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Urteilskopf

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22. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public du 8 juin 1984 dans la cause Kress, Association suisse des opticiens, groupe de Genève et Mattmann contre Grand Conseil du canton de Genève (recours de droit public)

Regeste

1. Art. 4 BV: rechtliches Gehör.
Der aus Art. 4 BV abgeleitete Anspruch auf rechtliches Gehör gilt nicht im Gesetzgebungsverfahren (E. 4).
2. Art. 31 BV: Verhältnismässigkeit.
Art. 122 Abs. 2 des Genfer Gesetzes über die Ausübung von Berufen des Gesundheitswesens (vom 16. September 1983), der die Optiker (der Gruppe a) insofern in der Ausübung ihrer Tätigkeit beschränkt, als er ein ärztliches Rezept verlangt für jedes Anpassen von Kontaktlinsen, selbst bei Fehlen eines pathologischen Befundes, verletzt Art. 31 BV, da sich eine solche Massnahme zum Schutze der Gesundheit nicht als notwendig erweist (E. 5).

Sachverhalt ab Seite 99

BGE 110 Ia 99 S. 99
En mai 1981, le Conseil d'Etat genevois a déposé sur le bureau du Grand Conseil un projet de loi sur l'exercice des professions de
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la santé, les établissements médicaux et diverses entreprises du domaine médical. Accompagné d'un exposé des motifs, ce projet de loi était destiné à remplacer la loi du 11 décembre 1926 et son règlement d'exécution, qui avaient subi au cours des années de nombreuses modifications. Pratiquement, ce projet de loi ne prévoyait pas de modification quant à la définition des compétences attachées à la profession d'opticien: à l'art. 131 al. 1 de son projet, le gouvernement cantonal avait prévu que les opticiens du groupe a seraient autorisés à procéder aux examens subjectif et objectif de la vue et à effectuer l'ajustage et l'application des lentilles de contact "avec l'assistance d'un médecin oculiste en cas de nécessité"; dans son exposé des motifs, le Conseil d'Etat avait précisé à ce sujet que, "compte tenu des remarques et propositions faites tant par l'association des médecins que par celle des opticiens, il n'y a aucun changement quant au fond".
Toutefois, à la demande écrite de plusieurs médecins ophtalmologues et après avoir entendu trois d'entre eux, mais sans donner à l'association des opticiens la possibilité de s'exprimer sur cette proposition, la commission parlementaire a décidé de modifier le texte de l'art. 131 - devenu l'art. 122 - du projet de loi en ce sens que les opticiens du groupe a ne pourraient effectuer l'ajustage et l'application des lentilles de contact que "sur prescription des médecins". Au cours de son second débat, le Grand Conseil a confirmé cette décision, puis il a adopté, en troisième débat, le texte de la nouvelle loi. Par arrêté du 9 novembre 1983, le Conseil d'Etat a promulgué cette loi du 16 septembre 1983 et a fixé son entrée en vigueur au 1er janvier 1984.
Agissant par la voie du recours de droit public, Jean-Albert Kress, opticien diplômé à Genève, requiert le Tribunal fédéral d'annuler les mots "sur prescription des médecins" à l'al. 2 de l'art. 122 de la loi genevoise du 16 septembre 1983 sur l'exercice des professions de la santé, les établissements médicaux et diverses entreprises du domaine médical. A l'appui de ses conclusions, le recourant invoque, d'une part, la violation - par la commission parlementaire - du droit d'être entendu selon l'art. 4 Cst. et, d'autre part, la violation de la liberté du commerce et de l'industrie garantie par l'art. 31 Cst.
Par ailleurs, le Groupe de Genève de l'Association suisse des opticiens et Jacques Mattmann, opticien diplômé à Genève, demandent au Tribunal fédéral d'annuler l'art. 122 al. 2 de la loi sur l'exercice des professions de la santé "dans la mesure où il interdit
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aux opticiens du groupe a d'effectuer l'ajustage et l'application des lentilles de contact sans prescription d'un médecin même en l'absence d'un état pathologique". Les recourants se plaignent essentiellement de la violation de l'art. 31 Cst. et plus particulièrement d'une violation "des principes de proportionnalité et de subsidiarité".
Le Tribunal fédéral a admis les recours et a annulé les mots "sur prescription des médecins" figurant à l'art. 122 al. 2 de la loi genevoise du 16 septembre 1983 sur l'exercice des professions médicales.

