2C_207/2023 06.11.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
2C_207/2023  
 
 
Arrêt du 6 novembre 2023  
 
IIe Cour de droit public  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Aubry Girardin, Présidente, Donzallaz et Hänni. 
Greffière: Mme Jolidon. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Océane Probst, avocate, 
recourant, 
 
contre  
 
Département de l'économie et de la santé de la République et canton du Jura, rue de la Jeunesse 1, 2800 Delémont. 
 
Objet 
Retrait de l'autorisation de pratiquer, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal de 
la République et canton du Jura, Chambre 
administrative, du 6 mars 2023 (ADM 187/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________, médecin psychiatre, a déposé, le 25 janvier 2021, une demande d'autorisation de pratiquer la médecine sous sa propre responsabilité, auprès du Département de l'économie et de la santé de la République et canton du Jura (ci-après: le Département de la santé). Le formulaire à remplir comportait la question "Avez-vous fait ou faites-vous l'objet d'une procédure pénale, disciplinaire ou administrative, d'une procédure en responsabilité civile professionnelle ou de poursuite pour dettes/faillite? Si oui, veuillez nous informer, documents à l'appui, de l'état de la procédure". L'intéressé y a répondu par la négative. En date du 10 mars 2021, ledit département a octroyé l'autorisation requise à A.________ (art. 105 al. 2 LTF). 
Par courrier du 31 mars 2022, la Commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients de la République et canton de Genève a informé le médecin cantonal jurassien que trois procédures disciplinaires étaient en cours à l'encontre de A.________. Celui-ci avait été averti de leur ouverture en date du 8 avril 2019 pour la première, respectivement du 14 avril 2021 pour les deux autres qui concernaient des relations sexuelles que l'intéressé auraient entretenues avec des patientes. Par la suite, il est apparu que A.________ faisait également l'objet d'une procédure pénale ouverte le 4 mars 2020 pour abus de faiblesse et contrainte sexuelle, à la suite d'une plainte déposée par une de ses patientes. 
 
B.  
 
B.a. Après avoir entendu A.________, le Département de la santé lui a retiré l'autorisation de pratiquer, en date du 18 juillet 2022, au motif que celui-ci n'était pas digne de confiance, dès lors qu'il n'avait mentionné ni la procédure disciplinaire de 2019 le concernant ni la procédure pénale sur la demande d'autorisation du 25 janvier 2021, alors qu'elles étaient pendantes; par la suite, l'intéressé ne l'avait pas non plus averti des deux procédures disciplinaires ouvertes en 2021. Cette autorité a rejeté l'opposition de A.________, le 10 octobre 2022.  
 
B.b. Par arrêt du 6 mars 2023, la Cour administrative du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura (ci-après: le Tribunal cantonal) a rejeté le recours de A.________ à l'encontre de la décision sur opposition du 10 octobre 2022 du Département de la santé pour le même motif que ledit département. Elle a, en outre, jugé que la décision était proportionnée.  
 
C.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler l'arrêt du 6 mars 2023 du Tribunal cantonal, ainsi que la décision du 18 juillet 2022 de retrait de l'autorisation de pratiquer dans le canton du Jura, subsidiairement, de renvoyer la cause au Tribunal cantonal pour une nouvelle décision. 
Le Ministre de l'économie et de la santé de la République et canton du Jura et le Tribunal cantonal concluent au rejet du recours. L'Office fédéral de la santé publique n'a pas déposé d'observations. 
Par ordonnance du 27 avril 2023, la Présidente de la IIe Cour de droit public a admis la requête d'effet suspensif. 
 
 
Considérant en droit :  
 
 
1.  
Le recours en matière de droit public, déposé en temps utile (art. 100 et 46 al. 1 let. c LTF) et en la forme prévue (art. 42 LTF) à l'encontre d'un arrêt final (art. 90 LTF) rendu, dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF), par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF) par l'intéressé qui a la qualité pour recourir (art. 89 al. 1 LTF), est recevable. 
Toutefois, dans la mesure où le recourant demande l'annulation de la décision du 18 juillet 2022 du Département de la santé lui retirant l'autorisation de pratiquer, sa conclusion est irrecevable en raison de l'effet dévolutif complet du recours auprès du Tribunal cantonal (cf. art. 133 de la loi jurassienne du 30 novembre 1978 de procédure et de juridiction administrative et constitutionnelle [code de procédure administrative, CPA/JU; RS/JU 175.1]), l'arrêt de cette autorité se substituant aux prononcés antérieurs (ATF 136 II 539 consid. 1.2). 
 
