1B_451/2017 07.12.2017
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1B_451/2017  
   
   
 
 
 
Arrêt du 7 décembre 2017  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Merkli, Président, 
Karlen, Fonjallaz, Chaix et Kneubühler. 
Greffier : M. Kurz. 
 
Participants à la procédure 
 A.________, représenté par Me Carla Reyes, avocate, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy. 
 
Objet 
Procédure pénale; refus de révoquer un mandat d'amener, recevabilité du recours cantonal, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale 
de recours, du 19 septembre 2017 (ACPR/642/2017). 
 
 
Faits :  
 
A.   
Dans le cadre d'une procédure pénale pour faux dans les titres, le Ministère public genevois a convoqué A.________ - domicilié à Londres - à une audience du 21 décembre 2016. L'intéressé n'ayant pas donné suite à cette convocation, un mandat d'arrêt a été décerné à son encontre le même jour. Une demande d'extradition a été présentée, par le biais de l'Office fédéral de la justice (OFJ). A.________ a été entendu par commission rogatoire au mois de juillet 2017 et a été prévenu de faux dans les titres. Il a ensuite demandé au Ministère public de lever le mandat d'arrêt international, alléguant avoir des raisons légitimes de ne pas quitter le territoire britannique. Par décision du 21 juillet 2017, le Procureur a maintenu son mandat d'arrêt; les charges étaient suffisantes et l'intéressé refusait de se rendre en Suisse, même sous sauf-conduit. 
 
B.   
Par arrêt du 19 septembre 2017, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de Genève a déclaré irrecevable le recours formé contre le refus de révoquer le mandat d'arrêt, le qualifiant incidemment de mandat d'amener. La demande adressée à l'OFJ n'était pas une décision attaquable et la présentation d'une demande d'entraide ne pouvait faire l'objet d'un recours. Le refus de révoquer un mandat d'amener ne pouvait être attaqué, car cela permettrait de contourner l'absence de recours en matière d'entraide; le mandat d'amener ne causait en soi aucun préjudice; il pouvait être revu par le Procureur et l'intéressé disposait de moyens pour faire valoir ses droits en Grande-Bretagne. 
 
C.   
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal, de déclarer recevable le recours formé contre la décision du Ministère public, subsidiairement de renvoyer la cause à l'instance précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
La cour cantonale se réfère à son arrêt. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Dans ses dernières déterminations, le recourant persiste dans ses motifs. Le recourant a encore produit une pièce le 5 décembre 2017, jugée irrecevable et sans pertinence par le Ministère public par pli du lendemain. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Selon l'art. 78 LTF, le recours en matière pénale est ouvert contre les décisions rendues en matière pénale. La notion de "décisions en matière pénale" comprend toutes les décisions qui se fondent sur le droit pénal matériel ou le droit de procédure pénale. Elle s'étend donc à un prononcé relatif à un mandat d'arrêt ou d'amener. 
Alors que les décisions du Procureur se rapportaient à un mandat d'arrêt, la cour cantonale a apparemment considéré qu'il s'agissait d'un mandat d'amener, sans toutefois motiver ce changement de dénomination; nul ne conteste, à ce stade de la procédure, cette définition de l'objet du litige, et il n'appartient dès lors pas au Tribunal fédéral, lié par les faits constatés en instance cantonale (art. 105 al. 1 LTF), de s'écarter de cette définition telle qu'elle ressort de l'arrêt attaqué. Au demeurant, les considérations qui suivent, relatives au mandat d'amener, devraient s'appliquer a fortiori à un mandat d'arrêt. 
 
1.1. Indépendamment de la nature de la décision du Ministère public, l'auteur d'un recours déclaré irrecevable en instance cantonale a qualité, au sens de l'art. 81 LTF, pour contester ce prononcé. Lorsqu'un recours porte sur la question de l'existence même d'un recours cantonal, le recours auprès du Tribunal fédéral est en principe recevable indépendamment de l'exigence d'un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 138 IV 258 consid. 1.1 p. 261; arrêt 1B_37/2014 du 10 juin 2014 consid. 1 publié in SJ 2015 I 73).  
 
