9C_456/2022 17.07.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
9C_456/2022  
 
 
Arrêt du 17 juillet 2023  
 
IIIe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Parrino, Président, 
Stadelmann et Scherrer Reber. 
Greffier : M. Berthoud. 
 
Participants à la procédure 
Personalfürsorgestiftung der Procter & Gamble-Gesellschaften in der Schweiz, 
route de Saint-Georges 47, 1213 Petit-Lancy, 
recourante, 
 
contre  
 
357 intimés, 
dont les intimés 1 à 6, représentés par 
M e Anne Troillet et M e Céline Moullet, avocates, 
et l'Association B.________, ainsi que 
les intimés 8 à 357 représentés par l'Association B.________, 
 
Autorité cantonale de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance, rue de Lausanne 63, 1202 Genève. 
 
Objet 
Prévoyance professionnelle, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal administratif fédéral du 19 août 2022 (A-5138/2018, A-5139/2018). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. La fondation de prévoyance "Personalfürsorgestiftung der Procter & Gamble-Gesellschaften in der Schweiz" (ci-après: la fondation) a pour but de venir en aide aux employés des sociétés affiliées au groupe Procter & Gamble en cas notamment de vieillesse ou d'invalidité. A la suite d'une restructuration de ce groupe ayant entraîné le transfert au 30 septembre 2016 de 559 assurés dans une nouvelle institution de prévoyance, le conseil de fondation a décidé de procéder à la liquidation partielle de la fondation.  
Le 30 juin 2017, dans le cadre de cette liquidation, six personnes ainsi que l'association B.________ et ses membres, nommées dans le rubrum du présent arrêt, ont saisi l'Autorité cantonale de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance du canton de Genève (ci-après: l'ASFIP) de deux plaintes distinctes mais portant sur des conclusions identiques. Elles avaient notamment invoqué l'illégalité de certaines dispositions réglementaires et décisions de la fondation de prévoyance, ainsi qu'un usage de la fortune de celle-ci non conforme à sa destination. 
 
A.b. L'ASFIP a traité chaque plainte en disjoignant les questions se rapportant d'une part à la liquidation partielle de la fondation, d'autre part à la gestion de celle-ci.  
Par deux décisions du 3 juillet 2018 relatives à la liquidation partielle de la fondation, l'une adressée aux assurés 1 à 6, l'autre à l'association B.________, l'ASFIP a déclaré irrecevables les plaintes du 30 juin 2017 formées par les assurés 2 et 4 et par ladite association; l'ASFIP a rejeté la plainte des assurés 1, 3, 5 et 6. 
Par deux décisions du 20 juillet 2018 relatives à la gestion de la fondation, rendues l'une concernant les assurés 1 à 6, l'autre l'association B.________, l'ASFIP a déclaré irrecevables les plaintes du 30 juin 2017. L'autorité de surveillance a retenu que sa compétence pour connaître des contestations des assurés était limitée par le champ d'application de l'art. 62 al. 1 LPP. Par ailleurs, en tant qu'ils portaient avant tout sur des prestations d'assurance, de libre passage et des cotisations, les griefs des intimés concernaient spécifiquement le droit de la prévoyance professionnelle et avaient pour objet le rapport de prévoyance entre les assurés, la fondation et les employeurs, de sorte qu'ils relevaient de la compétence du tribunal cantonal au sens de l'art. 73 LPP. Adressées à l'autorité de surveillance, les plaintes devaient en conséquence être déclarées irrecevables. 
 
B.  
 
B.a. Les deux décisions du 3 juillet 2018 ont été déférées au Tribunal administratif fédéral. Elles ont fait l'objet d'un arrêt du 19 août 2022 qui n'a pas été attaqué (causes jointes A-5129/2018 et A-5130/2018).  
 
