1C_405/2023 31.10.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_405/2023  
 
 
Arrêt du 31 octobre 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Chaix et Müller. 
Greffier : M. Alvarez. 
 
Participants à la procédure 
A.________, représenté par Me Damien Hottelier, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Secrétariat d'Etat aux migrations, Quellenweg 6, 3003 Berne. 
 
Objet 
Annulation de la naturalisation facilitée, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour VI du Tribunal administratif fédéral du 8 juin 2023 (F-1545/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Le 24 septembre 2010, A.________, ressortissant libanais né en 1990, et B.________, ressortissante suisse née en 1989, se sont mariés à Monthey. 
Les époux sont devenus parents d'une fille le 23 mars 2018. 
 
B.  
Le 24 octobre 2017, A.________ a déposé auprès du Secrétariat d'Etat aux migrations (ci-après: SEM) une demande de naturalisation facilitée. Le 18 octobre 2018, le prénommé et son épouse ont contresigné une déclaration aux termes de laquelle ils confirmaient vivre en communauté conjugale effective et stable, résider à la même adresse et n'envisager ni séparation ni divorce. 
Par décision du 31 octobre 2018, le SEM a accordé la naturalisation facilitée à A.________. Cette décision est entrée en force le 2 décembre 2018. 
 
C.  
Les époux A.________-B.________ se sont séparés le 1 er juin 2019.  
Le 8 octobre 2019, le SEM a signalé à A.________ qu'il se voyait contraint d'examiner s'il y avait lieu d'annuler sa naturalisation facilitée, compte tenu du bref intervalle de temps entre sa naturalisation et sa séparation d'avec son épouse. En réponse, A.________ a expliqué que l'origine de la séparation résidait dans la relation ambiguë entretenue par son épouse avec le parrain de leur fille, qu'il n'avait découverte qu'en mai 2019, postérieurement à sa naturalisation. 
Le 2 mars 2022, après avoir procédé à diverses mesures d'instruction et auditionné B.________, le SEM a prononcé l'annulation de la naturalisation facilitée accordée à A.________. 
Par acte du 1 er avril 2022, A.________ a recouru contre cette décision au Tribunal administratif fédéral (ci-après également: TAF ou encore le tribunal), qui a rejeté son recours par arrêt du 8 juin 2023. L'enchaînement rapide des faits entre la déclaration de vie commune et la séparation fondait la présomption d'une communauté conjugale qui n'était déjà plus stable et orientée vers l'avenir lors de l'octroi de la naturalisation facilitée à A.________. La relation ambiguë entre son épouse et le parrain de leur fille n'expliquait pas à elle seule la séparation, dont l'origine était à rechercher dans un lent processus de désunion ayant débuté avant la naturalisation.  
 
D.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du TAF du 8 juin 2023 et la décision du SEM du 2 mars 2022. Il requiert également l'octroi de l'effet suspensif, accordé par ordonnance du 19 septembre 2023. 
Le Tribunal administratif fédéral renonce à prendre position, tandis que le SEM estime que le recours ne contient pas d'élément remettant en question l'arrêt attaqué. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Dirigé contre la décision du Tribunal administratif fédéral qui confirme l'annulation de la naturalisation facilitée accordée au recourant, le recours est recevable comme recours en matière de droit public (art. 82 let. a et 86 al. 1 let. a LTF). Le motif d'exclusion de l'art. 83 let. b LTF n'entre pas en ligne de compte (cf. arrêts 1C_574/2021 du 27 avril 2022 consid. 1 et les références citées; 1C_264/2015 du 27 août 2015 consid. 1.1). Le recourant revêt en outre la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF. Les autres conditions de recevabilité étant au surplus réunie, il convient d'entrer en matière. 
 
2.  
A l'appui de son pourvoi, le recourant se plaint d'un établissement arbitraire des faits et d'une violation de l'art. 36 de la loi fédérale sur la nationalité suisse du 20 juin 2014 (LN; RS 141.0). 
 
