1B_293/2009 07.01.2010
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
1B_293/2009 
 
Arrêt du 7 janvier 2010 
Ire Cour de droit public 
 
Composition 
MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger, Reeb, Fonjallaz et Eusebio. 
Greffière: Mme Tornay Schaller. 
 
Parties 
A.________, représentée par Me Patrick Stoudmann, avocat, 
recourante, 
 
contre 
 
Ministère public du canton de Vaud, 1014 Lausanne. 
 
Objet 
procédure pénale; réalisation d'un immeuble séquestré, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 24 août 2009. 
 
Faits: 
 
A. 
B.________ a été condamné le 20 décembre 2002 à neuf ans d'emprisonnement par le Tribunal de la Couronne de Birmingham en Grande-Bretagne, pour escroquerie au préjudice du fisc et blanchiment d'argent. Il lui a été reproché d'avoir commis des fraudes à la TVA par le biais d'un système appelé "carrousel TVA", consistant à simuler des opérations commerciales d'importations, de ventes et de reventes sur le territoire britannique, ainsi que d'exportations fictives de téléphones portables, dans le but de générer artificiellement de la TVA dont il sollicitait ensuite le remboursement. Le préjudice pour le trésor public anglais s'élevait à environ 38 millions de livres sterling pour une période comprise entre mai 2000 et janvier 2001. Après s'être évadé de l'établissement pénitentiaire britannique où il purgeait sa peine, le prénommé s'est rendu en Espagne, puis en Suisse en septembre 2005. Suite à la demande d'extradition que les autorités britanniques ont adressée à la Suisse, B.________ a été placé en détention extraditionnelle le 19 juin 2008, puis extradé en mars 2009. 
Sur la base des éléments communiqués dans ladite demande d'extradition, le Juge d'instruction du canton de Vaud (ci-après: le Juge d'instruction) a ouvert une enquête pénale pour blanchiment d'argent qualifié et faux dans les titres à l'encontre de B.________ et de son épouse, A.________. Dans le cadre de cette enquête, il a procédé, par ordonnance du 23 juin 2008, au séquestre des biens-fonds n° xxx du registre foncier de la commune de Montreux, appartenant à A.________. Le Juge d'instruction a aussi ordonné au conservateur du registre foncier compétent d'inscrire sur ces parcelles une restriction du droit d'aliéner. Les fonds utilisés pour l'acquisition des parcelles précitées, dont le prix d'achat s'élevait à 4,2 millions de francs, partiellement financé par un prêt hypothécaire, pourraient provenir de l'activité délictueuse pour laquelle B.________ a été condamné en 2002. L'analyse des flux financiers ayant conduit à l'achat des parcelles précitées permettrait d'établir que le montant provenait en définitive d'un compte auprès de la banque X.________ à Hong Kong, appartenant à la société Y.________, impliquée dans des fraudes à la TVA du même type que celles qui ont entraîné la condamnation de B.________. 
A.________ est domiciliée dans une villa sise sur un des biens-fonds séquestrés. Ne disposant pas de moyens permettant d'assurer les frais d'entretien d'un tel immeuble, l'intégralité de ses biens ayant été placés sous séquestre, elle a requis par courriers des 3 et 24 avril 2009, la vente de sa villa et expliqué que les charges notamment hypothécaires liées à cet immeuble étaient considérables. Par lettres des 20 mai et 8 juin 2009, la prénommée a requis du magistrat instructeur le paiement de l'arriéré des intérêts hypothécaires accumulés. Le 22 juin 2009, elle a fait état d'une dénonciation en remboursement du crédit hypothécaire par l'Union des Banques Suisses (UBS) pour un montant de plus de trois millions de francs. 
 
B. 
Par ordonnance du 26 juin 2009, le Juge d'instruction a donné l'ordre à A.________ de quitter la villa dans un délai de deux mois dès la présente décision définitive et exécutoire, et a ordonné la vente des immeubles précités, estimés par un expert immobilier à 7,9 millions de francs, à charge pour une agence de courtage de procéder à ladite vente. 
 
C. 
Par arrêt du 24 août 2009, le Tribunal d'accusation du canton de Vaud (ci-après: le Tribunal d'accusation) a rejeté le recours formé par A.________ contre cette ordonnance. Il a considéré en substance que sous l'angle de la proportionnalité, aucune autre mesure que la réalisation anticipée prévue à l'art. 227a du code de procédure pénale vaudois du 12 septembre 1967 (CPP/VD; RSV 312.01) ne permettait d'éviter la dépréciation de l'immeuble due à l'accumulation des intérêts hypothécaires impayés, d'échapper au risque d'une perte consécutive à une réalisation forcée et de supprimer l'avantage patrimonial que A.________, étant par ailleurs assistée par les services sociaux, retirait de la jouissance de sa villa. 
 
D. 
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt. Elle requiert en outre l'assistance judiciaire. 
Le Tribunal d'accusation renonce à se déterminer. Le Ministère public du canton de Vaud conclut au rejet du recours en se référant à l'arrêt du Tribunal d'accusation. 
 