B.b. Par deux mémoires séparés, les assurés 1 à 6 ainsi que l'association B.________ et ses membres ont recouru contre les décisions du 20 juillet 2018 devant le Tribunal administratif fédéral, entraînant l'ouverture de deux procédures de recours distinctes (causes A-5139/2018 et A-5138/2018). Leurs conclusions, identiques, portaient en bref et principalement sur la majoration des prestations de libre passage, la fixation du taux d'intérêt technique, la fixation des facteurs de conversion pour les prestations d'entrée, la fixation des cotisations, ainsi que sur la constitution d'une réserve de fluctuation de valeurs.  
Dans un second arrêt du 19 août 2022, le Tribunal administratif fédéral a joint les causes A-5138/2018 et A-5139/2018 (ch. 1 du dispositif), rejeté la requête tendant à la jonction des causes A-5138/2018 et A-5130/2018 et des causes A-5139/2018 et A-5129/2018 (ch. 2), admis les recours dans la mesure de leur recevabilité (ch. 3), annulé les décisions du 20 juillet 2018 et renvoyé la cause à l'autorité inférieure pour qu'elle examine les plaintes du 30 juin 2017 en ce qui concerne la gestion de la fondation (ch. 4). Il a renoncé à percevoir des frais de procédure (ch. 5) et a alloué un montant de 1'500 fr. à titre de dépens aux assurés 1 à 6. 
 
C.  
La fondation interjette un recours en matière de droit public contre l'arrêt rendu dans les causes A-5138/2018 et A-5139/2018 dont elle demande l'annulation, en particulier les ch. 3 à 6 du dispositif. Elle conclut à ce que les plaintes du 30 juin 2017 des intimés soient déclarées irrecevables et que les décisions de l'ASFIP du 20 juillet 2018, objets des causes précitées, soient confirmées. Elle requiert aussi l'attribution de l'effet suspensif à son recours. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. Le litige porte sur le point de savoir si le Tribunal administratif fédéral était fondé à entrer en matière sur les recours formés par les intimés contre les décisions d'irrecevabilité de l'ASFIP du 20 juillet 2018, à les annuler et à renvoyer la cause à cette autorité pour nouvelle décision.  
 
1.2. Le Tribunal fédéral examine d'office la recevabilité des recours qui lui sont soumis (cf., parmi d'autres, ATF 148 V 265 consid. 1.1), ainsi que si les conditions de recevabilité étaient réunies devant l'instance précédente et si, partant, c'est à bon droit que celle-ci est entrée en matière (cf., parmi d'autres, ATF 136 V 7 consid. 2 et les arrêts cités). Lorsque l'instance précédente ne voit pas qu'une condition de recevabilité fait défaut et rend une décision sur le fond, il y a lieu d'en tenir compte d'office dans la procédure de recours et d'en tirer la conséquence que l'arrêt entrepris doit être annulé (cf. ATF 142 V 67 consid. 2.1; 141 V 605 consid. 3.1; 136 V 7 consid. 2; arrêt 9C_101/2022 du 22 février 2023 consid. 3).  
 
1.3. D'un point de vue formel, l'arrêt attaqué constitue une décision de renvoi, soit une décision incidente qui ne peut faire l'objet d'un recours au Tribunal fédéral qu'aux conditions de l'art. 93 LTF (ATF 133 V 477 consid. 4.2. et 4.3). Toutefois, lorsqu'un recours porte sur la question de l'existence même d'un recours cantonal ou de la recevabilité d'un tel recours, ce qui est le cas en l'espèce, le recours auprès du Tribunal fédéral est en principe recevable indépendamment de l'exigence d'une des conditions de l'art. 93 al. 1 LTF, soit un préjudice irréparable ou la possibilité de conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (cf. ATF 143 I 344 consid. 1.2: arrêt 1B_682/2021 du 30 juin 2022 consid. 1.2 et les arrêts cités).  
Le recours est donc recevable, indépendamment de l'éventualité visée par l'art. 92 LTF, invoquée par la recourante et qui peut rester indécise. 
 
