2A.609/1999 16.02.2000
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[AZA 0] 
2A.609/1999 
 
IIe COUR DE DROIT PUBLIC 
*********************************************** 
 
16 février 2000 
 
Composition de la Cour: MM. et Mme les Juges Wurzburger, 
président, Hungerbühler et Yersin. Greffière: Mme Dupraz. 
 
__________ 
 
Statuant sur le recours de droit administratif 
formé par 
 
X.________, né le 7 août 1961, dame X.________, née le 24 novembre 1966, et Y.________, née le 22 mars 1998, tous trois représentés par le Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs, rue des Chaudronniers 16, à Genève, 
 
contre 
la décision prise le 16 novembre 1999 par le Département fédéral de justice et police; 
(art. 13 lettre f OLE; exception aux mesures de limitation) 
 
Vu les pièces du dossier d'où ressortent 
les faits suivants: 
 
A.- Ressortissant yougoslave (du Kosovo) né en 1961, X.________ a travaillé en Suisse au bénéfice d'une autorisation de séjour saisonnière en 1983 et en 1984. Il a continué à travailler sans autorisation pour son employeur suisse jusqu'en août 1986, époque où il est rentré dans sa patrie pour accomplir ses obligations militaires. X.________ est revenu en Suisse en 1988 et y a travaillé illégalement jusqu'en 1991. Puis il est retourné dans son pays d'origine. Le 28 février 1993, il est revenu en Suisse et y a à nouveau travaillé illégalement pour différents employeurs jusqu'en 1997. Sa femme dame X.________, née en 1966, l'a rejoint vraisemblablement à la fin de l'année 1993 et a occupé un emploi sans autorisation en 1996. 
 
Le 15 avril 1997, l'Office cantonal de la population du canton de Genève (ci-après: l'Office cantonal) a décidé de renvoyer les époux X.________ et leur a imparti un délai échéant le 15 mai 1997 pour quitter le territoire genevois. 
 
Le 22 mars 1998, le couple X.________ a eu une fille: Y.________. 
 
Le 6 octobre 1998, la Commission cantonale de recours de police des étrangers du canton de Genève (ci-après: la Commission cantonale de recours) a admis pour des raisons d'opportunité le recours déposé par X.________ et dame X.________ contre la décision de l'Office cantonal du 15 avril 1997, annulé cette décision et renvoyé le dossier à l'Office cantonal pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
 
B.- Le 10 mars 1999, l'Office cantonal a transmis pour approbation à l'Office fédéral des étrangers (ci-après: l'Office fédéral) une demande d'exception aux mesures de limitation fondée sur l'art. 13 lettre f de l'ordonnance du 6 octobre 1986 limitant le nombre des étrangers (OLE; RS 823. 21) pour X.________, dame X.________ et Y.________. Lui-même donnait un préavis favorable en se référant à la décision de la Commission cantonale de recours du 6 octobre 1998. 
 
Le 23 mars 1999, l'Office fédéral a refusé l'exception aux mesures de limitation sollicitée. Il a retenu que les arguments présentés (long séjour illégal en Suisse, bonne intégration, indépendance financière) ne permettaient pas de considérer qu'il s'agissait d'un cas de rigueur revêtant un caractère de gravité exceptionnelle au sens de la législation et de la pratique restrictives en la matière. 
 
C.- Le 16 novembre 1999, le Département fédéral de justice et police (ci-après: le Département fédéral) a rejeté le recours formé par X.________, dame X.________ et Y.________ contre la décision de l'Office fédéral du 23 mars 1999 et déclaré que X.________ et sa famille demeuraient assujettis aux mesures de limitation. Il a notamment considéré que X.________ et dame X.________ avaient vécu en Suisse pendant respectivement environ quinze et six ans et qu'ils y étaient bien intégrés socialement. Il a cependant relevé le caractère illégal de la plus grande partie du temps passé en Suisse par X.________, comme les nombreuses années durant lesquelles les époux X.________ avaient vécu dans leur patrie et les attaches qu'ils y conservaient. Il s'est aussi référé à la jurisprudence relative aux familles comprenant des enfants. 
 
D.- X.________, dame X.________ et Y.________ ont déposé un recours au Tribunal fédéral contre la décision du Département fédéral du 16 novembre 1999. Leur argumentation porte en substance sur la façon dont les autorités suisses luttent contre le travail clandestin et sur les conséquences qui en résultent pour les employeurs et les employés respectivement. 
 
Le Département fédéral conclut au rejet du recours. 
 