1.2. Pour le surplus, le recours est formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue en dernière instance cantonale (art. 80 LTF) et les conclusions présentées sont recevables au regard de l'art. 107 al. 2 LTF. Il n'y a pas besoin de se prononcer sur le caractère nouveau, et partant irrecevable, de la pièce produite par le recourant le 5 décembre 2017, dès lors qu'elle est sans incidence sur l'issue du recours et qu'il en sera fait abstraction.  
 
2.   
Invoquant les art. 9 et 29a Cst., 380 ss et 393 CPP et 13 CEDH, le recourant soutient qu'à l'instar des autres mesures de contrainte et faute de disposition contraire de la loi, un mandat d'amener fait partie des décisions du ministère public qui sont soumises à recours. S'agissant de la qualité pour recourir, la référence de l'arrêt cantonal à la jurisprudence relative au refus de suspendre l'instruction serait sans pertinence puisque cette dernière décision n'est pas une mesure de contrainte, alors que le mandat d'amener implique le recours à la force et porte une atteinte grave aux droits fondamentaux. La jurisprudence reconnaît l'existence d'un intérêt juridique pour faire constater l'illégalité d'un mandat d'amener (arrêt 1B_160/2012 du 20 septembre 2012 consid. 2.3), et il devrait en aller de même lorsque l'intéressé a connaissance du mandat avant son exécution. L'absence de recours contre une demande d'entraide suisse adressée à l'étranger (art. 30 al. 2 EIMP) n'empêcherait pas d'agir contre la décision, préalable et distincte, de décerner un mandat d'amener. 
 
2. A teneur de l'art. 393 al. 1 let. a CPP, le recours est ouvert contre les décisions et les actes de procédure de la police, du ministère public et des autorités pénales compétentes en matière de contraventions. Cependant, les décisions qualifiées de définitives ou de non sujettes à recours par le CPP ne peuvent pas être attaquées par le biais d'un recours (art. 380 en lien avec les art. 379 et 393 CPP). Il découle ainsi de la systématique légale que, sauf exceptions prévues expressément par la loi, toutes les décisions de procédure, qu'elles émanent du ministère public, de la police ou des autorités compétentes en matière de contraventions, sont susceptibles de recours. Le législateur a eu en vue de soumettre de manière générale à recours "tout acte de procédure (...), y compris toute abstention ou toute omission" (Message du Conseil fédéral relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 p. 1296). En d'autres termes, la méthode législative n'est plus celle d'un catalogue énumérant les décisions sujettes à recours, à l'instar de ce que prévoyaient plusieurs anciens codes de procédure cantonaux (cf. Niklaus Oberholzer, Grundzüge des Strafprozessrechts, 3 ème édition 2012, n. 1544), mais consiste à appliquer un principe (universalité des recours) puis à le limiter par des exceptions exhaustivement prévues dans la loi (Piquerez/Macaluso, Procédure pénale suisse, 3 ème édition 2011, n. 1965). La loi soumet toutefois la qualité pour recourir à l'existence d'un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de la décision litigieuse (art. 382 al. 1 CPP). Cet intérêt doit être actuel et pratique. De cette manière, les tribunaux sont assurés de trancher uniquement des questions concrètes et non de prendre des décisions à caractère théorique (ATF 136 I 274 consid. 1.3 p. 276; arrêt 1B_657/2912 du 8 mars 2013 consid. 2.3.1).  
 
