2C_285/2023 13.09.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
2C_285/2023  
 
 
Arrêt du 13 septembre 2023  
 
IIe Cour de droit public  
 
Composition 
Mmes et MM. les Juges fédéraux 
Aubry Girardin, Présidente, Donzallaz et Hänni. 
Greffier : M. Jeannerat. 
 
Participants à la procédure 
République et canton de Genève, 
agissant par le Conseil d'Etat du canton de Genève, représenté par Département cantonal de la sécurité, 
de la population et de la santé, 
rue de l'Hôtel-de-Ville 14, 1204 Genève, 
recourante, 
 
contre  
 
Paroisse A.________, 
B.________, 
C.________, 
tous les trois représentés par Me Steve Alder, avocat. 
 
Objet 
Refus d'autorisation pour l'organisation d'une manifestation, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, du 21 mars 2023 (ATA/276/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Le 17 mai 2022, B.________ a sollicité auprès du Département de la sécurité, de la population et de la santé de la République et canton de Genève (ci-après: le Département cantonal) l'autorisation pour la Paroisse A.________ d'organiser une procession religieuse sur le domaine public à l'occasion de la fête catholique dite de la Fête-Dieu le 19 juin 2022 de 11h20 à 12h30. Elle indiquait que le cortège, auquel 101 à 300 personnes participeraient, devait cheminer sur le trottoir par la rue U.________ - où se trouve l'Église A.________ -, la rue V.________, la route W.________ et la rue X.________. B.________ indiquait enfin être coresponsable de ladite manifestation avec C.________, abbé de la paroisse. 
 
B.  
Par décision du 15 juin 2022, le Département cantonal a rejeté la demande de manifestation religieuse cultuelle déposée par B.________ et interdit tout rassemblement qui se formerait à cette fin. 
Par acte du 21 juillet 2022, B.________, C.________ et la Paroisse A.________ ont recouru auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice (ci-après: la Cour de justice) contre la décision précitée. 
Par arrêt du 21 mars 2023, la Cour de justice a admis le recours susmentionné et annulé la décision attaquée. Elle a constaté que le Département cantonal avait porté une atteinte disproportionnée à la liberté de conscience et de croyance en refusant d'autoriser une procession religieuse de la Fête-Dieu sur le domaine public, du moins telle que les recourants entendaient l'organiser. La Cour de justice a par ailleurs condamné la République et canton de Genève à verser une indemnité de procédure de 1'500 fr. à ces derniers, lesquels en étaient créanciers solidaires. 
 
C.  
Par acte du 15 mai 2023, la République et canton de Genève, agissant par l'intermédiaire de son Conseil d'Etat, dépose un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral à l'encontre de l'arrêt de la Cour de justice du 21 mars 2023. Demandant à titre préalable l'octroi de l'effet suspensif à son recours en lien avec l'indemnité de procédure de 1'500 fr. accordée aux intimés par la Cour de justice, le canton conclut, sur le fond, à l'annulation de l'arrêt attaqué. 
Par ordonnance du 2 juin 2023, la Présidente de la Cour de céans a rejeté la demande d'effet suspensif. 
La Cour de justice a déclaré n'avoir aucune observation à formuler au sujet du recours, s'en rapportant en conséquence à justice quant à sa recevabilité et persistant dans les considérants et le dispositif de son arrêt. Les intimés ont répondu au recours, dont ils concluent, principalement, à l'irrecevabilité et, subsidiairement, au rejet. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Formé par la République et canton de Genève, agissant par son Conseil d'Etat, le présent recours est dirigé contre un arrêt de la Cour de justice qui annule une décision du Département cantonal ayant refusé aux intimés le droit d'organiser une manifestation religieuse sur le domaine public à l'occasion de la Fête-Dieu en juin de cette année, au motif qu'un tel refus porte une atteinte disproportionnée à la liberté de croyance. Les intimés contestent en l'occurrence expressément la qualité pour recourir du canton en la cause, étant précisé que le Tribunal fédéral examine de toute manière d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (cf. ATF 147 II 300 consid. 1). 
 
2.  
Dans ses écritures, la République et canton de Genève prétend jouir de la qualité pour recourir contre l'arrêt de la Cour de justice en application de l'art. 89 al. 2 let. c LTF. 
 
