7B_16/2024 28.03.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
7B_16/2024  
 
 
Arrêt du 28 mars 2024  
 
IIe Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Abrecht, Président, 
Hurni et Hofmann, 
Greffière : Mme Schwab Eggs. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Fabien Mingard, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public de l'arrondissement de Lausanne, p.a. Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD, 
intimé. 
 
Objet 
Procédure pénale; refus de désignation d'un défenseur privé, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 21 décembre 2023 (998 - PE23.018244-JWG). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Le 25 septembre 2023, le Ministère public de l'arrondissement de Lausanne (ci-après: le Ministère public) a ouvert une instruction pénale contre A.________ pour tentative de meurtre, menaces et infraction à la loi fédérale du 20 juin 1997 sur les armes, les accessoires d'armes et les munitions (LArm; RS 514.54).  
A.________ a été appréhendé le 25 septembre 2023 et placé en détention provisoire jusqu'au 24 décembre 2023. 
 
A.b. Me Philippe Baudraz est intervenu en tant qu'avocat de la première heure et A.________ a accepté qu'il soit désigné en qualité de défenseur d'office pour la suite de la procédure.  
Par ordonnance du 28 septembre 2023, le Ministère public a désigné Me Philippe Baudraz en qualité de défenseur d'office de A.________. 
 
A.c. Par courrier du 10 novembre 2023, Me Fabien Mingard a informé le Ministère public qu'il intervenait désormais en qualité de défenseur de choix de A.________ et a produit une procuration en sa faveur signée par celui-ci. Il a requis la révocation du mandat d'office de Me Philippe Baudraz.  
Par courrier du 15 novembre 2023, le Ministère public a indiqué à Me Fabien Mingard que A.________ était déjà défendu par Me Philippe Baudraz en qualité de défenseur d'office et que son remplacement ne pouvait dès lors intervenir qu'aux conditions posées par l'art. 134 al. 2 CPP. Par ailleurs, il a invité Me Fabien Mingard à confirmer "dans les meilleurs délais" que le montant de ses honoraires jusqu'à la clôture de la procédure de première instance était couvert par une provision, respectivement qu'il était concrètement assuré que son client ou ses proches disposent des ressources financières suffisantes pour en assurer le paiement. 
Me Fabien Mingard n'a pas donné suite à ce courrier. 
 
B.  
 
B.a. Par ordonnance du 28 novembre 2023, le Ministère public a rejeté la requête du 10 novembre 2023 et a maintenu la désignation de Me Philippe Baudraz en tant que défenseur d'office.  
 
B.b. Par arrêt du 21 décembre 2023, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois (ci-après: la Chambre des recours pénale) a rejeté le recours formé par A.________ par l'intermédiaire de son défenseur de choix, Me Fabien Mingard, contre l'ordonnance du 28 novembre 2023.  
 
C.  
A.________ interjette un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 21 décembre 2023. Il conclut à sa réforme en ce sens que Me Fabien Mingard soit autorisé à intervenir comme son défenseur de choix, aux côtés de Me Philippe Baudraz, qui continue d'agir comme défenseur d'office. Il sollicite en outre l'octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure fédérale. 
La Chambre des recours pénale ainsi que le Ministère public ont renoncé à se déterminer et se sont référés aux considérants de l'arrêt attaqué. Ces écritures ont été transmises pour information à A.________. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 149 IV 9 consid. 2). 
 
1.1. La décision attaquée, rendue en dernière instance cantonale (art. 80 al. 1 LTF), confirme le refus du Ministère public d'admettre la défense simultanée du recourant par un défenseur d'office et par un avocat de choix. Il s'agit d'une décision en matière pénale, susceptible d'un recours au sens de l'art. 78 al. 1 LTF. Le recourant a participé à la procédure de recours cantonale et a un intérêt juridiquement protégé à obtenir l'annulation ou la modification de la décision attaquée (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF). Le recours a en outre été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF).  
 