Considérant en droit : 
 
1.- a) Le Tribunal fédéral examine d'office et librement si le recours dont il est saisi doit être traité comme un recours de droit administratif ou comme un recours de droit public (ATF 118 Ib 326 consid. 1 p. 329). Il est dès lors sans importance que les recourants n'aient pas précisé dans leur mémoire la voie de droit qu'ils entendaient utiliser. Le recours de droit public ayant un caractère subsidiaire (art. 84 al. 2 OJ), il convient d'examiner d'abord si le présent recours est recevable en tant que recours de droit administratif. 
 
b) La voie du recours de droit administratif est en principe ouverte contre les décisions relatives à l'assujettissement aux mesures de limitation prévues par l'ordonnance limitant le nombre des étrangers (ATF 122 II 403 consid. 1 p. 404/405). Déposé en temps utile et dans les formes prescrites par la loi, le présent recours est en principe recevable comme recours de droit administratif en vertu des art. 97 ss OJ
 
2.- Saisi d'un recours de droit administratif dirigé contre une décision qui n'émane pas d'une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral revoit, le cas échéant d'office, les constatations de fait des autorités inférieures (art. 104 lettre b et 105 al. 1 OJ). Sur le plan juridique, il vérifie d'office l'application du droit fédéral qui englobe les droits constitutionnels des citoyens (ATF 124 II 517 consid. 1 p. 519; 123 II 385 consid. 3 p. 388) - en examinant notamment s'il y a eu excès ou abus du pouvoir d'appréciation (art. 104 lettre a OJ) -, sans être lié par les motifs invoqués par les parties (art. 114 al. 1 in fine OJ). En revanche, il ne peut pas revoir l'opportunité de la décision attaquée, le droit fédéral ne prévoyant pas un tel examen en la matière (art. 104 lettre c ch. 3 OJ). 
 
Dans le domaine de la police des étrangers, lorsque la décision entreprise n'émane pas d'une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral fonde en principe ses jugements, formellement et matériellement, sur l'état de fait et de droit existant au moment de sa propre décision (ATF 124 II 361 consid. 2a p. 365; 122 II 1 consid. 1b p. 4, 385 consid. 2 p. 390). 
 
3.- Les mesures de limitation visent, en premier lieu, à assurer un rapport équilibré entre l'effectif de la population suisse et celui de la population étrangère résidante, ainsi qu'à améliorer la structure du marché du travail et à assurer un équilibre optimal en matière d'emploi (art. 1er lettres a et c OLE). L'art. 13 lettre f OLE soustrait aux mesures de limitation "les étrangers qui obtiennent une autorisation de séjour dans un cas personnel d'extrême gravité ou en raison de considérations de politique générale". Cette disposition a pour but de faciliter la présence en Suisse d'étrangers qui, en principe, seraient comptés dans les nombres maximums fixés par le Conseil fédéral, mais pour lesquels cet assujettissement paraîtrait trop rigoureux par rapport aux circonstances particulières de leur cas ou pas souhaitable du point de vue politique. 
 
Il découle de la formulation de l'art. 13 lettre f OLE que cette disposition dérogatoire présente un caractère exceptionnel et que les conditions auxquelles la reconnaissance d'un cas de rigueur est soumise doivent être appréciées restrictivement. Il est nécessaire que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Cela signifie que ses conditions de vie et d'existence, comparées à celles applicables à la moyenne des étrangers, doivent être mises en cause de manière accrue, c'est-à-dire que le refus de soustraire l'intéressé aux restrictions des nombres maximums comporte pour lui de graves conséquences. Lors de l'appréciation d'un cas personnel d'extrême gravité, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des circonstances du cas particulier. La reconnaissance d'un cas personnel d'extrême gravité n'implique pas forcément que la présence de l'étranger en Suisse constitue l'unique moyen pour échapper à une situation de détresse. Par ailleurs, le fait que l'étranger ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période et s'y soit bien intégré ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas personnel d'extrême gravité; la jurisprudence en a ainsi décidé même dans le cas où l'intéressé se trouvait en Suisse depuis sept à huit ans (ATF 124 II 110 consid. 3 p. 113). Il faut encore que la relation de l'étranger avec la Suisse soit si étroite qu'on ne saurait exiger qu'il aille vivre dans un autre pays, notamment dans son pays d'origine. A cet égard, les relations de travail, d'amitié ou de voisinage que l'intéressé a pu nouer pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu'ils justifieraient une exemption des mesures de limitation (ATF 124 II 110 consid. 2 p. 111/112 et la jurisprudence citée). 
 
Lorsqu'une famille demande d'être exemptée des mesures de limitation au sens de l'art. 13 lettre f OLE, la situation de chacun de ses membres ne doit pas être considérée isolément mais en relation avec le contexte familial global. En effet, le sort de la famille formera en général un tout; il sera difficile d'admettre le cas d'extrême gravité, par exemple, uniquement pour les parents ou pour les enfants (ATF 123 II 125 consid. 4a p. 129). Il y a donc lieu de porter une appréciation d'ensemble, tenant compte de tous les membres de la famille (durée du séjour, intégration professionnelle pour les parents et scolaire pour les enfants, notamment). Encore faut-il préciser que, dans ce contexte, la notion de famille se limite normalement aux parents et aux enfants mineurs. 
 
