années 2018-2020", au contenu similaire à celle conclue avec l'Association le Théâtre du Grütli (cf. art. 105 al. 2 LTF).

B. Par courrier du 28 septembre 2017 adressé au Conseiller administratif, X., agissant seul, a "contest[é] le processus de nomination à la tête des deux théâtres et demand[é] l'annulation des nominations auxquelles la procédure a[vait] abouti". Il dénonçait sept dysfonctionnements dans le processus de sélection et sollicitait du magistrat qu'il rende une décision examinant la conformité au droit comme l'opportunité des décisions prises et constatant la violation de ses droits fondamentaux.
Par courrier du 3 novembre 2017, le Conseiller administratif a contesté l'existence des dysfonctionnements évoqués, tout en indiquant qu'il ne lui appartenait pas de rendre une décision. Le 10 novembre 2017, X. a mis en demeure le Conseiller administratif de rendre une décision, ce que celui-ci a refusé par réponse du 20 novembre 2017.
Le 5 décembre 2017, X. a saisi la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Cour de justice), en se plaignant du refus du Conseiller administratif de rendre une décision. Par arrêt du 22 mai 2018, la Cour de justice, après avoir laissé ouverte la question de la qualité pour recourir de
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X., a rejeté le recours dans la mesure de sa recevabilité. En substance, la Cour de justice a considéré qu'en l'absence de règles spécifiques de droit public, X. n'avait pas de droit à une décision en lien avec le processus de nomination des directions des Théâtres du Grütli et de l'Orangerie.

C. Agissant par la voie du recours en matière de droit public, X. demande au Tribunal fédéral principalement d'annuler l'arrêt de la Cour de justice du 22 mai 2018 et de le réformer en ce sens qu'un déni de justice commis par le Département soit constaté et la cause renvoyée à celui-ci pour qu'il rende une décision sans tarder. Subsidiairement, il conclut au renvoi de la cause à la Cour de justice pour instruction complémentaire, puis nouvelle décision.
La Cour de justice ne formule aucune observation, s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. La Ville de Genève conclut à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. X. a répliqué. Les parties ont dupliqué, en maintenant leurs conclusions.

Considérants

Extrait des considérants:

5.

5.1 Devant la Cour de justice, le recourant a allégué que le processus de nomination des directions des théâtres du Grütli et de l'Orangerie devait faire l'objet d'une décision sujette à recours, car l'on se trouvait en présence d'un transfert de monopole communal au sens de l'art. 2 al. 7 de la loi fédérale du 6 octobre 1995 sur le marché intérieur (LMI; RS 943.02).

5.2 La Cour de justice a rejeté cette argumentation en relevant que la Ville de Genève n'avait pas la maîtrise sur la création théâtrale professionnelle locale. Elle en a déduit qu'il n'y avait pas en l'espèce de monopole, même de fait, et que l'art. 2 al. 7 LMI n'était partant pas applicable. Pour le surplus, elle a ajouté que la "nomination" des directions ne relevait pas des règles sur les marchés publics, ni de celles sur la fonction publique, ce que le recourant ne contestait pas. Pour la Cour de justice, il n'y avait pas de dispositions de droit public spécifiques applicables à la cause, de sorte que le recourant n'avait pas de droit à ce qu'une décision relative au processus de nomination des directions soit prononcée.

6. Le recourant fait valoir que la Cour de justice a, par ce raisonnement, méconnu l'art. 2 al. 7 LMI.
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6.1 Selon l'art. 2 al. 7 LMI, la transmission de l'exploitation d'un monopole cantonal ou communal à des entreprises privées doit faire l'objet d'un appel d'offres et ne peut discriminer des personnes ayant leur établissement ou leur siège en Suisse (cf. ATF 143 II 598 consid. 4.1 p. 604, ATF 143 II 120 consid. 6.1 p. 126).

