1C_595/2015 19.11.2015
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
{T 0/2} 
 
1C_595/2015  
   
   
 
 
 
Arrêt du 19 novembre 2015  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président, 
Eusebio et Chaix. 
Greffier : M. Kurz. 
 
Participants à la procédure 
1. A.________, 
2. B.________, 
3. C.________ Ltd, 
tous les trois représentés par Me Didier de Montmollin, avocat, 
recourants, 
 
contre  
 
Office fédéral de la justice, Unité Extraditions, Bundesrain 20, 3003 Berne. 
 
Objet 
Délégation de la poursuite pénale à la République fédérative du Brésil, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal pénal fédéral, 
Cour des plaintes, du 29 octobre 2015. 
 
 
Faits :  
 
A.   
Le 17 avril 2015, le Ministère public de la Confédération (MPC) a ouvert une procédure pénale pour blanchiment d'argent à l'encontre de A.________ (ressortissant brésilien), dans le cadre d'une vaste affaire de corruption au Brésil. Le 28 septembre 2015, le MPC a demandé à l'Office fédéral de la justice (OFJ) que la procédure soit déléguée aux autorités brésiliennes. A.________ s'y est opposé et a demandé que les pièces remises aux autorités brésiliennes à l'appui de la demande de délégation soient restituées ou qu'un engagement soit pris afin d'en empêcher l'utilisation. Il estimait que la prise en compte de ces pièces conduirait vraisemblablement à [...]. 
 
B.   
Par acte du 8 octobre 2015, A.________, son épouse B.________ et la société C.________ Ltd ont chacun formé un recours auprès de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral. Ils demandaient des mesures provisionnelles afin d'empêcher les autorités brésiliennes d'utiliser les documents et informations obtenus dans le cadre de la délégation. 
Par arrêt du 29 octobre 2015, la Cour des plaintes a déclaré irrecevables les trois recours. Selon l'art. 25 al. 2 EIMP, seule la personne poursuivie ayant sa résidence habituelle en Suisse était légitimée à recourir, ce qui n'était le cas d'aucun des recourants. On ne se trouvait par ailleurs ni dans un cas d'entraide déguisée, ni en présence d'une transmission abusive d'objets ou de valeurs. Au regard de l'art. 13 CEDH, il était suffisant que l'intéressé puisse se défendre devant l'Etat étranger. 
 
C.   
Par acte du 12 novembre 2015, A.________, B.________ et C.________ Ltd forment un recours en matière de droit public par lequel ils demandent l'annulation de l'arrêt de la Cour des plaintes et le renvoi de la cause à cette autorité pour nouvelle décision dans le sens des considérants; subsidiairement, ils concluent à l'annulation de la décision de délégation et à la reprise de la procédure pénale par les autorités suisses. Dans d'autres conclusions, sur mesures provisionnelles et subsidiaires, ils reprennent leur demande de mesures provisionnelles. 
Il n'a pas été demandé de réponse à ce recours. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Selon l'art. 84 LTF, le recours en matière de droit public n'est recevable contre une décision rendue en matière d'entraide pénale internationale que s'il a pour objet une extradition, une saisie, le transfert d'objets ou de valeurs ou la transmission de renseignements concernant le domaine secret. Il doit toutefois s'agir d'un cas particulièrement important (al. 1). Un cas est particulièrement important notamment lorsqu'il y a des raisons de supposer que la procédure à l'étranger viole des principes fondamentaux ou comporte d'autres vices graves (al. 2). Ces motifs d'entrée en matière ne sont toutefois pas exhaustifs et le Tribunal fédéral peut être appelé à intervenir lorsqu'il s'agit de trancher une question juridique de principe ou lorsque l'instance précédente s'est écartée de la jurisprudence suivie jusque-là (ATF 133 IV 215 consid. 1.2 p. 218). 
En vertu de l'art. 42 al. 2 LTF, il incombe aux recourants de démontrer que les conditions d'entrée en matière posées à l'art. 84 LTF sont réunies (ATF 133 IV 131 consid. 3 p. 132). 
 
1.1. La présente cause ne se rapporte ni à une extradition ni à une saisie. La décision litigieuse concerne la délégation de la poursuite pénale aux autorités brésiliennes. Les recourants relèvent que cette décision était accompagnée d'une transmission aux autorités brésiliennes de la documentation bancaire relative aux trois recourants. Il ne s'agit toutefois pas pour autant de l'un des actes d'entraide visés à l'art. 63 al. 2 EIMP, et en particulier ni d'une remise de moyens de preuves au sens de l'art. 74 EIMP, ni d'une remise d'objets ou de valeurs au sens de l'art. 74a EIMP. La Suisse agit, dans ce cas, comme un Etat requérant et l'acceptation de sa demande a pour effet un dessaisissement complet ainsi qu'une remise du dossier constitué jusque-là (art. 90 EIMP).  
En l'occurrence, la demande de la Suisse n'a pas été précédée d'une démarche des autorités brésiliennes tendant à obtenir des renseignements par la voie de l'entraide judiciaire, de sorte qu'il n'y a aucune raison d'y voir un cas d'entraide déguisée (cf. arrêt 1A.252/2006 du 6 février 2007). Les objections présentées par les recourants ne permettent pas de retenir le contraire: il n'y a pas en particulier de violation du principe de la bonne foi, aucune assurance n'ayant été donnée quant à la poursuite de la procédure en Suisse. Au contraire, le domicile à l'étranger constitue un critère expressément prévu par la loi (art. 88 let. a EIMP) pour permettre une demande de délégation, ce qui suppose également que la personne concernée ne soit pas nécessairement entendue préalablement. Les conséquences d'une enquête au Brésil sur la situation personnelle du prévenu ne constituent donc ni un obstacle à la délégation, ni un motif d'admettre un abus de droit de la part de l'autorité suisse. 
Le recours est dès lors irrecevable à raison de son objet même. 
 
