5A_877/2022 21.06.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
5A_877/2022  
 
 
Arrêt du 21 juin 2023  
 
IIe Cour de droit civil  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Herrmann, Président, Bovey et De Rossa. 
Greffière : Mme Achtari. 
 
Participants à la procédure 
Caisse interprofessionnelle AVS de la Fédération des Entreprises Romandes 
(FER CIAM 106.1), 
recourante, 
 
contre  
 
A.________, 
représenté par Me Vadim Negrescu, avocat, 
intimé. 
 
Objet 
mainlevée définitive de l'opposition, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton 
de Genève, Chambre civile, du 5 octobre 2022 (C/21057/2021 ACJC/1342/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________ était associé et gérant de la société B.________ Sàrl, dont la faillite a été prononcée en 2009.  
Cette société ne s'est pas acquittée de cotisations paritaires AVS/AI/APG/AC, allocations familiales et assurance maternité, pour des périodes courant sur les années 2006 à 2008. 
Ces manquements ont donné lieu à une décision en réparation du dommage rendue par la Caisse interprofessionnelle AVS FER CIAM 106.1 (ci-après: FER CIAM) le 20 mai 2010 à l'encontre de A.________. 
Cette décision n'a fait l'objet d'aucune opposition. 
 
A.b. Le 3 décembre 2020, le commandement de payer, poursuite xxx, établi le 30 novembre 2020 sur réquisition de la FER CIAM et portant sur la somme de 62'449 fr. 30, a été notifié à A.________.  
Celui-ci y a fait opposition totale. 
 
B.  
 
B.a.  
 
B.a.a. Par requête du 28 octobre 2021, la FER CIAM a sollicité la mainlevée définitive de l'opposition précitée à hauteur de 51'552 fr. 60.  
Lors de l'audience du 21 février 2022, à laquelle la FER CIAM ne s'est pas présentée ni fait représenter, le poursuivi a invoqué la prescription et, subsidiairement, l'extinction de la créance à hauteur de 4'000 fr. versés depuis le dépôt de la requête. 
 
B.a.b. Par jugement du 30 mars 2022, le Tribunal de première instance de Genève (ci-après: tribunal) a rejeté la requête en mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer précité. Il a considéré que l'exception de prescription soulevée par le poursuivi était fondée.  
 
B.b. Par arrêt du 5 octobre 2022, la Cour de justice du canton de Genève a rejeté le recours interjeté par la poursuivante contre ce jugement.  
 
C.  
Par acte posté le 11 novembre 2022, la FER CIAM interjette un recours en matière civile devant le Tribunal fédéral contre cet arrêt. Elle conclut principalement à sa réforme, en ce sens que la mainlevée définitive est prononcée pour le montant de 51'552 fr. 60 et qu'il est dit que la poursuite xxx ira sa voie s'agissant du montant précité. Subsidiairement, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour éventuel complément d'instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants. En substance, elle se plaint de la violation des art. 80 al. 1, 81 al. 1 LP et 16 al. 2 LAVS en lien avec l'art. 52 LAVS
Des observations n'ont pas été requises. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) à l'encontre d'une décision finale (art. 90 LTF; ATF 134 III 115 consid. 1.1), rendue en matière de poursuite pour dettes (art. 72 al. 2 let. a LTF, en relation avec l'art. 80 LP) par le tribunal supérieur d'un canton ayant statué sur recours (art. 75 al. 1 et 2 LTF); la valeur litigieuse de 30'000 fr. est atteinte (art. 74 al. 1 let. b LTF). La recourante, qui a succombé devant la juridiction précédente, a qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF). 
 
2.  
 
2.1. Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 s. LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF), sans être lié ni par les motifs de l'autorité précédente, ni par les moyens des parties; il peut donc admettre le recours en se fondant sur d'autres motifs que ceux invoqués par le recourant, comme il peut le rejeter en opérant une substitution de motifs (ATF 146 IV 88 consid. 1.3.2; 145 IV 228 consid. 2.1 et la référence). Cela étant, eu égard à l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, il n'examine en principe que les griefs soulevés (ATF 142 III 364 consid. 2.4 et les références). Le recourant doit par conséquent discuter les motifs de la décision entreprise et indiquer précisément en quoi il estime que l'autorité précédente a méconnu le droit (ATF 146 IV 297 consid. 1.2; 142 I 99 consid. 1.7.1; 142 III 364 consid. 2.4 et la référence).  
 
