2C_490/2014 26.11.2014
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
2C_490/2014  
 
{T 0/2}  
   
   
 
 
 
Arrêt du 26 novembre 2014  
 
IIe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Zünd, Président, 
Donzallaz et Stadelmann. 
Greffier: M. Tissot-Daguette. 
 
Participants à la procédure 
X.________, 
représentée par Me Dimitri Tzortzis, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Département de la sécurité et de l'économie (DSE) de la République et canton de Genève.  
 
Objet 
Prostitution, atteinte à l'ordre public; avertissement, amende, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, 1ère section, du 1er avril 2014. 
 
 
Faits :  
 
A.   
X.________ est responsable de l'exploitation du salon de massages Y.________ à Genève (ci-après: le salon de massages). 
 
 Le 20 avril 2012, le secrétariat général du Département de la sécurité (actuellement le Département de la sécurité et de l'économie; ci-après: le Département) a adressé un courrier à l'ensemble des responsables de salons de massages ou d'agences d'escorte. Leur attention était attirée sur le fait qu'ils devaient empêcher toute atteinte à l'ordre public, notamment à la santé publique. 
 
 Le 8 octobre 2012, la brigade des moeurs a procédé à un contrôle du salon de massages et a établi un rapport. Le salon proposait des prestations non protégées sur son site internet. Lors d'un entretien sur place, l'intéressée avait indiqué qu'elle n'avait pas l'intention de changer son "menu des plaisirs". A ce rapport était annexée une impression d'écran du site internet de l'établissement. X.________ s'est encore déterminée le 19 novembre 2012. A cette occasion, elle a expliqué que le salon de massages ne proposait pas, en tant que tel, des prestations sexuelles à ses clients. Il offrait aux hôtesses un lieu de travail. Le salon de massages relayait les informations sur les prestations offertes par les hôtesses, telles qu'annoncées lors de leur arrivée. Ces dernières pouvaient les modifier totalement ou partiellement en tout temps. Selon un accord tacite dans la branche, aucune relation sexuelle n'était proposée sans protection. Cet élément n'était pas précisé et cela avait pu porter à confusion pour de rares clients potentiels. Le site internet avait été modifié en conséquence, en précisant que les relations sexuelles vaginales et anales étaient systématiquement protégées. Les fellations étaient proposées soit "naturelles" soit "couvertes". 
 
B.   
Par décision du 29 novembre 2012, le Département a infligé à X.________ un avertissement, ainsi qu'une amende administrative de 1'000 fr. Le site internet du salon proposait toujours de nombreuses pratiques sexuelles présentant des risques d'infections sexuellement transmissibles soit notamment des fellations naturelles, royales (éjaculation dans la bouche) ou impériales (éjaculation dans la bouche et avalement du liquide séminal), et des "feuilles de rose" (anulingus). Le 14 janvier 2013, l'intéressée a contesté ce prononcé devant la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Cour de justice). 
 
 Par arrêt du 1 er avril 2014, la Cour de justice a rejeté le recours de l'intéressée. L'instance cantonale a jugé en substance que la décision du Département était suffisamment motivée et que la directive de celui-ci, envoyée sous forme de courrier le 20 avril 2012 et par laquelle était précisée la portée de l'art. 12 let. c de la loi genevoise du 1 er mai 2010 sur la prostitution (LProst/GE; I 2 49), n'outrepassait pas le pouvoir d'appréciation de l'administration puisqu'elle se limitait à définir la disposition précitée et qu'elle restait dans le cadre voulu par le législateur. En outre, les juges cantonaux ont encore considéré le grief de violation du principe de l'égalité de traitement comme étant infondé, puisque le Département avait en particulier indiqué qu'il avait déjà sanctionné une autre responsable de salon de massages pour des faits similaires et qu'il continuerait de le faire dans la futur.  
 
C.   
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, X.________ demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, de "Dire que la circulaire du Département de la sécurité, Secrétariat général du 20 avril 2012 est contraire au droit supérieur, soit plus particulièrement la Loi sur la prostitution", d'annuler l'arrêt du 1 er avril 2014 de la Cour de justice et d'annuler la décision du Département. Elle se plaint d'établissement inexact des faits ainsi que de violation des principes de la légalité et de l'égalité de traitement.  
 
 La Cour de justice persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. Le Département conclut au rejet du recours. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. Le recours est dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF), rendue en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF) dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF) ne tombant pas sous le coup de l'une des exceptions prévues à l'art. 83 LTF. La voie du recours en matière de droit public est partant ouverte. Le recours a en outre été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes requises (art. 42 LTF) par la destinataire de l'arrêt attaqué qui a qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF. Le recours en matière de droit public est par conséquent recevable, sous réserve de ce qui suit.  
 