Erwägungen

Extrait des motifs:

4. Selon le recourant Jean-Albert Kress, l'autorité cantonale aurait violé l'art. 4 Cst. en ne procédant pas à l'audition de représentants des opticiens après avoir entendu des médecins ophtalmologues. Comme il s'agit là d'un droit de nature formelle et que sa violation entraîne l'annulation de l'acte attaqué indépendamment des chances de succès du recours au fond (ATF 106 Ia 74 consid. 2 et les arrêts cités), il faut examiner tout d'abord ce moyen.
a) La portée du droit d'être entendu est déterminée en premier lieu par le droit cantonal, dont le Tribunal fédéral examine l'application sous l'angle restreint de l'arbitraire. Dans les cas où la protection que ce droit accorde aux administrés apparaît insuffisante, l'intéressé peut invoquer celle découlant directement de l'art. 4 Cst. qui constitue ainsi une garantie subsidiaire et minimale. Le Tribunal fédéral examine librement si les exigences posées par cette disposition constitutionnelle ont été respectées (ATF 108 Ia 191, ATF 103 Ia 138 consid. 2a et les références citées). En l'espèce, le recourant ne fait valoir aucune violation de normes de droit cantonal lui accordant un droit d'être entendu plus large que le droit découlant directement de l'art. 4 Cst. Il faut donc examiner si l'autorité cantonale - soit, en fait, la commission parlementaire - a violé la règle subsidiaire et minimale de l'art. 4 Cst.
b) Selon la jurisprudence, un particulier a, moyennant certaines conditions, le droit d'être entendu en procédure administrative avant que ne soit rendue une décision qui le touche dans sa situation juridique. Ce droit ne s'étend cependant pas à la procédure législative, c'est-à-dire à celle qui conduit à l'adoption de normes générales et abstraites (ATF 106 Ia 79 consid. 2b et les arrêts cités). En l'absence d'une disposition spéciale de droit
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cantonal, l'autorité n'a donc pas, en droit constitutionnel suisse, l'obligation d'entendre les citoyens concernés au cours de la procédure législative; en principe, elle n'est pas tenue de donner aux intéressés la possibilité de faire opposition à un projet d'acte législatif ou réglementaire ou de recourir contre un tel projet (ATF 107 Ia 275 consid. 2b). Ainsi, selon le droit fédéral, le recourant ne pouvait pas revendiquer le droit d'être entendu par la commission parlementaire avant l'adoption par le Grand Conseil de la loi sur l'exercice des professions de la santé.
(...)

