6B_1325/2020 18.05.2022
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_1325/2020  
 
 
Arrêt du 18 mai 2022  
 
Cour de droit pénal  
 
Composition 
M. et Mmes les Juges fédéraux Denys, Juge présidant, van de Graaf et Koch. 
Greffier : M. Vallat. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Alain Bionda, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public de la Confédération, 
Guisanplatz 1, 3003 Berne, 
intimé. 
 
Objet 
Irrecevabilité du recours en matière pénale (Décision 
de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral [dénonciation pénale]), 
 
recours contre la décision du Tribunal pénal fédéral, Cour des plaintes, du 22 octobre 2020 
(BB.2020.236-238). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Le 16 mars 2020, A.________ a déposé auprès du Ministère public de la Confédération (MPC) une dénonciation pénale contre les organes de la banque B.________ SA pour soupçons d'actes exécutés sans droit pour un État étranger (art. 271 CP). 
 
Par ordonnance du 23 septembre 2020, le MPC a renoncé à entrer en matière sur cette dénonciation. 
 
B.  
Saisie par A.________, C.________ Ltd et D.________ Ltd d'un recours dirigé contre le refus d'entrer en matière, par décision du 22 octobre 2020, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral l'a déclaré irrecevable, frais à charge des recourants solidairement entre eux. 
 
C.  
Par acte daté du 19 novembre 2020, A.________ recourt en matière pénale au Tribunal fédéral contre la décision du 22 octobre 2020. Il conclut avec suite de frais et dépens à la charge de la Confédération, préliminairement à ce que la qualité de partie à la procédure pénale lui soit reconnue au sens de l'art. 105 al. 2 CPP et qu'il soit ordonné au Ministère public de la Confédération de produire l'ordonnance de non-entrée en matière du 23 septembre 2020. A titre principal, il demande l'annulation des décisions du MPC et de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral, que soit ordonnée la levée immédiate des séquestres opérés sur les comptes bancaires dont il est bénéficiaire économique auprès de B.________ SA " étant précisé que les sociétés titulaires des comptes ont été liquidées en raison des sanctions américaines ". Il demande également le paiement en francs suisses de la contre-valeur d'actions E.________, la remise en ses mains de 220'000 euros de son compte " euro " et le paiement des dollars américains déposés " sur leurs comptes bancaires ". A titre subsidiaire, il conclut au renvoi de la cause au MPC pour nouvelle décision au sens des considérants. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec plein pouvoir d'examen la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 146 I 126 consid. 1; 143 III 140 consid. 1 et les références). 
 
2.  
Conformément à l'art. 79 LTF, le recours est irrecevable contre les décisions de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral, sauf si elles portent sur des mesures de contrainte. Cette notion se réfère selon la jurisprudence aux mesures investigatrices ou coercitives prises, à titre incident, au cours du procès pénal, telles que l'arrestation, la détention, le séquestre, la fouille, la perquisition. Le législateur a ainsi désiré éviter que l'effet de décharge voulu par le transfert des compétences au TPF ne soit réduit à néant par l'ouverture systématique du recours au Tribunal fédéral. Ainsi, seules les mesures de contrainte telles que la mise et le maintien en détention provisoire et la saisie de biens peuvent faire l'objet d'un recours car il s'agit là de mesures graves qui portent atteinte aux droits fondamentaux (ATF 143 IV 85 consid. 1.2; 136 IV 92 consid. 2.1; Message du 28 février 2001 concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, FF 2001 4030; cf. art. 196 à 298 CPP). 
 