6.1.1 L'application de l'art. 2 al. 7 LMI suppose tout d'abord l'existence d'un monopole cantonal ou communal. La notion de monopole de la loi sur le marché intérieur est réservée à des activités de nature économique (ETIENNE POLTIER, in Commentaire romand, Droit de la concurrence, 2e éd. 2013, n° 14 ad art. 2 al. 7 LMI).
Le champ d'application de l'art. 2 al. 7 LMI s'étend tant aux monopoles de droit que de fait (ATF 143 II 598 consid. 4.1.1 p. 605). Lorsque l'Etat empêche les administrés d'exercer une activité lucrative qu'il se réserve en édictant une norme, on parle de monopole de droit qui, par définition, repose sur une règle topique et expresse (ATF 125 I 209 consid. 10b p. 222). On appelle monopole de fait la situation où l'Etat, en raison de sa souveraineté sur le domaine public, est en mesure d'exercer seul une activité économique nécessitant un usage particulier du domaine public, sans avoir à créer une base légale pour exclure les particuliers de l'activité en cause; son fondement n'est pas la loi, mais la maîtrise générale sur les biens publics (ATF 128 I 3 consid. 3b p. 10 s.; ATF 125 I 209 consid. 10b p. 222; TSCHANNEN/ZIMMERLI/MÜLLER, Allgemeines Verwaltungsrecht, 4e éd. 2014, n. 6 p. 436; DUBEY/ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, n. 1386 p. 492; FRANÇOIS BELLANGER, Marchés publics et concessions?, in Marchés publics, Zufferey/Stöckli [éd.], 2012, p. 167 ss, 193; DANIEL KUNZ, Verfahren und Rechtsschutz bei der Vergabe von Konzessionen, 2004, p. 21; CLAUDE RUEY, Monopoles cantonaux et liberté économique, 1988, p. 135 ss). Il s'agit souvent de la maîtrise sur les biens du domaine public au sens strict (ensemble des biens qui peuvent être utilisés librement par tout un chacun: ATF 138 I 274 consid. 2.3.2 p. 284), mais la maîtrise du patrimoine administratif peut aussi donner naissance à un monopole de fait (cf. MOOR/BELLANGER/TANQUEREL, Droit administratif, vol. III, 2e éd. 2018, p. 185 s.; ETIENNE GRISEL, Liberté économique, 2006, p. 444; CLAUDE RUEY, op. cit., p. 138; d'un autre avis, POLTIER, op. cit., n° 22 ad art. 2 al. 7 LMI, qui relève que la maîtrise du patrimoine administratif ne semble pas avoir une extension suffisante pour donner lieu à un monopole de fait).
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6.1.2 L'application de l'art. 2 al. 7 LMI suppose ensuite une transmission du monopole en faveur du secteur privé (POLTIER, op. cit., n° 24 et n° 44 ad art. 2 al. 7 LMI). Cette transmission est en général dénommée concession, mais le terme employé n'est pas décisif en soi au regard du champ d'application de l'art. 2 al. 7 LMI (ATF 145 II 32 consid. 4.1 p. 39; ATF 143 II 598 consid. 4.1 p. 604). La concession est un acte juridique par lequel l'autorité (le concédant) confère à une personne morale ou physique (le concessionnaire) le droit d'exercer une activité dans un domaine juridiquement réservé à la collectivité publique, autrement dit faisant l'objet d'un monopole étatique de droit ou de fait ou entrant dans les tâches de l'Etat (cf. ATF 145 II 32 consid. 3.1 p. 37; ATF 143 II 598 consid. 4.1.1 p. 604). La concession revêt ainsi, d'une part, une certaine stabilité, dont le fondement réside dans sa nature partiellement bilatérale, par opposition à la décision d'autorisation exclusivement unilatérale; d'autre part, elle vise des activités sur lesquelles la collectivité publique dispose d'un monopole (cf. ATF 143 II 598 consid. 4.1.1 p. 604 s.; ATF 132 II 485 consid. 9.5 p. 513; ATF 80 I 239 consid. 3 p. 246). L'octroi d'un usage privatif du domaine public (y compris l'usage exclusif d'un bien du patrimoine administratif) peut par exemple donner lieu à concession (cf. ATF 143 II 598 consid. 4.1.1 p. 605; ATF 143 I 37 consid. 6.1 et 6.2 p. 40 ss; cf. Commission de la concurrence, Recommandation du 1er décembre 2014 à l'attention du Conseil fédéral et de l'Autorité intercantonale pour les marchés publics au sujet des effets de la révision et de l'harmonisation du droit des marchés publics sur la loi fédérale sur le marché intérieur, Droit et politique de la concurrence [DPC] 2014/4, p. 809 ss, 814).

