8D_5/2023 22.03.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
8D_5/2023  
 
 
Arrêt du 22 mars 2024  
 
IVe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Wirthlin, Président, 
Maillard et Métral. 
Greffière : Mme von Zwehl. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représentée par M e Thomas Barth, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Conseil d'Etat de la République et canton de Genève, soit pour lui l'OPE, Direction générale, 
rue du Stand 26, 1204 Genève, 
intimé. 
 
Objet 
Droit de la fonction publique, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 28 février 2023 (A/2781/2022-FPUBL ATA/182/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Le 1er novembre 2018, A.________ a été engagée par le Département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après: le DIP) du canton de Genève en tant que directrice de l'Office B.________. Elle a été nommée fonctionnaire le 1er novembre 2020.  
A partir de fin septembre 2021, plusieurs articles de presse ont fait état de graves dysfonctionnements au sein du Foyer de C.________, qui dépend de l'Office B.________ et qui accueille des enfants souffrant d'autisme et de déficiences intellectuelles. Il a notamment été fait état de maltraitances sur les enfants pris en charge dans ce foyer. Sollicitée par les médias, la Conseillère d'Etat D.________, alors en charge du DIP, a dû s'en expliquer. 
Dans le même temps, A.________ s'est vue reprocher par son employeur des manquements en lien avec son activité de directrice de l'Office B.________, notamment de ne pas avoir été en mesure d'analyser les causes des problèmes rencontrés par l'Office B.________ et d'avoir mal géré la crise du Foyer de C.________. Elle a été libérée provisoirement de l'obligation de travailler jusqu'à la prise d'une décision sujette à recours et convoquée à un entretien de service, qui a eu lieu le 26 janvier 2022. La fonctionnaire a contesté les reproches qui lui étaient faits. Le 25 février 2022, des experts mandatés par le DIP ont rendu un rapport sur les dysfonctionnements constatés au Foyer de C.________ dont les conclusions ont été relayées dans la presse. Une procédure de reclassement a été ouverte contre la fonctionnaire. 
 
A.b. Le 1er avril 2022, A.________ a introduit devant le Conseil d'État une action en constatation d'une atteinte illicite à sa personnalité avec requête de mesures provisionnelles. A ce titre, elle demandait qu'il fût fait immédiatement interdiction, sous la menace des peines prévues par l'art. 292 CP, à la Conseillère d'État D.________ de se prononcer publiquement auprès de tiers ou de la presse sur sa responsabilité en lien avec l'affaire du Foyer de C.________ (ch. 1) ainsi que de tenir des propos portant directement ou indirectement atteinte à sa réputation professionnelle, à son intégrité morale ou à sa considération sociale (ch. 2) et, enfin, qu'il fût dit que ces mesures provisionnelles resteraient en vigueur jusqu'à ce qu'une décision sur la constatation de l'atteinte à sa personnalité fût rendue et devenue définitive (ch. 3).  
Par arrêté du 29 juin 2022, le Conseil d'État a pris acte de la récusation de la Conseillère d'État D.________ et déclaré irrecevable l'action en constatation avec la requête de mesures provisionnelles. 
 
B.  
A.________ a déféré l'arrêté du 29 juin 2022 à la Chambre administrative de la République et canton de Genève, qui a rejeté son recours par arrêt du 28 février 2023. 
 
C.  
A.________ forme un recours constitutionnel subsidiaire dans lequel elle conclut principalement à la réforme de l'arrêt cantonal en ce sens qu'il est entré en matière sur sa demande de protection de la personnalité du 1er avril 2022 et que la cause est renvoyée au Conseil d'Etat pour qu'il s'en saisisse. Subsidiairement, elle demande le renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants. 
L'intimé conclut au rejet du recours dans la mesure où celui-ci serait recevable et où il ne serait pas devenu sans objet. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF). Il contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 145 V 57 consid. 1). 
 
1.1. L'arrêt entrepris a été rendu en matière de rapports de travail de droit public concernant une contestation de nature non pécuniaire et qui ne touche pas à une question de l'égalité des sexes, de sorte que seule la voie du recours constitutionnel subsidiaire peut entrer en considération (art. 83 let. g et art. 113 LTF). C'est donc à juste titre que la recourante a formé un tel recours.  
 