2.1. La qualité pour recourir des collectivités publiques devant le Tribunal fédéral doit en priorité être examinée sous l'angle de l'art. 89 al. 2 LTF et, plus précisément, de ses lettres c et d lorsqu'ils s'agit, comme en l'espèce, de collectivités publiques cantonales (cf. notamment arrêt 2C_206/2023 du 14 juin 2023 consid. 3.1 et 3.2). En l'occurrence, l'art. 89 al. 2 let. c LTF - expressément invoqué par le Conseil d'Etat genevois - prévoit une qualité pour recourir spéciale en faveur des communes et des autres collectivités de droit public " qui invoquent la violation de garanties qui leur sont reconnues par la constitution cantonale ou la Constitution fédérale ". Cette disposition vise avant tout le cas des communes qui soutiennent de manière plausible que la décision qu'elles attaquent devant le Tribunal fédéral viole leur autonomie communale garantie à l'art. 50 al. 1 Cst. (cf. ATF 146 I 36 consid. 1.4; 140 I 90 consid. 1.1). Selon une jurisprudence constante, l'art. 89 al. 2 let. c LTF n'entre en revanche pas en ligne de compte lorsqu'un canton entend remettre en question un arrêt émanant de l'autorité judiciaire cantonale de dernière instance devant le Tribunal fédéral, quand bien même ledit canton se prévaudrait d'une quelconque garantie constitutionnelle et, en particulier, d'une atteinte à sa souveraineté au sens de l'art. 3 Cst. (ATF 133 II 400 consid. 2.4.1; arrêts 2C_381/2021 du 15 mars 2022 consid. 3.1; 2C_471/2021 du 8 mars 2022 consid. 3.1; 2C_109/2019 du 8 avril 2019 consid. 3.3; 2C_1023/2017 du 21 décembre 2018 consid. 3.2.1; 1C_180/2018 du 10 octobre 2018 consid. 1.1.1; 2C_357/2018 du 9 septembre 2018 consid. 2.2).  
 
2.2. En l'occurrence, il faut d'emblée constater que le présent recours émane de la République et canton de Genève, soit d'un canton qui entend contester une décision de sa dernière instance cantonale de recours, en l'occurrence un arrêt de la Cour de justice genevoise. Or, dans telles circonstances, comme on vient de le dire, un canton ne saurait invoquer l'art. 89 al. 2 let. c LTF pour établir sa qualité pour recourir, même en invoquant une prétendue violation de sa souveraineté cantonale consacrée à l'art. 3 Cst. On ne voit pas en quoi il se justifierait de s'écarter de cette jurisprudence du simple fait que le présent litige poserait, d'après le Conseil d'Etat genevois, une question juridique de principe en lien avec l'interprétation d'un droit constitutionnel fédéral, à savoir la liberté de conscience et de croyance consacré à l'art. 15 Cst. Il est par ailleurs relevé qu'il n'existe pas de controverse doctrinale sur la portée de cette jurisprudence, contrairement à ce que soutient le canton. Les auteurs et ouvrages doctrinaux auxquels celui-ci se réfère dans ses écritures - et qui sont cités dans l'arrêt 2C_1016/2011 du 3 mai 2012 (cf. consid. 1.2.1 non publié à l'ATF 138 I 196) - confirment tous qu'un canton ne peut pas se prévaloir de l'art. 89 al. 2 let. c LTF pour contester un arrêt cantonal rendu par sa propre autorité judiciaire supérieure (cf. notamment FLORENCE AUBRY GIRARDIN, in Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, ad. art. 89 n. 85; BERNHARD WALDMANN, in Basler Kommentar - Bundesgerichtsgesetz, 3e éd. 2018, ad art. 89 n. 59; HANSJÖRG SEILER, in Handkommentar BGG, 2e éd. 2015, ad art. 89 n. 89 s.; YVES DONZALLAZ, Loi sur le Tribunal fédéral, 2008, n. 3159 s.). Certains d'entre eux soutiennent tout au plus que les cantons pourraient éventuellement se prévaloir de l'art. 89 al. 2 let. c LTF en lien avec leur souveraineté garantie à l'art. 3 Cst. pour recourir au Tribunal fédéral contre une décision émanant d'une autorité fédérale qui les toucherait (cf. BERNHARD WALDMANN, op. cit., ad art. 89 n. 59; HANSJÖRG SEILER, op. cit., ad art. 89 n. 89 s.), ce que ne constitue toutefois pas l'arrêt de la Cour de justice présentement attaqué.  
Il s'ensuit que, contrairement à ce qu'affirme le Conseil d'Etat dans ses écritures, la qualité pour recourir de la République et canton de Genève en la présente cause ne peut pas se fonder sur l'art. 89 al. 2 let. c LTF. 
 