5. a) La doctrine et la jurisprudence ont toujours interprété la notion de commerce et d'industrie dans un sens large. Au regard de l'art. 31 Cst., ce sont toutes les activités rétribuées, exercées professionnellement. Dès lors, l'exercice d'une activité professionnelle à des fins lucratives ou dans le but d'en tirer un revenu bénéficie, en principe, de la garantie de l'art. 31 Cst. (ATF 103 Ia 261 /262 consid. 2a). Tel est notamment le cas de l'activité professionnelle des opticiens.
Les cantons peuvent cependant apporter à la liberté constitutionnelle du commerce et de l'industrie des restrictions consistant notamment en des mesures de police justifiées par l'intérêt public. Sont en revanche prohibées les mesures de politique économique, soit celles qui interviennent dans la libre concurrence pour assurer ou favoriser certaines branches de l'activité lucrative ou certaines formes d'exploitation et qui tendent à diriger l'activité économique selon un certain plan. Les prescriptions cantonales de police visent à sauvegarder la tranquillité, la sécurité, la santé et la moralité publiques, à préserver d'un danger ou à l'écarter, ou encore à prévenir les atteintes à la bonne foi en affaires par des procédés déloyaux et propres à tromper le public (ATF 109 Ia 70 consid. 3a, ATF 106 Ia 269 consid. 1 et les arrêts cités). Ces mesures doivent avoir une base légale, être justifiées par un intérêt public prépondérant et, selon le principe de la proportionnalité, se limiter à ce qui est nécessaire à la réalisation des buts d'intérêt public poursuivis (ATF 108 Ia 146 consid. bb, 137, ATF 103 Ia 262, ATF 100 Ia 175 et les références citées).
b) En principe, les mesures prises par le législateur genevois pour réglementer la profession d'opticien semblent être justifiées par l'intérêt public à la protection de la santé; les recourants ne contestent d'ailleurs pas la constitutionnalité de ces mesures de police sanitaire.
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En revanche, les autorités intimées n'ont jamais dit clairement que la disposition de l'art. 122 al. 2 de la loi - interdisant aux opticiens de fournir à leurs clients des verres de contact sans prescription médicale - est réellement justifiée par la nécessité de protéger la santé. Dans son rapport, la commission parlementaire a relevé que, dans sa teneur proposée par le Conseil d'Etat, "l'article 122 répondait aux voeux des auditionnés (c'est-à-dire des médecins ophtalmologues), puisqu'il signifiait en substance que l'opticien peut procéder à des examens subjectifs (l'avis du patient est requis) et objectifs (au travers d'appareils spécifiques) de la vue, mais ne peut ajuster des lentilles de contact sans qu'un médecin n'ait décidé de l'opportunité d'un tel acte". Elle a également souligné "que par ailleurs un des principes généraux de la loi indique que celui qui n'est pas compétent ou à la limite de sa compétence "doit user de son autorité pour engager ses clients à consulter un médecin" (art. 125)" (voir Mémorial des séances du Grand Conseil, 1983, p. 3163). Ainsi, elle n'a nullement prétendu - et encore moins démontré - que la disposition proposée par le Conseil d'Etat n'offrait pas de garanties suffisantes au regard de la protection de la santé et qu'elle devait donc être complétée, pour ce motif, par l'exigence d'une prescription médicale dans tous les cas. Quant au chef du Département de la prévoyance sociale et de la santé publique, il ne parle nulle part, dans ses mémoires, de cette protection nécessaire de la santé.
c) Au demeurant, les opticiens eux-mêmes se montrent tout à fait conscients de cette nécessité, puisqu'ils acceptent de ne pas intervenir sans prescription médicale en cas de nécessité ou s'il y a "état pathologique", c'est-à-dire lorsqu'ils constatent que l'ajustage et l'application de verres de contact risqueraient de mettre en danger la santé des yeux d'un client. Or il importe de relever que le chef du Département de la santé publique affirme lui-même que "les qualifications des opticiens du groupe a, en général et celles de M. Kress en particulier, ne sont pas en cause. Nous ne connaissons pas de litige par-devant la commission de surveillance des professions médicales et auxiliaires depuis 1969". Il ajoute même que "les médecins qui ont déposé par-devant la commission parlementaire n'ont pas argué du manque de qualifications des opticiens, bien au contraire...".
