5A_312/2023 30.04.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
5A_312/2023  
 
 
Arrêt du 30 avril 2024  
 
IIe Cour de droit civil  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Herrmann, Président, 
von Werdt et Bovey. 
Greffière : Mme Mairot. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me João Lopes, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
B.________, 
représentée par Me Marie-Eve Guillod, avocate, 
intimée. 
 
Objet 
divorce (contribution d'entretien), 
 
recours contre l'arrêt de la I e Cour d'appel civil du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg du 8 mars 2023 (101 2022 423). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________, né en 1961, et B.________, née en 1962, se sont mariés en 1982 au Portugal.  
Quatre enfants nés entre 1984 et 1991, aujourd'hui tous majeurs, sont issus de cette union. 
 
A.b. Le 27 juillet 2020, l'épouse a introduit une procédure de divorce sur requête unilatérale fondée sur l'art. 115 CC à l'encontre de son mari, celui-ci ayant été arrêté à la suite d'accusations d'actes d'ordre sexuel sur des enfants de la famille. Après l'échec de la conciliation, elle a déposé une demande motivée le 26 novembre 2020, concluant notamment à ce que le mari soit astreint à lui verser une contribution d'entretien d'un montant de 2'300 fr. par mois. Celui-ci a conclu à l'irrecevabilité de la demande et, pour le cas où elle serait considérée comme recevable, au rejet du chef de conclusions tendant au versement d'une pension après le divorce.  
 
A.c. Par décision de mesures provisionnelles du 4 janvier 2022, telle que réformée par arrêt de la I e Cour d'appel civil du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg (ci-après: Cour d'appel) du 24 mai 2022, le mari a notamment été astreint à verser à l'épouse une contribution d'entretien mensuelle d'un montant de 2'100 fr. du 1er avril au 30 novembre 2021, de 900 fr. du 1er décembre 2021 jusqu'à la fin de son incapacité de travail, puis à nouveau de 2'100 fr., le débirentier étant tenu de communiquer chaque mois à la crédirentière, tant que son incapacité de travail durerait, une copie de son certificat médical et de sa fiche de salaire.  
 
B.  
Par décision du 4 octobre 2022, le Tribunal civil de la Sarine a prononcé le divorce des parties et, entre autres points, a astreint le défendeur à verser à la demanderesse une contribution d'entretien de 2'300 fr. par mois jusqu'au 31 décembre 2022, puis de 2'000 fr. par mois dès le 1er janvier 2023 jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge légal de la retraite. 
Le 7 novembre 2022, le mari a interjeté appel contre cette décision, concluant principalement à ce qu'aucune pension après le divorce ne soit mise à sa charge et, subsidiairement, à ce que le montant de la contribution d'entretien allouée à l'épouse soit réduit à 500 fr. par mois. 
Par arrêt du 8 mars 2023, la Cour d'appel a partiellement admis l'appel du défendeur et, partant, a réformé la décision attaquée en ce sens que celui-ci contribuera à l'entretien de la demanderesse par le versement d'une contribution d'entretien mensuelle, indexée, d'un montant de 1'180 fr. jusqu'à ce qu'il ait atteint l'âge légal de la retraite. 
 
C.  
Par acte posté le 27 avril 2023, A.________ exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 8 mars 2023. Il conclut principalement à sa réforme en ce sens qu'il ne doit aucune pension à l'intimée. Subsidiairement, il sollicite le renvoi de la cause à la cour cantonale pour instruction et nouvelle décision. Encore plus subsidiairement, il demande que le montant de la contribution d'entretien mise à sa charge soit fixé à 500 fr. par mois. 
L'intimée propose le rejet du recours. 
Les deux parties sollicitent le bénéfice de l'assistance judiciaire. 
L'autorité cantonale a renoncé à formuler des observations. 
 
D.  
Par ordonnance présidentielle du 23 mai 2023, la requête d'effet suspensif assortissant le recours a été admise pour les arriérés de contributions d'entretien dues jusqu'à la fin du mois précédant le dépôt de la requête, en l'occurrence jusqu'à la fin du mois de mars 2023, mais a été rejetée pour le surplus, à savoir pour les montants d'entretien courants dus à partir du 1er avril 2023. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans la forme légale (art. 42 al. 1 LTF), contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue sur recours par une autorité supérieure statuant en dernière instance cantonale (art. 75 al. 1 et 2 LTF), dans une affaire civile (art. 72 al. 1 LTF) de nature pécuniaire dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 30'000 fr. (art. 51 al. 1 let. a, 51 al. 4 et 74 al. 1 let. b LTF). Le recourant, qui a pris part à la procédure devant l'autorité précédente et qui a un intérêt digne de protection à l'annulation ou la modification de la décision querellée, a en outre qualité pour recourir (art. 76 al. 1 let. a et b LTF). 
 
2.  
 