1.2. Il l'est également pour défaut de qualité pour agir. En effet, en matière de délégation de la poursuite pénale, le droit de recourir est défini de manière restrictive à l'art. 25 al. 2 EIMP.  
 
1.2.1. Selon cette disposition, seule la personne poursuivie qui a sa résidence habituelle en Suisse a le droit de recourir. Cette dernière précision, ajoutée lors de la révision de l'EIMP de 1997, a pour but de limiter le droit de recours aux personnes résidant ordinairement en Suisse, car seules ces personnes disposent d'un intérêt juridique évident, lié notamment à l'exercice de leurs droits de défense, à ce que la poursuite pénale suive son cours en Suisse plutôt qu'à l'étranger. En revanche, la personne qui réside à l'étranger - que ce soit dans l'Etat requis ou dans un Etat tiers -, ne peut pas prétendre à ce que la procédure pénale soit continuée en Suisse alors que l'intérêt de la justice commande de la déléguer à un autre Etat disposant d'une compétence répressive (arrêts 1C_525/2013 du 19 juin 2013 consid. 2; 1A.64/2001 du 23 avril 2001 publié in SJ 2001 I 370, consid. 1c/cc p. 372).  
 
1.2.2. En l'occurrence, aucun des recourants n'a sa résidence habituelle en Suisse: les deux premiers sont domiciliés au Brésil et la société a son siège à Singapour. L'arrêt attaqué est sur ce point parfaitement conforme au texte légal.  
 
1.2.3. Le recourant invoque l'art. 6 CEDH en relevant qu'il n'aurait pas eu l'occasion d'être informé sur l'accusation portée contre lui, ni d'être entendu. Le principe de la présomption d'innocence ne s'applique toutefois pas dans le cadre d'une procédure d'entraide judiciaire, dont la nature est administrative et dont le but n'est pas d'examiner la culpabilité des personnes mises en cause (ATF 136 IV 4 consid. 4.3 p. 9; 133 IV 271 consid. 2.2.2 p. 274; 120 Ib 112 consid. 2 p. 119 et les arrêts cités). L'arrêt cité par les recourants (2C_84/2012 du 15 décembre 2012, consid. 6.2 non publié à l'ATF 139 IV 137) laisse la question indécise, mais ne revient pas pour autant sur la jurisprudence constante. Les recourants ne soutiennent d'ailleurs pas que la procédure pénale au Brésil comporterait en elle-même des vices graves au sens des art. 84 al. 2 LTF et 2 EIMP.  
 
1.2.4. Les recourants invoquent également en vain l'art. 8 CEDH. Le grief est apparemment soulevé pour la première fois devant le Tribunal fédéral, dès lors que l'arrêt de la Cour des plaintes ne le traite pas, sans que les recourants s'en plaignent. Or, s'agissant d'un grief sur l'existence d'un vice grave susceptible de justifier une entrée en matière, il appartient aux recourants de le soulever devant l'instance précédente déjà. Quoiqu'il en soit, les recourants ne contestent pas que l'atteinte dont ils se plaignent repose sur une base légale formelle, en l'occurrence les art. 88 ss EIMP. Ils évoquent, sous l'angle du principe de proportionnalité, les conséquences qui pourront résulter de la décision de délégation [...]. Ces conséquences ne sont toutefois pas le fait de la décision de délégation, mais dépendent de la suite que les autorités brésiliennes donneront à la procédure pénale.  
 
1.2.5. Pour les mêmes motifs, l'invocation de l'art 13 CEDH (droit à un recours effectif) apparaît mal fondé. En l'état, les garanties conventionnelles dont se prévalent les recourants sont inapplicables, car du ressort de l'Etat chargé de la procédure pénale.  
Les recourants perdent également de vue que l'absence générale de recours contre une décision de délégation de la poursuite pénale (sauf pour la personne poursuivie résidant en Suisse) résulte d'un choix délibéré du législateur, concrétisé à l'art. 25 al. 2 EIMP. Or, l'art. 190 Cst. impose au Tribunal fédéral d'appliquer le droit fédéral. Même si cette disposition n'interdit pas à la Cour de céans, lorsqu'elle le juge opportun, de vérifier la conformité du droit fédéral à la Constitution ou à la CEDH et, au besoin, de donner une impulsion au législateur (cf. ATF 139 I 180 consid. 2.2 p. 185), elle ne permet pas de refuser d'appliquer une disposition d'une loi fédérale (ATF 141 II 280 consid. 9.2 p. 295 et la jurisprudence citée), ce d'autant que le conflit avec le droit conventionnel n'est en l'occurrence pas évident. 
 
2.   
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être déclaré irrecevable. Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge solidaire des recourants qui succombent. Le présent arrêt rend par ailleurs sans objet la demande de mesures provisionnelles formée par les recourants. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est irrecevable. 
 
2.   
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge solidaire des recourants. 
 
3.   
Le présent arrêt est communiqué au mandataire des recourants, à l'Office fédéral de la justice, Unité Extraditions, et au Tribunal pénal fédéral, Cour des plaintes. 
 
 
Lausanne, le 19 novembre 2015 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Fonjallaz 
 
Le Greffier : Kurz