2.1. En l'espèce, il ressort de la décision entreprise que la restriction sur les comptes bancaires en question résulte de la mise en oeuvre de directives internes en matière de gestion des risques propres à la banque et non d'un séquestre au sens des art. 263 ss CPP. Même s'il parle de " séquestre illicite ", le recourant ne conteste pas que le blocage de ses comptes ne résulte d'aucune manière de l'application des règles du CPP. Il soutient, en revanche, qu'il s'imposerait de faire exception à la règle de l'art. 79 LTF, dont la compatibilité avec le standard de protection juridique que l'on pourrait attendre d'un État de droit serait discutable. Il relève que la LTF met fondamentalement en place une double instance avant de parvenir au Tribunal fédéral, que le choix du législateur d'en dispenser la Confédération mais non les cantons reposerait sur des motifs hautement critiquables, que la modification de la LOAP instaurant la Cour d'appel du Tribunal pénal fédéral ne réglerait pas ce problème, notamment en relation avec certaines décisions du ministère public telles celles portant sur la qualité pour agir. Dans une telle hypothèse, l'absence de toute voie de droit ordinaire ou extraordinaire constituerait une lacune improprement dite, contraire à la garantie du double degré de juridiction, qui devrait conduire à l'annulation de la décision attaquée.  
 
2.2. Contrairement à ce que paraît penser le recourant, à supposer qu'une lacune (sur cette notion et le silence qualifié, v.: ATF 131 II 562 consid. 3.5) puisse et doive être comblée dans le système des voies de droit de la LTF, que cela n'aurait pas pour conséquence l'annulation de la décision attaquée, mais au mieux, que le recours en matière pénale serait recevable quant à son objet (art. 79 LTF), ce qui n'autorise encore aucune conclusion quant à la recevabilité du recours au regard des autres règles de procédure et moins encore quant à son éventuelle issue sur le fond.  
 
2.3. Quoi qu'il en soit, le Tribunal fédéral a déjà été saisi à plusieurs reprises de ces questions. Il a exclu qu'une lacune proprement dite aurait trouvé son origine dans le fait que la LTF est antérieure à l'entrée en vigueur du CPP (cf. arrêts 6B_346/2021 du 29 octobre 2021 consid. 1.3; 6B_314/2021 du 29 octobre 2021 consid. 1.3; 1B_789/2012 du 24 janvier 2013 consid. 2.2). Il a également exclu une lacune improprement dite en relation avec la garantie du double degré de juridiction (v. arrêt 1B_789/2012 du 24 janvier 2013 consid. 2.2; v. aussi infra consid. 2.4) et jugé, plus généralement, que l'existence d'une différence entre une décision de la Cour des plaintes et une décision de classement émanant d'une autorité cantonale, où un recours en matière pénale au Tribunal fédéral est ouvert contre la décision rendue en dernière instance cantonale, n'impliquait pas de déroger à la règle de l'art. 79 LTF, qui visait précisément à décharger le Tribunal fédéral. Le législateur a donc clairement voulu limiter les possibilités de recours à l'autorité suprême de la Confédération (cf. arrêts 6B_119/2013 du 11 avril 2013 consid. 1; 1B_109/2011 du 15 mars 2011 consid. 2). La situation s'apparenterait ainsi, au mieux, à un silence qualifié, ce qui exclut, par conséquent, l'hypothèse d'une lacune susceptible de comblement (cf. arrêt 1B_789/2012 du 24 janvier 2013 consid. 2.2).  
 
2.4. Un double degré de juridiction en matière pénale n'est, par ailleurs, reconnu expressément qu'en faveur des personnes condamnées (cf. art. 32 al. 3 Cst., art. 2 du protocole n° 7 à la CEDH et art. 14 al. 5 du Pacte ONU II). Il ne saurait donc être question de faire une exception à l'art. 79 LTF pour ce motif et, selon la jurisprudence, l'existence d'une instance fédérale supplémentaire lorsque la procédure pénale est de la compétence des autorités cantonales n'impose pas d'ouvrir une voie de recours exceptionnelle pour des raisons tirées d'une pratique unifiée en la matière et pour corriger une inégalité de traitement qui a été décidée consciemment par le législateur (v. notamment arrêt 1B_253/2021 du 22 octobre 2021 consid. 2.2).  
 