2.1. Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 s. LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Cela étant, eu égard à l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, il n'examine en principe que les griefs soulevés (ATF 142 III 364 consid. 2.4 et les références). Le recourant doit par conséquent discuter les motifs de la décision entreprise et indiquer précisément en quoi il estime que l'autorité précédente a méconnu le droit (ATF 146 IV 297 consid. 1.2; 142 III 364 précité consid. 2.4 et la référence). Le Tribunal fédéral ne connaît par ailleurs de la violation de droits fondamentaux que si un tel grief a été expressément invoqué et motivé de façon claire et détaillée ("principe d'allégation", art. 106 al. 2 LTF; ATF 146 IV 114 consid. 2.1; 144 II 313 consid. 5.1; 142 III 364 consid. 2.4).  
 
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ceux-ci ont été constatés de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). Le recourant qui soutient que les faits ont été établis d'une manière manifestement inexacte, c'est-à-dire arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 147 I 73 consid. 2.2; 144 II 246 consid. 6.7; 143 I 310 consid. 2.2 et la référence), doit satisfaire au principe d'allégation susmentionné (art. 106 al. 2 LTF; cf. supra consid. 2.1), étant rappelé qu'en matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il y a arbitraire lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 147 V 35 consid. 4.2; 143 IV 500 consid. 1.1 et la référence). Le recourant ne peut pas se borner à contredire les constatations litigieuses par ses propres allégations ou par l'exposé de sa propre appréciation des preuves; il doit indiquer de façon précise en quoi ces constatations sont arbitraires au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 133 II 249 consid. 1.4.3). Une critique des faits qui ne satisfait pas à cette exigence est irrecevable (ATF 147 IV 73 consid. 4.1.2 et les références; 145 IV 154 consid. 1.1).  
 
2.3. Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF). Cette exception, dont il appartient au recourant de démontrer que les conditions sont remplies (ATF 148 V 174 consid. 2.2; 143 V 19 consid. 1.1), vise les faits qui sont rendus pertinents pour la première fois par la décision attaquée, par exemple concernant le déroulement de la procédure devant l'instance précédente afin d'en contester la régularité, ou encore des faits postérieurs à l'arrêt attaqué permettant d'établir la recevabilité du recours. En dehors de ces cas, les nova ne sont pas admissibles, qu'il s'agisse de faits ou moyens de preuve survenus postérieurement à la décision attaquée (ATF 144 V 35 consid. 5.2.4) ou d'éléments que les parties ont négligé de présenter aux autorités cantonales (ATF 143 V 19 consid. 1.2; 136 III 123 consid. 4.4.3).  
Ne remplissant pas les conditions susmentionnées (cf. infra consid. 3.2 in fine), la pièce n° 3 produite par le recourant à l'appui du présent recours, comprenant des décomptes de chômage datés de décembre 2022, janvier 2023, février 2023, mars 2023 et avril 2023 doit être écartée. 
 
3.  
Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 125 CC, considérant que la cour cantonale a retenu à tort que le mariage était " lebensprägend ".  
 
3.1. Aux termes de l'art. 125 al. 1 CC, si l'on ne peut raisonnablement attendre d'un époux qu'il pourvoie lui-même à son entretien convenable, y compris à la constitution d'une prévoyance vieillesse appropriée, son conjoint lui doit une contribution équitable. Dans son principe, comme dans son montant et sa durée, l'obligation d'entretien doit être fixée en tenant compte des éléments énumérés de façon non exhaustive à l'art. 125 al. 2 CC (ATF 147 III 249 consid. 3.4.2 et les références; 138 III 289 consid. 11.1.2). La détermination de la contribution d'entretien est laissée, pour une part importante, à l'appréciation du juge du fait, qui applique les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC; ATF 148 III 161 consid. 4.1; 134 III 577 consid. 4; arrêt 5A_397/2022 du 17 mai 2023 consid. 7.3).  
Lorsque l'union conjugale a durablement marqué de son empreinte la situation de l'époux bénéficiaire (" lebensprägende Ehe "), le principe est que le standard de vie choisi d'un commun accord durant la vie commune doit être maintenu pour les deux parties dans la mesure où leur situation financière le permet (art. 125 al. 2 ch. 3 CC; ATF 147 III 249 consid. 3.4.3; 141 III 465 consid. 3.1). Dans cette hypothèse, on admet en effet que la confiance placée par l'époux créancier dans la continuité du mariage et dans le maintien de la répartition des rôles, convenue librement par les conjoints, mérite objectivement d'être protégée (ATF 148 III 161 consid. 4.1; 147 III 249 consid. 3.4.1 et les références). Lorsqu'en revanche le mariage n'a pas eu d'influence sur les conditions d'existence, il faut se référer à la situation antérieure au mariage et replacer de ce fait l'époux créancier dans la situation qui serait la sienne si le mariage n'avait pas été conclu (ATF 148 III 161 consid. 5.1; 147 III 249 consid. 3.4.1).  
Dans sa jurisprudence récente, le Tribunal fédéral est revenu sur la notion de mariage ayant un impact décisif sur la vie, précisant en particulier que les présomptions de fait qui plaidaient jusqu'ici en faveur d'un tel mariage (notamment la durée du mariage et l'existence d'enfants communs) ne devaient pas être appliquées de manière schématique, c'est-à-dire sans tenir compte des particularités du cas d'espèce (ATF 147 III 249 consid. 3.4.2). Autrement dit, elles n'ont pas de valeur absolue et doivent être relativisées (ATF 148 III 161 consid. 4.2). 
 