2.  
Saisi d'un recours en matière de droit public, le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF); il n'examine cependant la violation de droits fondamentaux que si ce grief a été invoqué et motivé par la partie recourante (cf. art. 106 al. 2 LTF); l'acte de recours doit, sous peine d'irrecevabilité, contenir un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés et préciser de façon circonstanciée en quoi consiste la violation (ATF 145 I 121 consid. 2.1; 142 V 577 consid. 3.2). Il y procède en se fondant sur les faits constatés par l'autorité précédente (cf. art. 105 al. 1 LTF), à moins que ces faits n'aient été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (cf. art. 105 al. 2 LTF), ce que la partie recourante doit exposer de manière circonstanciée (cf. art. 106 al. 2 LTF). A défaut, il n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait divergeant de celui qui est contenu dans l'acte attaqué (ATF 148 I 160 consid. 3; V 366 consid. 3.3). Les faits et les critiques invoqués de manière appellatoire sont irrecevables (ATF 145 I 26 consid. 1.3). 
 
3.  
Dans son mémoire, le recourant souligne que les faits de la cause sont ceux établis dans l'arrêt attaqué, "sous réserve expresse des motifs développés ci-après". Par la suite, il discute la motivation de cet arrêt et avance qu'une des procédures disciplinaires ne le concernait pas et qu'il nie les faits rapportés par la plaignante dans la procédure pénale. 
Une telle argumentation appellatoire ne répond pas aux exigences en la matière (cf. supra consid. 2). Au demeurant, le recourant ne conteste pas l'existence de ces deux procédures ouvertes à son encontre, mais en discute la pertinence. Le Tribunal fédéral statuera donc sur la base des faits établis dans l'arrêt entrepris et de ceux complétés d'office (art. 105 al. 2 LTF). 
 
4.  
 
4.1. L'objet du litige porte sur le retrait de l'autorisation du recourant à pratiquer la médecine sous sa propre responsabilité, en application de l'art. 38 al. 1 de la loi fédérale du 23 juin 2006 sur les professions médicales universitaires (loi sur les professions médicales, LPMéd; RS 811.11), au motif que celui-ci n'est pas digne de confiance au sens de l'art. 36 al. 1 let. b LPMéd.  
 
4.2. Il convient de tout d'abord préciser que la présente cause relève de la procédure administrative relative aux conditions à remplir pour obtenir, respectivement pour garder, une autorisation de pratiquer sous propre responsabilité professionnelle (cf. art. 36 LPMéd); cette autorisation est retirée si une de ces conditions devait ne plus être réalisée (cf. art. 38 LPMéd). Cette procédure doit être distinguée de la procédure disciplinaire mise en oeuvre lorsque la personne exerçant une profession médicale viole ses devoirs professionnels (cf. art. 40 LPMéd). Une telle violation entraîne une sanction, dont le catalogue est énuméré à l'art. 43 LPMéd, et parmi lesquelles figure l'interdiction de pratiquer. L'application de l'art. 43 LPMéd présuppose la présence d'une faute, ce qui distingue cette procédure de celle portant sur la révocation de l'autorisation de pratiquer.  
En l'espèce, il ne s'agit pas d'une procédure disciplinaire et, partant, pas d'une "interdiction de pratiquer" (sanction énumérée à l'art. 43 LPMéd en cas de violation de devoirs professionnels), comme le mentionne l'arrêt attaqué qui mélange les deux procédures. 
 
5.  
Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 36 al. 1 let. b et 38 al. 1 LPMéd. Il estime que c'est à tort que le Tribunal cantonal a retenu qu'il n'était pas digne de confiance, ce qui a abouti à un retrait de son autorisation de pratiquer. 
 