1.2. La qualité pour former un recours constitutionnel subsidiaire suppose un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée (art. 115 let. b LTF). Les intérêts invoqués par la partie recourante doivent être protégés soit par une règle du droit fédéral ou du droit cantonal, soit directement par un droit fondamental spécifique (ATF 136 I 323 consid. 1.2; 133 I 185 consid. 4). Indépendamment de sa qualité pour recourir sur le fond, le destinataire d'un arrêt cantonal d'irrecevabilité a qualité pour contester ce prononcé sous l'angle de l'art. 115 let. b LTF en invoquant une violation de ses droits de partie à la procédure. Tel est le cas dans la mesure où la recourante reproche à la cour cantonale d'avoir commis un déni de justice formel en confirmant le refus du Conseil d'Etat d'entrer en matière sur ses conclusions en protection de sa personnalité.  
 
1.3. Dans le recours en matière de droit public comme dans le recours constitutionnel subsidiaire, la partie recourante doit avoir un intérêt actuel et pratique à son recours (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1; 137 I 23 consid. 1.3.1; arrêt 8C_252/2018 du 29 janvier 2019 consid. 7.2 et les arrêts cités). Produisant l'arrêté constatant les résultats du second tour de l'élection du Conseil d'Etat du 30 avril 2023 dont il ressort que D.________ n'a pas été réélue et n'est donc plus membre du Conseil d'Etat depuis le 1er juin 2023, l'intimé fait valoir que la recourante ne disposerait plus d'un intérêt actuel à ce qu'il soit entré en matière sur ses conclusions en interdiction faites à la prénommée. Conformément à l'art. 99 al. 1 LTF, les faits et les moyens de preuve nouveaux sont en principe irrecevables. Toutefois, il est possible d'invoquer des faits nouveaux qui rendent le recours sans objet (cf. GRÉGORY BOVEY, in Commentaire de la LTF, 3e éd., n. 25 ad. art. 99 LTF; ATF 145 III 422 consid. 5.2; 137 III 614 consid. 3.2.1). En l'espèce, on doit admettre avec l'intimé que cette partie des conclusions de l'action de la recourante a perdu de son actualité avec la non réélection de D.________ dès lors que les mesures demandées l'ont été en lien avec la qualité de membre du Conseil d'Etat de cette dernière. En revanche, la recourante conserve un intérêt à obtenir l'entrée en matière sur sa conclusion en constatation d'une prétendue atteinte à sa personnalité par D.________.  
 
1.4. Pour le surplus, le recours, dirigé contre une décision finale (art. 117 et 90 LTF) rendue en dernière instance cantonale par une autorité judiciaire supérieure (art. 114 et 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF), a été déposé en temps utile (art. 117 et 100 al. 1 LTF) et dans les formes requises (art. 42 LTF).  
 
2.  
 
2.1. Saisi d'un recours constitutionnel subsidiaire, le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 118 al. 1 LTF). Il peut rectifier les constatations de celle-ci uniquement si les faits ont été établis en violation de droits constitutionnels (art. 118 al. 2 LTF en relation avec l'art. 116 LTF), soit en particulier s'ils ont été établis de manière arbitraire, ce qui correspond à la notion de "manifestement inexacte" figurant à l'art. 105 al. 2 LTF (ATF 144 II 246 consid. 6.7; 143 IV 241 consid. 2.3.1).  
 
2.2. Le recours constitutionnel subsidiaire ne peut être formé que pour violation des droits constitutionnels (art. 116 LTF). Comme le recours en matière de droit public, il ne peut pas être formé pour violation du droit cantonal en tant que tel. En revanche, il est toujours possible de faire valoir que l'application du droit cantonal est arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. ou contraire à un droit fondamental (ATF 142 II 369 consid. 2.1; 135 III 513 consid. 4.3). En vertu de l'art. 106 al. 2 LTF, applicable par renvoi de l'art. 117 LTF, les griefs y relatifs doivent être invoqués et motivés par la partie recourante, à savoir expressément soulevés et exposés de manière claire et détaillée, en précisant en quoi consiste la violation (cf. ATF 145 I 121 consid. 2.1).  
Appelé à revoir l'application ou l'interprétation d'une norme cantonale ou communale sous l'angle de l'arbitraire, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motif objectif et en violation d'un droit certain. En revanche, si l'application de la loi défendue par l'autorité cantonale ne s'avère pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une autre solution paraît également concevable, voire préférable (ATF 148 I 145 consid. 6.1; 145 II 32 consid. 5.1). Par ailleurs, la décision doit être arbitraire dans son résultat, et pas seulement dans sa motivation (ATF 140 III 16 consid. 2.1; 139 III 334 consid. 3.2.5). Une décision cantonale est arbitraire lorsqu'elle s'écarte de la jurisprudence du Tribunal fédéral sans motif pertinent (ATF 148 III 95 consid. 4.1). Mais le choix d'une solution opéré par l'autorité cantonale sur une question qui est controversée en doctrine et qui n'a pas été tranchée par le Tribunal fédéral ne peut pas être qualifié d'arbitraire (cf. arrêt 5A_519/2018 du 1er mai 2019 consid. 2 et les références). 
 