2. Il n'est pas contesté que le mandat d'amener, respectivement le refus de le révoquer, ont bien une nature décisionnelle. Le mandat d'amener (art. 207 ss CPP) fait en effet partie des mesures de contrainte (art. 196 CPP) tendant à obliger une personne à se présenter personnellement à un acte de procédure; si nécessaire, il autorise la police à recourir à la force et à pénétrer dans les bâtiments et habitations (art. 208 al. 2 CPP; ATF 138 I 425 consid. 4.4; DONATSCH/HANSJAKOB/LIEBER, Kommentar zur StPO, Zurich 2014 n. 6 ss ad art. 207). Il porte ainsi une atteinte évidente à la liberté de la personne concernée (SCHMID/JOSITSCH, Handbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, Zurich 2017 p. 411; MOREILLON/PAREIN-REYMOND, Petit commentaire, Code de procédure pénale, Bâle 2016 p. 659 n° 1; RÜEGGER, in Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung, 2ème éd. 2014, n. 2 ad art. 207). A la différence de l'art. 393 let. b CPP qui réserve, s'agissant des décisions des tribunaux de première instance, les actes de la direction de la procédure, c'est-à-dire ceux qui concernent le déroulement de la procédure, l'art. 393 let. a CPP s'étend à l'ensemble des décisions et des actes de procédure du ministère public (SCHMID/JOSITSCH, op. cit. p. 675); pour autant que l'on puisse, de ce point de vue, assimiler le mandat d'amener à une simple convocation ou à un acte de procédure effectué par la police sur délégation du ministère public, il n'y aurait pas non plus d'exception au droit de recourir (RÜEGGER, op. cit. n. 10 ad art. 207; GUIDON, in Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung, 2ème éd. 2014 n. 10 ad art. 393; KUHN/JEANNERET, Code de procédure pénale suisse, Bâle 2011, n. 44 ss ad art. 207; SCHMID/JOSITSCH, op. cit. pp. 674-675, qui mentionnent également le mandat de comparution, p. 677; MOREILLON/PAREIN-REYMOND, op. cit. p. 660 n. 6 et p. 1298 ch. 12; DONATSCH/HANSJAKOB/LIEBER, op. cit. n. 33 ad art. 207 et n. 15 ad art. 393; SCHMID, Schweizerische Strafprozessordnung, Praxiskommentar, Zurich 2013, n. 9 ad art. 207 et n. 5 ad art. 393).  
 
2.3. Dans la mesure où le mandat d'amener n'a pas à être communiqué préalablement à l'intéressé et doit en principe être exécuté immédiatement par la police après présentation à la personne visée (art. 209 al. 2 CPP), un recours contre cette mesure - d'ailleurs dénué d'effet suspensif - ne satisferait pas à l'exigence d'un intérêt actuel et pratique (DONATSCH/HANSJAKOB/LIEBER, op. cit. n. 33 ad art. 207). Un recours ultérieur peut toutefois tendre à une décision de constatation de son illicéité, notamment sous l'angle de la proportionnalité (arrêt 1B_160/2012 du 20 septembre 2012 consid. 2.3.1; KUHN/JEANNERET, op. cit. n. 46 ad art. 207). En revanche, lorsqu'exceptionnellement l'intéressé a connaissance, préalablement à son exécution, de l'existence du mandat d'amener décerné à son encontre, il dispose d'un intérêt actuel à recourir tant que ce mandat n'est pas exécuté puisque son exécution est de nature à porter atteinte aux droits fondamentaux de l'intéressé (art. 10 al. 2 Cst.). Tel est le cas en l'occurrence, le Ministère public ayant dû préalablement procéder par la voie de l'entraide pénale internationale pour en obtenir l'exécution. Contrairement à ce que soutiennent la cour cantonale et le Ministère public, le recours n'est pas dirigé contre la demande d'extradition adressée à l'étranger (auquel cas il serait irrecevable en application de l'art. 25 al. 2 EIMP), mais contre la décision prise dans la procédure pénale interne, qui en constitue le fondement au même titre qu'une décision de condamnation ou un mandat d'arrêt pour une demande d'extradition. L'existence d'une procédure d'entraide judiciaire ne saurait dès lors faire échec au droit de recours reconnu par la loi.  
 