2.5. Le recourant soutient ensuite que sa " compétence " pour contester une décision du Ministère public fédéral relative à l'application du titre 13 du Code pénal, spécialement de l'art. 271 CP résulterait de l'art. 6 CEDH et de la jurisprudence y relative, en particulier les arrêts CEDH Al-Dulimi et Nada. Il relève qu'ensuite de ces arrêts, la portée de l'art. 83 al. 1 let. a LTF, qui emporte l'irrecevabilité du recours en matière de droit public dirigé contre des décisions concernant la sûreté intérieure ou extérieure du pays, la neutralité, la protection diplomatique et les autres affaires relevant des relations extérieures, aurait été restreinte aux cas dans lesquels le droit international ne confère pas un droit à ce que la cause soit jugée par un tribunal.  
 
2.6. Le recourant perd de vue que l'art. 83 al. 1 let. a LTF, sous réserve d'une retouche rédactionnelle, n'a pas subi de modification depuis son entrée en vigueur, qui est antérieure aux deux arrêts CEDH qu'il cite. Sa teneur trouve, en réalité, son origine dans divers arrêts du Tribunal fédéral rendus en application des anciens art. 99 ss OJ (cf. parmi d'autres: ATF 133 II 450; 132 I 229 consid. 6.5; 130 I 388 consid. 5.2; 125 II 417 consid. 4c-e). Pour le surplus, qu'une voie de recours soit ouverte au Tribunal fédéral, en matière de droit public, contre des décisions, émanant d'autorités nationales, prises en application de sanctions internationales, singulièrement du Conseil de sécurité de l'ONU, lorsque le droit international confère un droit à ce que la cause soit jugée par un tribunal n'impose pas encore que la voie du recours en matière pénale soit ouverte dans les hypothèses dans lesquelles l'art. 79 LTF ferme précisément cette voie de recours.  
 
2.7. Le recourant, qui invoque exclusivement le droit d'accès à un juge déduit de l'art. 6 CEDH en lien avec l'art. 83 let. a LTF et dans la perspective d'obtenir un " contrôle de la légalité des sanctions internationales ", n'expose d'aucune manière en quoi il serait empêché, agissant en personne ou par le truchement des deux sociétés dont il invoque être le bénéficiaire économique, d'obtenir du juge civil qu'il contrôle la validité du refus de la banque d'exécuter les ordres qui lui ont été passés et rien n'indique non plus que les entités potentiellement lésées de manière directe par les infractions alléguées ne seraient pas en mesure d'agir sur le plan pénal ou même civil.  
 
Le recourant allègue certes que ces sociétés ne pourraient le faire en raison de leur " liquidation ", qui serait consécutive aux sanctions américaines, ensuite desquelles plus aucun agent à U.________ n'aurait accepté leur domiciliation (mémoire de recours, p. 15). Toutefois, cette circonstance spécifique ne ressort pas de la décision entreprise et le recourant ne tente pas de démontrer que la décision entreprise serait insoutenable sur ce point. En tant que de besoin, on peut relever également que ces deux sociétés ont, apparemment, conféré, sous la signature de leur administrateur, procuration en faveur du conseil du recourant en date du 26 septembre 2020, soit moins de 3 mois avant le dépôt du recours en matière pénale, ce qui suggère qu'elles étaient encore capables d'agir à cette date, quand bien même le recourant avait allégué devant la Cour des plaintes que cette signature était celle de " l'administrateur-liquidateur ". Cette dernière qualité ne ressort en effet d'aucune manière de ce document et n'est pas établie non plus par un autre moyen. Du reste, la seule existence d'un " administrateur-liquidateur " ne dirait encore rien de l'état d'avancement des opérations de liquidation et des pouvoirs de cet organe dans ce contexte. Hormis l'affirmation du recourant, rien n'indique non plus que cette signature n'aurait été apposée que " pour la bonne forme " et cette seule indication, éminemment ambiguë, ne permet, de toute manière pas de conclure que le signataire n'aurait pas été en mesure d'engager la société, ne serait-ce que dans la mesure nécessaire à sa liquidation. 
 