3.  
 
3.1. Dans un premier volet, les juges cantonaux ont examiné si la recourante, comme elle le soutenait, pouvait ouvrir action en constatation d'une atteinte illicite à sa personnalité à l'encontre d'un membre du Conseil d'Etat devant cette dernière autorité sur le fondement de la législation cantonale à laquelle elle était soumise en sa qualité de fonctionnaire, à savoir la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC; RS/GE B 5 05), son règlement d'application du 24 février 1999 (RPAC; RS/GE B 5 05.01) ainsi que le règlement relatif à la protection de la personnalité à l'Etat de Genève du 12 décembre 2012 (RPPers; RS/GE B 5 05.10).  
Après avoir présenté les normes ayant trait à la protection de la personnalité dans la loi et les règlements précités, l'instance précédente a jugé que la recourante ne pouvait pas s'en prévaloir à l'encontre de la Conseillère d'Etat D.________. En effet, les membres du Conseil d'Etat n'entraient pas dans le champ d'application personnel du RPPers tel défini par son art. 2. Par ailleurs, il ressortait des différentes dispositions du règlement que celui-ci avait pour but de traiter les situations de conflit interpersonnel, soit entre deux membres du personnel soumis au RPPers. En attestait notamment l'art. 30 al. 3 RPPers sur la base duquel l'autorité d'engagement peut prendre toute mesure disciplinaire utile à l'égard de l'auteur d'un harcèlement ou d'une atteinte à la personnalité. Se référant à leur propre jurisprudence, les juges cantonaux ont exposé qu'il s'agissait là du but poursuivi par la procédure d'investigation prévue par le RPPers. Par conséquent, l'art. 1 al. 1 RPPers ne pouvait servir de fondement à une action en constatation de l'existence d'une atteinte illicite entre un membre du personnel au sens de l'art. 2 RPPers et un membre du Conseil d'Etat. 
 
3.2. La recourante se plaint d'une application arbitraire du droit cantonal (art. 9 Cst.), d'un déni de justice (art. 29 Cst.) ainsi que d'une violation du principe de la séparation des pouvoirs. Elle fait valoir qu'en tant que fonctionnaire, elle est titulaire d'un droit à la protection de sa personnalité qui lui est garanti par l'art. 2B LPAC et que tout autre interprétation serait insoutenable, dans la mesure où elle revient à immuniser les élus du gouvernement du devoir de respecter la loi et de traiter de manière correcte leurs fonctionnaires. Par ailleurs, en se fondant sur l'art. 2 RPPers, la cour cantonale ferait primer une simple norme réglementaire sur une disposition de la loi. Enfin, même si une interprétation littérale de l'art. 2 RPPers pouvait donner à penser que le règlement s'appliquait au "personnel engagé", le contexte légal imposait de considérer que la procédure mise en place avait pour but de traiter des atteintes à la personnalité dénoncées par un fonctionnaire, cela indépendamment de la question de savoir si les actes en cause étaient le fait d'un conseiller d'État.  
 