2.  
Devant le Tribunal administratif fédéral, les assurés ont soutenu avoir un droit à ce que des décisions formelles soient rendues sur leurs plaintes du 30 juin 2017. Ils ont notamment fait valoir que l'autorité de surveillance était tenue non seulement à un contrôle abstrait de la légalité de la réglementation interne de l'institution de prévoyance, mais également à un contrôle concret de la légalité de l'activité de prévoyance. Comme ils ne disposaient pas de la légitimation pour agir en responsabilité à l'encontre des organes de la fondation, les recourants avaient allégué que seule la voie de la plainte à l'autorité de surveillance leur était ouverte. A leur avis, on ne se trouvait pas dans un litige en matière de prestations relevant de la compétence du tribunal cantonal. 
Le Tribunal administratif fédéral a admis que les intimés n'avaient plus qualité pour agir en responsabilité selon l'art. 52 LPP puisqu'ils avaient quitté la fondation de prévoyance. Néanmoins, ils conservaient un intérêt digne de protection à ce que l'autorité inférieure examine si leurs droits respectifs aux fonds libres et aux réserves de fluctuation de valeur découlant de la liquidation partielle avaient été quantitativement réduits du fait d'un dommage causé à la fondation de prévoyance dans le cadre de la gestion de celle-ci, et s'il se justifiait d'enjoindre la fondation à agir en réparation de son dommage, voire d'en ordonner la gestion par un organe officiel. Même si les intimés n'avaient pas pris de conclusions claires en ce sens dans leurs plaintes du 30 juin 2017, il fallait tenir compte du fait qu'ils avaient clairement dénoncé des violations de la loi et une situation de fortune non conforme à sa destination et qu'ils avaient au surplus expressément relevé ne disposer que de la voie de la plainte à l'autorité de surveillance. Dans ces conditions, en vertu du principe de la confiance et de la maxime inquisitoire applicable en procédure administrative, le tribunal a admis que l'ASFIP aurait dû se prononcer à ce propos dans une décision sujette à recours. 
 
3.  
 
3.1. La recourante soutient que les intimés n'avaient pas d'intérêt à recourir contre les décisions du 20 juillet 2018. En particulier, elle relève que ces derniers, anciens assurés de la fondation, avaient reçu les prestations réglementaires auxquelles ils avaient droit, avant leur départ de la société, soit leur libre passage. Elle précise que le seul intérêt potentiel n'a plus trait à des droits subjectifs envers la fondation, mais simplement à l'éventualité encore très hypothétique d'une réouverture de la liquidation partielle, qui pourrait le cas échéant aboutir à une entrée de fonds tout aussi hypothétique en raison de dommages survenus avant 2016, dans le cadre d'une action relevant de l'art. 52 LPP. L'intérêt hypothétique porterait sur une réserve de fluctuation, mais cette problématique ne concernait que les sorties collectives, et non les personnes qui ont quitté la fondation à titre individuel; de plus, les montants ne seraient transférés que collectivement à l'institution de prévoyance qu'un assuré aurait rejointe dans l'intervalle.  
Dans ces conditions, la recourante en déduit que les intimés n'ont aucun intérêt direct et immédiat à l'examen de possibles irrégularités qu'ils construisent dans leurs plaintes, la reconnaissance de violations éventuelles au détriment de la fondation ne les affectant pas de façon directe. Elle ajoute que leur situation ne serait possiblement modifiée que si, une fois des irrégularités par impossible établies, et après pesée d'intérêts tenant compte des chances de succès et des coûts de possibles actions en responsabilité, une telle action était exercée. De plus, il faudrait démontrer que les montants récupérés se rapporteraient à un dommage encore subsistant en 2016, pour être finalement attribués à une réserve de fluctuation. 
Enfin, la recourante reproche au Tribunal administratif fédéral de n'avoir pas vérifié les pouvoirs de représentation de plusieurs personnes en faveur de l'association B.________ (cf. art. 11 et 11b PA). 
 
3.2.  
 
3.2.1. Au sujet de la procédure de l'art. 62 LPP (tâches de l'autorité de surveillance), le Tribunal fédéral a jugé qu'elle constitue une véritable voie de droit permettant - entre autres - aux bénéficiaires effectifs ou potentiels de prestations de prévoyance de saisir formellement l'autorité de surveillance et d'obtenir de celle-ci une décision susceptible de recours selon l'art. 74 LPP. Toute personne habilitée à recourir devant le Tribunal administratif fédéral contre les décisions de l'autorité de surveillance peut également se constituer partie auprès de cette autorité et a un droit propre à ce que celle-ci rende une décision sur sa plainte. Ont donc qualité de parties les personnes dont les droits ou les obligations pourraient être touchées par la décision à rendre (cf. ATF 112 Ia 180 consid. 3e; ULRICH MEYER / LAURENCE UTTINGER, LPP et LFLP, 2e éd., n. 11 ad art. 74 LPP).  
Dans le cas d'espèce, l'objet de la plainte des intimés auprès de l'ASFIP consistait à déterminer si l'institution de prévoyance recourante s'était conformée aux dispositions légales ou si sa fortune avait été employée conformément à sa destination. Un tel examen entre dans le champ des tâches qui constituent le coeur de l'activité de surveillance de l'ASFIP, conformément à l'art. 62 al. 1 LPP (à propos de l'exercice du droit à l'information, voir l'arrêt 9C_53/2011 du 28 septembre 2011 consid. 2.2, in SVR 2012 BVG n° 10 p. 42). Cette disposition oblige l'autorité de surveillance à se saisir de telles plaintes, en particulier lorsque des griefs portant sur l'existence d'un système de cotisations et de financement contraires au droit de la prévoyance professionnelle, de même qu'en rapport avec la dissolution d'une réserve de fluctuation de valeurs (survenue en l'occurrence le 30 juin 2015, soit avant le transfert des intimés dans une nouvelle institution de prévoyance), sont invoqués. 
 
