7B_327/2023 04.09.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
7B_327/2023  
 
 
Arrêt du 4 septembre 2023  
 
IIe Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Abrecht, Président, 
Koch et Hofmann. 
Greffier : M. Fragnière. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par Me Raphaël Jakob, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, 
 
B.________ S.p.A., 
représentée par Maîtres Saverio Lembo et Louis Frédéric Muskens, avocats, 
intimée. 
 
Objet 
Mesures provisionnelles, 
 
recours contre l'ordonnance de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 10 juillet 2023 (OCPR/44/2023 - P/6342/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Ensuite d'une plainte pénale déposée par B.________ S.p.A., le Ministère public de la République et canton de Genève (ci-après: le Ministère public) a ouvert une instruction contre la société A.________ SA pour abus de confiance (art. 138 CP), pour escroquerie (art. 146 CP), pour gestion déloyale (art. 158 CP) et pour faux dans les titres (art. 251 CP), en lien avec une vaste opération de titrisation de créances que cette dernière est soupçonnée d'avoir entreprise, à Genève, entre 2018 et 2023. 
Le Ministère public a ordonné diverses mesures d'instruction, dont une perquisition effectuée le 11 mai 2023 au sein des locaux de A.________ SA, lors de laquelle la police a saisi 34 dossiers en format papier ainsi que le serveur informatique appartenant à cette dernière. Le 21 juin 2023, B.________ S.p.A. a obtenu une copie numérisée de la documentation "papier" saisie au siège de A.________ SA. 
Par ordonnance du 26 juin 2023, le Ministère public a refusé de restreindre l'accès de B.________ S.p.A. au dossier de la procédure et de lui ordonner de garder le secret sur le contenu de ce dossier, ainsi que sur le nom des personnes impliquées. 
 
B.  
A.________ SA a recouru contre cette ordonnance en concluant à sa réforme en ce sens que les mesures tendant à la restriction de B.________ S.p.A. à l'accès au dossier et subsidiairement au maintien du secret soient ordonnées. Elle a en outre sollicité le prononcé des mesures provisionnelles nécessaires. 
Par ordonnance du 10 juillet 2023, le Président de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise a rejeté la demande de mesures provisionnelles que A.________ SA avait formulée dans le cadre de son recours contre l'ordonnance du 26 juin 2023. 
 
C.  
A.________ SA forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'ordonnance du 10 juillet 2023. Elle conclut, avec suite de frais et dépens, principalement à sa réforme en ce sens que, jusqu'à droit connu sur le recours cantonal, l'accès de B.________ S.p.A. au dossier soit limité et qu'il soit fait injonction à cette dernière de restituer la "clé USB déjà reçue", ainsi que de supprimer de tout support les copies de la documentation à laquelle elle a pu accéder. À titre subsidiaire, elle conclut à la réforme de l'ordonnance attaquée en ce sens notamment qu'interdiction soit faite à B.________ S.p.A. et à ses conseils, sous la menace de l'art. 292 CP, de transmettre à tout tiers les documents litigieux et de les utiliser dans d'autres contextes que celui de la procédure pénale. Plus subsidiairement, elle demande l'annulation de l'ordonnance entreprise et le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision. La recourante sollicite par ailleurs des mesures provisionnelles. 
Invités à se déterminer, la Chambre pénale de recours n'a pas formulé d'observations, tandis que le Ministère public et B.________ S.p.A. ont conclu au rejet du recours. 
La recourante s'est déterminée sur les observations du Ministère public et de B.________ S.p.A. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Est contestée devant le Tribunal fédéral l'ordonnance du 10 juillet 2023, par laquelle l'autorité précédente a refusé d'ordonner des mesures provisionnelles dans le cadre d'un recours, respectivement a refusé de restreindre l'accès au dossier de l'intimée, partie plaignante, et d'ordonner des mesures de protection par voie de mesures provisionnelles (cf. art. 388 CPP). Une telle ordonnance constituant une décision incidente notifiée séparément (cf. art. 92 s. LTF) et rendue dans le cadre d'une procédure pénale suisse par une juridiction statuant en tant que dernière instance cantonale (cf. art. 80 al. 1 LTF), la voie du recours en matière pénale auprès de la IIe Cour de droit pénal du Tribunal fédéral est ouverte (art. 78 al. 1 LTF et 35a let. b RTF). 
L'objet du présent litige ne concerne ainsi pas la qualité de partie plaignante de la société intimée ou le principe de son droit à l'accès au dossier d'instruction au sens de l'art. 101 CPP
 
2.  
 
