1C_547/2023 21.03.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_547/2023  
 
 
Arrêt du 21 mars 2024  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Müller et Merz. 
Greffier : M. Parmelin. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Romain Jordan, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Département des institutions et du numérique de la République et canton de Genève, 
rue de l'Hôtel-de-Ville 14, 1204 Genève. 
 
Objet 
Droit de la fonction publique; changement définitif d'affectation, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 22 août 2023 (ATA/880/2023 - A/373/2023-FPUBL). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________, né en 1973, a été engagé par l'Etat de Genève en 2004. Il a été nommé directeur adjoint de la prison B.________ à compter du 1 er novembre 2017. Dès septembre 2021, il a assumé la fonction de directeur ad interim de cet établissement à la suite du départ de l'ancien directeur.  
Par arrêt du 26 avril 2022, la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève a déclaré irrecevable le recours formé par A.________ contre son détachement provisoire au sein de l'établissement de détention administrative de C.________ en tant que directeur adjoint ad interim prononcé en décembre 2021 pour une durée de six mois à compter du 3 janvier 2022, au motif qu'il s'agissait d'un acte interne non susceptible de recours. Le Tribunal fédéral a rejeté dans la mesure où il était recevable le recours formé contre cet arrêt en date du 22 février 2023 (arrêt 8D_5/2022). 
Le 23 décembre 2022, le Conseiller d'Etat en charge du Département de la sécurité, de la population et de la santé a informé A.________ de son affectation définitive, à dater du 1 er janvier 2023, à la fonction de directeur adjoint de l'établissement C.________ en classe 19, pour un traitement annuel brut correspondant à son ancienne classe de salaire (classe 25 position 8). Il était rendu attentif au fait qu'il ne bénéficiait plus de la progression de l'annuité et que ses droits liés à son statut de cadre supérieur étaient supprimés à compter de la date de sa nouvelle affectation.  
Par arrêt du 22 août 2023, la Chambre administrative a déclaré irrecevable le recours interjeté le 1 er février 2023 par A.________ contre son détachement définitif à l'établissement C.________ au motif qu'il s'agissait non pas d'une décision formelle, mais d'une mesure organisationnelle non sujette à recours.  
 
B.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public et du recours constitutionnel subsidiaire, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt ainsi que la décision du Conseiller d'Etat du 23 décembre 2022. A titre subsidiaire, il conclut à l'annulation de l'arrêt de la Chambre administrative du 22 août 2023 et au renvoi de la cause à cette autorité pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
La Chambre administrative s'en rapporte à justice s'agissant de la recevabilité du recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt sans autre observation. Le Département des institutions et du numérique, qui a succédé au Département de la sécurité, de la population et de la santé, conclut au rejet du recours et à la confirmation de l'arrêt attaqué. 
Le recourant a répliqué. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
La cause au fond relève des rapports de travail de droit public au sens des art. 83 let. g LTF et 85 al. 1 let. b LTF. En vertu de l'art. 83 let. g LTF, la voie du recours en matière de droit public n'est pas ouverte contre les décisions en matière de rapports de travail de droit public qui concernent une contestation non pécuniaire, sauf si elles touchent à la question de l'égalité des sexes. 
Le changement définitif d'affectation litigieux n'a certes pas d'incidence directe sur le traitement du recourant puisque celui-ci a été maintenu dans la classe de salaire dont il bénéficiait jusqu'alors. En revanche, cette mesure entraînera la perte des augmentations annuelles (annuités) auxquelles il aurait eu droit s'il était resté au poste de directeur adjoint de B.________. Cela étant, on est en présence d'une contestation de nature pécuniaire et le motif d'exclusion du recours en matière de droit public prévu par l'art. 83 let. g LTF ne s'applique pas (cf. arrêts 8C_13/2015 du 28 janvier 2016 consid. 1.2; 8C_649/2010 du 1 er mars 2011 consid. 1.1). En raison de l'âge du recourant, le montant des augmentations salariales qu'il ne percevra pas est supérieur au seuil de 15'000 fr. requis par l'art. 85 al. 1 let. b LTF. La voie du recours en matière de droit public est donc ouverte et le recours constitutionnel subsidiaire est en conséquence irrecevable (cf. art. 113 Cst.).  
Le recourant dispose d'un intérêt digne de protection à contester l'arrêt d'irrecevabilité rendu par la Chambre administrative. Partant, la qualité pour recourir doit lui être reconnue (art. 89 al. 1 LTF). En outre, le recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes requises (art. 42 LTF). 
Dans le cadre d'une procédure de recours portant sur un prononcé d'irrecevabilité, le recourant ne peut conclure qu'à l'annulation de la décision d'irrecevabilité et au renvoi de la cause à l'autorité pour qu'elle entre en matière sur le recours cantonal et statue sur le fond (cf. ATF 143 I 344 consid. 4). La conclusion principale du recours visant à l'annulation du prononcé du Conseiller d'Etat du 23 décembre 2022 est irrecevable. 
 