E. 
Par ordonnance du 27 octobre 2009, le Président de la Ire Cour de droit public a admis la requête d'effet suspensif, présentée par la recourante. 
 
Considérant en droit: 
 
1. 
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 134 III 235 consid. 1 p. 236). 
 
1.1 Le recours en matière pénale, au sens de l'art. 78 al. 1 LTF, est ouvert contre une décision de saisie prise au cours de la procédure pénale, et confirmée en dernière instance cantonale (art. 80 LTF). 
 
1.2 La décision par laquelle le juge prononce, maintient ou refuse un séquestre pénal constitue une décision incidente, qui ne met pas fin à la procédure (ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131; 126 I 97 consid. 1b p. 100 et les références). Conformément à l'art. 93 al. 1 let. a LTF, une telle décision ne peut faire l'objet d'un recours devant le Tribunal fédéral que si elle peut causer un préjudice irréparable. Selon la jurisprudence relative à l'art. 87 al. 2 OJ, et reprise dans le cadre de l'art. 93 LTF (ATF 133 IV 139 consid. 4 p. 141 et les références), le séquestre de valeurs patrimoniales cause en principe un dommage irréparable, dans la mesure où le détenteur se trouve privé temporairement de la libre disposition des valeurs saisies (ATF 126 I 97 consid. 1b p. 101; voir également ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131; 89 I 185 consid. 4 p. 187 et les références). En l'occurrence, l'ordonnance de séquestre attaquée ne vise pas des avoirs bancaires, mais des immeubles - en particulier la villa de la recourante - dont la vente anticipée est ordonnée. La recourante est donc contrainte de quitter sa maison et de voir ses parcelles vendues, de sorte qu'elle subit un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF
 
2. 
Dans un grief qu'il convient d'examiner en premier lieu, la recourante se plaint d'arbitraire dans l'établissement des faits (art. 97 al. 1 LTF). 
 
2.1 Le Tribunal fédéral statue en principe sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des cas prévus par l'art. 105 al. 2 LTF. Quant au recourant, il ne peut critiquer la constatation de faits, susceptibles d'avoir une influence déterminante sur l'issue de la procédure, que si ceux-ci ont été établis de manière manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF, en particulier en violation de l'interdiction constitutionnelle de l'arbitraire (art. 97 al. 1 LTF; ATF 134 V 53 consid. 4.3 p. 62; Message du Conseil fédéral concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale du 28 février 2001, FF 2001 p. 4135). Selon la jurisprudence, l'appréciation des preuves ou l'établissement des faits sont arbitraires (art. 9 Cst.; ATF 134 I 263 consid. 3.1 p. 265) lorsque l'autorité n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, si elle ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision ou lorsqu'elle tire des constatations insoutenables des éléments recueillis (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 127 I 38 consid. 2a p. 41). 
 
2.2 En l'occurrence, la recourante fait d'abord grief au Tribunal cantonal d'avoir retenu que le produit des actes délictueux reprochés à B.________ s'élevait à plus de 38 millions de livres sterling. Le montant du bénéfice généré par la fraude retenu dans l'ordonnance de confiscation rendue par les autorités britanniques le 3 mai 2005 serait de 33'243'212,70 de livres sterling et la somme perçue par B.________ serait de 11'000'000 de livres sterling. Cette critique est vaine, dans la mesure où la différence entre les deux montants précités n'est pas susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). 
 
2.3 Toujours en se plaignant d'arbitraire dans la constatation des faits, la recourante prétend que rien ne permettrait d'établir un lien quelconque entre le produit de l'activité illicite reprochée à B.________ et l'argent qui a servi à acquérir les immeubles en question, ainsi que l'a retenu l'ordonnance de séquestre du 23 juin 2008 à laquelle renvoie l'ordonnance du 26 juin 2009. Ce faisant, la recourante perd de vue que l'objet de la décision attaquée n'est pas le bien-fondé du séquestre conservatoire ordonné le 23 juin 2008 par le Juge d'instruction, mais la vente anticipée des immeubles séquestrés. Or, selon la jurisprudence, l'objet de la contestation qui peut être porté devant le Tribunal fédéral est déterminé par la décision attaquée (sur la notion d'objet de la contestation, voir ATF 125 V 413; cf. également Meyer/ von Zwehl, L'objet du litige en procédure de droit administratif fédéral, in Mélanges Pierre Moor, 2005, p. 435 ss n° 8 p. 439; arrêt 2C_669/ 2008 du 8 décembre 2008, consid. 4.1 et les références citées) et par les conclusions des parties (art. 107 al. 1 LTF). Dès lors, faute de se rapporter à l'objet de la contestation, ce grief est irrecevable. 
 
3. 
La recourante se plaint ensuite d'une violation de la garantie de la propriété (art. 26 Cst.). La vente anticipée des immeubles séquestrés s'avérerait contraire au principe de la proportionnalité, du fait qu'ils font déjà l'objet d'une restriction du droit d'aliéner inscrite au registre foncier. Il ne serait en outre pas possible à la recourante de trouver un logement de substitution dans le laps de temps imposé. 
 