6.2 En l'occurrence, on se trouve en présence d'une activité économique (la gestion de théâtres) ou à tout le moins à composante économique et donc susceptible de monopole au sens de la loi sur le marché intérieur.

6.3 La question qui se pose est de savoir si, du fait de sa maîtrise exclusive sur les locaux des Théâtres du Grütli et de l'Orangerie, qui font partie de son patrimoine administratif, la Ville de Genève est dans une situation de monopole de fait par rapport à l'activité de gestion de ces théâtres.
La Cour de justice a considéré qu'il n'y avait pas de monopole de fait en l'espèce, car la Ville n'avait pas la maîtrise de la création professionnelle locale, puisqu'il existait différentes salles de spectacle, qui
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n'étaient pas toutes propriétés de la Ville, et que tous les artistes n'étaient pas subventionnés par la commune.
Cette position ne peut être suivie. Nier l'existence d'un monopole de fait sur la base de ces constats revient en effet à définir le monopole de fait uniquement par rapport à la question de l'exclusivité de l'activité économique exercée, sans considération pour la notion de maîtrise sur le bien public visé. Or, c'est cette maîtrise qui caractérise le monopole de fait, en tous les cas lorsque l'activité doit s'exercer en ce lieu. Ainsi, la Ville de Genève n'a certes pas le monopole de la création artistique sur tout son territoire; par rapport aux Théâtres du Grütli et de l'Orangerie, elle est néanmoins en situation d'exclusivité du fait que ces bâtiments font partie du patrimoine administratif et que l'activité théâtrale en ces lieux dépend uniquement d'elle. Il convient d'admettre qu'une telle situation relève de la notion de monopole de fait. Cette solution se justifie d'autant plus en l'espèce qu'en octroyant des aides financières aux directions des deux théâtres, la Ville de Genève les place dans une position concurrentielle nettement avantageuse par rapport à des compagnies et théâtres privés qui ne reçoivent aucune subvention, puisque les deux théâtres peuvent pratiquer des tarifs préférentiels - ils en ont même l'obligation à teneur des conventions conclues (cf. art. 105 al. 2 LTF) -. On se trouve donc en présence en l'espèce de deux monopoles communaux de fait.
La condition du transfert du monopole en faveur d'un partenaire privé est en outre réalisée dans les deux cas. A noter que, selon les conventions conclues, ces partenaires privés se sont vus conférer un usage exclusif des locaux (au détriment de tiers) pour une durée qui n'est pas négligeable (trois saisons pour chaque théâtre, avec possibilité de renouveler les conventions). Bien que les conventions n'en portent pas le nom, elles comportent ainsi des caractéristiques propres à une concession. Au vu de ces éléments, les conditions d'application de l'art. 2 al. 7 LMI sont réunies, contrairement à ce qu'a retenu la Cour de justice.