1.2. Ne mettant pas un terme à la procédure pénale, la décision attaquée revêt un caractère incident; le recours n'est recevable qu'aux conditions de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, l'hypothèse prévue à l'art. 93 al. 1 let. b LTF n'entrant en l'espèce pas en considération. Le risque de préjudice irréparable selon l'art. 93 al. 1 let. a LTF se rapporte à un dommage de nature juridique qui ne puisse pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision favorable au recourant (ATF 144 IV 127 consid. 1.3.1). Il incombe au recourant de démontrer l'existence d'un tel risque de préjudice lorsque celui-ci n'est pas d'emblée évident (ATF 141 IV 284 consid. 2.3).  
 
1.3. Selon la jurisprudence, un préjudice irréparable existe entre autres lorsque les autorités de justice pénale refusent au prévenu de se faire représenter - en plus de la défense d'office - par un défenseur privé qu'il a sollicité (ATF 139 IV 113 consid. 1.1; 135 I 261 consid. 1.2-1.4; arrêt 1B_424/2020 du 15 décembre 2020 consid. 1.2). Dans l'ATF 135 I 261, le Tribunal fédéral a considéré que le préjudice irréparable résidait dans le fait qu'en n'admettant pas un conseil comme défenseur privé, le prévenu pourrait se voir imposer de facto une défense d'office (exclusive), respectivement que la représentation (supplémentaire) de ses intérêts par la défense privée souhaitée pourrait être rendue impossible. Cela pourrait être en contradiction avec le droit du prévenu à être défendu par le conseil de son choix, financé à titre privé (ATF 135 I 261 consid. 1.4; arrêt 1B_424/2020 précité, consid. 1.2).  
 
1.4. Le recourant soutient que l'arrêt attaqué lui causerait un préjudice irréparable car la cour cantonale lui a refusé le droit de se faire représenter par un défenseur de son choix en plus de son défenseur d'office. En l'espèce, le fait de ne pas admettre Me Fabien Mingard comme défenseur de choix pourrait avoir pour effet d'imposer au recourant une défense d'office, voire de rendre impossible la représentation de ses intérêts par le défenseur privé souhaité. Le cas échéant, cela pourrait entrer en contradiction avec le droit du recourant à être défendu par l'avocat de son choix, financé sur ses propres deniers. La condition du risque de préjudice irréparable posée par l'art. 93 al. 1 let. a LTF est dès lors réalisée. Il y a lieu d'entrer en matière sur le recours.  
 
2.  
 
2.1. Invoquant une violation des art. 32 al. 2 Cst., 6 par. 3 let. c CEDH, 14 al. 3 let. d Pacte II ONU, 127 et 129 al. 1 CPP, le recourant soutient que le refus d'admettre son défenseur de choix aux côtés de son défenseur d'office violerait le droit au libre choix de son avocat.  
 
2.2.  
 
2.2.1. Un cas de défense obligatoire au sens de l'art. 130 CPP impose au prévenu l'assistance d'un défenseur, que celui-ci le soit à titre privé (cf. art. 129 CPP) ou désigné d'office (cf. art. 132 CPP). Dans le premier cas, le prévenu choisit librement son avocat et le rémunère lui-même. Dans la seconde hypothèse, l'autorité désigne au prévenu un défenseur, rétribué par l'Etat - à tout le moins provisoirement -, dans la mesure où la sauvegarde des droits de l'intéressé le requiert (arrêts 7B_238/2023 du 18 juillet 2023 consid. 2.1; 1B_355/2022 du 21 septembre 2022 consid. 3.2; 1B_294/2019 du 11 septembre 2019 consid. 2.1). En cas de défense obligatoire, l'autorité intervient lorsque le prévenu, malgré l'invitation de la direction de la procédure, ne désigne pas de défenseur privé (art. 132 al. 1 let. a ch. 1 CPP) ou lorsque le mandat est retiré au défenseur privé ou que celui-ci a décliné le mandat et que le prévenu n'a pas désigné un nouveau défenseur dans le délai imparti (art. 132 al. 1 let. a ch. 2 CPP).  
 
