4A_416/2022 13.07.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_416/2022  
 
 
Arrêt du 13 juillet 2023  
I  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Jametti, Présidente, Hohl et Kiss, 
greffière Monti. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par Me Daniel Tunik et 
Me Xin Ye, avocats, 
défenderesse et recourante, 
 
contre  
 
l'entité Z.________, 
représentée par 
Me Pierre Ducret, avocat, 
demanderesse et intimée. 
 
Objet 
action en annulation des décisions de l'assemblée générale de la société anonyme; lésion des droits de la minorité par la majorité (art. 706 CO et 2 al. 2 CC), 
 
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 23 août 2022 par la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève (C/16206/2020; ACJC/1069/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________ SA (ci-après: la société anonyme ou la défenderesse, la recourante) détient des participations dans des entités oeuvrant dans le domaine des soins hospitaliers.  
L'entité Z.________ en est l'actionnaire minoritaire (ci-après: l'actionnaire minoritaire ou la demanderesse, l'intimée). Elle a pour but social de promouvoir et favoriser des soins médicaux de qualité; 
En 2016, M.________ SA est devenue l'actionnaire majoritaire de la société anonyme. 
 
A.b. Auparavant, soit en 1983, l'assemblée générale de la société anonyme avait accepté d'augmenter son capital-actions de 290'000 fr. (composé alors en 580 actions "A" d'une valeur de 500 fr.), à 2'500'000 fr.: 170 nouvelles actions "B" d'une valeur de 13'000 fr. avaient été émises. Ces nouvelles actions avaient été entièrement souscrites par l'entité Z.________, soit l'actuelle actionnaire minoritaire. L'assemblée avait également décidé que le conseil d'administration était composé de 11 membres et que l'actionnaire minoritaire, propriétaire des actions "B", avait droit à quatre représentants au conseil d'administration, qu'elle pouvait librement choisir sans que l'assemblée générale fût en mesure de refuser leur élection, sauf à invoquer de justes motifs (art. 9 al. 1 et 2 des statuts).  
A la suite d'un splitting des actions en 1994, le capital-actions était composé de 5'800 actions "A" et 1'700 actions "B". 
Le nombre des membres du conseil administration a été porté de 9 à 12 en 1998. 
Avant 2016, le capital-actions était détenu par plus de 500 actionnaires. 
Depuis novembre 2016, l'actionnaire majoritaire dispose d'environ 69,39 % des droits de vote, contre 22,66 % pour l'actionnaire minoritaire. 
 
A.c. Des conflits sont apparus entre l'actionnaire majoritaire et l'actionnaire minoritaire, à tout le moins dès l'assemblée ordinaire du 17 avril 2018.  
A cette occasion, l'assemblée générale n'a élu que deux des quatre représentants proposés par l'actionnaire minoritaire. Le 13 mai 2019, alors qu'un des deux représentants élus devait être remplacé, l'assemblée générale a refusé l'élection des trois représentants proposés. 
L'actionnaire minoritaire a alors intenté deux actions judiciaires en annulation des décisions prises par les assemblées générales de 2018 et 2019. Ses actions, qui sont encore pendantes, visent à faire constater l'élection des trois représentants proposés au conseil d'administration. S'appuyant sur l'art. 20 al. 2 des statuts, elle dénonce le fait que l'élection de ses représentants a été refusée sans justes motifs. 
 
A.d. L'art. 20 al. 2 des statuts énonce que le "groupe formé des actionnaires propriétaires des actions 'B' a droit à quatre représentants au sein du Conseil d'administration. L'assemblée des actionnaires dudit groupe choisit ses candidats, que l'assemblée générale de la société ne peut refuser d'élire sans justes motifs".  
Dans la perspective de l'assemblée générale du 18 juin 2020, le conseil d'administration a proposé de modifier cet art. 20 al. 2 en ce sens que l'actionnaire minoritaire, propriétaire des actions "B", ne disposerait à l'avenir que d'un seul représentant au conseil d'administration. 
Cette modification, à laquelle s'est opposée l'actionnaire minoritaire, a néanmoins été acceptée par l'assemblée générale à 5'209 voix, soit celles de l'actionnaire majoritaire, contre 2'158 voix, dont 2'154 appartenant à l'actionnaire minoritaire. 
Celle-ci a déposé une requête de mesures provisionnelles visant à empêcher l'inscription au Registre du commerce de la modification de l'art. 20 al. 2 des statuts jusqu'à droit jugé dans son action en annulation de la décision de l'assemblée générale. Elle a toutefois été déboutée par le Tribunal de première instance du canton de Genève. 
 