2.1. Conformément à l'art. 36 al. 1 LN, le SEM peut annuler la naturalisation ou la réintégration obtenue par des déclarations mensongères ou par la dissimulation de faits essentiels.  
Pour qu'une naturalisation facilitée soit annulée, il ne suffit pas qu'elle ait été accordée alors que l'une ou l'autre de ses conditions n'était pas remplie; il faut qu'elle ait été acquise grâce à un comportement déloyal et trompeur. S'il n'est point besoin que ce comportement soit constitutif d'une escroquerie au sens du droit pénal, il est nécessaire que l'intéressé ait donné sciemment de fausses informations à l'autorité ou qu'il l'ait délibérément laissée dans l'erreur sur des faits qu'il savait essentiels (ATF 140 II 65 consid. 2.2; arrêt 1C_442/2022 du 16 janvier 2023 et les arrêts cités). Tel est notamment le cas si le requérant déclare vivre en communauté stable avec son conjoint alors qu'il envisage de se séparer une fois obtenue la naturalisation facilitée; peu importe que son mariage se soit ou non déroulé jusqu'ici de manière harmonieuse (arrêts 1C_272/2009 du 8 septembre 2009 consid. 3.1, publié in SJ 2010 p. 69; 1C_428/2022 du 7 mars 2023 consid. 4.1.1). 
La nature potestative de l'art. 36 LN confère une certaine liberté d'appréciation à l'autorité compétente, qui doit toutefois s'abstenir de tout abus dans l'exercice de celle-ci. Commet un abus de son pouvoir d'appréciation l'autorité qui se fonde sur des critères inappropriés, ne tient pas compte de circonstances pertinentes ou rend une décision arbitraire, contraire au but de la loi ou non conforme au principe de la proportionnalité (arrêt 1C_442/2022 du 16 janvier 2023 consid. 4.1.1; pour la jurisprudence rendue en application de l'art. 41 al. 1 aLN, cf. notamment arrêt 1C_601/2017 du 1 er mars 2018 consid. 3.1.1).  
D'après la jurisprudence, la notion d'union conjugale (cf. art. 21 al. 2 let. a LN) suppose non seulement l'existence formelle d'un mariage, mais encore une véritable communauté de vie des conjoints; tel est le cas s'il existe une volonté commune et intacte de ceux-ci de maintenir une union conjugale stable; une séparation survenue peu après l'octroi de la naturalisation constitue un indice de l'absence de cette volonté lors de l'obtention de la citoyenneté suisse (ATF 135 II 161 consid. 2; 128 II 97 consid. 3a). 
 
2.2. La procédure administrative fédérale est régie par le principe de la libre appréciation des preuves (art. 40 de la loi fédérale de procédure civile fédérale du 4 décembre 1947 [PCF; RS 273] applicable par renvoi de l'art. 19 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 [PA; RS 172.021]). Ce principe vaut également devant le Tribunal administratif fédéral (art. 37 de la loi fédérale sur le Tribunal administratif fédéral du 17 juin 2005 [LTAF; RS 173.32]). L'administration supporte le fardeau de la preuve lorsque la décision intervient, comme en l'espèce, au détriment de l'administré. Cela étant, la jurisprudence admet dans certaines circonstances que l'autorité puisse se fonder sur une présomption. C'est notamment le cas pour établir que le conjoint naturalisé a menti lorsqu'il a déclaré former une union stable, dans la mesure où il s'agit d'un fait psychique lié à des éléments relevant de la sphère intime, souvent inconnus de l'administration et difficiles à prouver (ATF 135 II 161 consid. 3). Partant, si l'enchaînement rapide des événements fonde la présomption de fait que la naturalisation a été obtenue frauduleusement, il incombe alors à l'administré de renverser cette présomption en raison non seulement de son devoir de collaborer à l'établissement des faits (art. 13 PA; ATF 135 II 161 consid. 3), mais encore de son propre intérêt (ATF 130 II 482 consid. 3.2). Par enchaînement rapide des événements, la jurisprudence entend une période de plusieurs mois, voire d'une année, mais ne dépassant pas deux ans (arrêt 1C_442/2022 du 16 janvier 2023 consid. 4.1.2).  
S'agissant d'une présomption de fait, qui ressortit à l'appréciation des preuves et ne modifie pas le fardeau de la preuve (cf. ATF 135 II 161 consid. 3 p. 166), l'administré n'a pas besoin, pour la renverser, de rapporter la preuve contraire du fait présumé, à savoir faire acquérir à l'autorité la certitude qu'il n'a pas menti; il suffit qu'il parvienne à faire admettre l'existence d'une possibilité raisonnable qu'il n'ait pas menti en déclarant former une communauté stable avec son conjoint. Il peut le faire en rendant vraisemblable, soit la survenance d'un événement extraordinaire susceptible d'expliquer une détérioration rapide du lien conjugal, soit l'absence de conscience de la gravité de ses problèmes de couple et, ainsi, l'existence d'une véritable volonté de maintenir une union stable avec son conjoint lorsqu'il a signé la déclaration (ATF 135 II 161 consid. 3 et les arrêts cités). 
 