2.4. Dans sa lettre du 13 juillet 2017, le recourant relevait qu'il avait été entendu à Londres durant deux jours; il se disait disposé à venir à Genève pour être entendu à la condition d'obtenir un sauf-conduit et pour autant que les autorités britanniques lui assurent que cela n'aurait pas d'incidence sur sa situation juridique. Il proposait, alternativement, d'être réentendu à Londres et demandait la levée du mandat d'arrêt. Le 17 juillet 2017, le Ministère public lui a répondu que s'il s'engageait à se présenter aux convocations moyennant sauf-conduit, la nécessité de maintenir le mandat d'arrêt serait examinée. Le 21 juillet 2017, le recourant a dit avoir entrepris des démarches afin de pouvoir quitter le territoire britannique; il estimait disproportionné de maintenir le mandat d'arrêt en attendant l'issue de ses démarches; il pouvait être entendu par d'autres moyens. Dans sa décision attaquée, le Ministère public a relevé que le recourant n'avait pas agi contre le mandat d'arrêt initial; il a ensuite estimé que les charges étaient suffisantes à l'encontre du recourant et qu'une audition par vidéoconférence n'était pas adéquate pour un prévenu dont la présence, en cas de procès, serait nécessaire.  
Le recourant n'a certes pas agi contre le mandat d'arrêt initial du 21 décembre 2016; on ignore au demeurant la date à laquelle il en a eu effectivement connaissance. L'absence de recours initial ne privait toutefois pas le recourant d'obtenir par la suite un nouveau contrôle de la légalité de la mesure de contrainte. En effet, selon l'art. 197 CPP toute mesure de contrainte doit reposer sur une base légale, des soupçons suffisants (al. 1 let. a et b), et respecter le principe de proportionnalité (let. c et d). Sur ces points, le CPP vient concrétiser les principes généraux découlant de l'art. 36 Cst. (WEBER, in Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung, 2ème éd. 2014, Vorbemerkung et n. 9 ad art. 197). Ces conditions doivent être satisfaites aussi longtemps que dure la mesure en question; une mesure de contrainte admissible dans un premier temps peut en effet devenir disproportionnée après une certaine durée (ATF 131 I 425 consid. 6.4 p. 435; WEBER, op. cit. n. 11 ad art. 197). Pour les mesures dont les effets se prolongent dans le temps (détention, séquestre), la loi prévoit un contrôle périodique, d'office ou sur demande de la personne concernée (art. 227 et 228 CPP pour la détention provisoire, art. 267 al. 1 CPP pour le séquestre). Elle ne le prévoit certes pas pour un mandat d'amener car celui-ci est, comme on l'a vu, en principe immédiatement exécuté. Toutefois, lorsqu'en raison des circonstances un tel mandat demeure en vigueur et continue de déployer ses effets, l'intéressé doit pouvoir remettre en cause sa proportionnalité, tout manquement à ce principe étant constitutif d'une atteinte à ses droits fondamentaux (KUHN/JEANNERET, op. cit. n. 10 ad art. 197 CPP). Dès lors, si un recours est ouvert, aux conditions susmentionnées (consid. 2.2), contre le prononcé d'un mandat, le maintien d'un tel mandat ou le refus de le révoquer doit également pouvoir faire l'objet d'un recours, conformément à la garantie constitutionnelle de l'accès au juge (art. 393 CPP et 29a Cst.). 
 
3.   
Sur le vu de ce qui précède, l'arrêt cantonal qui dénie toute possibilité de recourir contre la décision du Ministère public, viole le droit fédéral ainsi que la garantie de l'accès au juge (art. 29a Cst.). La cause doit dès lors être renvoyée à la Chambre pénale de recours pour nouvelle décision sur le fond. Le recourant, qui obtient gain de cause, a droit à des dépens, à la charge du canton de Genève (art. 68 al. 2 LTF). Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est admis; l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la Chambre pénale de recours pour nouvelle décision au sens des considérants. 
 
2.   
Une indemnité de dépens de 2'000 fr. est allouée au recourant, à la charge du canton de Genève. 
 
3.   
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué à la mandataire du recourant, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours. 
 
 
Lausanne, le 7 décembre 2017 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Merkli 
 
Le Greffier : Kurz