6.4 Les conséquences de l'applicabilité de l'art. 2 al. 7 LMI pour la présente cause sont les suivantes.

6.4.1 L'art. 2 al. 7 LMI impose deux exigences (découlant du droit des marchés publics) à la transmission de l'exploitation d'un monopole cantonal ou communal: un appel d'offres et l'interdiction de
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discriminer des personnes ayant leur établissement ou leur siège en Suisse. La mise en place d'un appel d'offres implique certaines obligations procédurales. La collectivité publique doit non seulement organiser une procédure permettant aux personnes (physiques ou morales) privées intéressées par l'exploitation dudit monopole de déposer une offre, mais aussi attribuer la concession par le biais d'une décision contre laquelle des voies de droit doivent être ouvertes (cf. art. 9 al. 1 et 2 LMI; ATF 143 II 598 consid. 4.1.2 p. 606, ATF 143 II 120 consid. 6.4.1 p. 129; ATF 135 II 49 consid. 4.1 p. 52; arrêt 2C_351/2017 du 12 avril 2018 consid. 3.4). Quant à l'interdiction de discriminer, elle s'applique non seulement à la procédure d'appel d'offres stricto sensu, mais aussi à la détermination des critères de sélection et au choix du concessionnaire; elle impose aussi le respect du principe de transparence, qui est son corollaire (ATF 143 II 120 consid. 6.4.1 p. 129).
Il convient toutefois de ne pas perdre de vue la position intrinsèquement différente de l'autorité lors de la passation d'un marché public par rapport à celle exercée lors du transfert d'un monopole. Contrairement au marché public dans lequel la collectivité publique, endossant le rôle de "consommateur", acquiert auprès d'une entreprise privée, en contre-partie du paiement d'un prix, une prestation dont elle a besoin pour exécuter ses tâches publiques (ATF 143 II 120 consid. 6.3.3 p. 129; ATF 141 II 113 consid. 1.2.1 p. 117; ATF 125 I 209 consid. 6b p. 212 s.), l'attribution d'une concession de monopole cantonal ou communal implique que l'autorité concédante se trouve dans un rôle "d'offreur" ou de "vendeur", puisqu'elle cède, moyennant une redevance et diverses prestations annexes, le droit d'utiliser le domaine public à des fins commerciales (ATF 143 II 120 consid. 6.3.3 p. 129; ATF 135 II 49 consid. 4.2 p. 53; ATF 125 I 209 consid. 6b p. 213). Il n'y a pas de droit à l'obtention d'une concession de monopole, car la collectivité publique reste libre d'exercer elle-même l'activité en cause (cf. ATF 143 II 120 consid. 6.3.3 p. 129; ATF 142 I 99 consid. 2.2.1 p. 108 s.; ATF 128 I 3 consid. 3b p. 11). Ces différences justifient de laisser à la collectivité publique une plus grande liberté dans le choix des critères à remplir par le concessionnaire et des conditions qu'elle peut lui imposer dans l'exercice du monopole qu'en matière de marchés publics (cf. ATF 143 II 120 consid. 6.3.3 p. 129; ATF 142 I 99 consid. 2.2.1 p. 108 s.; ATF 128 I 3 consid. 3b p. 11).

6.4.2 En l'occurrence, dès lors qu'il y a eu transfert d'un monopole de fait, l'intimée se devait de respecter les exigences précitées,
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notamment procédurales. C'est partant à raison que le recourant se plaint de ce que la Ville de Genève a "nommé" chaque direction sans rendre de décision susceptible de recours, cet acte constituant en réalité une attribution de concession.