2.3. En l'espèce, le Tribunal administratif fédéral a considéré que le court laps de temps (six mois) séparant la date d'entrée en force de la décision de naturalisation (2 décembre 2018) et la fin du ménage commun (1 er juin 2019) était de nature à fonder la présomption de fait selon laquelle, au moment de la déclaration commune, respectivement lors de la décision de naturalisation, la communauté conjugale des époux n'était plus stable et orientée vers l'avenir. Cette appréciation, que le recourant ne discute au demeurant pas, apparaît conforme à la jurisprudence et doit être confirmée (cf. notamment arrêt 1C_82/2018 du 31 mai 2018 consid. 4.3 et les arrêts cités).  
Il s'agit dès lors uniquement de déterminer si la relation ambiguë entre l'épouse du recourant et le parrain de leur fille, événement dont celui-là se prévaut, constitue un événement extraordinaire susceptible de renverser cette présomption, singulièrement d'expliquer une dégradation aussi rapide du lien conjugal. 
 
2.4. Devant les autorités précédentes, le recourant a exposé que, durant le mois de mai 2019, il avait découvert inopinément des messages sur le téléphone de son épouse indiquant l'existence d'une relation ambiguë entre elle et son collègue de travail qui était également leur ami, leur bailleur et le parrain de leur fille. Il s'agissait d'un événement extraordinaire expliquant la séparation rapide du couple, argumentation qu'il réitère devant le Tribunal fédéral. Selon lui, il serait erroné d'avoir retenu l'existence de difficultés antérieures au sein du couple. Il affirme par ailleurs avoir voulu sauver son couple et entrepris des démarches en ce sens, ce dont l'instance précédente n'aurait pas tenu compte.  
 