2.  
Le recourant dénonce une violation de la garantie de l'accès au juge ancrée aux art. 29a Cst. et 6 par. 1 CEDH. La Chambre administrative aurait méconnu le fait que son déplacement définitif à l'établissement C.________ avait pour effet de supprimer le droit à la progression de l'annuité dont il aurait bénéficié s'il avait été rétabli dans son poste de directeur adjoint de B.________ ainsi que ses droits liés au statut de cadre supérieur, alors qu'il s'agissait d'éléments pertinents et décisifs pour qualifier le courrier litigieux de décision et non de simple mesure d'organisation interne. 
 
 
2.1. Aux termes de l'art. 29a Cst., toute personne a droit à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire; la Confédération et les cantons peuvent, par la loi, exclure l'accès au juge dans des cas exceptionnels. Cette norme constitutionnelle étend donc le contrôle judiciaire en principe à toutes les contestations juridiques, y compris aux actes de l'administration, en établissant une garantie générale de l'accès au juge (ATF 147 I 333 consid. 1.5.1; 143 I 344 consid. 8.2; 141 I 172 consid. 4.4.1). Pour pouvoir invoquer l'art. 29a Cst., il faut que le justiciable se trouve dans une situation de contestation juridique, c'est-à-dire qu'il existe un litige portant sur un différend juridique qui met en jeu des intérêts individuels dignes de protection (ATF 144 II 233 consid. 4.4; 143 I 336 consid. 4.1). L'art. 6 CEDH n'offre pas de protection plus étendue que l'art. 29a Cst. (arrêt 8D_5/2022 du 22 février 2023 consid. 6.2.2; cf. ATF 134 V 401 consid. 5.3).  
La garantie de l'accès au juge selon l'art. 29a Cst. ne s'applique pas aux actes internes de l'administration qui n'ont pas le caractère d'une décision (ATF 143 I 336 consid. 4.2; 136 I 323 consid. 4.4). La décision comme acte juridique a pour objet de régler la situation d'administrés en tant que sujets de droit et donc, à ce titre, distincts de la personne étatique ou, en d'autres termes, extérieurs à l'administration. On oppose dans ce contexte la décision à l'acte interne ou d'organisation, qui vise des situations à l'intérieur de l'administration; l'acte interne peut avoir des effets juridiques, mais ce n'en est pas l'objet, et c'est pourquoi il n'est en règle générale pas susceptible de recours. Deux critères permettent généralement de déterminer si on a affaire à une décision ou à un acte interne: d'une part, l'acte interne n'a pas pour objet de régler la situation juridique d'un sujet de droit en tant que tel et, d'autre part, le destinataire en est l'administration elle-même, dans l'exercice de ses tâches. Dans le domaine du droit de la fonction publique, l'on distingue également les mesures qui concernent uniquement le rapport de service interne ("Dienstverhältnis"), et qui ne peuvent généralement pas être contestées, des décisions qui ont un effet externe sur le rapport de base ("Grundverhältnis") entre l'Etat et ses employés comme titulaires de droits et d'obligations propres et qui sont attaquables (arrêts 2C_546/2018 du 11 mars 2019 consid. 1.1.2 et 2C_272/2012 du 9 juillet 2012 consid. 4.4.2; voir aussi HÄFELIN/MÜLLER/UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 8 ème éd., 2020, n. 2073, p. 466; TSCHANNEN/MÜLLER/ZIMMERLI, Allgemeines Verwaltungsrecht, 5 ème éd., 2022, n. 1104, p. 410 et ALEXANDRE FLÜCKIGER, L'extension du contrôle juridictionnel des activités de l'administration, 1988, p. 152). Ainsi, un acte qui affecte les droits et obligations d'un fonctionnaire en tant que sujet de droit, par exemple la fixation de son salaire, d'indemnités diverses ou encore de sanctions disciplinaires, est une décision. En revanche, un acte qui a pour objet l'exécution même des tâches qui lui incombent en déterminant les devoirs attachés au service, telles que la définition du cahier des charges, est un acte interne (ATF 136 I 323 consid. 4.4; arrêts 8D_9/2020 du 6 juillet 2021 consid. 5.3; 8D_2/2018 du 21 février 2019 consid. 6.2).  
Selon la jurisprudence, un changement d'affectation d'un fonctionnaire n'ouvre pas en tous les cas la voie d'un recours à l'autorité judiciaire. Il constitue une décision attaquable lorsqu'il est susceptible de porter atteinte aux droits de la personnalité de l'employé, y compris le droit au respect de sa vie familiale, ou encore lorsqu'il est de nature à porter atteinte à la considération à laquelle il peut prétendre au regard notamment de ses aptitudes. Il en va de même quand il représente une sanction déguisée (ATF 108 Ib 419 consid. 2a; arrêt 8D_1/2016 du 23 janvier 2017 consid. 5.2 in SJ 2017 I p. 321; VALÉRIE DÉFAGO GAUDIN, Conflits et fonction publique: instruments, in Conflits au travail, 2015, p. 160). Le Tribunal fédéral a considéré que la mutation d'un chef de brigade de la police judiciaire genevoise au commissariat de la police sans modification de salaire, mais avec un nouveau cahier des charges sans véritable adéquation avec ses aptitudes et sans charge de commandement, était une mesure qui ne relevait pas seulement de l'organisation des services de police, mais était également susceptible d'affecter la situation juridique du fonctionnaire de police en tant que titulaire de droits et d'obligations à l'égard de l'Etat et était soumise à un contrôle judiciaire, indépendamment de tout caractère disciplinaire (ATF 136 I 323). En revanche, un changement de lieu de travail, qui n'implique ni un changement de domicile ni un déménagement, au sein du même office, pour une fonction identique et des tâches identiques et un même traitement, constitue une mesure interne qui n'ouvre pas la voie du recours (arrêt 8D_1/2016 du 23 janvier 2017 consid. 5.2 in SJ 2017 I p. 321). 
 