2.1. En tant que décision incidente, l'ordonnance attaquée ne peut en principe faire l'objet d'un recours au Tribunal fédéral qu'en présence d'un risque de préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF). L'art. 93 al. 1 let. a LTF suppose que la partie recourante soit exposée à un dommage de nature juridique, qui ne puisse pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision qui lui serait favorable (ATF 144 IV 127 consid. 1.3.1; 141 IV 284 consid. 2.2). Il incombe au recourant d'alléguer les faits propres à démontrer l'existence d'un préjudice irréparable lorsque celui-ci n'est pas d'emblée évident (ATF 148 IV 155 consid. 1.1; 141 IV 284 consid. 2.3; 141 IV 1 consid. 1.1; 138 IV 86 consid. 3). Le renvoi à une écriture antérieure ne satisfait pas à l'exigence de motivation selon l'art. 42 al. 1 et 2 LTF (ATF 143 IV 122 consid. 3.3; 141 V 416 consid. 4; 138 IV 47 consid. 2.8.1; arrêt 7B_80/2022 du 7 juillet 2023 consid. 1.2).  
 
2.2. La recourante soutient que l'ordonnance attaquée risque de lui causer un préjudice irréparable. Invoquant la nécessité de protéger son intérêt légitime au maintien du secret, elle affirme à cet égard courir un risque de préjudice personnel et concret dans le cas où l'intimée utiliserait la documentation saisie en ses locaux. Cette dernière pourrait ainsi donner accès à la documentation à des tiers, avec le risque que ceux-ci l'utilisent à leur tour. Renvoyant aux allégations contenues dans son mémoire de recours cantonal, la recourante explique que les documents en question contiendraient des secrets commerciaux qui seraient, pour la plupart, "price-sensitive" et qu'aussi, leur divulgation ou leur utilisation créerait un "risque important d'agiotage". Elle serait dès lors exposée à des prétentions de tiers ou, à tout le moins, à de sérieux risques réputationnels et commerciaux, soit à autant de risques qui, de par leur nature, seraient irréparables.  
 
2.3.  
 
2.3.1. Il est tout d'abord constaté que l'intimée a déjà eu accès à la documentation saisie le 11 mai 2023 au sein des locaux de la recourante. Aussi, en tant que cette dernière demande à obtenir des mesures provisionnelles tendant à empêcher l'intimée d'accéder aux pièces en question, son recours - qui, sur ce point, était sans objet au moment de son dépôt - est irrecevable à défaut d'intérêt actuel  
(ATF 142 I 135 consid. 1.3.1). 
 
2.3.2. On rappellera ensuite que l'accès au dossier pénal par la partie plaignante constitue un inconvénient potentiel inhérent à l'existence d'une procédure pénale, qui est toutefois en lui-même insuffisant, au regard de la jurisprudence, pour admettre que le prévenu soit exposé à un préjudice irréparable (arrêt 1B_183/2021 du 21 septembre 2021 consid. 2.2 et les réf. citées).  
Cela étant, on cherche en vain dans la motivation du recours des précisions sur les informations prétendument secrètes, qui seraient contenues dans la documentation saisie. La recourante n'expose à ce propos pas, parmi l'ensemble des éléments concernés, quelles pièces contiendraient des secrets méritant d'être protégés et en quoi ceux-ci consisteraient concrètement. Se limitant en substance à évoquer des documents de nature "price-sensitive", son argumentation sur son intérêt légitime au maintien de secrets commerciaux s'avère insuffisamment motivée. Ce constat s'impose par ailleurs d'autant plus au regard de la jurisprudence constante - transposable au cas d'espèce - selon laquelle des références générales à de prétendus secrets privés ne suffisent pas à concrétiser l'existence d'intérêts dignes de protection (arrêts 7B_87/2022 du 18 juillet 2023 consid. 3.1; 7B_86/2022 du 13 juillet 2023 consid. 3.1 et les réf. citées). 
 
2.3.3. Le ou les renvois de la recourante à son mémoire de recours cantonal, au demeurant sans précision du ou des passages concernés, ne sont finalement pas admissibles (cf. consid. 2.1 in fine supra). Il n'appartient en tout état pas au Tribunal fédéral de rechercher, parmi les éléments figurant au dossier de l'autorité précédente, ceux qui sont propres à établir un éventuel préjudice irréparable (ATF 134 II 45 consid. 2.2.3; 133 II 249 consid. 1.1; arrêts 1B_153/2019 du 11 décembre 2019 consid. 1.6; 1B_407/2018 du 13 décembre 2018 consid. 1.4).  
 
2.4. En définitive, la recourante ne parvient pas à établir, ni même à rendre vraisemblable, que l'ordonnance attaquée risque de lui causer un préjudice juridique irréparable, de sorte que la décision entreprise ne saurait faire l'objet d'un recours immédiat auprès du Tribunal fédéral (cf. art. 93 al. 1 LTF).  
 
3.  
Au vu de ce qui précède, le recours doit être déclaré irrecevable. La recourante, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). L'intimée, qui procède avec l'assistance d'un avocat, a droit à des dépens à la charge de la recourante (art. 68 al. 1 LTF). 
La cause étant jugée, la requête de mesures provisionnelles devient sans objet. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est irrecevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, fixés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
Une indemnité de dépens, arrêtée à 2'500 fr., est allouée à l'intimée à la charge de la recourante. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours. 
 
 
Lausanne, le 4 septembre 2023 
 
Au nom de la IIe Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Abrecht 
 
Le Greffier : Fragnière