5.1. Selon l'art. 34 al. 1 LPMéd, l'exercice d'une profession médicale universitaire à titre indépendant requiert une autorisation du canton sur le territoire duquel la profession médicale est exercée.  
Les conditions professionnelles et personnelles pour l'octroi de l'autorisation de pratiquer, sous propre responsabilité professionnelle, sont réglées exhaustivement à l'art. 36 LPMéd (ATF 143 I 352 consid. 3.2). Selon l'al. 1 de cette disposition, le requérant doit être titulaire du diplôme fédéral correspondant (let. a); être digne de confiance et présenter, tant physiquement que psychiquement, les garanties nécessaires à un exercice irréprochable de la profession (let. b) et disposer des connaissances nécessaires dans une langue officielle du canton pour lequel l'autorisation est demandée (let. c). 
 
5.2. Selon la jurisprudence, en ce qui concerne l'art. 36 al. 1 let. b LPMéd, le requérant ne doit pas seulement faire montre d'un caractère digne de confiance dans sa relation avec ses patients, mais également face aux autorités sanitaires (arrêts 2C_460/2020 du 29 septembre 2020 consid. 6.1; 2C_49/2019 du 16 mai 2019 consid. 5.1; 2C_814/2018 du 29 mars 2019 consid. 4.2; 2C_853/2013 du 17 juin 2014 consid. 5.5 et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral a déjà jugé que celui qui omet de déclarer une procédure administrative, civile ou pénale pendante à son encontre pour des faits liés à l'exercice de sa profession (dans le formulaire à remplir afin d'obtenir une autorisation de pratiquer à titre indépendant) trompe l'autorité chargée d'évaluer ladite demande et qu'une telle attitude ne pouvait pas être qualifiée de "digne de confiance" au sens de l'art. 36 al. 1 let. b LPMéd (arrêts 2C_49/2019 susmentionné consid. 5.2; 2C_814/2018 susmentionné consid. 4.3).  
 
5.3. En l'espèce, le recourant n'a pas mentionné, dans sa demande d'autorisation de pratiquer du 25 janvier 2021, la procédure disciplinaire du 8 avril 2019 le concernant, alors en cours dans le canton de Genève. Il a également omis de signaler la procédure pénale ouverte à son encontre le 4 mars 2020. A cet égard, on relève qu'au regard de la question figurant sur le formulaire à remplir doivent non seulement être signalées les procédures closes, mais également celles qui sont pendantes lorsque la personne intéressée remplit la demande d'autorisation de pratiquer (cf. "Faits" let. A). Le fait que, selon le recourant, la procédure disciplinaire ne présente aucun lien avec lui n'est pas pertinent. Dès lors qu'une procédure était en cours et que l'ouverture de celle-ci lui avait été notifiée, le recourant devait la mentionner sur la demande d'autorisation. Il en va de même pour la procédure pénale, quand bien même l'intéressé conteste les faits dénoncés. Il incombe au Département de la santé d'instruire la demande d'autorisation et de décider dans quelle mesure les faits dénoncés dans les procédures pendantes représentent ou non un obstacle à l'octroi de celle-ci. Il n'appartient pas au médecin de procéder à cette pesée des intérêts.  
En conclusion, le recourant a trompé le Département de la santé chargé d'évaluer sa demande d'autorisation de pratiquer et, le cas échéant, de la lui octroyer. Comme susmentionné, une telle attitude ne peut pas être qualifiée de digne de confiance au sens de l'art. 36 al. 1 let. b LPMéd. Partant, la condition personnelle pour obtenir une autorisation de pratiquer à titre d'activité économique privée, sous propre responsabilité professionnelle, n'est pas remplie et celle-ci doit être retirée à l'intéressé. Le grief tiré de la violation des art. 36 al. 1 let. b et 38 al. 1 LPMéd est rejeté. 
 