B.  
 
B.a. Par requête de conciliation du 17 août 2020, l'actionnaire minoritaire a actionné la société anonyme en annulation de la décision de l'assemblée générale de 2020 modifiant l'art. 20 al. 2 des statuts. Suite à l'échec de la conciliation, elle a déposé sa demande le 10 décembre 2020. Elle a notamment fait valoir que la décision litigieuse viole les statuts en tant que son droit d'être représentée par quatre membres au conseil d'administration devait contrebalancer le déséquilibre induit par la création d'actions privilégiées "A" lors de son entrée au capital-actions et sa souscription des actions "B": il s'agissait selon elle d'un droit acquis. Elle estime que la modification statutaire constitue une mesure de représailles contre les deux procédures judiciaires qu'elle a intentées, étant précisé que jusqu'à l'arrivée de l'actionnaire majoritaire en 2016, son droit élargi à participer au conseil d'administration n'a entraîné aucun différend. Enfin, elle remet en cause la gestion de la société anonyme dans ses relations avec l'actionnaire majoritaire, à laquelle la société octroie des prêts, ainsi qu'à des entités affiliées, et verse des management fees.  
La société anonyme a conclu au rejet de la demande, considérant notamment que la modification litigieuse ne viole ni les statuts, ni la loi, puisque l'actionnaire minoritaire dispose encore d'un représentant au conseil d'administration et puisque l'assemblée générale peut librement modifier les statuts qui confèrent un avantage à l'actionnaire minoritaire. 
Le Tribunal a auditionné un représentant de la société anonyme et un représentant de l'actionnaire minoritaire. 
Par jugement du 14 décembre 2021, le Tribunal de première instance a annulé la décision prise le 18 juin 2020 par l'assemblée générale de la société anonyme en tant qu'elle modifie l'art. 20 al. 2 des statuts et a ordonné au registre du commerce de procéder à l'inscription suivante: "Le groupe formé des actionnaires propriétaires des actions 'B' a droit à quatre représentants au sein du Conseil d'administration. L'assemblée des actionnaires dudit groupe choisit ses candidats, que l'assemblée générale [...] ne peut refuser d'élire sans justes motifs". 
En bref, le tribunal a émis les considérations suivantes: 
La réforme générale du droit de la société anonyme de 1992 avait instauré aux art. 706 à 706b CO un mécanisme d'annulabilité et de nullité des décisions de l'assemblée générale. La modification litigieuse des statuts pouvait faire l'objet d'une action en annulation fondée sur l'art. 706 al. 2 ch. 2 CO, et la décision de réduire de 4 à 1 le nombre de représentants de l'actionnaire minoritaire constituait un abus de droit car elle privait d'objet les deux actions en annulation des décisions de l'assemblée générale de 2018 et 2019 refusant l'élection des représentants proposés par l'actionnaire minoritaire. La société anonyme et son actionnaire majoritaire ne pouvaient de bonne foi invoquer de justes motifs de refuser l'élection des représentants choisis par l'actionnaire minoritaire, puis priver cette dernière du droit de contester en justice l'existence de tels motifs en modifiant les statuts. On ne saurait affirmer que le différend bloquait la bonne gestion de la société depuis des années. En outre, la modification était disproportionnée, car l'actionnaire minoritaire était l'actionnaire "historique" de la société anonyme et sa participation élargie au conseil d'administration devait contrebalancer le déséquilibre induit par la création d'actions privilégiées "A". Par ailleurs, sa qualité d'actionnaire depuis 1983 était stable et son droit élargi de participer au conseil d'administration n'avait fait l'objet d'aucun différend particulier, jusqu'à l'arrivée récente de l'actionnaire majoritaire au capital-actions en 2016. L'actionnaire minoritaire était en conflit avec l'actionnaire majoritaire sur un aspect particulier de la gestion de la société anonyme, soit les prêts et management fees octroyés à l'actionnaire majoritaire et à des sociétés affiliées, ce qui ne paraissait pas répondre en premier lieu à l'intérêt de la société anonyme. En définitive, la modification litigieuse ne reposait sur aucun intérêt digne de protection de l'actionnaire majoritaire et devait être annulée.  
 