3.2. En l'espèce, il résulte des faits constatés qu'au moment du dépôt de l'action en divorce de l'épouse, consécutive à l'arrestation du mari, la vie commune avait duré près de quarante ans, quatre enfants étant en outre issus de cette union. L'impact décisif du mariage ne peut certes pas être automatiquement déduit de ces éléments, l'entretien après le divorce devant bien plutôt respecter l'ensemble des critères énumérés de façon non exhaustive à l'art. 125 al. 2 CC (cf. ATF 148 III 161 consid. 4.2 et l'arrêt cité). Cela étant, l'arrêt entrepris retient que, durant la vie commune, le mari a toujours exercé une activité lucrative à plein temps, tandis que l'épouse n'a travaillé à 90-100% que pendant les dernières années du mariage (jusqu'en 2019 lorsqu'elle a dû se faire opérer du genou) et qu'elle n'a jamais cotisé à la prévoyance professionnelle. Dans ces circonstances, et vu le pouvoir d'appréciation dont dispose le juge du fait en la matière, il paraît ainsi conforme au droit fédéral de considérer que le mariage a eu une influence concrète sur les conditions d'existence de l'intimée, qui s'est de toute évidence consacrée durant de nombreuses années à la tenue du ménage et à l'éducation des quatre enfants du couple.  
De toute manière, lorsque le mariage n'a pas eu d'influence concrète sur les conditions de vie des époux, le conjoint qui a renoncé à son indépendance économique pendant celui-ci a en quelque sorte droit à la réparation du préjudice causé par le mariage (" Eheschaden "), qui correspond, dans la terminologie de la responsabilité contractuelle, à la réparation de l'intérêt négatif (cf. supra consid. 3.1). Or, il n'apparaît pas que la contribution d'entretien d'un montant mensuel de 1'180 fr. (déficit de l'épouse: 820 fr. + [solde du mari: 1'540 fr. - déficit: 820 fr.] / 2) allouée à l'intimée jusqu'à ce que le recourant ait atteint l'âge légal de la retraite, à savoir jusqu'en 2026, couvrirait plus que la différence avec le gain que celle-ci aurait pu réaliser si elle ne s'était pas mariée (cf. STOUDMANN, Le divorce en pratique, 2ème éd., 2023, p. 338 s.). Se plaignant d'établissement manifestement inexact des faits, le recourant se borne pour le surplus à soutenir que ses indemnités de chômage ne s'élèvent pas à 3'850 fr., mais à 3'098 fr. 80 en moyenne, de sorte que son solde disponible serait de 788 fr. 80. La pièce n° 3 sur laquelle il fonde cette allégation ayant été déclarée irrecevable (cf. supra consid. 2.3), le revenu pris en considération par l'autorité cantonale - qui a constaté que l'intéressé n'avait pas produit les décomptes de chômage annoncés dans l'appel, de sorte qu'il y avait lieu de tenir compte d'indemnités journalières correspondant en l'occurrence à 70% du gain assuré (70% de 5'500 fr. = 3'850 fr.) -, n'apparaît pas arbitraire.  
 
4.  
En définitive, le recours se révèle mal fondé et doit par conséquent être rejeté, en tant qu'il est recevable. Dès lors que ses conclusions étaient d'emblée vouées à l'échec, la requête d'assistance judiciaire du recourant ne peut être agréée (art. 64 LTF). Celui-ci supportera dès lors les frais judiciaires et versera en outre des dépens à l'intimée (art. 68 al. 1 et 2 LTF), dont la requête d'assistance judiciaire devient ainsi en principe sans objet. Il convient toutefois d'y donner suite et de prévoir l'indemnisation de son mandataire par la Caisse du Tribunal fédéral. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
La requête d'assistance judiciaire du recourant est rejetée et celle de l'intimée est admise, dans la mesure où elle n'est pas sans objet, Me Marie-Eve Guillod, avocate à Fribourg, étant désignée comme conseil d'office de cette partie. 
 
3.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'500 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
4.  
Une indemnité de 3'000 fr., à payer à l'intimée à titre de dépens, est mise à la charge du recourant. La Caisse du Tribunal fédéral versera à Me Marie-Eve Guillod une indemnité de 2'500 fr. à titre d'honoraires d'avocat d'office. 
 
5.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la I e Cour d'appel civil du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg. 
 
 
Lausanne, le 30 avril 2024 
 
Au nom de la IIe Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Herrmann 
 
La Greffière : Mairot