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF).  
 
3.  
 
3.1. Se fondant notamment sur l'ATF 131 V 4, l'autorité cantonale a jugé que, en application par analogie de l'art. 137 al. 2 CO à l'exclusion de celle de l'art. 16 al. 2, 1 ère phr., LAVS, le délai de prescription de dix ans applicable à l'exécution de la décision fixant la créance en réparation du dommage était arrivé à échéance fin juin 2020. La poursuite introduite en novembre 2020 était donc tardive, de sorte que la requête de mainlevée définitive devait être rejetée.  
 
3.2. La recourante se plaint de la violation des art. 80 al. 1, 81 al. 1 LP et 16 al. 2 LAVS. Se prévalant également de l'ATF 131 V 4, des Directives de l'OFAS ainsi que de l'avis d'un auteur (MARCO REICHMUTH), elle soutient que le délai de dix ans auquel est soumise l'exécution de la créance en réparation du dommage reste un délai de péremption, de sorte qu'il n'y a aucune raison de modifier son point de départ, qui est régi par l'art. 16 al. 2 LAVS. En conséquence, le délai de péremption de dix ans court à compter de la fin de l'année civile au cours de laquelle la décision fixant la créance en réparation du dommage est passée en force, et non à compter de l'entrée en force de la décision, et c'est à tort que la mainlevée de l'opposition a été rejetée au motif que la créance serait prescrite.  
 
4.  
La question qui se pose est de savoir si le délai de dix ans applicable à l'exécution de la décision fixant la créance en réparation du dommage fondée sur l'art. 52 al. 1 LAVS court à compter de l'entrée en force de celle-ci, en application de l'art. 137 al. 2 CO, ou dès la fin de l'année civile au cours de laquelle ladite décision est entrée en force, en application de l'art. 16 al. 2, 1 ère phr., LAVS.  
 
4.1. Le créancier qui est au bénéfice d'un jugement exécutoire peut requérir du juge la mainlevée définitive de l'opposition (art. 80 al. 1 LP). Le juge ordonne la mainlevée définitive de l'opposition, à moins que l'opposant ne prouve par titre que la dette a été éteinte ou qu'il a obtenu un sursis, postérieurement au jugement, ou qu'il ne se prévale de la prescription (art. 81 al. 1 LP).  
Les décisions en matière d'assurances sociales sont exécutoires dès qu'elles ne peuvent plus être attaquées par une opposition ou un recours (art. 54 al. 1 let. a LPGA). Si elles portent condamnation à payer une somme d'argent ou à fournir des sûretés, elles sont assimilées aux jugements exécutoires au sens de l'art. 80 LP (art. 54 al. 2 LPGA). 
 
4.2. Selon l'art. 52 LAVS, l'employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n'observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à l'assurance, est te nu à réparation (al. 1). L'action en réparation du dommage se prescrit conformément aux dispositions du code des obligations sur les actes illicites (al. 3). La caisse de compensation fait valoir sa créance en réparation du dommage par voie de décision (al. 4).  
Le droit à la réparation de l'assurance est soumis à deux délais successifs. L'art. 52 al. 3 LAVS règle uniquement celui de prescription relatif dans lequel la créance en dommage-intérêts doit être fixée, délai qui est passé de deux à trois ans (cf. art. 60 al. 1 CO), avec effet au 1 er janvier 2020, à la suite de la réforme des règles sur la prescription découlant d' un acte illicite ou d'un enrichissement illégitime (cf. Message du 29 novembre 2013 relatif à la modification du code des obligations [droit de la prescription], FF 2014 221 ch. 2.2 [p. 260]; RO 2018 5343). Il ne s'exprime en revanche pas sur le délai d'exécution des créances en réparation du dommage.  
 