B.b. Statuant le 23 août 2022, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté l'appel formé par la société anonyme et confirmé le jugement attaqué. Ses motifs seront évoqués ci-après, dans la mesure utile à la discussion des griefs soulevés.  
 
C.  
Contre cet arrêt, qui lui a été notifié le 25 août 2022, la société anonyme défenderesse a interjeté un recours en matière civile au Tribunal fédéral le 26 septembre 2022, concluant à son annulation et au déboutement de l'actionnaire minoritaire, soit la demanderesse, de toutes ses conclusions. Elle se plaint d'un établissement incomplet des faits et dénonce la violation des art. 706 al. 2 ch. 2 CO et 2 al. 2 CC. 
L'actionnaire minoritaire, intimée à la présente procédure, conclut au rejet du recours et à la confirmation de l'arrêt attaqué. 
La recourante a encore déposé des observations spontanées qui n'ont inspiré aucune remarque à l'intimée. 
L'autorité précédente se réfère à son arrêt. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 et 45 al. 1 LTF) par une société anonyme qui a succombé dans ses conclusions libératoires, dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) prise sur appel par le tribunal supérieur du canton (art. 75 LTF) sur une action en annulation d'une décision de son assemblée générale (art. 72 al. 1 LTF), dont la valeur litigieuse excède 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF), le présent recours en matière civile est recevable sur le principe. 
 
2.  
 
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Relèvent de ces faits tant les constatations relatives aux circonstances touchant l'objet du litige que celles concernant le déroulement de la procédure conduite devant l'instance précédente et en première instance, c'est-à-dire les constatations ayant trait aux faits procéduraux (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références). Le Tribunal fédéral ne peut rectifier ou compléter les constatations de l'autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes ou découlent d'une violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). "Manifestement inexactes" signifie ici "arbitraires" (ATF 140 III 115 consid. 2 p. 117; 135 III 397 consid. 1.5). Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).  
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'invocation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266 et les références). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 p. 18 et les références). Si elle souhaite obtenir un complètement de l'état de fait, elle doit aussi démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux autorités précédentes, en conformité avec les règles de la procédure, les faits juridiquement pertinents à cet égard et les moyens de preuve adéquats (ATF 140 III 86 consid. 2 p. 90). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s'écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 p. 18). 
 
2.2. Le Tribunal fédéral applique en principe d'office le droit (art. 106 al. 1 LTF) à l'état de fait constaté dans l'arrêt cantonal (ou à l'état de fait qu'il aura rectifié). Cela ne signifie pas que le Tribunal fédéral examine, comme le ferait un juge de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser. Compte tenu de l'obligation de motiver imposée par l'art. 42 al. 2 LTF, il ne traite que les questions qui sont encore soulevées par les parties, à moins que la violation du droit ne soit manifeste (ATF 140 III 115 consid. 2 p. 116; 140 III 86 consid. 2; 133 III 545 consid. 2.2; arrêt 4A_399/2008 du 12 novembre 2008 consid. 2.1 non publié in ATF 135 III 112). Il n'est en revanche pas lié par l'argumentation juridique développée par les parties ou par l'autorité précédente; il peut admettre le recours, comme il peut le rejeter en procédant à une substitution de motifs (ATF 135 III 397 consid. 1.4).  
 
