4A_430/2007 11.12.2007
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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
4A_430/2007 
 
Arrêt du 11 décembre 2007 
Ire Cour de droit civil 
 
Composition 
M. et Mmes les Juges Corboz, Président, Klett et Rottenberg Liatowitsch. 
Greffière: Mme Crittin. 
 
Parties 
Fondation A.________, 
recourante, représentée par Me Charles Poncet, 
 
contre 
 
B.________, représentée par Me Elisabeth Ziegler, 
C.________, 
D.________, 
tous les deux représentés par Me Christian Reiser, 
intimés. 
 
Objet 
acte illicite; compétence ratione loci, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 14 septembre 2007. 
 
Faits: 
 
A. 
A.a B.________ est la fille de R.________, de nationalité égyptienne, décédé le 23 février 1996 en Egypte. En vertu du droit égyptien, elle est héritière de son père à raison de 17,5%. 
A.b Le défunt avait constitué, en 1983, la fondation A.________ (ci-après: la fondation A.________ ou la fondation), domiciliée au Liechtenstein, en la dotant d'une partie de sa fortune. 
 
Cette fondation a pour but la gestion de la fortune dont elle a été dotée au profit de ses bénéficiaires, soit, de son vivant, R.________. 
A.c En 1986, le conseil de fondation a été remanié. X.________ et Z.________ ont été remplacés par C.________, domicilié à Genève, et Y.________, domicilié à Vaduz. Ces derniers pouvaient engager la fondation par leur signature collective à deux. D.________, domiciliée à Genève, a été nommée au sein du conseil de fondation en 1993; elle disposait également de la signature collective à deux. Elle a démissionné le 4 décembre 2000 sans être remplacée. 
A.d Au décès de R.________, la fortune de la fondation A.________ comprenait plusieurs comptes bancaires, dont celui ouvert auprès de la Banque privée W.________ (ci-après: la Banque W.________). 
 
B. 
B.a Le 17 août 2006, B.________ a intenté une action en responsabilité contre C.________, D.________ et la fondation A.________ devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. Elle demandait à ce qu'il soit constaté que les avoirs de la fondation A.________ déposés auprès de la Banque W.________ sont la propriété exclusive des héritiers de R.________ et à ce que les défendeurs, pris conjointement et solidairement, soient condamnés à lui payer la somme de 2'875'000 fr. plus intérêts à 5% dès le 23 février 1996. 
 
La demanderesse entend démontrer que la fortune de la fondation A.________ entre dans les actifs successoraux et que les défendeurs ont non seulement caché l'existence de cette fortune à une héritière légale, mais en ont également disposé, sans l'accord de tous les héritiers. La demanderesse soutient que la responsabilité de la fondation A.________ est engagée en vertu de l'art. 55 al. 1 CC, puisque C.________ et D.________ ont agi en qualité d'organes. 
B.b La fondation A.________ a soulevé, d'entrée de cause, une exception d'incompétence ratione loci du Tribunal saisi. 
 
Par jugement du 26 janvier 2007, le Tribunal de première instance a rejeté cette exception. 
 
Le 14 septembre 2007, statuant sur appel de la fondation A.________, la Cour de justice a confirmé le jugement entrepris. 
 
C. 
C.a Contre l'arrêt du 14 septembre 2007, la fondation A.________ interjette un recours en matière civile. Elle conclut, préalablement, à l'octroi de l'effet suspensif et, principalement, à l'annulation de l'arrêt entrepris et à la constatation de l'incompétence des autorités judiciaires genevoises. 
 
S'agissant de la requête d'effet suspensif, la demanderesse et la Cour de justice s'en remettent à justice et les défendeurs C.________ et D.________ appuient la requête. Quant au fond, la demanderesse propose le rejet du recours dans la mesure où il est recevable. Les défendeurs C.________ et D.________ s'en rapportent à justice, tant à la forme qu'au fond. 
C.b Par ordonnance présidentielle du 16 novembre 2007, l'effet suspensif a été accordé au recours. 
 
Considérant en droit: 
 
1. 
1.1 Le recours au Tribunal fédéral est immédiatement ouvert contre les décisions préjudicielles et incidentes qui sont notifiées séparément et qui portent sur la compétence (art. 92 LTF). 
En l'espèce, seule l'exception d'incompétence ratione loci a été tranchée par les tribunaux genevois, qui, statuant séparément du fond, ont admis leur compétence. La décision préjudicielle ou incidente rendue en dernière instance cantonale par la Cour de justice peut donc faire l'objet d'un recours au Tribunal fédéral. 
 
1.2 Le recours a été interjeté par la partie dont l'exception d'incompétence a été rejetée, dans le délai (art. 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Comme l'arrêt entrepris a été rendu en matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 75 LTF) dans une affaire pécuniaire dont la valeur litigieuse atteint largement le seuil de 30'000 francs (art. 74 al. 1 let. b LTF), il y a lieu d'entrer en matière sur le recours. 
 