1.2. Selon un principe général de procédure, les conclusions en constatation de droit ne sont recevables que lorsque des conclusions condamnatoires ou formatrices sont exclues. Sauf situations particulières, les conclusions constatatoires ont donc un caractère subsidiaire (cf. ATF 135 I 119 consid. 4 p. 122; arrêts 2C_199/2010 du 12 avril 2011 consid. 3.3, non publié in ATF 137 II 383; 1B_129/2013 du 26 juin 2013 consid. 2.2). Dans la mesure où la recourante conclut, parallèlement à l'annulation de l'arrêt du 1 er avril 2014 de la Cour de justice, à ce qu'il soit dit "que la circulaire du Département de la sécurité, Secrétariat général du 20 avril 2012 est contraire au droit supérieur, soit plus particulièrement la Loi sur la prostitution", elle formule une conclusion constatatoire qui est irrecevable.  
 
1.3. La conclusion du recours tendant à l'annulation de la décision rendue en première instance est irrecevable en raison de l'effet dévolutif complet du recours auprès de la Cour de justice (ATF 136 II 539 consid. 1.2 p. 543; concernant spécifiquement Genève, arrêts 8C_47/2013 du 28 octobre 2013 consid. 4.2; 2C_886/2012 du 29 juin 2013 consid. 1, non publié in ATF 139 II 529).  
 
1.4. Finalement, aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF). Il n'y a donc pas lieu de prendre en considération les pièces 9, 10 et 11, datées du 21 mai 2014 et annexées au mémoire de recours, celles-ci étant toutes postérieures à l'arrêt attaqué.  
 
2.   
Invoquant l'art. 5 al. 1 Cst., la recourante se plaint d'une violation du principe de la légalité, en ce que l'instance précédente a considéré l'art. 12 let. c LProst/GE comme étant une base légale suffisante pour ordonner des mesures permettant d'éviter les diffusions de maladies sexuellement transmissibles. Elle semble également faire grief à la Cour de justice d'avoir appliqué une directive du Département pour définir la portée de l'art. 12 let. c LProst/GE. 
 
2.1. Le principe de la légalité, consacré à l'art. 5 al. 1 Cst., selon lequel le droit est la base et la limite de l'activité de l'Etat, ne constitue pas un droit constitutionnel distinct, mais uniquement un principe constitutionnel. Le recours en matière de droit public permet de se plaindre directement et indépendamment d'un droit fondamental de la violation de ce principe, au même titre que du principe de la proportionnalité ancré à l'art. 5 al. 2 Cst. Toutefois, dans l'application du droit cantonal, à part les restrictions des droits fondamentaux (art. 36 al. 1 Cst.), le Tribunal fédéral n'intervient en cas de violation du principe de la légalité que si la mesure de droit cantonal viole simultanément l'interdiction de l'arbitraire (ATF 134 I 153 consid. 4 p. 156 ss; arrêt 2C_741/2009 du 26 avril 2010 consid. 3.1).  
 
2.2. En l'espèce, la recourante n'invoque aucun droit fondamental particulier ni l'interdiction de l'arbitraire en relation avec le principe de la légalité. Certes elle mentionne la liberté économique et cite l'art. 27 Cst. y relatif. Toutefois, elle ne le fait qu'en relation avec un autre grief, soit celui concernant le principe de l'égalité de traitement (cf. let. A p. 12 du mémoire de recours; consid. 3 ci-dessous). Par conséquent, le recours, en ce qu'il a trait à une violation de l'art. 5 al. 1 Cst., doit être déclaré irrecevable.  
 
2.3. En tout état de cause, même si la recourante avait invoqué une application arbitraire de l'art. 12 let. c LProst/GE, force est de constater que son recours, sur ce point, aurait dû être rejeté. L'art. 12 let. c LProst/GE dispose que la personne responsable d'un salon a notamment pour obligations d'y empêcher toute atteinte à l'ordre public, notamment à la tranquillité, à la santé, à la salubrité et à la sécurité publiques. A propos de cette disposition, le Tribunal fédéral a jugé qu'il appartenait aux tenanciers de salons de massages de choisir les mesures adéquates visant à prévenir ou à faire cesser toute atteinte à l'ordre public, de même que de sensibiliser, d'aider ou d'obliger contractuellement une personne se prostituant et ses clients à prendre les dispositions de sécurité idoines, notamment pour éviter la diffusion d'infections sexuellement transmissibles (ATF 137 I 167 consid. 6.2 et les références citées). Dès lors qu'il est notoire que du liquide séminal dans la bouche, respectivement une ingestion de celui-ci, ainsi que la pratique de l'anulingus permettent la transmission d'infections sexuellement transmissibles (cf. à ce propos: Organisation mondiale de la Santé, http://www.who.int/mediacentre/ factsheets/fs360/fr/ [consulté le 7 novembre 2014]; Office fédéral de la santé publique, http://www.bag.admin.ch/themen/medizin/ 00682/00684/11701/index.html?lang=fr [consulté le 7 novembre 2014]; Aide suisse contre le SIDA, http://www.aids.ch/fr/questions/protection-risque/sexe-anal.php [consulté le 7 novembre 2014]), c'est de manière pleinement soutenable que les juges cantonaux ont considéré que ces pratiques étaient incluses dans le champ d'application de l'art. 12 let. c LProst/GE.  
 