La nécessité d'exiger une prescription médicale dans tous les cas n'est ainsi nullement démontrée. Certes, afin d'écarter certains dangers, il peut s'avérer nécessaire que le client consulte un
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médecin; mais cette nécessité n'existe que dans certains cas d'état pathologique et non pas dans tous les cas de pose de verres de contact. Les opticiens eux-mêmes jugent nécessaire cette prescription médicale dans ces "cas d'état pathologique". Or il est important de constater que personne ne met en doute leur capacité de déceler de tels cas. A cet égard, il est d'ailleurs significatif que cette solution nuancée a été admise par le Conseil d'Etat genevois qui, dans son projet de loi, n'exigeait une prescription médicale qu'en "cas de nécessité".
En outre et surtout, elle a aussi été admise par les ophtalmologues eux-mêmes qui, sur le plan suisse, se sont mis d'accord avec les opticiens pour définir les cas où une prescription médicale apparaît nécessaire. Cet accord a été concrétisé par l'élaboration en commun d'une "Liste des indications concernant l'équipement des amétropes avec des verres de contact", dont le préambule expose notamment que
"La liste des indications suivantes est le résultat d'une entente
(...).
Ce consensus est la base des relations mutuelles. Son but est de consolider et d'approfondir les bonnes relations entre opticiens adaptateurs de verres de contact et ophtalmologues adaptateurs de verres de contact.
Les ophtalmologues adaptateurs de VC le font vis-à-vis du public aux mêmes conditions - prestations que les opticiens adaptateurs de VC qualifiés afin de préserver une concurrence loyale."
Cette liste regroupe les différents cas sous les trois rubriques suivantes:
"I. Indication sans ophtalmologue (sans ordonnance).
II. Indication par un ophtalmologue; désirée mais non obligatoire.
III. Indication par l'ophtalmologue; obligatoire.
L'avocat qui a rédigé le second mémoire de recours a donc raison d'y relever que les ophtalmologues genevois qui sont intervenus auprès de la commission parlementaire se trouvent "en désaccord avec leur propre organisation professionnelle et ne sauraient en aucune manière invoquer, en faveur de la solution préconisée par eux, un quelconque consensus scientifique de la branche".
Il est vrai que le Tribunal fédéral n'est, en principe, pas à même de juger si une restriction telle que cette obligation d'une prescription médicale peut être considérée comme une mesure de police nécessitée par la protection de la santé, car c'est là une question d'experts. Cependant, il faut bien constater, au vu des éléments qui précèdent, que les avis des experts sont connus, qu'ils sont tous concordants et que les associations faîtières des
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ophtalmologues et des opticiens, sur le plan suisse, sont d'accord sur cette question. Au reste, il n'est fait état, dans cette affaire, d'aucune contre-expertise ni d'aucun élément qui aille en sens contraire. Force est donc, pour le Tribunal de céans, de prendre acte de ces avis concordants et de constater, sans avoir à requérir l'avis d'autres experts encore, qu'une prescription médicale n'est pas nécessaire dans tous les cas et que les opticiens du groupe a sont suffisamment qualifiés pour déceler les cas pathologiques.
d) Ainsi, le moyen tiré d'une violation du principe de la proportionnalité apparaît fondé. Le législateur genevois est allé trop loin en exigeant dans tous les cas une prescription médicale: une telle exigence n'apparaît pas justifiée par un intérêt public prépondérant, relevant de la protection de la santé; dans une certaine mesure, elle peut même aller à l'encontre de l'intérêt public - reconnu comme important - à limiter l'explosion des coûts de la santé. Mais, d'un autre côté, les opticiens eux-mêmes jugent cette prescription médicale nécessaire dans les cas où ils constatent un "état pathologique". Autrement dit, l'art. 122 al. 2 de la loi impose aux opticiens une limitation de leur liberté incompatible avec l'art. 31 Cst., dans la mesure où il interdit aux opticiens du groupe a d'ajuster et d'appliquer des verres de contact sans prescription médicale, même en l'absence d'un état pathologique.
e) Lié par le principe de l'effet cassatoire du recours de droit public, le Tribunal fédéral ne peut modifier lui-même le texte de la loi cantonale. Il ne peut donc qu'annuler les mots "sur prescription des médecins", en laissant au législateur genevois le soin et la liberté de modifier le texte légal s'il l'estime nécessaire.