6.  
Le recourant allègue une violation du principe de proportionnalité. Il prétend n'avoir jamais cherché à minimiser les actes qui lui sont reprochés, mais que ceux-ci ne justifient pas un retrait de son autorisation de pratiquer. Il met en avant le fait que l'autorité compétente genevoise n'aurait pris aucune sanction à son encontre, qu'il a quitté l'Institut B.________, dès qu'il a constaté les graves irrégularités qui y ont cours, et a ouvert sa propre clinique où il s'est beaucoup investi. 
 
6.1. Les principes généraux du droit administratif, dont celui de la proportionnalité, doivent être appliqués dans le cadre de l'examen d'un retrait de l'autorisation de pratiquer. Contrairement aux sanctions disciplinaires, où une interdiction d'exercer une profession indépendante peut être temporaire ou un autre type de sanction peut être prononcé (avertissement, amende, etc.), l'art. 38 al. 1 LPMéd ne prévoit aucune mesure moins contraignante que le retrait (définitif) de l'autorisation de pratiquer, lorsque les conditions posées pour l'octroi de celle-ci ne sont plus remplies (cf. arrêts 2C_460/2020 susmentionné consid. 7.1; 2C_1011/2014 du 18 juin 2015 consid. 6.2). Cela étant, la mise en oeuvre du principe de proportionnalité pourrait imposer de conditionner l'autorisation de pratiquer à des clauses accessoires au sens de l'art. 37 LPMéd, dans la mesure où cela s'avérerait possible, plutôt que de la retirer ou alors limiter l'autorisation d'exercer à certaines activités (cf. arrêt 2C_630/2016 du 6 septembre 2016 relatif à une décision incidente sur l'effet suspensif: le chirurgien en cause, qui avait commis une erreur médicale, puis rédigé des rapports erronés, s'était vu interdire les actes de chirurgie, mais avait été autorisé à continuer à procéder à des consultations durant la procédure à son encontre).  
 
6.2. L'argumentation du recourant repose en partie sur des faits qui ne ressortent pas de l'arrêt attaqué et qui ne peuvent donc pas être pris en considération. En outre, contrairement à ce qu'il prétend, le recourant n'a pas admis l'erreur commise, puisqu'il a soutenu, devant l'autorité précédente, qu'il n'avait pas mentionné les procédures dans la demande d'autorisation car la procédure disciplinaire ne le concernait pas et la procédure pénale n'était pas terminée. Il n'accepte donc pas ce qui lui est reproché et, au contraire, cherche à justifier son omission. L'arrêt attaqué relève également, d'une part, que le recourant avait admis avoir eu des relations sexuelles avec deux patientes et que deux autres procédures disciplinaires ont été engagées contre celui-ci en 2021 et, d'autre part, que l'expertise à laquelle le recourant s'était soumis avait "ordonné des contrôles", au regard de propos tenus par celui-ci qui avaient interpellé l'expert (cf. arrêt attaqué consid. 4.6). Compte tenu de ces éléments, on ne voit pas qu'une mesure moins radicale puisse être retenue, étant souligné que les autres arguments avancés par le recourant (implication dans son travail, installation de sa famille dans le Jura) ne sont pas pertinents et qu'il détient une clinique à Genève. Au demeurant, le recourant requiert uniquement l'annulation du retrait prononcé et ne suggère pas une mesure plus légère.  
 
En conclusion, le retrait de l'autorisation de pratiquer sous propre responsabilité professionnelle de l'intéressé ne viole pas le principe de proportionnalité. 
 
7.  
Dans la mesure où le recourant, en mentionnant que l'arrêt attaqué constitue "une atteinte considérable et injustifiée à sa sphère économique", entendait faire valoir une violation de sa liberté économique, il est constaté qu'une telle argumentation ne répond pas aux conditions posées en la matière (cf. supra consid. 2). 
 
8.  
Il découle de ce qui précède que le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. 
Succombant, le recourant doit supporter les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 1 et 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué à la mandataire du recourant, au Département de l'économie et de la santé et au Tribunal cantonal de la République et canton du Jura, Chambre administrative, ainsi qu'à l'Office fédéral de la santé publique. 
 
 
Lausanne, le 6 novembre 2023 
 
Au nom de la IIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : F. Aubry Girardin 
 
La Greffière : E. Jolidon