2.2. Le recourant a été affecté définitivement au poste de directeur adjoint de l'établissement C.________. Il occupe désormais une fonction de chef de service en classe de salaire 19 tout en continuant à bénéficier de la rémunération correspondante à son ancienne fonction de directeur adjoint de la Prison B.________ en classe de traitement 25, position 8. Comme le relève le Département, le recourant ne fait plus partie des cadres supérieurs et n'est plus soumis au règlement cantonal sur les cadres supérieurs de l'administration cantonale (RCSAC; rs/GE B 5 05.03). Il ne bénéficie donc plus des droits liés au statut de cadre supérieur. On doit ainsi admettre que le changement d'affectation litigieux a des effets juridiques sur sa situation en tant que sujet de droit, même si le recourant n'indique pas concrètement le contenu des droits dont il se verrait privé dorénavant. Par ailleurs, le recourant perdrait les annuités auxquelles il aurait droit s'il avait été rétabli dans son poste de directeur adjoint à B.________ dans la classe de traitement qui était la sienne (cf. art. 2 al. 5 de la loi genevoise du 21 décembre 1973 concernant le traitement et les diverses prestations allouées aux membres du personnel de l'Etat, du pouvoir judiciaire et des établissements hospitaliers [LTrait; rs/GE B 5 15]). Cela étant, on ne saurait dire que le changement définitif d'affectation dont le recourant a fait l'objet n'aurait qu'une portée interne sans conséquence sur son traitement et ne toucherait pas le rapport de base qui le lie à l'Etat, alors même qu'il continuerait à toucher le salaire correspondant à son ancienne fonction.  
 
2.3. Dès lors que le changement définitif d'affectation a des effets sur le traitement du recourant, il revêtait manifestement le caractère d'une décision et devait pouvoir être soumis pour ce motif à un contrôle judiciaire. En considérant qu'il n'affectait pas le recourant en tant que sujet de droit, la Chambre administrative est dès lors tombée dans l'arbitraire. La question de savoir si le cahier des charges de sa nouvelle fonction est identique ou non souffre de rester indécise tout comme celle de savoir si la mesure litigieuse ne doit pas être assimilée à une sanction disciplinaire déguisée au sens de la jurisprudence.  
 
3.  
Le recours en matière de droit public est admis dans la mesure où il est recevable. L'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée à la Chambre administrative pour qu'elle entre en matière sur le recours formé par A.________ contre la décision du 22 décembre 2022 du Conseiller d'Etat en charge de l'ancien Département de la sécurité, de la population et de la santé. Le canton de Genève est dispensé des frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). Il versera au recourant qui obtient gain de cause avec un mandataire une indemnité de dépens (art. 68 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours constitutionnel subsidiaire est irrecevable. 
 
2.  
Le recours en matière de droit public est admis dans la mesure où il est recevable. L'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée à la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève pour qu'elle entre en matière sur le recours déposé devant elle. 
 
3.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
4.  
Le canton de Genève versera au recourant une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens. 
 
5.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, ainsi qu'au Département des institutions et du numérique et à la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 21 mars 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
Le Greffier : Parmelin