3.1 Le séquestre pénal est une mesure conservatoire provisoire destinée à préserver les objets ou valeurs que le juge du fond pourrait être amené confisquer ou qui pourraient servir à l'exécution d'une créance compensatrice. L'autorité qui procède au séquestre a donc pour obligation première de veiller à la conservation des biens saisis jusqu'à droit connu sur leur sort définitif, sous réserve d'une levée de séquestre. Toutefois, à teneur de l'art. 227a al. 1 CPP/VD, "le juge peut procéder à la réalisation anticipée de gré à gré ou à la destruction déjà au stade de l'enquête des objets et valeurs séquestrés qui risquent de se déprécier rapidement ou qui exigent un entretien coûteux, si leur restitution n'entre pas en ligne de compte pour des motifs de fait ou de droit". La réalisation anticipée de valeurs et d'objets présentant un risque de déprédation tend, dans l'intérêt du prévenu comme dans celui de l'autorité, à obtenir une valeur de remplacement qui, le moment venu, pourra être restituée ou confisquée (ATF 130 I 360 consid. 14.2; arrêt 1P.479/1998 du 16 février 1999 consid. 3). 
 
3.2 La réalisation anticipée de gré à gré d'un immeuble séquestré, constitue une atteinte grave au droit de propriété garanti à l'art. 26 al. 1 Cst. Pour être conforme à cette disposition, elle doit reposer sur une base légale claire, se justifier par un intérêt public suffisant et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 129 I 337 consid. 4.1 p. 344 et les arrêts cités). Ce dernier principe suppose que la réalisation anticipée litigieuse soit apte à parvenir au but visé (règle de l'aptitude) et que celui-ci ne puisse pas être atteint par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, il interdit toute limitation qui irait au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics et privés qui sont compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit; ATF 132 I 49 consid. 7.2 p. 62 et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral examine en principe librement si une restriction de la propriété se justifie par un intérêt public et si cet intérêt l'emporte sur l'intérêt privé auquel il s'oppose; il jouit d'une même latitude lorsqu'il s'agit d'apprécier si une telle restriction viole le principe de la proportionnalité (ATF 125 II 86 consid. 6 p. 98 et les arrêts cités). 
 
3.3 En l'espèce, la vente des immeubles en cause repose sur une base légale claire, l'art. 227a CPP/VD, lequel autorise la réalisation anticipée de gré à gré, soit en raison de l'entretien coûteux de l'immeuble, soit en raison de son risque de dépréciation rapide. 
S'agissant des conditions matérielles posées par la loi, le risque de dépréciation matérielle rapide de la villa n'est pas établi. Il ne ressort en effet ni de l'arrêt attaqué, ni même du dossier, que des travaux doivent être entrepris ou que les coûts d'entretien soient particulièrement onéreux. D'ailleurs, l'expertise du 17 juin 2009 a établi que la villa litigieuse a été entièrement rénovée en 2007 et que "l'état d'entretien est bon". 
Le point de savoir si l'accumulation des intérêts hypothécaires pourrait, en soi, constituer une dépréciation au sens de l'art. 227a CPP/VD n'a pas à être tranché par la Cour de céans. Il apparaît en effet d'emblée que le principe de proportionnalité n'est pas respecté, l'autorité cantonale n'ayant au demeurant pas procédé à un examen complet de cette question. L'arrêt attaqué ne comportant aucun élément chiffré relatif à l'accumulation des intérêts hypothécaires non payés au moment de la décision attaquée, le montant de l'arriéré ne peut être mis en relation avec la valeur de l'immeuble, voire avec l'ensemble du patrimoine séquestré de la recourante. De plus, au vu de l'expertise figurant au dossier, l'évolution du marché du logement est telle que la villa présenterait une plus-value de plusieurs millions par rapport au prix d'achat acquitté par le supposé produit d'infractions, ce qui, au terme d'une appréciation globale, exclut une éventuelle dépréciation de l'objet séquestré. 
Dans ces conditions, compte tenu des motifs de l'arrêt attaqué et des éléments figurant au dossier, la vente des immeubles de la recourante apparaît, en l'état, disproportionnée. 
 
4. 
Par conséquent, le recours doit être admis. L'arrêt attaqué et l'ordonnance du Juge d'instruction du 26 juin 2009 sont annulés. Il n'y a pas lieu de percevoir des frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). L'État de Vaud versera en revanche une indemnité de dépens à la recourante, qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat (art. 68 al. 1 LTF). Vu l'issue du recours, la demande d'assistance judiciaire est sans objet. 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
 
1. 
Le recours est admis. L'arrêt attaqué et l'ordonnance du Juge d'instruction du 26 juin 2009 sont annulés. 
 
2. 
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3. 
Une indemnité de 2'000 francs est allouée à la recourante, à titre de dépens, à la charge de l'État de Vaud. 
 
4. 
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au Ministère public et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
 
Lausanne, le 7 janvier 2010 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
Le Président: La Greffière: 
 
Féraud Tornay Schaller