6.5 C'est en vain que l'intimée s'oppose au prononcé d'une décision.

6.5.1 L'intimée soutient que la gestion de son patrimoine administratif relève exclusivement du droit privé. A tort. Ainsi que le lui a déjà signifié le Tribunal fédéral (cf. arrêt 2C_167/2012 du 1er octobre 2012 consid. 4.4), l'intimée, en tant que collectivité, est tenue au respect des principes de base du droit administratif dans la gestion de son patrimoine administratif (cf. art. 35 al. 2 Cst.). Sa liberté d'appréciation dans le choix de la personne à laquelle elle accorde notamment un usage exclusif du domaine public, bien qu'elle soit importante, n'est ainsi pas illimitée, quel que soit le moyen par lequel elle accorde cet usage (cf. arrêt 2C_167/2012 du 1er octobre 2012 consid. 4; cf. MOOR/POLTIER, Droit administratif, vol. II, 3e éd. 2011, p. 417, 443; MARC-OLIVIER BESSE, L'investiture du délégataire, in La délégation d'activités étatiques au secteur privé, Favre/Martenet/Poltier [éd.], 2016, p. 67 ss, 101, 115-116; JEAN-BAPTISTE ZUFFEREY, Le droit des "PPP": état des lieux, contrats et marchés, in Marchés publics 2010, Jean-Baptiste Zufferey [éd.], p. 257 ss, 278). En d'autres termes, même lorsqu'elle entend agir comme un partenaire de droit privé, la collectivité demeure contrainte de respecter les principes généraux de l'activité administrative (cf. ATF 109 Ib 146; arrêt 1P.342/2006 du 9 mars 2007 consid. 2.2), parmi lesquels figurent l'interdiction de l'arbitraire, l'égalité de traitement et la proportionnalité, de même que le devoir de l'autorité d'adopter une attitude neutre et objective (cf. ATF 143 I 37 consid. 7.1 p. 44; ATF 140 I 201 consid. 6.4.1 p. 208; cf. arrêts 2C_719/2016 du 24 août 2017 consid. 3.6; 2C_684/ 2015 du 24 février 2017 consid. 6.2).
On peut certes se demander s'il faudrait déduire en l'espèce de ces exigences minimales un droit à une décision ouvrant l'accès au juge pour permettre d'en vérifier le respect (théorie dite des "deux niveaux"; cf. MOOR/POLTIER, op. cit., p. 446-449; BESSE, op. cit., p. 116; ZUFFEREY, op. cit., p. 278). La question souffre toutefois de demeurer indécise, dès lors que le prononcé d'une décision s'impose en raison de l'art. 2 al. 7 LMI.

6.5.2 La Ville de Genève s'oppose par ailleurs au prononcé d'une décision en relevant que les dossiers du recourant n'ont pas même été
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retenus pour le second tour lors des sélections des candidats. Celui-ci serait en outre forclos à se plaindre d'une irrégularité de la procédure de nomination, car il n'aurait pas réagi dans les délais fixés par l'art. 9 LMI. Ces arguments auraient éventuellement pu être opposés au recourant dans le cadre du recours contre la décision qui aurait dû être rendue. Dit autrement, ils concernent une autre phase de la procédure et sont extérieurs au présent litige. Ils ne sont partant pas propres à remettre en cause la conclusion qu'une décision relative à la désignation des directions devait en l'espèce être prononcée.

6.5.3 De même, l'argument de la Cour de justice, appuyé par l'intimée, relatif à une violation du principe de la bonne foi par le recourant, qui aurait attendu l'issue de la procédure de sélection pour se plaindre de dysfonctionnements, n'a pas à être examiné plus avant dans le cadre du présent litige, car il relève du fond.

6.6 En définitive, le grief du recourant tiré de la violation de l'art. 2 al. 7 LMI doit être admis. Les exigences découlant de cette disposition (lue conjointement avec l'art. 9 al. 1 et 2 LMI) conduisent à l'admission du recours, en ce sens que la Ville de Genève devait rendre une décision attaquable en lien avec la "nomination" des directions des Théâtres du Grütli et de l'Orangerie. Cette conclusion rend superflu l'examen des autres griefs du recourant, en particulier de celui tiré de la violation de l'art. 29a Cst. qui garantit l'accès au juge (voir notamment sur cette disposition et concernant le subventionnement du cinéma dans le canton de Genève, arrêt 2C_684/2015 du 24 février 2017 consid. 6.5).

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Considérants 5 6

références

ATF: 143 II 598, 143 II 120, 125 I 209, 128 I 3 suite...

Article: art. 2 al. 7 LMI, art. 105 al. 2 LTF, art. 9 al. 1 et 2 LMI, art. 35 al. 2 Cst. suite...