2.2.2. Si la relation de confiance entre le prévenu et le défenseur d'office est gravement perturbée ou si une défense efficace n'est plus assurée pour d'autres raisons, la direction de la procédure confie la défense d'office à une autre personne (art. 134 al. 2 CPP). Cette dernière disposition n'empêche toutefois pas le prévenu, à n'importe quel stade de la procédure, moyennant une procuration écrite ou une déclaration consignée au procès-verbal, de charger de sa défense un conseil juridique au sens de l'art. 127 al. 5 CPP (art. 129 CPP; arrêts 7B_238/2023 du 18 juillet 2023 consid. 2.2; 1B_152/2020 du 28 mai 2020 consid. 2.1; 1B_419/2017 du 7 février 2018 consid. 2.2).  
Lorsqu'un mandataire de choix s'annonce alors qu'un mandat de défense d'office existe en faveur d'un autre avocat, l'autorité doit s'assurer, avant de révoquer le mandat d'office, que le prévenu en cause est à même de s'acquitter des honoraires de son nouveau conseil jusqu'à la clôture de la procédure de première instance (arrêts 7B_238/2023 du 18 juillet 2023 consid. 2.2 et les références citées; 1B_152/2020 du 28 mai 2020 consid. 2.1). Lorsque cette rémunération est assurée, le motif à l'origine de la défense d'office disparaît et la direction de la procédure révoque le mandat du défenseur désigné (art. 134 al. 1 CPP). 
 
2.2.3. La défense simultanée par un avocat d'office et un avocat de choix n'est cependant pas exclue. Il peut par exemple être nécessaire de nommer un avocat d'office pour un prévenu qui est déjà défendu par un avocat de choix lorsque le prévenu essaie de retarder la procédure par la désignation et la révocation d'avocats. La défense simultanée par un avocat d'office et un avocat de choix est également envisageable par exemple lorsqu'il est douteux que le financement et la permanence de l'avocat de choix soient garantis jusqu'à la fin de la procédure de première instance, surtout lorsque la défense d'office a été ordonnée à cause du manque de moyens nécessaires du prévenu (art. 132 al. 1 let. b CPP; arrêts 1B_671/2021 du 31 mars 2022 consid. 3.4; 1B_424/2020 du 15 décembre 2020 consid. 2.3 et les références citées; 6B_744/2017 du 27 février 2018 consid. 1.4; 1B_291/2012 du 28 juin 2012 consid. 2.3.2). Enfin, il n'est pas exclu que le défenseur de choix assiste gratuitement le défenseur d'office (arrêts 1B_671/2021 précité consid. 3.4; 1B_424/2020 précité consid. 2.3 et les références citées; 6B_744/2017 précité consid. 1.4).  
 
2.2.4. En tout état de cause, le fait de se trouver dans un cas de défense obligatoire ne permet pas d'utiliser les droits conférés à la défense d'une façon constitutive d'un abus de droit (ATF 131 I 185 consid. 3.2.4; arrêt 7B_238/2023 du 18 juillet 2023 consid. 2.3).  
 
2.3. La cour cantonale a précisé en préambule que le recourant ne demandait pas que son défenseur de choix soit désigné comme défenseur d'office en remplacement de Me Philippe Baudraz; il requérait cependant qu'il soit pris acte qu'il l'avait choisi comme défenseur de choix. L'autorité précédente a dès lors considéré que le recourant demandait que celui-ci puisse intervenir comme défenseur de choix aux côtés de Me Philippe Baudraz, qui demeurerait son défenseur d'office.  
La Chambre des recours pénale a retenu que la nomination d'un défenseur de choix par le recourant en cours de procédure impliquait pour la direction de la procédure la révocation du mandat d'office, à moins que le recourant n'ait pas été en mesure de supporter les honoraires de l'avocat de choix. En effet, le prévenu qui choisissait un défenseur de choix et qui était en mesure de le rémunérer voyait, conformément à la jurisprudence, son défenseur d'office relevé de son mandat. En l'occurrence, la garantie que le recourant dispose des moyens nécessaires pour s'acquitter des honoraires de son avocat de choix n'ayant pas été fournie, la cour cantonale a considéré que c'était à raison que le Ministère public n'avait pas accepté la constitution d'un avocat de choix par le recourant. 
 