4.3.  
 
4.3.1. Au sujet de ce délai d'exécution, dans une ancienne jurisprudence, le Tribunal fédéral avait jugé que le délai de péremption pour les cotisations de l'art. 16 al. 2 LAVS - qui prévoit dans sa première phrase que la créance de cotisations fixée par décision s'éteint cinq ans après la fin de l'année civile au cours de laquelle la décision est passée en force - valait par analogie pour les créances en réparation du dommage selon l'art. 52 LAVS (RCC 1991 p. 136 consid. 2c).  
En revanche, dans son arrêt de principe ATF 131 V 4, il a jugé que cette jurisprudence ne pouvait être maintenue et qu'il fallait appliquer par analogie le délai de dix ans de l'art. 137 al. 2 CO. Il a considéré, d'une part, que l'application du délai plus long de dix ans, par rapport à celui de l'art. 16 al. 2, 1 ère phr., LAVS, correspondait au sens et au but de l'art. 52 LAVS car les créances de dommages-intérêts étaient souvent élevées et ne pouvaient donc pas être remboursées dans un délai de cinq ans, et, d'autre part, qu'il n'était pas nécessaire de fixer un court délai, car les circonstances étaient claires après la fixation définitive des dommages-intérêts (décision administrative ou judiciaire), le montant dû était déterminé et il n'y avait plus à craindre de difficultés de preuve dues à l'écoulement du temps. Le Tribunal fédéral a ajouté que tout délai plus court que dix ans constituait aussi un privilège pour le débiteur de dommages-intérêts, alors qu'on ne voyait pas pourquoi ce responsable ne pourrait pas être poursuivi pour le dommage qu'il a causé aussi longtemps que pour toute autre créance (consid. 3.4; cf. aussi arrêt 5A_948/2018 du 3 mai 2019 consid. 3.1.3, résumé in RSAS 2020 p. 161).  
 
4.3.2. Dans l'ATF 131 précité, le Tribunal fédéral n'a pas eu à déterminer expressément le point de départ du délai, ni la nature de celui-ci. Néanmoins, il aurait été dans tous les cas incohérent de mélanger l'application analogi que des art. 16 al. 2 1ère phr. LAVS et 137 al. 2 CO, et donc de faire débuter le délai de dix ans dès la fin de l'année civile au cours de laquelle la décision fixant la créance en réparation du dommage est entrée en force, tout en reconnaissant que l'art. 16 al. 2, 1ère phr., LAVS n'offre pas une solution satisfaisante pour les créances ayant cet objet. En effet, le délai de dix ans de l'art. 137 al. 2 CO est lié à l'acte interruptif q ui fait débuter ce nouveau délai, soit le jugement. Par ailleurs, si la nature péremptoire des délais entraînant la perte du droit subjectif est la solution qui prévaut généralement en droit des assurances sociales, cela tient à des considérations propres à ce domaine, soit garantir aux assurés dans un certain laps de temps le droit à des prestations nées et déterminées et éviter à l'administration de devoir instruire des demandes de prestations déposées longtemps après la survenance de l'événement assuré (DOLF, in Basler Kommentar, ATSG, 2020, n° 7 ad art. 24 LPGA; PÉTREMAND, in Commentaire romand, LPGA, 2018, n° 14 ad art. 24 LPGA). Or, dans l'ATF 131 V 4, le Tribunal fédéral a précisément voulu faire valoir pour la créance en réparation du dommage les principes régissant le droit privé de la responsabilité.  
De plus, il ressort des arrêts que le Tribunal fédéral a rendus par la suite qu'il a entendu appliquer par analogie l'art. 137 al. 2 CO dans tous ses aspects. Ainsi, il a indiqué que le délai d'exécution de la créance en réparation du dommage au sens de l'art. 52 LAVS commence à courir dès la décision définitive confirmant la restitution (arrêt 5P.456/2004 du 15 juin 2005 consid. 3.3). Il a aussi souligné la stricte différenciation à opérer entre la créance de cotisations selon l'art. 14 al. 1 LAVS et la créance en domma ges-intérêts selon l'art. 52 LAVS, en raison de leur objet et de leur nature juridique. La créance en dommages-intérêts constitue en effet une créance autonome qui, même en ce qui concerne la prescription, a un destin propre, indépendant de la créance de cotisations (ATF 141 V 487 consid. 4.2). Enfin, confirmant la jurisprudence publiée aux ATF 131 V 4, il a également dit qu'il avait, dans cet arrêt, tranché la question de la prescription en lien avec la responsabilité de l'employeur selon l'art. 52 LAVS et exposé qu'il est justifié d'appliquer le délai de pre scription de l'art. 137 al. 2 CO aux créances en réparation du dommage car il s'agit d'un délai de prescription général qui peut également valoir en droit administratif (arrêt 5A_948/2018 précité consid. 3.2.2; dans le même sens, cf. MEIER, Verjährung und Verwirkung öffentlich-rechtlicher Forderungen, 2013, p. 170; PICHONNAZ, in Commentaire romand, CO I, 3ème éd., 2021, n° 5b ad art. 137 CO).  
 