2.3. La Cour de céans ne voit enfin pas que le canton, qui agit par l'intermédiaire de son Conseil d'Etat - lui-même représenté par le Département cantonal de la sécurité, de la population et de la santé -, puisse invoquer une autre lettre de l'art. 89 al. 2 LTF et, en particulier, sa let. d, pour justifier sa qualité pour recourir en la cause. Cette disposition, qui confère la qualité pour recourir aux " personnes, organisations et autorités auxquelles une autre loi fédérale accorde un droit de recours ", suppose en effet une disposition contenue dans une loi au sens formel accordant expressément un droit de recours spécial à une personne, organisation ou autorité donnée (cf. ATF 134 V 53 consid. 2.2.2; 131 II 753 consid. 4.2; arrêt 2C_206/2023 du 14 juin 2023 consid. 3.2). Or, il n'apparaît pas qu'une loi fédérale habiliterait les gouvernements cantonaux ni d'ailleurs d'autres autorités cantonales à recourir devant le Tribunal fédéral pour le compte de leur canton s'agissant de problèmes d'autorisation d'usage accru du domaine public. La République et canton de Genève ne prétend du reste pas le contraire dans son recours.  
 
3.  
Reste à examiner si la République et canton de Genève peut éventuellement tirer sa qualité pour recourir de l'art. 89 al. 1 LTF, comme le soutient également son Conseil d'Etat dans ses écritures. 
 
3.1. L'art. 89 al. 1 LTF est avant tout conçu pour les particuliers. Il reconnaît la qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral à ceux qui ont pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou ont été privé de la possibilité de le faire (let. a), sont particulièrement atteints par la décision ou l'acte normatif attaqué (let. b) et ont un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c; ATF 147 II 227 consid. 2.3.2; 141 II 161 consid. 2.1). Il est toutefois admis qu'une collectivité puisse, subsidiairement à l'art. 89 al. 2 LTF et dans des conditions particulières, se prévaloir de l'art. 89 al. 1 LTF pour fonder sa qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral (cf. ATF 147 II 227 consid. 2.3.2; 141 II 161 consid. 2.1). Tel est notamment le cas lorsque la décision contestée atteint la collectivité publique recourante de la même manière qu'un particulier, ou du moins de manière analogue, dans ses intérêts juridiques ou patrimoniaux (ATF 141 III 353 consid. 5.2; 140 I 90 consid. 1.2.1 et les arrêts cités), ou lorsque l'acte attaqué la touche dans ses prérogatives de puissance publique et qu'elle dispose d'un intérêt public propre digne de protection à son annulation ou à sa modification (ATF 140 I 90 consid. 1.2.2; 138 II 506 consid. 2.1.1). Lorsqu'il est porté atteinte à ses intérêts spécifiques, la collectivité publique peut ainsi se voir reconnaître la qualité pour recourir, pour autant qu'elle soit touchée de manière qualifiée (cf. ATF 141 II 161 consid. 2.3; 140 I 90 consid. 1.2.2 et 1.2.4; arrêt 2C_1105/2016 du 20 février 2018 consid. 1.3.1). Le simple intérêt général à l'application correcte du droit ne suffit en revanche pas à permettre aux collectivités publiques de recourir sur la base de l'art. 89 al. 1 LTF (cf. ATF 147 II 227 consid. 2.3.2; 141 III 353 consid. 5.2; 140 I 90 consid. 1.2.2; 135 II 156 consid. 3.1). Lorsque la collectivité publique est un canton, celui-ci ne peut, sauf situation exceptionnelle, se prévaloir de l'art. 89 al. 1 LTF pour recourir contre la décision d'une autorité judiciaire cantonale supérieure qui lui donnerait tort, ce d'autant lorsqu'il en va de l'application et de l'interprétation du droit cantonal (ATF 141 II 161 consid. 2.2 in fine et les arrêts cités; arrêt 1C_180/2018 du 18 octobre 2018 consid. 1.2.1). Il ne faut en effet pas perdre de vue que, lors de l'adoption de la LTF, le Parlement a rejeté la proposition du Conseil fédéral qui tendait à habiliter les gouvernements cantonaux, dans certains cas, à attaquer les arrêts de leurs propres tribunaux cantonaux (ATF 141 II 161 consid. 2.2 et les arrêts cités); le législateur ne voulait pas que les litiges entre autorités exécutives et judiciaires suprêmes des cantons soient tranchés par le Tribunal fédéral. Comme déjà indiqué en lien avec l'art. 89 al. 2 let. c LTF (cf. supra consid. 2.1) en Suisse, la règle est donc celle de l'interdiction des procédures intra-organiques (arrêt 1C_36/2021 du 3 juin 2021 consid. 1.2.1).  
 