3.3. A teneur de l'art. 2B LPAC, il est veillé à la protection de la personnalité des membres du personnel, notamment en matière de harcèlement psychologique et de harcèlement sexuel (al. 1); des mesures sont prises pour prévenir, constater et faire cesser toute atteinte à la personnalité (al. 2); les modalités sont fixées par règlement (al. 3). Sur cette base, le Conseil d'État a adopté le RPPers. L'art. 1er RPPers pose le principe que le Conseil d'Etat veille à la protection de la personnalité de tous les membres du personnel dans le cadre de leur activité professionnelle (al. 1) et qu'il prend les mesures nécessaires à la prévention, à la constatation, à la cessation et à la sanction de toute atteinte à la personnalité d'un membre du personnel, en particulier en cas de harcèlement sexuel ou psychologique (al. 2). Dans ce contexte, le Conseil d'Etat instaure un Groupe de confiance, dont la mission principale consiste à traiter les demandes des personnes qui font appel à lui et à contribuer à ce que la hiérarchie fasse cesser les atteintes à la personnalité (art. 4 al. 1 et 5 al. 3 RPPers). Selon l'art. 2 RPPers, qui définit le champ d'application du règlement, y est soumis le personnel engagé au sein d'un des départements de l'administration publique cantonale genevoise, de la chancellerie d'État et du secrétariat général du Grand Conseil (al. 1), de même que le personnel des établissements publics pour l'intégration, celui de l'Institution genevoise de maintien à domicile, de l'Hospice général, de l'office cantonal des assurances sociales ainsi que de l'autorité cantonale de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance (al. 2 let. a à e).  
 
3.4. Contrairement à ce que soutient la recourante, l'art. 2B LPAC ne confère pas directement au fonctionnaire un droit d'action pour faire constater une atteinte à sa personnalité. Comme le relève à bon escient l'intimé, le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de juger, à propos de l'ancien art. 120B (disposition reprise à l'art. 125) de la loi cantonale genevoise sur l'instruction publique du 17 septembre 2015 [LIP; RS/GE C 1 10] dont la teneur est la même que l'art. 2B LPAC, qu'une telle disposition s'adresse avant tout à l'autorité en lui enjoignant de prendre les mesures pour prévenir, constater et faire cesser toute atteinte à la personnalité et qu'elle n'est pas, comme telle, le fondement d'une action en justice contre l'Etat ou les personnes mises en cause (arrêt 8C_246/2018 du 16 janvier 2019 consid. 5.4). Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a également exposé que sa violation par l'autorité peut en revanche engager la responsabilité de l'Etat selon les règles habituelles de procédure. L'argumentation de la recourante relative à l'art. 2B LPAC, de même que son grief tiré d'une violation du principe de la séparation des pouvoirs se révèlent ainsi infondés. Pour le surplus, la cour cantonale n'a pas interprété l'art. 2 RPPers de façon arbitraire en considérant que cet article règle le champ d'application du dispositif de protection de la personnalité prévu par le RPPers et que celui-ci se circonscrit aux personnes engagées. Il est patent que les membres du Conseil d'Etat, élus par le corps électoral (art. 52 al. 1 let. b de Constitution du canton de Genève du 14 octobre 2012 [Cst-GE; RS/GE A 2 00]), n'en font pas partie. Cela ne signifie pas, comme le dit la recourante, que ceux-ci ne répondent pas de leurs actes à l'égard des fonctionnaires, mais seulement que le dispositif de protection de la personnalité mis en place au niveau des membres du personnel avec la création du Groupe de confiance ne leur est pas applicable, ce qui s'explique par le fait qu'ils assument une fonction politique et dirigent l'administration cantonale (cf. art. 102 Cst-GE). D'ailleurs, l'art. 30 al. 6 RPPers réserve expressément l'application la loi [cantonale genevoise] du 24 février 1989 sur la responsabilité de l'Etat et des communes (LREC; RS/GE A 2 40), de même que les procédures judiciaires engagées par la personne plaignante à l'égard de la personne mise en cause.  
 
4.  
 