4.- Les recourants invoquent "la disproportion flagrante de pénalité entre deux fautifs, l'employeur et l'employé" en cas de travail clandestin et s'interrogent sur la volonté politique des autorités fédérales et cantonales de lutter contre un tel travail. Ils font valoir qu'après avoir utilisé ses services légalement, le premier employeur suisse de X.________ lui a imposé la clandestinité. La façon d'agir de cet employeur aurait privé X.________ de la possibilité de bénéficier d'une autorisation de séjour, alors que ses collègues saisonniers ayant commencé leur travail en Suisse en même temps que lui auraient tous obtenu une autorisation d'établissement ou acquis la nationalité suisse. 
 
a) X.________ a vécu environ quatorze ans en Suisse, dont plus de neuf illégalement. En effet, il n'a bénéficié que de deux autorisations de séjour saisonnières, en 1983 et 1984, et il jouit depuis le printemps 1997 d'une tolérance en raison des procédures qu'il a entreprises. Quant à dame X.________, elle bénéficie de la même tolérance, après avoir vécu illégalement en Suisse pendant plus de trois ans. Or, selon la jurisprudence, un séjour effectué illégalement en Suisse ne peut pas être pris en considération dans l'examen des conditions d'application de l'art. 13 lettre f OLE (cf. arrêt non publié du 23 octobre 1996 en la cause Sadiku, consid. 4). Dès lors, les recourants ne peuvent pas se prévaloir d'un long séjour régulier en Suisse, ni du reste d'un comportement irréprochable. De plus, si leur intégration est bonne, elle n'apparaît pas exceptionnelle; d'ailleurs, X.________ a changé d'emploi à diverses reprises. En revanche, avant de venir en Suisse, X.________ et dame X.________ ont vécu dans leur patrie respectivement plus de vingt et un et vingt-sept ans. D'après la décision attaquée, ils y sont nés et y ont été éduqués. Ils y ont donc passé leur jeunesse, ce qui est essentiel, car c'est durant ces années que se forge la personnalité, en fonction notamment de l'environnement culturel. Les époux X.________ conservent ainsi des attaches importantes avec leur pays d'origine, notamment du point de vue socioculturel. Quant à Y.________, elle n'a pas encore deux ans et dépend avant tout de ses parents et de leur mode de vie (ATF 123 II 125 consid. 4b p.129). Rien n'empêche donc d'exiger le départ de Suisse des recourants. 
 
b) Les intéressés développent toute une argumentation sur la façon dont les autorités suisses luttent contre le travail clandestin et le sanctionnent, pour justifier leur demande d'exemption des mesures de limitation. Il n'appartient pas au Tribunal fédéral de se prononcer sur un problème général qui sort du cadre du litige faisant l'objet d'un recours de droit administratif. Seul entre en considération ici le comportement de X.________, compte tenu du contexte (employeurs, collègues). L'autorité de céans constate que l'intéressé a bénéficié d'autorisations de séjour saisonnières en 1983 et 1984. Il a donc su dès ses premiers contacts avec la Suisse qu'un étranger devait en principe (sous réserve d'une dispense) être autorisé à séjourner et travailler dans ce pays. De plus, il n'a pas travaillé seulement auprès de son premier employeur suisse qui lui aurait "imposé la clandestinité". Depuis 1988, il a exercé différentes activités toujours illégalement. Enfin, si tous ses collègues saisonniers qui ont commencé à travailler en Suisse en même temps que lui sont titulaires d'une autorisation d'établissement ou ont acquis la nationalité suisse, cela montre que les autres étrangers collègues de X.________ ont pu, dans le respect de la législation helvétique, s'établir en Suisse. On comprend d'autant moins que l'intéressé n'ait pas réussi à faire de même. Par conséquent, l'argument que les recourants tirent du comportement du premier employeur suisse de X.________ n'est pas déterminant. 
 
c) Une appréciation globale, tenant compte de tous les membres de la famille et de l'ensemble des circonstances ne permet pas de conclure que les recourants se trouvent dans un cas personnel d'extrême gravité au sens de l'art. 13 lettre f OLE. 
 
5.- Vu ce qui précède, le recours doit être rejeté. 
 
Succombant, les recourants doivent supporter les frais judiciaires (art. 156 al. 1, 153 et 153a OJ). 
 
Par ces motifs, 
 
le Tribunal fédéral : 
 
1. Rejette le recours. 
 
2. Met à la charge des recourants, solidairement entre eux, un émolument judiciaire de 2'000 fr. 
 
3. Communique le présent arrêt en copie au représentant des recourants et au Département fédéral de justice et police. 
 
____________ 
 
Lausanne, le 16 février 2000 
DAC/mnv 
 
Au nom de la IIe Cour de droit public 
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE: 
Le Président, 
 
La Greffière,