2. 
Le litige porte exclusivement sur l'existence d'un for à Genève, au regard de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP; RS 291), dont l'applicabilité n'est pas remise en cause. 
 
3. 
L'intimée B.________ - demanderesse - fonde son action sur la responsabilité pour acte illicite. 
 
Pour admettre la compétence internationale des tribunaux suisses dans le cadre de cette action, la Cour de justice s'est référée à l'art. 129 al. 2 LDIP. Selon cette disposition, lorsque le défendeur n'a ni domicile ou résidence habituelle, ni établissement en Suisse, l'action peut être intentée devant le Tribunal suisse du lieu de l'acte ou du résultat. 
 
Sur la base de deux courriers émis par l'un des organes de la fondation depuis Genève, le premier annonçant à la Banque W.________ le changement d'ayant droit économique du compte ouvert auprès d'elle par la fondation et le second ordonnant la clôture de ce même compte, les magistrats ont retenu que le lieu des actes se situait à Genève. Ils ont ainsi admis le for genevois, en laissant ouverte la question de savoir si le for pouvait également être donné en application d'autres dispositions de la LDIP, notamment de l'art. 152 LDIP
 
4. 
Le recours porte, en premier lieu, sur l'application au cas d'espèce de l'art. 129 al. 2 LDIP
 
Le for de cette disposition prévoit comme rattachement avec la Suisse le lieu de l'acte illicite ou du résultat. L'acte illicite qui permet de fonder ce for doit être défini selon le droit suisse (ATF 131 III 153 consid. 6.3 et les références). 
 
Si, comme dans le cas de l'art. 129 al. 2 LDIP, l'examen de la compétence du tribunal se recoupe avec celui du bien-fondé de la demande, il y a lieu de faire application de la théorie de la double pertinence, pour autant qu'il ne s'agisse pas de se prononcer sur l'immunité d'un Etat ou sur la compétence d'un tribunal arbitral (ATF 131 III 153 consid. 5.1). Selon cette théorie, l'existence des faits justifiant à la fois la compétence et les prétentions au fond, s'ils sont contestés, seront présumés réalisés pour l'examen de la compétence et ils ne devront être prouvés qu'au moment où le juge statuera sur le fond de la demande. En d'autres termes, il suffit, pour admettre la compétence du tribunal, que les faits qui constituent à la fois la condition de cette compétence et le fondement nécessaire de la prétention soumise à l'examen du tribunal soient allégués avec une certaine vraisemblance. Les objections de la partie défenderesse ne seront examinées qu'au moment de juger l'affaire sur le fond (ATF 131 III 153 précité et les références citées). 
 
5. 
La recourante requiert tout d'abord la rectification d'une constatation factuelle, manifestement inexacte au sens de l'art. 105 LTF. Il s'agit du fait selon lequel « par courrier du 9 juillet 1998, émis de Genève, la fondation A.________, soit toujours pour elle D.________, a ordonné à la Banque W.________ de clôturer son compte et d'en transférer les avoirs sur un autre compte aux Bahamas ». Aux dires de la recourante, il convient de remplacer « sur un autre compte aux Bahamas » par « sur son compte aux Bahamas ». 
 
La contestation de la recourante, qui n'a trait qu'à la dénomination utilisée pour désigner le compte détenu aux Bahamas, est dénuée de toute pertinence. Tout d'abord, on ne saurait déduire de la terminologie utilisée que la cour a retenu que les actifs détenus à Genève ont été transférés sur le compte d'un tiers aux Bahamas, ce qui n'est du reste pas allégué à l'appui de la demande. Au demeurant, il importe peu, en l'état de la procédure, que le transfert ait été opéré sur le compte de la fondation ou sur celui d'un tiers. En effet, la clôture du compte à Genève, puis le transfert des fonds de Genève aux Bahamas, sont suffisants pour montrer que la fondation, par l'intermédiaire de ses membres, a continué de gérer ces fonds, en faisant fi de la nouvelle situation imposée par le décès du bénéficiaire. 
Le premier grief tombe donc manifestement à faux. 
 
6. 
6.1 La recourante dénonce ensuite une violation de l'art. 129 al. 2 LDIP. Elle expose que l'arrêt querellé ne contient aucune constatation factuelle sur l'existence, le montant, la date, les modalités et, surtout, le lieu des prétendus actes de disposition reprochés aux organes de la fondation et qu'en cela, le raisonnement de la cour cantonale viole l'art. 129 al. 2 LDIP. Elle relève également que les deux actes, qui justifient, selon la cour, une compétence des tribunaux suisses, relèvent d'actes préparatoires et ne sauraient, par conséquent, être qualifiés d'actes illicites. 
 