4.1. Dans un second volet, les juges cantonaux ont examiné si la recourante pouvait se fonder sur l'art. 4A de la loi [cantonale genevoise] du 12 septembre 1985 sur la procédure administrative (LPA-GE; RS/GE E 5 10) pour obtenir de la part du Conseil d'État une décision de constatation d'une atteinte à sa personnalité.  
Sous le titre marginal "Droit à un acte attaquable", l'art. 4A LPA-GE dispose que toute personne qui a un intérêt digne de protection peut exiger que l'autorité compétente pour des actes fondés sur le droit fédéral, cantonal ou communal et touchant à des droits ou des obligations (a) s'abstienne d'actes illicites, cesse de les accomplir, ou les révoque, (b) élimine les conséquences d'actes illicites ou (c) constate le caractère illicite de tels actes (al. 1); l'autorité statue par décision (al. 2). 
Les juges cantonaux ont exposé que dans la mesure où l'art. 4A LPA-GE était le pendant cantonal de l'art. 25a de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (PA; RS 172.01), il devait s'interpréter de la même manière que la disposition fédérale. Selon la jurisprudence, le droit à obtenir une décision fondée sur l'art. 25a PA était subsidiaire en ce sens qu'il cédait le pas à d'autres voies si une protection juridique suffisante était assurée d'une autre manière. Or, en l'espèce, la LREC offrait à la recourante la possibilité de faire valoir sa prétention. Cette loi prévoyait une procédure relevant de la compétence du Tribunal de première instance pour obtenir la réparation des actes illicites commis par les magistrats dans l'exercice de leur fonction. L'art. 6 LREC contenait un renvoi aux règles du Code Civil [CC] applicables à titre de droit cantonal supplétif, dont notamment les art. 28 ss CC sur la protection de la personnalité, y compris les mesures prévues pour faire constater une atteinte illicite à la personnalité (art. 28a al. 1 ch. 3 CC). Les juges cantonaux n'ont pas examiné plus avant l'argument de la recourante qui se prévalait d'auteurs de doctrine selon lesquels l'action en responsabilité de l'Etat n'excluait pas l'usage, à titre préalable, de la voie du droit à un acte attaquable en vertu de l'art. 4A LPA-GE, respectivement l'art. 25a PA. Selon la cour cantonale, cette position de la doctrine pouvait éventuellement entrer en ligne de compte dans le cadre des actions formatrices de l'art. 4A LPA-GE, soit celles des let. a et b, mais non pas en cas de conclusions en constatation de droit (cf. art. 4A let. c LPA-GE), comme en l'espèce, la recourante demandant uniquement de faire constater une atteinte illicite à sa personnalité commise par un membre du Conseil d'Etat. Or lorsqu'une action condamnatoire était ouverte, le droit à une décision constatatoire revêtait un caractère subsidiaire. C'était donc à juste titre que l'intimé avait déclaré l'action de la recourante irrecevable. 
 
4.2. La recourante invoque une violation de son droit d'accès au juge consacré par l'art. 29a Cst. ainsi qu'une application arbitraire de l'art. 4A LPA-GE. S'appuyant sur la doctrine majoritaire, elle réaffirme qu'une concurrence est possible entre la voie de l'action en responsabilité de l'Etat de la LREC et celle du droit à un acte attaquable selon l'art. 4A LPA-GE. Citant un article de STÉPHANE GRODECKI, elle soutient que l'administré, eu égard à son devoir de réduire le dommage, serait même tenu d'agir par la voie des actions des let. a et b de l'art. 4A LPA-GE avant de demander réparation à l'Etat sur la base de la LREC (voir "La jurisprudence en matière de responsabilité de l'Etat rendue pour le canton de Genève et ses perspectives de développement au regard du droit à un acte attaquable" in SJ 2017 II p. 259 et ss). Or, il était manifestement inexact de la part de la cour cantonale de retenir qu'elle avait seulement pris des conclusions constatatoires alors qu'elle avait également demandé des mesures d'action immédiates visant à mettre un terme à l'atteinte, sans qu'il importe que lesdites conclusions aient été formulées à titre de mesures provisionnelles ou au fond. La cour cantonale avait ainsi arbitrairement appliqué l'art. 4A LPA-GE et aurait dû, à teneur même de son raisonnement, valider l'ouverture d'une procédure par voie de décision devant l'intimé. Par ailleurs, la voie de la LREC serait soumise à des conditions largement plus restrictives et n'offrirait pas une protection juridique équivalente; or le droit d'accès au juge devait être effectif.  
 
4.3.  
 
4.3.1. L'art. 29a Cst. prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire; la Confédération et les cantons peuvent, par la loi, exclure l'accès au juge dans des cas exceptionnels. Cette norme constitutionnelle étend donc le contrôle judiciaire en principe à toutes les contestations juridiques, y compris aux actes de l'administration, en établissant une garantie générale de l'accès au juge (ATF 147 I 333 consid. 1.5.1; 143 I 344 consid. 8.2; 141 I 172 consid 4.4.1). Il suffit qu'il soit possible d'avoir une fois l'accès à un juge dans une cause juridique (ATF 143 III 193 consid. 5.4; 143 I 426 consid. 3.1; voir aussi BERNHARD WALDMANN, in Basler Kommentar zur Bundesverfassung, 2015, n. 13 ad art. 29a Cst.). Le droit au contrôle judiciaire garanti par l'art. 29a Cst. n'existe que dans le cadre des règles de procédure en vigueur, de sorte qu'il n'interdit pas de faire dépendre la question de l'entrée en matière sur un recours ou sur une action du respect des conditions habituelles de recevabilité. Ce n'est que lorsque ces conditions entravent excessivement l'accès effectif au juge que l'art. 29a Cst. s'avère être violé (cf. notamment ATF 143 I 344 consid. 8.3 et 143 I 227 consid. 5.1; également les arrêts 2C_196/2023 du 7 février 2024 consid. 5.1, 5A_1002/2017 du 12 mars 2019 consid. 4.2.3 et 5A_2/2019 du 1er juillet 2019).  
 