Du reste, s'il est vrai qu'aux termes du British Virgin Islands Business Companies Act 2004, une société dépourvue d'agent enregistré peut être radiée des registres, ce qui est susceptible de conduire à sa dissolution, une telle conséquence n'est ni immédiate ni sans remède (§ 213 al. 1 let. a et § 214 ss) et le recourant n'explique d'aucune manière pourquoi il en aurait été autrement en l'espèce. 
 
2.8. Il résulte de ce qui précède que la situation du recourant n'est pas comparable à celles qui prévalaient dans les arrêts rendus par la CourEDH auxquels il se réfère. Il s'agissait, en effet dans la première affaire du cas du bénéficiaire économique de sociétés, agissant conjointement avec les sociétés titulaires de relations bancaires, qui entendait contester la validité au regard du droit public et international, de sanctions onusiennes exécutées en Suisse ayant pour effet le blocage (v. arrêt CEDH Al-Dulimi et Montana Management inc. c. Suisse, Grande Chambre, Requête no 5809/08, du 21 juin 2016, § 1, 10, 93 ss et 97 ss). Quant à l'autre affaire, elle a trait à diverses restrictions aux libertés garanties par les art. 3, 5, 8 et 9 CEDH dont se plaignait la personne directement atteinte par ces restrictions, découlant elles aussi de l'exécution, par les autorités suisses, de sanctions prononcées par le Conseil de sécurité des Nations unies (arrêt CEDH Nada c. Suisse, Grande Chambre, Requête no 10593/08, du 12 septembre 2012, § 1 ss et 11 ss). Le recourant ne démontre, en particulier, pas qu'il serait dans l'impossibilité, à titre personnel ou par l'intermédiaire des sociétés dont il est ayant droit économique, d'obtenir qu'un juge se prononce sur la validité du blocage qui lui est opposé par la banque (v. p. ex.: arrêts 4A_659/2020 du 6 août 2021 et 4A_84/2021 du 2 février 2022). Il s'ensuit que le recourant n'établit pas à satisfaction de droit l'existence de circonstances de faits susceptibles d'influencer favorablement la recevabilité de son recours en matière pénale, soit d'imposer, praeter legem, l'ouverture exceptionnelle d'une voie de droit que la loi déclare expressément fermée.  
 
2.9. Par surabondance, il est notoire que le recourant fait désormais l'objet de sanctions en application du droit suisse par la reprise dans l'ordonnance du 4 mars 2022 instituant des mesures en lien avec la situation en Ukraine (RS 946.231.176.72; v. COUNCIL IMPLEMENTING REGULATION (EU) 2022/336 of 28 February 2022 [...] concerning restrictive measures in respect of actions undermining or threatening the territorial integrity, sovereignty and independence of Ukraine, Journal Officiel L 58 du 28 février 2022; https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=celex%3A32022R0336 consulté la dernière fois le 16 mai 2022) du programme de sanctions de l'Union européenne, qui vise également le recourant eu égard à ses liens étroits et de longue date avec le président russe Vladimir Poutine. Il s'ensuit, à supposer le recours recevable relativement à son objet, qu'il faudrait, de toute manière, constater qu'en l'état, le recourant n'a plus d'intérêt actuel et concret à l'examen de la validité du blocage opéré par la banque en application de la décision américaine dans la perspective des conclusions en restitution ou en paiement qu'il articule, dont l'exécution ne pourrait être que théorique si elles pouvaient être allouées, en raison des nouvelles mesures mises en place (art. 81 al. 1 let. b LTF; ATF 140 IV 74 consid. 1.3.1; 137 I 296 consid. 4.2; 136 I 274 consid. 1.3).  
 
3.  
Au vu de ce qui précède, le recours est irrecevable. Les conclusions formulées par le recourant à titre préliminaire sont sans objet. Le recourant succombe. Il supporte les frais de la procédure (art. 65 al. 2 et 66 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est irrecevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 3000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal pénal fédéral, Cour des plaintes. 
 
 
Lausanne, le 18 mai 2022 
 
Au nom de la Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Denys 
 
Le Greffier : Vallat