3.   
Invoquant les art. 8 et 27 al. 1 Cst., la recourante se plaint ensuite d'une inégalité de traitement entre concurrents (dans l'illégalité), dès lors que le Département, contrairement à ses déclarations, ne démontre pas vouloir sanctionner des cas semblables au sien. 
 
3.1. La Cour de justice a notamment retenu, sur la base de déclarations du Département, que ce dernier avait déjà sanctionné une autre responsable de salon de massages pour des faits similaires et qu'il avait indiqué vouloir dorénavant sanctionner les contrevenants à la loi.  
 
3.2. Le principe de la légalité de l'activité administrative prévaut en principe sur celui de l'égalité de traitement. En conséquence, le justiciable ne peut généralement pas se prétendre victime d'une inégalité devant la loi lorsque celle-ci est correctement appliquée à son cas, alors qu'elle aurait été faussement, voire pas appliquée du tout, dans d'autres cas (ATF 136 V 390 consid. 6a p. 392 et les références citées). Cela présuppose cependant, de la part de l'autorité dont la décision est attaquée, la volonté d'appliquer correctement à l'avenir les dispositions légales en question. Le citoyen ne peut prétendre à l'égalité dans l'illégalité que s'il y a lieu de prévoir que l'administration persévérera dans l'inobservation de la loi (arrêts 2C_442/2012 du 14 décembre 2012 consid. 5.5, in RDAF 2013 II 60; 1C_482/2010 du 14 avril 2011 consid. 5.1; cf. ATF 136 I 65 consid. 5.6 p. 78 s. et les références citées). Il faut encore que l'autorité n'ait pas respecté la loi selon une pratique constante, et non pas dans un ou quelques cas isolés (ATF 132 II 485 consid. 8.6 p. 510; 127 I 1 consid. 3a p. 2 ss; 126 V 390 consid. 6a p. 392 et les arrêts cités), et qu'aucun intérêt public ou privé prépondérant n'impose de donner la préférence au respect de la légalité (ATF 123 II 248 consid. 3c p. 253 s.; 115 Ia 81 consid. 2 p. 82 s. et les références).  
 
3.3. Or, s'il faut bien admettre que la sanction d'un seul autre tenancier de salon de massages, au demeurant uniquement alléguée par le Département, paraît peu révélateur d'une pratique antérieure stricte au vu de la date de l'entrée en vigueur de la LProst/GE (le 1 er mai 2010) et des publicités toujours librement accessibles dans les journaux et sur internet, force est de constater que le Département explique de manière claire qu'il entend respecter strictement la loi pour tous les cas futurs. Cette volonté est d'ailleurs confirmée dans le courrier du 20 avril 2012, adressé à tous les salons de massages. En tout état de cause, un cas d'égalité dans l'illégalité est de toute façon exclu en l'espèce puisque le maintien de l'ordre public, c'est-à-dire la protection de la santé des personnes exerçant la prostitution et leur clients, constitue un intérêt public prépondérant (cf. ATF 137 I 167 consid. 6.2 p. 180 s.). Celui-ci exclut d'emblée une telle exception et impose le respect de la légalité (cf. consid. 3.2 i.f. ci-dessus).  
 
3.4. La recourante estime en outre qu'en ne demandant pas une preuve de la sanction infligée à une autre tenancière de salon de massages, la Cour de justice a constaté les faits de la cause de manière inexacte. Elle est d'avis qu'une correction des faits, c'est-à-dire ne pas affirmer qu'une tierce personne a été sanctionnée pour des actes semblables, conduirait à un autre résultat. Dans ce cas, il faudrait selon elle admettre une inégalité de traitement par rapport à ses concurrents.  
 
 La recourante ne saurait cependant être suivie. Compte tenu de ce qui précède (cf. consid. 3.3 ci-dessus), le fait qu'une autre personne ait été sanctionnée ou non n'a aucune influence sur l'issue de la cause. Seuls comptent la volonté du Département de sanctionner ce genre d'actes, ce qu'il a clairement exprimé, et le fait qu'un intérêt public prépondérant impose le respect de la légalité. Au demeurant, si la recourante avait voulu que le Département produise un moyen de preuve, il lui appartenait de le requérir devant l'instance précédente, ce qu'elle n'a pas fait alors qu'elle en avait la possibilité. Son grief de constatation inexacte des faits doit donc également être rejeté. 
 
4.   
Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours dans la mesure où il est recevable. Succombant, la recourante doit supporter les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 1 et 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.   
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.   
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au Département de la sécurité et de l'économie et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, 1ère section. 
 
 
Lausanne, le 26 novembre 2014 
Au nom de la IIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Zünd 
 
Le Greffier : Tissot-Daguette