3.  
Est litigieuse la question de savoir si la modification de l'art. 20 al. 2 des statuts adoptée par l'assemblée générale de la société anonyme du 18 juin 2020 est constitutive d'un abus de droit au sens de l'art. 2 al. 2 CC
 
3.1. En ce qui concerne la représentation au conseil d'administration, l'art. 709 al. 1 CO garantit à chaque catégorie d'actions un représentant au moins au conseil administration. Selon l'art. 709 al. 2 CO, les statuts peuvent prévoir des dispositions particulières pour protéger les minorités ou certains groupes d'actionnaires.  
 
3.1.1. Pour modifier une disposition particulière des statuts au sens de l'art. 709 al. 2 CO, l'assemblée générale des actionnaires est compétente (art. 698 al. 2 ch. 1 CO). Conformément à l'art. 703 CO, si la loi ou les statuts n'en disposent pas autrement, l'assemblée générale prend ses décisions à la majorité absolue des voix attribuées aux actions représentées.  
 
3.1.2. L'art. 706 al. 2 CO limite ce pouvoir de l'assemblée générale en ce sens que les actionnaires minoritaires peuvent agir en annulation des décisions de modification prises à la majorité, notamment dans trois cas, à savoir si elles suppriment ou limitent les droits des actionnaires en violation de la loi ou des statuts (ch. 1), si elles suppriment ou limitent les droits des actionnaires d'une manière non fondée (ch. 2) et enfin, si elles entraînent pour les actionnaires une inégalité de traitement ou un préjudice non justifiés par le but de la société (ch. 3).  
Les cas visés par l'art. 706 al. 2 CO ne sont pas exhaustifs, n'étant qu'une codification de la jurisprudence rendue dans des cas particuliers (PETER/CAVADINI, in Code des obligations II, Commentaire romand, 2e éd. 2017, n° 21 ad art. 706 CO; DUBS/TRUFFER, in Obligationenrecht II, Basler Kommentar, 5 e éd. 2016, n° 9 ad art. 706 CO). Il s'agit de cas d'application de l'art. 2 CC. Il existe donc encore d'autres situations susceptibles de se révéler abusives pour d'autres raisons (à propos de l'inégalité de traitement de l'art. 706 al. 2 ch. 3 CO, cf. l'arrêt 4A_205/2008 du 19 août 2008 consid. 3.2; ATF 102 II 265 consid. 2). Les cas de l'art. 706 al. 2 ch. 2 et 3 CO donnent aux tribunaux des lignes directrices différenciées qui les dispensent de devoir se référer à l'interdiction de l'abus de droit de l'art. 2 al. 2 CC (PETER BÖCKLI, Schweizer Aktienrecht, 5 e éd. 2022, § 14 n. 166). Il n'en demeure pas moins que, selon la jurisprudence, l'abus de droit de l'art. 2 al. 2 CC est toujours réservé (arrêt précité 4A_205/2008 consid. 3.2; ATF 102 II 265 consid. 2).  
 
3.1.3. En vertu de l'art. 2 al. 2 CC, l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi. L'existence d'un abus de droit se détermine selon les circonstances concrètes du cas. L'emploi dans le texte légal du qualificatif "manifeste" démontre que l'abus de droit ne doit être admis qu'avec réserve. L'interdiction de l'abus de droit vaut pour tout l'ordre juridique, y compris pour l'exercice du pouvoir dans la société anonyme par les actionnaires majoritaires. Une décision prise par la majorité sera abusive au sens de l'art. 2 al. 2 CC aux trois conditions suivantes: (1) si elle n'est pas justifiée par des motifs économiques raisonnables, (2) si elle lèse manifestement les intérêts de la minorité, et (3) si elle favorise sans raison les intérêts particuliers de la majorité (arrêts 4A_205/2008 précité consid. 4.1; 4C.386/2002 du 12 octobre 2004 consid. 3.4.1, non publié in ATF 131 III 38; ATF 95 II 157 consid. 9c et les arrêts cités). Le juge n'a pas à examiner l'opportunité de la décision au regard des intérêts de la société et de l'ensemble des actionnaires. En vertu du principe de la majorité qui gouverne les décisions de la société anonyme, l'actionnaire admet que la majorité présente à l'assemblée générale puisse faire passer ses intérêts avant ceux de la minorité. Le juge ne peut intervenir que si les actionnaires majoritaires ont manifestement abusé du pouvoir que leur confère l'art. 703 CO, eu égard aux intérêts contraires des actionnaires minoritaires (arrêts précités 4A_205/2008 consid. 4.1 et 4C.386/2002 consid. 3.4.1; arrêt 4C.242/2001 du 5 mars 2003 consid. 5.1; ATF 102 II 265 consid. 3).  
 