4.3.2. L'art. 4A LPA-GE met en oeuvre, au niveau cantonal, le droit à l'accès au juge garanti par l'art. 29a Cst. s'agissant du contrôle des actes matériels de l'administration. Cette disposition s'interprète de la même manière que l'art. 25a PA (cf. arrêt 8D_3/2022 du 10 janvier 2023 consid. 6.1.4 et les références citées). Selon la jurisprudence, le droit à une décision selon l'art. 25a PA n'existe pas si la législation a délibérément exclu la protection juridique contre l'acte matériel ou si une protection juridique suffisante est possible d'une autre manière (ATF 146 I 145 consid. 4.1; 146 V 38 consid. 4.3; 140 II 315 consid. 3.1; arrêt 1C_377/2019 du 1er décembre 2020 consid. 5.1 non publié aux ATF 147 I 280; voir aussi ATF 149 II 302 consid. 7.3.2; arrêt 1C_447/2023 du 19 février 2024 consid. 2.3.2).  
 
4.4. Une partie de la doctrine qui s'est exprimée sur la relation entre l'art. 25a PA et la responsabilité de l'Etat se prononce en faveur de la coexistence alternative des prétentions de l'art. 25a PA et de celles fondées sur les règles de la responsabilité de l'Etat (voir ISABELLE HÄNER, Praxiskommentar Verwaltungsverfahrensgesetz, 3e éd., 2023, ad 25a PA, n. 53 et la doctrine citée en note de bas de page). L'auteure précitée partage également l'opinion de GRODECKI quant à l'obligation de l'administré, lorsqu'il requiert la réparation du dommage, de demander au préalable à l'autorité compétente par voie de décision qu'elle s'abstienne, cesse ou révoque l'acte illicite (art. 25a let. a PA) ou qu'elle en élimine les conséquences (art. 25a let. b PA) au regard du principe général de l'obligation de diminuer le dommage. Cela étant, le Tribunal fédéral n'a pas eu à trancher ces questions jusqu'ici. Par ailleurs, il est constant que la recourante n'a pas demandé de dommages-intérêts ni de tort moral, de sorte que la problématique en lien avec l'obligation de diminuer le dommage soulevée par la doctrine ne se pose pas dans la présente affaire. Même si au moment du prononcé de l'arrêt entrepris les conclusions en interdiction formulées par la recourante n'avaient pas encore perdu leur actualité et que le raisonnement de la cour cantonale est critiquable dans ses motifs en tant qu'elle en a fait abstraction, on ne voit pas que le résultat auquel elle a abouti soit arbitraire. La recourante ne conteste pas que la voie de l'action en responsabilité fondée sur la LREC lui est ouverte même encore maintenant s'agissant de sa conclusion en constatation d'une atteinte illicte à sa personnalité par D.________. Elle n'explique d'aucune manière en quoi cette voie ne lui permettrait pas d'obtenir l'examen de cette action par le Tribunal de première instance ou que cette voie serait inefficace au point de ne pas satisfaire aux exigences de l'art. 29a Cst.  
Il s'ensuit que la cour cantonale n'a pas violé le droit à l'accès au juge garanti par l'art. 29a Cst. ni n'a interprété arbitrairement l'art. 4A LPA-GE en confirmant l'irrecevabilité prononcée par l'intimé. 
 
5.  
Le recours doit par conséquent être rejeté dans la mesure où il n'est pas sans objet aux frais de la recourante, qui succombe (art. 65 et 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il n'est pas sans objet. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'500 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève. 
 
 
Lucerne, le 22 mars 2024 
 
Au nom de la IVe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Wirthlin 
 
La Greffière : von Zwehl