2.4. En l'espèce, il n'est pas contesté que le recourant se trouve dans un cas de défense obligatoire (cf. art. 130 CPP). Il ressort par ailleurs de l'arrêt cantonal que Me Philippe Baudraz a été désigné comme défenseur d'office du recourant. En outre, ultérieurement, Me Fabien Mingard a informé le Ministère public qu'il intervenait désormais en qualité de défenseur de choix du recourant.  
Lorsque le défenseur de choix a demandé à intervenir pour défendre les intérêts du recourant, celui-ci disposait déjà d'un défenseur d'office. La cour cantonale était dès lors fondée à interpeller le recourant sur la question de la rémunération de ce deuxième conseil afin de déterminer si la défense d'office était encore nécessaire. A cet égard, il ne ressort pas de l'arrêt cantonal que le recourant aurait eu les moyens de rémunérer son conseil. Le recourant ne soutient en outre pas qu'il disposerait désormais des moyens financiers lui permettant de prendre en charge ses frais de défense. Au contraire, il expose dans le cadre de sa demande d'assistance judiciaire devant le Tribunal fédéral qu'il ne bénéficie pas de ressources suffisantes pour rémunérer son avocat. Faute pour le recourant d'apporter la garantie qu'il dispose des moyens nécessaires pour s'acquitter des honoraires du défenseur de choix, la cour cantonale n'a pas violé le droit en refusant la constitution de ce défenseur de choix. 
Il convient encore d'examiner si le recourant se trouve dans l'un des trois cas exceptionnels où la jurisprudence a admis la défense simultanée par un avocat d'office et un avocat de choix (cf. consid. 2.2.3 supra). En l'espèce, le premier cas de défense simultanée n'entre manifestement pas en considération. Le recourant allègue, en se référant à la jurisprudence du Tribunal fédéral (deuxième hypothèse), que la défense simultanée devrait être admise dans la mesure où les honoraires du défenseur de choix ne seraient pas encore assurés jusqu'à la fin de la procédure de première instance. Par son raisonnement, le recourant offre cependant une lecture biaisée de la jurisprudence. En effet, la configuration visée par cette deuxième hypothèse est celle où un défenseur de choix a été désigné en premier lieu mais où le financement ainsi que la permanence de ce défenseur paraissent incertains au point qu'il faille nommer un défenseur d'office pour garantir une défense équitable. En d'autres termes, la désignation d'un défenseur d'office dans un tel contexte permet de pallier de potentielles carences de la défense de choix déjà existante. Or le recourant a en l'espèce bénéficié dès le début de la procédure d'un défenseur d'office. En outre, il n'a pas apporté la garantie qu'il disposait des moyens nécessaires pour assurer le paiement des honoraires de son avocat de choix. A cet égard, il ne fait pas non plus valoir que le défenseur de choix aurait voulu assister gratuitement le défenseur d'office (troisième hypothèse). Le recourant ne peut en définitive pas se prévaloir de la jurisprudence pour obtenir l'assistance d'un défenseur de choix en sus du défenseur d'office déjà désigné. Considérer le contraire reviendrait, dans le cas d'espèce, à éluder les règles en matière de révocation du défenseur d'office au profit d'une défense privée, ce qui ne saurait être protégé.  
Partant, l'autorité précédente n'a aucunement violé le droit fédéral en refusant que le recourant soit assisté par un défenseur de choix en sus du défenseur d'office déjà désigné. 
 
3.  
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté. 
Comme il était d'emblée dénué de chances de succès, la demande d'assistance judiciaire doit être rejetée (art. 64 al. 1 LTF). Le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Ces frais seront toutefois fixés en tenant compte des circonstances et de sa situation financière, laquelle n'apparaît pas favorable (art. 65 al. 2 et 66 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
La demande d'assistance judiciaire est rejetée. 
 
3.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'200 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud, à Me Philippe Baudraz, à Lausanne et à Me Fabien Mingard, à Lausanne. 
 
 
Lausanne, le 28 mars 2024 
 
Au nom de la IIe Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Abrecht 
 
La Greffière : Schwab Eggs