3.2.2. Bien qu'elle conclue à l'irrecevabilité des plaintes devant l'ASFIP, la recourante motive ses conclusions en invoquant des éléments qui justifient de reconnaître l'existence d'un intérêt digne de protection des intimés à procéder devant l'autorité cantonale de surveillance, compétente en vertu de l'art. 62 let. 1 let. e LPP. En effet, le présent litige ne porte pas sur des prestations individuelles et concrètes qui entreraient dans le champ d'application du tribunal cantonal en vertu de l'art. 73 LPP, mais il concerne une contestation relative au droit des anciens assurés de la fondation recourante d'être informés (cf. art. 62 al. 1 let. e LPP) sur les violations de la loi ainsi que sur la situation de fortune non conforme à sa destination qu'ils ont alléguées (à propos de ces deux voies de droit, voir MARC HÜRZELER / BARBARA BÄTTIG-LISCHER, Berufliche Vorsorge, Basler Kommentar, n. 15 et 16 ad art. 74 LPP).  
Contrairement à ce que la recourante voudrait en définitive, on ne saurait nier d'emblée aux intimés tout intérêt à saisir l'autorité de surveillance par la voie de la plainte, au motif que leurs conclusions sur le fond seraient vouées à l'échec. En effet, si les conditions de recevabilité d'une plainte (ou d'un recours) sont remplies, l'autorité compétente qui est saisie doit entrer en matière et statuer sur le fond après examen, à peine de commettre un déni de justice formel. 
En raison de leur défaut de qualité pour agir en responsabilité selon l'art. 52 LPP (cf. consid. 6.3 de l'arrêt attaqué), les intimés ne disposaient que de la voie de la plainte à l'autorité de surveillance pour dénoncer des violations de la loi ainsi qu'une situation de fortune non conforme à sa destination. L'instance précédente leur a dès lors reconnu à juste titre un intérêt digne de protection à ce que l'ASFIP examine si les droits à des sommes pouvant être affectées à des fonds libres et à des réserves de fluctuation de valeurs découlant de la liquidation partielle, même après la clôture de celle-ci, avaient été quantitativement réduits du fait d'un dommage causé à la fondation de prévoyance dans le cadre de la gestion de celle-ci. En effet, ces droits pourraient échoir indirectement et collectivement aux institutions de prévoyance que les assurés auraient rejointes après avoir quitté la fondation recourante. Il s'ensuit que le recours interjeté contre l'arrêt de renvoi est infondé. 
 
3.3. Le sort du litige (le renvoi de la cause à l'ASFIP pour qu'elle examine les plaintes du 30 juin 2017 concernant la gestion de la fondation) serait identique même si quelques-uns des pouvoirs de représentation en faveur de l'association B.________ n'étaient finalement pas établis. Il est dès lors superflu de les examiner individuellement à ce stade, cette vérification incombant à l'ASFIP à l'occasion de l'examen des plaintes (cf. art. 11, 11a et 11b PA).  
 
3.4. Vu l'issue du litige, la requête d'effet suspensif n'a plus d'objet.  
 
4.  
La recourante, qui succombe, supportera les frais de la procédure (art. 66 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à l'Autorité cantonale de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance, au Tribunal administratif fédéral, Cour I, à l'Office fédéral des assurances sociales et à la Commission de haute surveillance de la prévoyance professionnelle. 
 
 
Lucerne, le 17 juillet 2023 
 
Au nom de la IIIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Parrino 
 
Le greffier : Berthoud