3.2. En l'espèce, le conseil d'administration a proposé à l'assemblée générale du 18 juin 2020 de modifier l'art. 20 al. 2 des statuts, soit de supprimer le droit de l'actionnaire minoritaire d'avoir quatre représentants au conseil d'administration et de ne lui en accorder plus qu'un seul. L'actionnaire minoritaire s'est opposée à cette proposition et a voté contre celle-ci. La modification de l'art. 20 al. 2 des statuts a néanmoins été acceptée à la majorité de 5'209 voix, correspondant aux voix de l'actionnaire majoritaire, contre 2'158 voix, dont 2'154 voix appartenant à l'actionnaire minoritaire.  
Saisie, sur appel, d'une action en annulation de cette décision, la cour cantonale a examiné si les trois conditions de l'abus de droit manifeste de l'art. 2 al. 2 CC, telles que dégagées par la jurisprudence en relation avec cette disposition, étaient réalisées en l'espèce. 
Même si, dans le titre de son grief, la recourante semble vouloir se baser sur l'art. 706 al. 2 ch. 2 CO, elle n'en propose aucune analyse séparée, de sorte que seule la violation de l'art. 2 al. 2 CC doit être examinée. 
La recourante se limite à contester les deux dernières des trois conditions précitées, de sorte qu'il faut tenir pour acquise la première condition, selon laquelle la modification statutaire n'est pas justifiée par des motifs économiques raisonnables, comme l'a retenu la cour cantonale qui a renoncé à examiner les circonstances entourant les prêts et management fees octroyés à l'actionnaire majoritaire. Dans la mesure où, à la fin de son recours, la recourante se contente d'affirmer que cette condition ne serait pas réalisée, son grief ne satisfait pas aux exigences de motivation de l'art. 42 al. 2 LTF, de sorte qu'il est irrecevable (cf. consid. 2.2 supra).  
Il faut donc examiner uniquement ses griefs relatifs aux deux autres conditions. 
 
3.3. Tout d'abord, la cour cantonale a admis que la décision de l'assemblée générale lèse manifestement les intérêts de la minorité.  
 
3.3.1. En substance, la cour cantonale considère que la réduction de quatre à un du nombre des représentants de l'actionnaire minoritaire au conseil d'administration, diminue considérablement l'influence que celle-ci peut exercer sur les décisions prises par cet organe, en principe dans l'intérêt de la société. Il est possible que d'autres administrateurs soutiennent les représentants de l'actionnaire minoritaire dans les votes, de sorte que la réduction de quatre représentants à un seul réduit fortement les chances de celle-ci de recueillir une majorité: au lieu de trouver l'appui de trois autres administrateurs, elle devrait désormais en obtenir six pour avoir une majorité (soit de 7 sur les 12 membres prévus au conseil d'administration). En outre, si elle ne dispose plus que d'un seul représentant, elle diminue également sa force de conviction sur les autres administrateurs dans les discussions. Même si l'actionnaire minoritaire devait conserver ses autres droits, cela ne changerait rien à ce qui précède.  
 