Dans un second volet, la recourante prétend que la nature réelle de la prétention invoquée dans le cadre de l'action en responsabilité n'est pas délictuelle et qu'ainsi l'art. 129 LDIP n'est pas applicable. Selon la recourante, la prétention est contractuelle, voire successorale ou encore sociétale, mais ne relève à aucun titre de prétendus actes illicites de la fondation ou de ses organes, qui ne sont invoqués par l'intimée que pour tenter de créer un for artificiel en Suisse. 
 
6.2 La cour cantonale a fondé son raisonnement sur les allégations présentées à l'appui de l'action en responsabilité, en prenant soin d'indiquer - à juste titre - qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer, à ce stade de la procédure, sur la véracité de ces allégations. Elle a, en particulier, pris appui sur certains allégués de la demande, desquels il ressort que C.________ et D.________, tous deux domiciliés à Genève et agissant en qualité de membres du conseil de fondation, savaient - ou auraient dû savoir - que les actifs de la fondation entraient dans les biens successoraux, qu'ils ont caché à l'intimée l'existence de la fondation et distribué les fonds de la succession à l'insu et sans l'accord de l'intimée. Les juges ont également mis l'accent sur l'existence de deux courriers émis depuis Genève par l'un des organes de la fondation, qui, pour le premier, annonçait à la Banque W.________ le changement d'ayant droit économique du compte ouvert auprès d'elle par la fondation et, pour le second, ordonnait la clôture de ce compte. 
En se fondant sur ces éléments de fait - dont la recourante ne prétend pas qu'ils ont été constatés de façon manifestement inexacte ou en violation du droit (art. 105 al. 2 LTF) - pour déterminer si les autorités judiciaires suisses sont compétentes au regard de la LDIP, on ne voit pas en quoi la Cour de justice aurait violé le droit fédéral, en particulier l'art. 129 al. 2 LDIP, ce qui n'est du reste pas démontré à satisfaction (cf. art. 42 al. 2 LTF). 
 
Quant à la critique faisant état d'actes préparatoires en lieu et place d'actes illicites, elle est infondée. En effet, dès lors qu'il ressort des allégués de la demande qu'une plainte pénale pour gestion déloyale et abus de confiance a été portée en lien avec les agissements en cause et qu'il n'est pas exclu, sans préjuger du bien-fondé de l'action, que les membres du conseil de fondation C.________ et D.________ aient pu commettre des actes pénalement réprimés, la commission de simples actes préparatoires est exclue. 
 
En outre, quoi qu'en dise la recourante, l'indication à la banque du nouvel ayant droit économique, puis la clôture du compte à Genève et le transfert des fonds sur un compte aux Bahamas, suffisent à montrer que C.________ et D.________ ont agi sur des fonds susceptibles de faire partie des actifs successoraux et sur lesquels ils n'avaient donc plus la même emprise. Ainsi, il est sans pertinence de déterminer, à ce stade de la procédure, si l'indication fournie à la banque au sujet de l'ayant droit économique porte ou non à conséquence. Comme relevé ci-dessus (cf. supra, consid. 5), le même constat s'impose s'agissant de l'identité du titulaire du compte ouvert aux Bahamas. Ces questions seront, le cas échéant, tranchées par les juges du fond. 
 
Il n'est par ailleurs pas nécessaire, contrairement à ce que soutient la recourante, d'examiner, dans le cadre de la décision sur la compétence, si l'état de fait est propre à engager la responsabilité des personnes recherchées, puisqu'il ne revient pas à l'autorité de se prononcer sur toutes les conditions d'application de l'art. 41 CO. Il convient enfin de souligner qu'il est loisible au justiciable de déterminer la nature de la prétention qu'il entend faire trancher par les autorités judiciaires saisies et de fixer ainsi l'objet du litige. 
 
Dans la mesure où il a été retenu à juste titre par la cour cantonale que les actes allégués sur lesquels se fonde la prétention en responsabilité ont été commis à Genève, c'est à bon droit que la Cour de justice a admis le for genevois sur la base de l'art. 129 al. 2 LDIP
 
7. 
Sur le vu de ce résultat, il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur les considérations de la recourante, qui tendent à démontrer l'absence de tout autre for en Suisse. 
 
8. 
En conclusion, le recours ne peut qu'être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. 
 
9. 
Compte tenu de l'issue du litige, la recourante, qui succombe, doit acquitter l'émolument judiciaire et les dépens à allouer à l'intimée B.________ qui s'est exprimée sur le recours (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF). Il n'y a en revanche pas lieu d'allouer des dépens aux autres intimés, qui se sont limités à dire qu'ils s'en rapportent à justice. 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
 
1. 
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2. 
Les frais judiciaires, arrêtés à 15'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3. 
Une indemnité de 17'000 fr., à payer à l'intimée B.________ à titre de dépens, est mise à la charge de la recourante. 
 
4. 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. 
Lausanne, le 11 décembre 2007 / CMF 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
Le Président: La Greffière: 
 
Corboz Crittin