3.2. En l'occurrence, l'arrêt attaqué de la Cour de justice contesté par la République et canton de Genève annule une décision du Département cantonal déniant aux intimés le droit d'organiser une procession religieuse pour la Fête-Dieu sur le domaine public en date du 19 juin 2022. La Cour de justice a certes admis que ce refus reposait sur une base légale formelle suffisante, à savoir l'art. 6 de la loi genevoise du 26 avril 2018 sur la laïcité de l'Etat (LLE/GE; RSGE A 2 75), lequel prévoit, en substance, que les manifestations religieuses cultuelles doivent en principe se dérouler sur le domaine privé, sauf autorisation tenant compte des risques qu'elles peuvent faire courir à la sécurité publique, à la protection de l'ordre public ou à la protection des droits et libertés d'autrui (cf. art. 6 LLE/GE). La Cour de justice a toutefois estimé que, dans le cas d'espèce, le fait d'empêcher toute procession de la Fête-Dieu sur le domaine public portait une atteinte disproportionnée à la liberté de conscience et de croyance garantie à l'art. 15 de la Constitution fédérale suisse (Cst.; RS 101). Elle a considéré que la manifestation envisagée par les intimés, d'envergure très limitée, n'était pas de nature à porter atteinte à la paix religieuse ou, du moins, dans une mesure si minime qu'il ne se justifiait pas de restreindre de façon si importante la liberté de croyance des intimés.  
 
3.3. Sur le vu de ce qui précède, s'il est vrai que la Cour de justice a abouti à une autre solution que le Département cantonal, on ne voit pas en quoi son arrêt, tel qu'il vient d'être résumé, toucherait la République et canton de Genève comme n'importe quel particulier, ni en quoi il l'atteindrait de manière si importante dans ses prérogatives de puissance publique qu'il conviendrait à titre exceptionnel de déroger au principe d'interdiction des procédures intra-organiques devant le Tribunal fédéral. Dans son recours, le Conseil d'Etat genevois défend certes l'idée que la Cour de justice aurait porté une atteinte qualifiée à la puissance publique du canton en limitant la possibilité pour ses autorités d'interdire la tenue d'un culte sur le domaine public à l'aune de la loi cantonale sur la laïcité (LLE/GE). Dans la motivation de son recours, il relève toutefois lui-même l'existence d'autres arrêts de la Cour de justice où celle-ci a confirmé plusieurs refus d'autorisation de manifestation cultuelle sur le domaine public émanant de l'administration cantonale. Son argumentaire démontre ainsi bien que l'arrêt attaqué ne vide assurément pas la loi cantonale précitée de toute portée s'agissant de la problématique des manifestations cultuelles sur le domaine public et que, par le biais du présent recours, la République et canton de Genève demande en réalité au Tribunal fédéral d'arbitrer un conflit entre l'administration cantonale et la Cour de justice quant à l'application de l'art. 6 LLE/GE dans un cas bien spécifique.  
 
3.4. Dans ces conditions, il faut admettre que la République et canton de Genève ne peut pas non plus prétendre fonder sa qualité pour recourir sur la clause générale de l'art. 89 al. 1 LTF.  
 
4.  
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être déclaré irrecevable pour défaut de qualité pour recourir. 
La République et canton de Genève, qui succombe, versera des dépens aux intimés, créanciers solidaires (cf. art. 68 al. 1, 2 et 4 LTF). Il n'y a pas lieu de percevoir des frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 et 4 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est irrecevable. 
 
2.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3.  
Une indemnité de 3'000 fr., à payer à titre de dépens aux intimés, créanciers solidaires, est mise à la charge de la République et canton de Genève. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué au Conseil d'Etat de la République et canton de Genève, au mandataire des intimés et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative. 
 
 
Lausanne, le 13 septembre 2023 
 
Au nom de la IIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : F. Aubry Girardin 
 
Le Greffier : E. Jeannerat