4.3.3. Il ressort donc de ce qui précède que l'art. 137 al. 2 CO s'applique par analogie dans tous ses aspects (nature, durée et point de départ) au délai d'exécution de la créance en réparation du dommage fixée par décision (art. 52 al. 4 LAVS), à l'exclusion de l'art. 16 al. 2, 1 ère phr., LAVS.  
 
4.4. En l'espèce, dans un arrêt parfaitement motivé, l'autorité cantonale a tenu compte de ce qui précède pour retenir que la durée du délai et la manière de calculer ce dernier doivent se fonder sur l'art. 137 al. 2 CO. Les arguments de la recourante quant à la nature péremptoire du délai qui justifierait l'application de l'art. 16 al. 2 LAVS pour en fixer le point de départ ne portent pas: la recourante se fonde sur des sources antérieures à l'arrêt 5A_948/2018 précité, dont il ressort que l'ATF 131 V 4 consacre un délai de prescription en la matière. Au demeurant, contrairement à ce qu'elle soutient, l'arrêt 9C_235/2018 du 2 juillet 2018 ne se prononce pas sur la nature de ce délai; au contraire, l'usage répété des guillemets (" Vollstreckungsverwirkung ") évoque bien plutôt certains doutes que le Tribunal fédéral a émis de manière générale sur la jurisprudence publiée aux ATF 131, dont la qualification de la nature du délai, mais sans se prononcer plus avant. En outre, l'avis de l'OFAS selon lequel, pour le recouvrement de la créance en réparation du dommage entrée en force de chose jugée, il y a lieu d'appliquer, mutatis mutandis, les prescriptions valables pour le recouvrement de la créance de cotisations (Directives sur la perception des cotisations dans l'AVS, AI et APG, état au 1er janvier 2023, n° 8077), ne peut pas être suivi car il fait fi de la distinction opérée par la jurisprudence du Tribunal fédéral susrappelée entre les types de créances concernées. Enfin, comme l'a relevé l'autorité cantonale, REICHMUT qualifie certes de délai de péremption le délai d'exécution de la créance en réparation, mais cet auteur indique par ailleurs que seules les phrases 2 à 5 de l'alinéa 2 de l'art. 16 LAVS continuent de s'appliquer, et non la phrase 1, remplacée par l'art. 137 al. 1 CO (Die Haftung des Arbeitgebers und seiner Organe nach Art. 52 AHVG, 2008, n° 1270).  
Il suit de là que le grief de violation des art. 80 al. 1, 81 al. 1 LP et 16 al. 2 LAVS doit être rejeté. 
 
5.  
En définitive, le recours est rejeté. Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 66 al. 1 et 4 a contrario LTF). Aucuns dépens ne sont dus (art. 68 al. 1 LTF).  
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis la charge de la recourante. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre civile. 
 
 
Lausanne, le 21 juin 2023 
 
Au nom de la IIe Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Herrmann 
 
La Greffière : Achtari