2.4.1. Le recourant reproche en particulier au Tribunal administratif fédéral de n'avoir repris que partiellement les déclarations de son épouse pour fonder son appréciation. Le recourant se limite cependant à énumérer d'autres déclarations que celles reproduites dans l'arrêt attaqué qui lui paraissent pertinentes - sans toutefois indiquer d'où celles-ci sont issues - et d'en tirer ses propres conclusions; il ne discute ce faisant aucunement l'appréciation de l'instance précédente, en particulier les éléments mis en évidence et démontrant la préexistence de difficultés au sein du couple. Il ne revient en particulier pas sur les propos de la conseillère conjugale consultée par le couple durant les mois de mai et juin 2019. Celle-ci a indiqué, dans son courrier du 8 novembre 2021, que "la découverte de ces messages [avait] avivé des tensions préexistantes concernant des domaines très différents", précisant que le couple rencontrait des problèmes avec les belles familles respectives, que le recourant disait avoir de la peine à trouver sa place dans la maison suite à la naissance de leur fille, que les conjoints rencontraient passablement de problèmes de communication entre eux (beaucoup d'engueulades, d'insultes et de reproches notamment) et qu'ils avaient par ailleurs des attentes divergentes dans le domaine de la sexualité. Le recourant ne discute pas non plus les déclarations de son épouse à la Police du Haut-Lac selon lesquelles les époux n'avaient pas assez d'activités communes à cause des occupations de chacun, que leurs sentiments réciproques s'étaient estompés avec le temps, et que chacun avait un peu sa vie de son côté au lieu d'une vraie vie de couple. Or, à la lumière de ces éléments, le Tribunal administratif fédéral pouvait à bon droit, sans outrepasser son pouvoir d'appréciation (cf. ATF 129 III 400 consid. 3.1; arrêt 1C_442/2022 du 16 juin 2023 consid. 4.1.1), considérer que le couple rencontrait des difficultés préalablement à la découverte des messages ambigus. Dans un tel contexte, vu les difficultés décrites ci-dessus et contrairement à ce que soutient le recourant, l'unique infidélité de l'épouse - laquelle n'est au demeurant pas établie - ne saurait en tant que telle constituer un événement extraordinaire au sens de la jurisprudence et le recourant ne saurait à cet égard rien déduire de l'arrêt 1C_618/2020 du 19 mai 2021, qui n'apparaît en l'espèce pas pertinent.  
 
2.4.2. Que ce soit le recourant qui, selon ses dires, aurait entrepris des démarches pour sauver le couple - en proposant la consultation d'une conseillère conjugale - est ici sans conséquence; on ne discerne pas en quoi la mise en oeuvre de cette démarche, postérieurement à la découverte des messages litigieux, remettrait en cause la préexistence de difficultés au sein du couple et serait à ce titre susceptible de renverser la présomption définie par la jurisprudence. Cette consultation a d'ailleurs été particulièrement brève puisqu'elle ne s'est déroulée qu'entre les 16 mai et 20 juin 2019.  
 
2.4.3. Le recourant dresse enfin une longue liste de critères issus de la jurisprudence commandant, à le suivre, de retenir l'existence d'une union conjugale stable, critères auxquels répondrait son couple. Cette ultime argumentation demeure cependant strictement appellatoire et doit être déclarée irrecevable faute de répondre aux exigences de motivation du recours fédéral: outre qu'elle est jalonnée d'éléments factuels ne ressortant pas de l'arrêt attaqué, elle ne renferme aucune discussion de l'appréciation de l'instance précédente (cf. art. 42 al. 2 et 106 al. 2 LTF; ATF 145 V 188 consid. 2 et les arrêts cités). Il en va en particulier ainsi de la problématique liée à l'existence d'un contrat de financement pour une construction, dont le tribunal a nié qu'il soit suffisant pour renverser la présomption, "compte tenu de la très brève période écoulée entre la décision de naturalisation et la séparation définitive des époux, ainsi qu'entre la survenance du différend conjugal en mai et la séparation définitive du couple le 1 er juin 2019", appréciation sur laquelle rien ne commande ainsi de revenir.  
 
2.5. Dans ces conditions, il convient de s'en tenir à la présomption de fait fondée sur l'enchaînement chronologique rapide des événements, selon laquelle l'union formée par les époux ne remplissait pas les conditions posées pour l'octroi de la naturalisation facilitée du recourant; il faut ainsi retenir que la séparation est le résultat d'un long processus de dégradation des rapports conjugaux (cf. arrêt 1C_270/2018 du 6 novembre 2018 consid. 3.4 et la jurisprudence citée).  
Mal fondé, le grief est écarté. 
 
3.  
Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours, dans la mesure de sa recevabilité, aux frais du recourant, qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais de justice, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué au recourant, au Secrétariat d'Etat aux migrations ainsi qu'à la Cour VI du Tribunal administratif fédéral. 
 
 
Lausanne, le 31 octobre 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
Le Greffier : Alvarez