3.3.2. La recourante se limite à reprocher à la cour cantonale de s'être basée sur un seul élément, soit la réduction du nombre de représentants au conseil d'administration, et sur les effets hypothétiques qu'entraînerait une telle réduction sur l'influence que peut exercer l'actionnaire minoritaire sur les décisions du conseil d'administration.  
Cependant, elle ne conteste ni le fait qu'avec un seul représentant, elle devrait convaincre davantage d'administrateurs (6 au lieu de 3) pour emporter un vote du conseil (majorité de 7), ni le fait qu'avec un seul représentant au conseil, son pouvoir de persuasion sur les autres administrateurs serait diminué. Pourtant, la première de ces déductions est incontestable puisqu'elle est mathématique, et la seconde découle de l'expérience générale de la vie. 
Lorsqu'elle soutient que l'on ne saurait se baser sur ce seul élément et, implicitement, qu'il faudrait encore qu'une atteinte soit portée à d'autres droits sociaux et patrimoniaux de l'actionnaire minoritaire, la société ne tente pas la moindre démonstration de ce qu'elle avance; elle n'indique pas quel droit garanti à l'actionnaire minoritaire ferait apparaître comme mineure ou insignifiante l'atteinte portée à son droit d'avoir quatre représentants au conseil d'administration, excluant ainsi toute lésion manifeste, et ce alors même qu'en 1983, cet avantage avait été introduit pour compenser le déséquilibre engendré pour cet actionnaire "historique" par la création d'actions privilégiées. 
Sans autre précision, le grief d'omission de faits concernant l'absence de lésion d'autres droits sociaux et patrimoinaux est donc irrecevable. 
En bref, les griefs de la recourante sur cette condition doivent être rejetés dans la mesure où ils sont recevables. 
 
3.4. Ensuite, la cour cantonale a admis que la décision de l'assemblée générale favorisait sans raison les intérêts particuliers de la majorité.  
 
3.4.1. Procédant par substitution de motifs, l'autorité précédente a considéré comme non établi le fait que l'actionnaire majoritaire disposait déjà d'une majorité de représentants au sein du conseil d'administration: des faits dont elle avait connaissance, il ressortait tout au plus que l'actionnaire majoritaire avait trois représentants. L'on ignorait si les autres administrateurs, ou une majorité d'entre eux faisaient aussi partie de ses membres, ce d'autant que les administrateurs ne devaient pas nécessairement être désignés parmi les actionnaires.  
La cour cantonale en a inféré que la modification statutaire favorisait sans raison les intérêts de la majorité: car en réduisant le nombre de représentants de la minorité, l'actionnaire majoritaire s'assurait de pouvoir contrôler plus aisément les décisions prises par cet organe, puisque la minorité subissait une diminution de sa capacité d'influencer les décisions prises tandis que la majorité ne pouvait brandir aucune raison particulière d'apporter la modification litigieuse. 
 
3.4.2. La recourante fait grief à la cour cantonale d'avoir adopté le meilleur scénario pour la minorité en admettant la lésion de ses intérêts et le pire scénario pour la majorité, en examinant la favorisation de ses intérêts. Cependant, elle méconnaît qu'en réalité, c'est toujours la réduction des représentants de la minorité et, partant, leur capacité d'influencer les autres membres du conseil d'administration, qui est à l'origine, d'une part, de la lésion des intérêts de la minorité et, d'autre part, de la favorisation des intérêts de la majorité. Il n'y a là aucune contradiction et il ne sert à rien d'objecter que l'actionnaire majoritaire a toujours la possibilité de décider seule, puisqu'elle dispose de la majorité à l'assemblée générale, quelles personnes seront élues au conseil d'administration. Il est indéniable que plus un actionnaire a de représentants au conseil d'administration, plus sa capacité d'influence est grande. Toute tentative de démontrer le contraire est contredite par l'expérience de la vie.  
Ainsi, les griefs de la recourante sur cette condition doivent eux aussi être rejetés. 
 
4.  
En définitive, tous les griefs recevables de la recourante se révèlent infondés, de sorte que son recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable, aux frais de son auteur qui versera à son adverse partie une indemnité pour ses frais d'avocat (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 18'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 20'000 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 13 juillet 2023 
 
Au nom de la I re Cour de droit civil  
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
La Greffière : Monti